La République arabe unie : éphémère espoir du panarabisme

Lorsque le journaliste français Jacques Benoit-Méchin avait demandé en 1958 à Gamal Abdel Nasser « Vous pensez créer un Empire panarabe. N’est-ce pas une forme d’impérialisme ? » Le Raïs égyptien rétorqua « Du tout, je ne veux pas forger un Empire, je veux amener une nation à prendre conscience d’elle-même (…) je ne veux rien conquérir d’étranger à la nation arabe. Je veux en rassembler les membres qui, une fois rassemblés, n’auront pas besoin d’un espace vital supplémentaire… Je ne suis pas un conquérant »[1].

Au lendemain de la nationalisation du canal de Suez en 1956, l’idéologie panarabe de Nasser jouit d’un prestige qui dépasse de loin les frontières des jeunes États-nations du monde arabe. Politique ô combien fédératrice à l’échelle de la région, le nassérisme était malheureusement englué dans des contentieux interarabes pour des questions de gouvernance et de leadership.

Description : Macintosh HD:Users:alexandreaoun:Desktop:79318447_2740979305945450_1780864152986714112_n.jpg
Emblème de la République arabe unie

Nasser : l’Homme de la nation arabe

Lorsque Nasser décida de nationaliser le canal de Suez le 26 juillet 1956, la faible armée égyptienne, mal équipée et peu expérimentée devait se défendre contre l’agression tripartite israélienne, française et anglaise qui voulait mettre fin au processus de nationalisation. Face à cette intervention illégale, les deux grandes puissances de l’époque (URSS et Etats-Unis) font pression afin de stopper les hostilités. À défaut d’être une victoire militaire, c’est une victoire psychologique retentissante pour tout le monde arabe. Nasser devient l’Homme que toute une région attendait. Enfin, un chef d’État arabe avait compris les attentes de la rue. Nasser auréolé de sa victoire, est sacralisé du Caire à Bagdad en passant par Beyrouth et Damas.

En effet, cette nationalisation vient de mettre fin à un siècle et demi d’interventionnisme occidental au Moyen-Orient. À lui seul, cet événement redore une dignité et une fierté trop souvent délaissées au profit des intérêts des grandes puissances.

De surcroît, indépendamment de la création des États-nations arabes, l’aura et le charisme de Nasser transcende et dépasse de loin le cadre égyptien. Les portraits du Raïs sont présents dans toutes les capitales arabes. Orphelin et exploité, le peuple arabe a enfin trouvé son leader. Ce dernier galvanise les foules à chacun de ses discours, et fait l’objet d’un culte de la personnalité. Nasser a bien compris les rouages du leadership oriental. Ses discours sont bien ficelés et dénoncent les injustices et exactions commises par l’ennemi israélien ou par les politiques néocoloniales occidentales. Militaire, il épouse expressément les codes et les manières d’un homme fort à l’écoute de son peuple et de toute une région.

Faisant office d’exemple à l’échelle du Moyen-Orient, l’influence de l’Égypte est telle que, plusieurs États arabes veulent embrasser le nassérisme et tenter un projet d’unification.

Le rêve d’une nation arabe :

Les indépendances des États arabes (voulues et orchestrées par les puissances occidentales afin de diviser la région) sont un frein au panarabisme. Les anciennes puissances tutélaires s’opposent farouchement à tout projet d’union des pays arabes. Car, une nation arabe unie ferait automatiquement contrepoids à l’influence occidentale[2].

Or, compte tenu du rayonnement du nassérisme et des difficultés internes en Syrie, Damas, sous la houlette du penseur orthodoxe et fondateur du parti Baath Michel Aflak, choisit de se rapprocher du Caire.

En effet, depuis l’indépendance de la Syrie en 1946, le pays est englué dans une série de coups d’États, de luttes ministérielles et de tensions économico-sociales. Pour Damas, le tropisme nassérien n’est pas un choix par défaut mais plus une réelle volonté de stabilité et d’unification. L’Irak quant à elle, fait le choix d’un alignement pro-américain en rejoignant le pacte de Bagdad en 1955 (groupe d’États proches des Etats-Unis et luttant contre l’expansion de l’union soviétique au Moyen-Orient).

Dès 1957 le maréchal Abdel Hakim Amer, proche conseiller de Nasser, devient le commandant en chef des armées syriennes et égyptiennes. Cette imbrication est consubstantielle aux desseins de la politique étrangère des deux pays : la lutte contre l’État d’Israël. Les contacts entre les deux pays s’accentuent afin de discuter des modalités de l’unité. Pour Nasser, c’est un moyen de polariser et d’imposer ses vues au Moyen-Orient. Le Raïs veut mettre l’Égypte au centre de la nation arabe. De ce fait, il ordonne la dépolitisation de l’armée syrienne, ainsi que la création d’un parti unique calqué sur le modèle égyptien. De son côté le Président syrien, Choukri Al-Kouatli, tergiverse de peur de perdre toutes ses prérogatives au profit de l’Égypte.

Finalement, un accord est signé le 31 janvier 1958 et la République arabe unie voit le jour. Elle est composée d’une région Nord (la Syrie) et d’une région Sud (l’Égypte), le Yémen du nord est également rattaché à la République mais son statut reste secondaire.

La même année, toute la région est en ébullition. La rue arabe n’est pas insensible aux sirènes du panarabisme. En raison de la primauté de l’arabité, c’est une idéologie qui fédère au delà des différences communautaires et religieuses. En effet en 1958, le « petit voisin » libanais plonge dans une guerre civile. Les partisans du nassérisme veulent le rattachement à la nouvelle République arabe unie alors que les loyalistes du Président Camille Chamoun prônent l’indépendance du Liban. L’intervention américaine en 1958 met fin aux affrontements et empêche par la même occasion le Liban de rallier la jeune nation arabe. Le nouveau Président libanais, Fouad Chehab, rencontre symboliquement Nasser à la frontière syro-libanaise afin d’entériner ce dossier et de promouvoir la bonne entente entre les deux entités.

De son côté, l’Irak pro américain, tente vainement une union avec la Jordanie en 1958 pour contrebalancer les objectifs nassériens. Après le coup d’État nationaliste d’Abdel Karim Qassim la même année, Bagdad est prête à rejoindre la République arabe unie. Mais en raison des animosités politiques entre baathistes, nationalistes et communistes et des menaces extérieures, cet élargissement demeure utopique. L’Irak reprend quelque peu la sémantique et l’idéologie panarabe à partir de 1963 et ce jusqu’en 1991. L’Irak arbore 3 étoiles sur son drapeau national, symbolisant les trois principales régions arabes d’Égypte, de Syrie et d’Irak.

« Les Arabes se sont mis d’accord pour ne pas se mettre d’accord »

Cette phrase prophétique d’Ibn Khaldoun, sociologue arabe du XIVème siècle, résume à elle seule les difficultés de l’éphémère République arabe unie.

Très vite, l’effervescence des premiers jours laisse place à la désillusion et aux mésententes. L’Égypte de Nasser polarise et monopolise les principales fonctions alors que les Syriens sont cantonnés à un rôle secondaire. Nasser impose ses vues et ordonne la démission des ministres baathistes syriens, jugés trop opposés à la politique nassérienne. En effet, sous le prisme de la République arabe unie plusieurs idéologies panarabes se confrontent. D’une part le Nassérisme qui souhaite mettre l’Égypte au centre de la nation arabe et d’autre part le parti Baath, qui lui a une vision plus égalitaire du projet.

De ce fait, des tensions entre Égyptiens et Syriens apparaissent et soigneusement entretenues par des puissances extérieures[3]. Chaque pays est enraciné dans ses propres particularités. Bien qu’Arabes, les Égyptiens se réfèrent à leur égyptianité et les Syriens à leur syrianité.

Soumis à une bureaucratie autoritaire et à des politiques de nationalisations, certaines franges de la bourgeoisie syrienne décident de migrer vers l’Occident. De plus, le poids oppressant des nouvelles réformes, le manque de concertation et l’omnipotence du Caire ravivent les pensées nationalistes à Damas. En conséquence, le 28 septembre 1961, plusieurs généraux de l’armée syrienne fomentent un coup d’État et mettent fin à l’éphémère expérience de la République arabe unie.

L’idéologie du panarabisme qui a tant galvanisé les foules après la nationalisation du canal de Suez en 1956, se trouve fragilisée après l’échec retentissant de la République arabe unie. Nasser a certainement sous estimé la complexité de ce projet. Il était lui même victime de son propre succès et n’avait pas les moyens de ses ambitions[4].

Encore aujourd’hui, bien que vacillant, le panarabisme continue d’animer les attentes et les envies de certains citoyens du Moyen-Orient. Son discours résonne avec nostalgie et est repris par tous les dirigeants du monde arabe pour asseoir leur leadership et leur légitimité.


[1] Gilbert Sinoué, « L’Aigle égyptien Nasser », Tallendier, 2015

[2] Charles Saint-Prot, « Le mouvement national arabe : Émergence et maturation du nationalisme arabe de la Nahda au Baas », Broché, 2013

[3] Yves Gonzalez-Quijano, « Les territoires perdus de l’arabisme », Vacarme, 2017/1 (n°78)

[4] Jean Lacouture, « Nasser », Paris, Seuil, 1971

2 réponses sur “La République arabe unie : éphémère espoir du panarabisme”

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *