La Turquie: allié indispensable de l’OTAN ?

La Turquie du Président Receip Tayyip Erdogan est au cœur des tensions régionales. Pourtant au début de la décennie 2010, l’ancien ministre des Affaires étrangères turc Ahmet Davutoglu avait théorisé la doctrine de « zéro problème avec les voisins ». Aujourd’hui, la Turquie est sur tous les fronts. De la Libye à la Syrie, en passant par l’Asie centrale et les Balkans, sa politique étrangère est tentaculaire. Nostalgique de la gloire de l’Empire ottoman, le Président turc avance ses pions et intervient illégalement dans plusieurs pays souverains.

Membre de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) depuis 1952, la Turquie n’est pas isolée. Ses gesticulations guerrières et ses discours menaçants servent les intérêts des puissances occidentales. La Turquie n’est ni plus ni moins que le cheval de Troie de l’Otan au Moyen-Orient.

Chars turcs dans la province d’Idlib

La Turquie à la conquête de l’Islam politique

Dans une région majoritairement musulmane, la Turquie cherche des alliés de poids.

Au Moyen-Orient, l’idéologie et la religion sont les deux composantes qui outrepassent de loin l’appartenance nationale et l’ethnicité. La Turquie n’est pas un pays arabe, mais elle peut compter sur l’influence des Frères musulmans pour se constituer un réseau d’alliance qui supplante l’arabité. Avec le Qatar, Erdogan adopte une posture conciliante à l’égard des « printemps arabes » en Égypte, en Tunisie, en Libye et surtout en Syrie. Ils savent que l’idéologie « frériste » fourmille dans les franges populaires de la communauté musulmane sunnite.

Par l’entremise des mosquées, des écoles coraniques et de nombreuses associations caritatives et éducatives, les Frères musulmanes tissent leurs réseaux. Le Qatar en est le principal bailleur alors que la Turquie constitue le chaînon militaire de cette alliance. Le territoire turc est devenu le pays hôte de tous les Frères musulmans condamnés et rejetés dans leur pays d’origine[1].

Cette idéologie ressemble au panislamisme de la fin du XIXe siècle. En effet, l’Empire ottoman avait adopté cette doctrine pour conquérir et attirer tous les musulmans de l’Empire. Aujourd’hui, la doctrine des Frères musulmans est plus qu’une idéologie, c’est un moyen de s’immiscer durablement dans les affaires des pays arabes, comme au temps de l’Empire ottoman avec le panislamisme.

Le prosélytisme turc s’enracine dans plusieurs villes du Moyen-Orient. Dernièrement, en raison de l’intensité des combats à Idlib, la ville de Tripoli au Liban arborait en masse le drapeau turc. Sous couvert de doctrine religieuse, cette idéologie des Frères musulmans permet assurément à la Turquie d’étendre ses desseins de politique étrangère, notamment en Syrie. Cette ingérence politique se couple avec une intervention militaire de moins en moins officieuse qui alimente la nébuleuse djihadiste anti-Assad.

Une aide aux djihadistes d’Idlib

Depuis les accords d’Adana en 1998 entre le Syrie et la Turquie, Istanbul peut pénétrer à 5 km à l’intérieur du territoire syrien pour lutter contre toute menace « terroriste »[2]. Ce texte permet aujourd’hui à Erdogan de justifier ses interventions en Syrie, notamment contre les groupuscules kurdes dans le Nord-Est syrien.

Dès le début du conflit en Syrie en 2011, la Turquie et le Qatar ont fortement contribué à la formation de l’Armée syrienne libre (ASL), principale force d’opposition à Damas. En rendant la frontière syrienne poreuse, la Turquie a permis à des milliers de djihadistes étrangers en provenance du Caucase, d’Asie centrale et d’Europe de pénétrer en Syrie pour gonfler les rangs de l’ASL et de Daesh. Cette politique d’affaiblissement du pouvoir syrien, avec le consentement et l’appui des chancelleries occidentales, sert les intérêts d’Istanbul. En soutenant logistiquement et militairement les groupes djihadistes, la Turquie devient le parrain officiel de la rébellion syrienne.

Depuis 2018, Idlib est le dernier bastion djihadiste en Syrie. La Turquie quadrille la ville avec une douzaine de postes d’observations. Suite à la reprise de nombreuses localités autour d’Idlib par l’armée gouvernementale syrienne avec l’appui de l’aviation russe, la Turquie riposte en envoyant des troupes terrestres pour appuyer les djihadistes issus de la mouvance salafiste à l’instar de Hayat Tahrir Al-Cham[3]. Depuis, les affrontements se sont intensifiés entre la Turquie et la Syrie. Tour à tour, les deux pays revendiquent la récupération d’une parcelle de terrain ou l’abattement d’un avion ou d’un drone ennemi.

Cet appui avéré aux différents groupes djihadistes aggrave encore un peu plus la guerre en Syrie. Son intervention n’a fait l’objet d’aucune critique de la part des chancelleries occidentales. Au contraire, leur silence peut être interprété comme un feu vert accordé à la Turquie. Avec le retrait progressif et en ordre dispersé des Américains, Washington a permis à la Turquie de déloger les Kurdes et de s’enraciner dans le Nord-Est de la Syrie. La bataille d’Idlib est vitale pour le régime syrien. La récupération de cette ville est cruciale pour la stabilité des provinces voisines de Lattaquié et d’Alep. L’aide turque aux djihadistes prolongera la guerre mais n’en changera pas le résultat[4], tant que la Russie se porte garante de Bachar Al-Assad. En raison de l’escalade militaire, Ankara s’efforce d’obtenir un soutien occidental et menace l’Europe d’ouvrir ses frontières aux réfugiés.

Le cessez le feu obtenu à Moscou qui est entré en vigueur dans la nuit du 5 au 6 mars éternise une nouvelle fois le conflit.

Les réfugiés : le chantage d’Erdogan

En 2016, Ankara avait négocié avec l’Union européenne un pacte migratoire. En contrepartie d’une aide de 6 milliards d’euros, la Turquie devait contenir l’arrivée de réfugiés vers l’Europe.

De nouveau, la Turquie exige de l’Union européenne et de l’Otan une compensation financière pour accueillir les réfugiés et la soutenir dans sa nouvelle guerre. Sa revendication doit être prise en considération. En effet, l’afflux massif des réfugiés déstabilise l’économie turque et créé des tensions au sein même de la société. Devant les atermoiements des pays européens, Erdogan a mis sa menace à exécution en ouvrant sa frontière avec la Grèce. Athènes, exsangue économiquement, ne peut accueillir ce flux massif. L’Union européenne veut aider le gouvernement grec en lui octroyant une aide de 700 millions d’euros, et ne cède pas à ce chantage[5].

Les chancelleries occidentales se lamentent d’être prises en otage. Or, en soutenant systématiquement militairement et logistiquement l’opposition à Bachar Al-Assad, l’Union européenne est en partie responsable de la catastrophe migratoire en cours.

La Turquie endosse le rôle de victime tout en étant la principale fautive de la situation dans laquelle elle se trouve. Sans son intervention en Syrie et son soutien aux djihadistes, Bachar Al-Assad aurait pu récupérer l’intégralité de son territoire et éviter cette crise migratoire qui hante les Européens. Malgré les récentes rencontres bilatérales entre la Russie et la Turquie le 5 mars[6], la solution réside dans le positionnement de l’OTAN.

La Turquie : perturbateur utile de l’Otan

 La Turquie est membre de l’Organisation du traité Atlantique Nord depuis 1952. Cette intégration surprenante de la Turquie dans un axe regroupant les puissances occidentales s’explique par l’obligation de lutter contre l’expansion du communisme au lendemain de la seconde guerre mondiale. La Turquie devenait de facto, le cheval de Troie de la politique américaine en Orient. Dès 1955, Ankara permet à l’Otan d’installer une base aérienne à Incirlik pour ses opérations extérieures.

En 1991, en raison de la dislocation de l’Union soviétique, l’Otan n’a plus vocation à exister. Dès lors, l’organisation est repensée, restructurée à l’aune des nouvelles menaces du XXIe siècle. En effet, la lutte contre le terrorisme sert de tremplin à l’alliance qui va pouvoir intervenir au Moyen-Orient. La Turquie devient de fait, un élément central. Depuis 2011, le gouvernement turc est actif sur le terrain syrien avec le consentement et l’appui des forces de l’Otan.

Beaucoup de journalistes et d’experts prétendent à tord que la Turquie est isolée. Or selon l’article 5 de l’Otan, il est stipulé que : « Les parties conviennent qu’une attaque armée contre l’une ou plusieurs d’entre elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties, et en conséquence elles conviennent que, si une telle attaque se produit, chacune d’elles, dans l’exercice du droit de légitime défense, individuelle ou collective, reconnu par l’article 51 de la Charte des Nations Unies, assistera la partie ou les parties ainsi attaquées en prenant aussitôt, individuellement et d’accord avec les autres parties, telle action qu’elle jugera nécessaire, y compris l’emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité dans la région de l’Atlantique Nord. »[7]

Finalement, Erdogan est conscient des avantages que lui octroie l’Otan. En agitant la menace de la question migratoire, il veut former une communauté de destin avec les chancelleries occidentales. De surcroît, le Président turc répond à leurs attentes : empêcher la Syrie de récupérer la totalité de son territoire et contenir l’influence russe dans la région[8].


[1] http://fmes-france.org/linfluence-des-freres-musulmans-sur-la-politique-regionale-de-la-turquie-pana-pouvreau/

[2] https://www.lesclesdumoyenorient.com/Historique-des-relations-entre-la-Turquie-et-la-Syrie-depuis-la-fin-de-la

[3] https://twitter.com/syriaintel/status/1235323665622994945

[4] https://www.deep-news.media/2020/02/28/idleb-solutions/

[5] https://www.ifri.org/fr/espace-media/lifri-medias/dorothee-schmid-refugies-une-arme-de-dissuasion-erdogan

[6] http://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20200305-sommet-vladimir-poutine-recep-tayyip-erdogan-russie-turquie-syrie-apaiser-idle

[7] https://www.nato.int/cps/fr/natohq/official_texts_17120.htm

[8] https://www.lemonde.fr/syrie/article/2018/04/14/syrie-l-otan-defend-une-operation-ciblee-et-proportionnee_5285625_1618247.html

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