Le Soft-Power saoudien : le mirage d’une ouverture

Depuis 2015 et la nomination de Mohammed Bin Salman en tant que prince héritier du royaume d’Arabie saoudite, le pays connaît une ouverture tout azimut. Apôtre d’un renouveau et d’une ouverture de son pays, le jeune prince entreprend des réformes surprenantes dans un pays hostile au changement.

Il utilise la rente pétrolière pour investir dans un soft power, radicalement opposé aux principes du wahhabisme. Ce changement de stratégie dénote. Cette nouvelle image, les investissements massifs dans les évènements sportifs et culturels font basculer l’Arabie saoudite dans le XXIème siècle. Or, ce grand écart ne saurait éclipser l’affreuse guerre au Yémen, les récentes arrestations des opposants à la famille régnante et le financement d’une nébuleuse djihadiste.

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Mohammed Bin Salman et le boxeur Anthony Joshua

Mohammed Bin Salman : l’homme du changement ?

Depuis sa prise de fonction en 2015, il montre un nouveau visage de l’Arabie saoudite. Il séduit l’étranger par sa jeunesse et son modernisme. Âgé de 34 ans, bon connaisseur des technologies et usant à bon escient des moyens de promotion, il a su séduire ses interlocuteurs étrangers. Sa stratégie de transformation se base sur une diversification de l’économie, qui à ce jour est largement dépendante de la rente pétrolière. Il se lance dans des projets et veut changer l’image du pays en l’ouvrant au monde.

Dès 2016, le jeune prince héritier lance le projet «Vision 2030 ». Il ambitionne de transformer littéralement la pétromonarchie en une économie moderne. Ce projet comporte un pilier économique, social et politique pour tenter de transformer plusieurs pans de la société saoudienne. Il doit permettre à l’Arabie saoudite de développer des partenariats à l’international et de promouvoir son rayonnement à l’étranger. De ce fait, le pays investit dans des entreprises de luxe, dans des clubs de football, il rachète des parts de marché et inaugure même la promotion du secteur touristique. Récemment, le pays octroie des visas aux ressortissants étrangers. Auparavant, l’Arabie saoudite interdisait l’entrée sur son territoire sans une invitation officielle. De plus, un autre projet « pharaonique » baptisé « NEOM »[1] doit voir le jour en 2025 le long de la mer Rouge, en partenariat avec la Jordanie, l’Égypte et Israël.

Cette ouverture à 180° est la résultante d’un changement de pouvoir. Issu de la génération milléniale (génération Y), ayant grandi avec les nouvelles technologies et féru des jeux vidéos, Mohammed Bin Salman est un « geek » qui s’assume. En témoigne, la création de sa propre fondation MISK[2] afin d’aider la jeunesse saoudienne et l’inciter à intégrer les grandes écoles américaines… pour ensuite revenir au pays. Cette multiplication de réformes vise à embellir l’image de son pays à l’étranger. En effet, l’Arabie saoudite est méconnue du grand public et est assimilée à un pays fermé, où l’Islam radical (le wahhabisme) y est imposé.

 Les arrestations arbitraires des opposants, les exécutions sommaires restent monnaie courante. L’image du royaume s’est détériorée avec la séquestration de l’ex Premier ministre libanais Saad Hariri en 2017, puis avec l’assassinat commandité à Istanbul du journaliste Jamal Khashoggi en octobre 2018. De plus, malgré la faible médiatisation du conflit, l’opinion internationale s’émut de la guerre au Yémen. Les nombreux bombardements de la coalition menée par l’Arabie saoudite engendrent un désastre humanitaire.

Les crimes de guerre et les exactions au sein même de son propre pays, ravivent les doutes sur ses bonnes intentions. 

Le soft power : cache misère de l’Arabie saoudite

Le soft power est un concept popularisé par le géopolitologue américain Joseph Nye en 1990. Il théorise la capacité d’un pays à séduire et à attirer[3]. Cette notion s’oppose au hard power qui représente la force armée et coercitive d’un État. Le soft power est généralement assimilé à l’American way of life et tout ce qui en découle au niveau culturel, vestimentaire et culinaire.

Ce paramètre politique permet à une nation d’avoir la sympathie des autres pays, c’est en quelque sorte le revêtement, le maquillage d’un État. L’Arabie saoudite, sous la houlette du jeune prince héritier, l’a récemment adopté.

Le royaume saoudien a longtemps misé sur un soft power religieux, destiné uniquement aux musulmans du monde entier. De l’Afrique à l’Asie en passant par l’Europe[4], Riyad a financé de nombreuses écoles coraniques, des associations communautaires et des agences de voyage pour faciliter le pèlerinage des croyants à la Mecque (le Hajj). De surcroît, les connivences avérées avec certains groupes djihadistes attisent les critiques à l’égard de la politique saoudienne. La guerre au Yémen, menée par Riyad, ternit encore un peu plus l’image du pays[5].

À la surprise générale, Mohammed Bin Salman soucieux de gommer la mauvaise réputation de son pays, se lance sur la voie de la rédemption. D’un pays ultra-sectaire, il veut le hisser en havre de modernité. En s’attirant les louanges de l’opinion internationale, il peut avoir une influence sur le jeu diplomatique. La jeune société civile saoudienne est avide de progrès et d’ouverture. Le prince héritier l’a bien compris et met l’accent sur des thèmes consensuels. À l’instar du voisin qatari, il veut faire de l’Arabie saoudite un pays hôte pour les évènements sportifs internationaux.

La ruée vers le sport : écran de fumée de l’autoritarisme de MBS

Malgré sa faible démographie et son emplacement au carrefour des tensions régionales, le petit émirat du Qatar séduit. Il séduit par ses investissements dans le sport et notamment dans le football. Il dirige le club du Paris Saint Germain depuis 2011, il organise la prochaine coupe du monde de football en 2022 et la chaîne BeIN a su s’imposer tant en Occident qu’en Orient[6].

L’Arabie saoudite jalouse la réussite de son rival qatari. Dès lors, le royaume veut devenir une plaque tournante pour la réalisation d’évènements sportifs et ainsi s’acheter une image. L’ouverture se fait tout azimut. Après avoir organisé plusieurs concerts, Riyad accueille la revanche de boxe entre Anthony Joshua et Andy Ruiz le 7 décembre 2020. Evénement planétaire et suivi par des millions de téléspectateurs, c’est la réussite pour le soft power saoudien[7]. Dans la foulée, l’Arabie saoudite accueille la finale de la coupe d’Italie opposant la Lazio de Rome à la Juventus de Turin. Elle s’est également payée le luxe de délocaliser sur son sol les trois prochaines éditions de la supercoupe d’Espagne. Dans une société passionnée de foot, la jeune population saoudienne est conquise par cette ouverture. C’est un vecteur de stabilité politique.

Riyad accueille également la 42ème édition du Rallye Dakar 2020 et s’octroie l’organisation des 5 prochaines éditions. C’est une aubaine qui permet de valoriser le patrimoine local et de développer le tourisme inexistant à ce jour. En investissant massivement dans le sport grâce à sa manne pétrolière, l’Arabie saoudite parachève ainsi sa volonté d’ouverture et capitalise sur son soft power.

Or, cette stratégie de transformation et la ruée vers le sport ne peuvent faire oublier la triste réputation de la monarchie en matière des droits de l’Homme. Elle masque assurément les desseins autoritaires et hégémoniques du jeune prince héritier. Les récentes arrestations de 3 princes saoudiens issus de la famille royale par Mohammed Bin Salman[8] confirment un peu plus que cette ouverture n’est qu’un trompe l’œil. Du pain et des jeux pour l’opinion internationale…


[1] https://www.lemonde.fr/smart-cities/video/2017/11/17/neom-la-megalopole-du-futur-dont-reve-l-arabie-saoudite_5216675_4811534.html

[2] https://misk.org.sa/en/

[3] https://www-cairn-info.ezpaarse.univ-paris1.fr/revue-geoeconomie-2013-2-page-19.htm

[4] https://www-cairn-info.ezpaarse.univ-paris1.fr/revue-pouvoirs-2015-1-page-121.htm

[5] https://www.franceculture.fr/emissions/soft-power/soft-power-le-magazine-des-internets-du-dimanche-20-mai-2018

[6] https://weeplay.media/supercoupe-despagne-le-soft-power-de-larabie-saoudite/

[7] https://www.middleeasteye.net/news/anthony-joshua-defends-saudi-arabia-ahead-fight-against-ruiz

[8] https://www.lefigaro.fr/international/mohammed-ben-salman-assure-par-la-force-son-accession-au-trone-20200308

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