Ibn Battûta : « le voyageur de l’Islam »

Ibn Battûta est méconnu en Occident. Or, il s’agit bien du voyageur, de l’explorateur le plus connu du monde arabe. Il a consacré toute sa vie aux voyages. Il a voulu démontrer l’unicité du monde musulman en arpentant méthodiquement chacune de ses provinces de l’Afrique du Nord, au Moyen-Orient en passant par l’Afrique Australe et l’Extrême Orient entre 1325 et 1355. Ses récits ont donné naissance à une littérature d’un genre nouveau, le Rihla (le voyage en arabe).

À l’instar de Marco Polo, la figure d’Ibn Battûta cristallise toutes les légendes et les controverses autour de la véracité des informations sur ses prétendues pérégrinations.

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Le Voyageur :

Né en 1304 à Tanger, Ibn Battûta fait des études de droit coranique et décide de faire son premier pèlerinage à la Mecque (le Hajj) en 1325 à 21 ans. Il longe la mer Méditerranée en passant par Alger et Alexandrie. Il compte rejoindre la Mecque par la mer Rouge, mais en raison des instabilités politiques de l’époque, il décide de remonter le Nil et de séjourner en Palestine et en Syrie. Finalement, il rejoint une caravane de pèlerins à Damas qui le conduit vers les villes saintes de l’Islam, Médine et la Mecque.

Une fois son pèlerinage effectué en 1326, il remonte vers l’Irak et la Perse, puis il retourne à la Mecque pour y résider 2 ans. En 1330, il entreprend son second voyage à destination du golfe d’Aden et des côtes de l’actuelle Tanzanie. Il passe par Mogadiscio, Mombasa avant de contourner le Golfe persique pour revenir séjourner à la Mecque. Il entreprend son troisième voyage en 1332, au cours duquel il repasse par la Syrie et la Palestine, avant de remonter vers l’Anatolie et la ville de Constantinople. Il décide d’aller vers l’Inde en arpentant les routes d’Asie centrale du Turkestan et d’Afghanistan. Il arrive à Dehli en 1334. Il y réside 8 ans et est employé par le Sultan de la ville comme qadi (juge). Il est ensuite missionné par son supérieur pour se rendre en Chine. Or, le navire s’échoue au cours de la traversée au Sud-Ouest de l’Inde, il en profite pour voyager entre les Maldives et le Sri Lanka (Ceylan).

Puis, il reprend la mer en 1345 par ses propres moyens pour atteindre la Birmanie et le Sud-Est de la Chine. Il prétend être allé jusqu’à Pékin, cependant cette information est contestée par ses contemporains. Ibn Battûta décide de retourner une dernière fois à la Mecque avant de rentrer dans son pays natal, le Maroc. Sur la route, il est confronté à des tensions entre bédouins en Tunisie, ce qui l’oblige à accoster en Sardaigne pour une courte durée.

Il rentre finalement à Fès en 1349, 24 ans après son départ. Mais, il décide tout de même de remonter vers l’Espagne pour explorer la ville de Grenade. Il s’engage dans son dernier voyage en parcourant le Soudan et le Mali avant de revenir dans sa ville natale de Tanger. Au total, Ibn Battûta a couvert près de 120 000km en moins de 30 ans. En 1356, sur ordre du souverain du Maroc, un jeune érudit andalou Ibn Juzzay, retranscrit toutes les aventures d’Ibn Battûta. Ses récits sont traduits en français, en anglais et en allemand à partir de du XIXe siècle, soit 5 siècles après son incroyable épopée.

Fort de sa connaissance de la langue arabe, de la religion musulmane et doté d’une surprenante capacité d’adaptation, Ibn Battûta noue facilement des liens avec les gouverneurs locaux. De surcroît, il rencontre au cours de ses nombreuses expéditions des caravanes ou des navires marchands qui lui facilitent ses déplacements.

Le Musulman : 

L’Islam occupe une place primordiale dans son ouvrage. Ses nombreux périples dans le monde islamique (dar al-islam en arabe) convergent vers un seul but : malgré les nombreuses divisions théologiques au gré des époques et des conflits fraternels, Ibn Battûta veut prouver que la religion musulmane reste une et indivisible sous le prisme de ses valeurs.

En raison de ses connaissances théologiques et juridiques de l’Islam, Ibn Battûta est toujours reçu comme un invité prestigieux. Il est tour à tour employé comme conteur, qadi, conseiller et même ambassadeur auprès des gouvernants locaux.

Ses nombreux voyages loin de son pays natal confirment la centralité et l’omniprésence de l’Islam. Il n’est jamais considéré comme étranger. D’ailleurs, il est reconnu comme un connaisseur de l’Islam ce qui lui permet de voyager librement. Il est uniquement confronté à des populations chrétiennes en Palestine et en Syrie, mais ces dernières sont gouvernées par un pouvoir musulman. Il rencontre également des populations non-musulmanes en Chine.

Issu d’un rite musulman malékite (rite originel de l’Islam), il est très vite attiré par l’apprentissage du soufisme en contact avec les populations de Perse, d’Asie centrale mais surtout d’Inde. Le soufisme regroupe des pratiques mystiques de l’Islam, par le biais de rites d’initiation ou d’élévation spirituelle en petit groupe. Ce penchant pour cette branche déviante de l’Islam ne l’empêche pas de faire à plusieurs reprises son pèlerinage à la Mecque.

Une description fastidieuse des palais, des sanctuaires et des lieux de culte nous aide à nous familiariser avec le contexte politico-religieux du monde musulman du XIVème siècle. Or, compte tenu de la richesse des informations fournies, la lecture de ses récits peut sembler inintelligible pour le lecteur ordinaire.

Le géographe et l’anthropologue  

Plus qu’un aventurier, Ibn Battûta est un sociologue. Il décrit tout ce qu’il voit et enregistre tout ce qu’il entend. Il s’intéresse particulièrement à l’étude des comportements et aux différents modes de gouvernance.

Ses récits sont une mine d’informations pour l’époque du XIVe siècle. Il détaille le commerce des pierres précieuses et des peaux sauvages en Asie centrale, l’esclavage dans les pays arabes, les échanges des épices en Inde. Il dépeint les coutumes du chiisme notamment en Syrie avec les pratiques mortuaires, les rites du soufisme en Perse. Il affectionne particulièrement l’étude des sociétés avec la place de la femme. En effet, il est outré de constater le rôle principal joué par la femme aux Maldives. Il nous apprend également sur l’utilisation des pigeons voyageurs en Orient, les chiens de traîneaux en Asie centrale.

Il dépeint et analyse les us et coutumes des sociétés tribales. Plus qu’un témoin oculaire de l’époque, ses récits nous informent sur la grandeur et la décadence des royaumes visités, sur les fastes et l’hospitalité de ces contrées lointaines. Par ailleurs, au cours de ses voyages, il vante ses mérites auprès de la gente féminine. Il épouse autant de femmes qu’il en répudie. Nous n’avons que très peu de détails sur sa vie privée.

Cependant, nombre d’historiens doutent de la véracité de ses descriptions et de ses voyages. En effet, quand il rentre de son épopée en 1356, il retranscrit de mémoire ses récits avec une incroyable et surprenante précision. Les descriptions méticuleuses de la Syrie, de la Palestine ou des lieux saints sont similaires à celles faites par Ibn Jubair, voyageur du XIIe siècle. De surcroît, son récit en Chine fait plus que jamais l’objet d’une controverse sur l’authenticité de cette expédition. Il s’est sans doute basé sur les écrits des voyageurs du siècle précèdent.

Il n’en demeure pas moins qu’Ibn Battûta, à l’instar de Marco Polo en Occident, fascine et alimente tous les mythes du voyageur et de l’explorateur. Ses récits nous font voyager dans le monde musulman complexe du XIVème siècle.

Bibliographie :

  • Ibn Battûta, « Voyages, I- De l’Afrique du Nord à la Mecque », La Découverte, 2012
  • Ibn Battûta, « Voyages, II- De la Mecque aux steppes russes et à l’Inde », La Découverte, 2012
  • Ibn Battûta, « Voyages, III- Inde, Extrême-Orient, Espagne et Soudan », La Découverte, 2012
  • Gabriel Martinez-Gros, « Ibn Battûta ou le goût du voyage », l’Histoire 2009/12 (n°348)

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