Hafez al-Assad : père de la Syrie moderne

Au XXe siècle, la Syrie est au cœur des soubresauts de l’histoire régionale. La déliquescence de l’Empire ottoman pousse les populations locales à réclamer leur indépendance et à embrasser le rêve d’une nation arabe unie. Or très vite, les espoirs sont déchus sous la tutelle mandataire française entre 1920 et 1946. En plus d’amputer la Syrie avec la création du Liban, les autorités françaises régionalisent consciencieusement et méthodiquement les différentes communautés religieuses. En effet, le pays est composé de minorités kurdes, arméniennes, chrétiennes, chiites et d’une majorité sunnite.

À l’indépendance du pays en 1946, la Syrie et l’Égypte sont les fers de lance de la lutte contre l’État d’Israël. Cependant, l’instabilité politique prédomine en interne et 18 gouvernements se succèdent jusqu’à l’accession au pouvoir d’Hafez al-Assad en mars 1971. Stratège et militaire, il va faire de la Syrie un acteur incontournable du Moyen-Orient.

De sa formation militaire à sa formation politique :

Né en 1930 au sein d’une famille de 11 enfants, Hafez al-Assad appartient à la communauté alaouite, branche dissidente du chiisme. Il est scolarisé à l’âge de 9ans dans la grande ville côtière de Lattaquié. Assoiffé de connaissance, il choisit l’Académie militaire syrienne, seul moyen pour lui d’accéder à des études supérieures. En parallèle, il se passionne pour la politique et l’histoire de la région. Il est très tôt influencé par les penseurs du parti Baath, le chrétien orthodoxe Michel Aflak et le musulman sunnite Salah al-Din al-Bitar. D’obédience socialiste et nationaliste, ce parti prône une indépendance économique et politique vis-à-vis des puissances étrangères.

De surcroît, à l’instar de tous les Arabes de la région, il sacralise Gamal Abdel Nasser. Cependant, il entend ce battre pour le nationalisme syrien et espère refonder la Grande Syrie (Souria el Koubra en arabe), démembrée par les Occidentaux en 1920. Il s’imprègne également des textes du philosophe syrien Zaki al-Arzouzi, apôtre de l’arabisme, proclamant la régénération de l’identité syrienne.

Choisissant la carrière militaire, il excelle dans cette voie et se révèle être un officier brillant. Il intègre l’école militaire d’Homs, l’école militaire de l’air d’Alep puis le jeune Hafez part se perfectionner en Union soviétique pour suivre une formation de pilote de chasse pendant 11 mois.

À cette époque, le Moyen-Orient est en effervescence. La Syrie et l’Égypte s’unissent et forment la République arabe unie (cf article sur la République arabe unie). Hafez-al Assad est envoyé en tant qu’officier au Caire. Initialement partisan, il est très vite méfiant à l’égard du projet nassérien, il se sent humilié par l’arrogance des Égyptiens. Clandestinement avec plusieurs officiers, ils veulent mettre un terme à l’union entre les deux pays. Lors de l’éclatement de la RAU, il est brièvement emprisonné au Caire.

De retour en Syrie en 1961, aidé par son comité militaire d’officiers baathistes, Hafez al-Assad se mue en un fin stratège pour asseoir son autorité, stabiliser politiquement le pays et jeter les bases d’un État indépendant et puissant sur la scène régionale.

Son ascension au pouvoir : une méticuleuse éviction de ses opposants

Dans une Syrie instable, les gouvernements se succèdent au gré de plusieurs coups d’États. De surcroît, la question palestinienne et la lutte contre Israël cristallisent toutes les craintes et toutes les attentes.

Dès 1963, le Baath arrive au pouvoir et se rapproche du bloc soviétique en nationalisant des pans entiers de l’économie syrienne et en adoptant des politiques sociales. Hafez al-Assad est nommé chef d’état-major de l’armée de l’air en 1964. L’aile gauche du Baath fomente un coup d’État en 1966 et écarte tous les autres partis. Hafez al-Assad devient ministre de la Défense et en profite pour évincer de l’intérieur la vieille garde et ses opposants politiques.

Les tensions extérieures avec la guerre des six jours en 1967 contre Israël et le problème des réfugiés palestiniens accentuent la crise politique. Deux visions se font face. D’un côté les radicaux qui prônent l’action militaire, de l’autre les pragmatiques sous la houlette de Hafez al-Assad qui préconisent une retenue. Petit à petit, il tisse un réseau au sein même de l’armée. Il noyaute le baath et devient l’homme fort du parti. En novembre 1970, fort du soutien de l’armée, Hafez al-Assad se saisit du pouvoir et emprisonne le Président Noureddine al-Atassi ainsi que l’influent général Salah Jedid.

Hafez impose sa vision au sein du parti et son attachement au projet de la « Grande Syrie ». Son autorité et sa légitimité reposent sur le soutien indéfectible de son clan alaouite.

Un autoritarisme au service de son clan et de la stabilité du pays

Dans un pays multiconfessionnel comme la Syrie, Hafez al-Assad entend privilégier sa communauté alaouite. Représentant environ 10% de la population, cette minorité chiite a longtemps vécu marginalisée. Persécutés sous les Mamelouks du XIIIe au XVIe siècle, relégués au second plan sous l’Empire ottoman et abusés sexuellement jusque dans les années 1960, les Alaouites ne sont officiellement reconnus comme musulmans qu’en 1936. Ils sont méprisés par une partie des sunnites qui les assimilent à des mécréants. En effet, la réincarnation, la croyance en une trinité, la non interdiction de l’alcool et les célébrations de certaines fêtes chrétiennes attisent une certaine méfiance de la majorité sunnite. Le rite alaouite est apparu au XIe en Irak, il se concentre majoritairement sur le littoral syrien et s’étend jusqu’à Tripoli au Liban. De ce fait, l’ascension d’Hafez al-Assad à la tête de la Syrie est en quelque sorte la revanche de l’histoire de toute une communauté trop longtemps opprimée et délaissée.

Pour asseoir son autorité, il s’appuie sur l’armée, sur des groupes paramilitaires ainsi que sur un réseau de service de renseignement hautement hiérarchisé (moukhabarat en arabe). Pour étendre son pouvoir, il place des alaouites et des membres des minorités religieuses (chrétiens et ismaéliens notamment) à des postes clés. Hafez al-Assad continue méthodiquement les politiques de nationalisations et évince les libéraux qui sont obligés de fuir au Liban ou en Occident.

Or, sa légitimité est confrontée à la méfiance et à l’insubordination d’une partie des musulmans sunnites. Malgré quelques postes importants dans l’armée ou dans l’industrie, la majorité sunnite vit mal l’accaparement du pouvoir par les Alaouites. Pourtant, pour acheter la paix sociale Hafez al-Assad a fait construire des dizaines de mosquées, en prenant bien soin de contrôler les prêches des imams pour satisfaire la communauté sunnite. Cependant, les Frères musulmans, partisans d’un Islam radical et opposés à l’idée de nation, refusent l’autorité d’Hafez al-Assad. Cette opposition, alimentée par les monarchies du Golfe, entrave la stabilité politique du pays. Dès 1976, les Frères musulmans commanditent plusieurs attentats contre des casernes militaires et contre des personnalités politiques alaouites. Le Président Hafez al-Assad échappe à une tentative d’assassinat en 1980. En février 1982, Hafez al-Assad répond fermement et violement au danger de « cette gangrène islamiste » en bombardant scrupuleusement la ville d’Hama, principal foyer des Frères musulmans en Syrie.

Fermeté et stratégie du gouvernement Assad à l’étranger

Ayant stabilisé le pays à travers un vaste appareil d’État policier, Hafez al-Assad veut réhabiliter la Syrie sur la scène régionale. Ennemi invétéré d’Israël, il se lance dans la guerre du Kippour avec l’Égypte en octobre 1973 pour récupérer les territoires perdues lors de la guerre des six jours en 1967. Depuis cette humiliante défaite Israël occupe militairement le Golan syrien et le Sinaï égyptien. Simultanément les deux armées percent les défenses israéliennes en 48h. La contre offensive de l’armée israélienne est dévastatrice. Malgré leur supériorité en nombre, Égyptiens et Syriens sont défaits face à la supériorité tactique et technologique israélienne. Dès lors, les territoires occupés servent de chantage pour une normalisation des relations. En 1979, l’Égypte d’Anouar al-Sadate cède et signe un accord de paix avec Israël au sommet de Camp David en échange du Sinaï.

Malgré les nombreuses pressions américaines, Hafez al-Assad refuse catégoriquement de signer un accord de paix avec Israël en échange de la restitution du plateau du Golan. Compte tenu de ses richesses hydrauliques, ce territoire est l’une des priorités du gouvernement Assad.

De plus, Apôtre de la Grande Syrie, le Liban doit revenir dans le giron syrien. Selon sa fameuse formule « un seul peuple dans deux États », Hafez al-Assad profite de la guerre civile au Liban en 1975 pour avancer ses pions. Suite à une demande du gouvernement libanais, il intervient légalement dans le conflit à partir de 1976. Tantôt aux côtés des conservateurs chrétiens, Tantôt aux côtés des progressistes pro-palestiniens, Hafez al-Assad veille soigneusement qu’aucun des deux camps ne l’emporte. Le chaos libanais permet ainsi à l’armée syrienne d’installer un quasi-protectorat sur le pays du Cèdre.

Henry Kissinger, homme politique et diplomate américain, surnomma Hafez al-Assad le « Bismarck du Moyen-Orient ». Stratège et fin connaisseur des rouages de la vie politique internationale, Hafez al-Assad a su hisser la Syrie au statut de nation forte et indépendante malgré les convoitises et les nombreuses ingérences extérieures. Pragmatique et partisan de la Realpolitik, pour lui, seul le compromis avec « l’ennemi sioniste » était inenvisageable.

Bibliographie :

  • Pierre-Emmanuel Barral et Olivier Hanne, « La Grande Syrie », Éditions du Grenadier, 2016
  • Georges Corm, « Pensée et politique dans le monde arabe », La Découverte, 2015
  • Richard Labévière et Talal al-Atrache, « Quand la Syrie s’éveillera », Perrin, 2011
  • Patrick Seale, « Assad, the struggle for the Middle East », University of California Press, 2016
  • Fabrice Balanche, « Le cadre alaouite I. Alaouites : une secte au pouvoir », Outre-Terre, 2006/1 (n°14), p. 73-96

Une réponse sur “Hafez al-Assad : père de la Syrie moderne”

  1. Assad a refusé d’intervenir avec l’armée de l’air pour soutenir l’armée de terre syrienne de Salah Jedid qui voulait soutenir les palestiniens contre le roi de jordanie qui les a massacré lors du septembre noir de 1970
    en plus de la géopolitique, Assad a annulé les réformes économiques socialisantes de Jedid
    Si il est prouvé que la CIA a soutenu le coup d’Etat de Saddam Hussein en Irak contre le régime de Qassim, il est très probable qu’ils aient aussi soutenu celui d’Assad contre Jedid

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