Juillet 2006 : le jour où Israël a perdu

Depuis sa création en 1948, l’État d’Israël cristallise toutes les tensions régionales. Après avoir vaincu à maintes reprises les armées arabes en 1948, 1967 et 1973, les gouvernements israéliens, par l’entremise de pressions diplomatiques et financières américaines, tentent de pacifier ses relations avec ses voisins. L’Égypte en 1979 et la Jordanie en 1994 signent des accords de paix avec Israël.

Pourtant, malgré sa supériorité militaire et technologique, Israël n’atteint pas ses objectifs au Liban. Depuis son intervention illégale en 1982, l’armée israélienne fait face à une résistance surprenante qui l’a contrainte à un retrait de ses forces en juin 2000. Le Hezbollah sort vainqueur de cette guerre asymétrique, mais Israël entend coûte que coûte se débarrasser de cette milice installée principalement au Sud-Liban.

Scènes de liesse au Sud-Liban en août 2006

Le contexte d’une guerre programmée

Plongé dans les affres d’une guerre civile aux nombreuses facettes depuis 1975, le Liban est fracturé en une multitude de milices d’obédiences souvent opposées. En 1982, Israël lance son opération « Paix en Galilée » au Liban. Le but initial est de contenir et de détruire la menace palestinienne présente au pays du Cèdre. Officieusement, l’armée israélienne doit atteindre le fleuve Litani pour profiter de ses ressources hydrauliques.

Or la même année, l’armée israélienne est confrontée à une nouvelle opposition populaire dans le Sud-Liban. En effet, suite à la révolution islamique d’Iran en 1979, une partie de la population chiite libanaise constitue une force armée pour s’opposer aux incursions israéliennes. La création du Hezbollah entrave les plans initiaux de l’administration israélienne. Dès lors, le mouvement de résistance libanais se lance dans une guerre d’usure contre un ennemi nettement mieux équipé. C’est un conflit asymétrique entre l’armée la plus puissante de la région et une jeune milice populaire. Or, la force du Hezbollah réside dans la connaissance du terrain. En effet, jusqu’au retrait israélien en 2000, les combattants du parti libanais harcèlent et oppressent les soldats israéliens par le biais de sabotages, de pièges et d’attaques ciblées. Acculé, Tsahal (nom de l’armée israélienne) se retire du Liban en juin 2000. C’est un véritable échec pour l’administration israélienne et une victoire cruciale pour la souveraineté libanaise.

Durant les années qui suivent cette défaite retentissante, les autorités israéliennes et américaines envisagent et planifient une revanche afin d’anéantir le Hezbollah. En effet, Tsahal avec l’aide d’officiers américains développe une expertise dans la gestion des conflits de basse intensité et en matière de contre-terrorisme[1]. Ils tentent également par des pressions diplomatiques et économiques de dissuader la Syrie et l’Iran d’aider le mouvement libanais. Compte tenu du retrait de l’armée syrienne du Liban en 2005, Israël pense avoir un avantage certain. De façon insidieuse, les Etats-Unis, par l’intermédiaire des agences de presse et des organisations humanitaires[2], sapent tant bien que mal l’influence du Hezbollah auprès de la population libanaise.

Le Hezbollah, par proximité géographique, est en contact direct avec l’armée israélienne. Jusqu’au début du conflit en juillet 2006, les affrontements sont épisodiques tant les deux ennemis se redoutent.

Les raisons d’une « victoire divine »

Un commando du Hezbollah enlève deux soldats israéliens à la frontière en juillet 2006 dans le but d’obtenir un échange avec plusieurs prisonniers libanais et palestiniens. Israël a enfin son prétexte officiel pour lancer son opération punitive et destructrice du mouvement libanais.

Initialement, le Premier ministre israélien, Ehoud Olmert, est contre une opération terrestre. Ainsi, l’aviation israélienne et les frégates pilonnent et bombardent toutes les infrastructures du pays. Le but est de détruire l’appareil militaire du Hezbollah et d’anéantir tout désir de vengeance au sein de la résistance libanaise. En effet, les premières frappes ciblent l’organe de presse du mouvement, Al Manar, chaîne qui diffuse en temps et en heure des séquences compromettantes pour l’image d’Israël. De plus, les régions où le Hezbollah est présent sont durement touchées (Beyrouth, Tyr, la Bekaa …). Tel-Aviv tient pour responsable le gouvernement libanais pour la non application de la résolution 1559 du Conseil de sécurité des Nations unies. Cette dernière prévoit la démilitarisation de la branche militaire du Hezbollah[3].

Or, devant la résilience du Hezbollah qui continue sa salve de roquettes sur les villes frontalières israéliennes, Tel-Aviv décide de manière précipitée l’envoi de troupes au sol. Rapidement, l’armée israélienne s’enlise et prend conscience de cette erreur tactique et stratégique. En effet, les soldats hébreux font face à des combattants invisibles qui connaissent les moindres recoins et les moindres ruelles. De surcroît, compte tenu de l’encrage populaire du mouvement libanais, la population civile facilite l’opacité et la cohésion au sein même des villages qui sont sous la menace israélienne. C’est un véritable bourbier pour les Israéliens. Leur incapacité à contrer la stratégie militaire du Hezbollah est manifeste.

Avec l’aide logistique et matérielle de l’Iran et de la Syrie, le Hezbollah s’est perfectionné en matière de combats urbains. Les cadres du parti connaissent la géographie et la topographie, ils se sont servis de bergers arabes à la frontière israélienne pour avoir des informations précises. Contrairement à Israël, le Hezbollah était préparé à un tel conflit[4]. Les roquettes Katioucha utilisées par la milice chiite, ont constamment harcelé le Nord d’Israël pendant les 33 jours de guerre.

Le 11 août 2006, le Conseil de sécurité des Nation unies demande la cessation totale des hostilités. En dépit des nombreuses pertes civiles et des dégâts majeurs subis par le Liban, cette agression se solde par une défaite d’ordre psychologique, politique et militaire pour Israël. De son côté, le Hezbollah sort grand vainqueur de cette guerre, malgré l’apathie consternante des dirigeants arabes.

Hassan Nasrallah : le nouveau Nasser ?

50 ans après la nationalisation du canal de Suez en juillet 1956 par Gamal Abdel Nasser, le Moyen-Orient est de nouveau en effervescence. La victoire du Hezbollah contre l’armée israélienne en 2006 et la confirmation d’Hassan Nasrallah comme leader du mouvement transcendent les foules arabes. Enfin, un succès retentissant dans la conscience collective trouve écho à l’échelle de toute la région. Les discours du secrétaire général du parti sur la « victoire divine » sont écoutés et réécoutés dans toutes les rues arabes.

Affiliés aux Etats-Unis, les dirigeants arabes ne soutiennent pas la résistance libanaise[5]. Le soutien provient de la rue arabe. Une rue qui affirme son soutien dès le début des hostilités. Des portraits d’Hassan Nasrallah sont présents dans toutes les villes du Proche-Orient. Il représente ce que le monde arabe attend : un chef charismatique opposé à toute concession avec l’ennemi. La sémantique du parti est reprise à l’échelle de la région, les expressions « entité sioniste » et « l’ennemi sioniste » sont scandées dans toutes les capitales. Cette victoire du Hezbollah insuffle un espoir généralisé au Moyen-Orient. La défaite de Tsahal est vécue comme une victoire dans toutes les villes arabes. De surcroît, des manifestations sont organisées du Maroc au Golfe, aussi bien par des nationalistes arabes que par les islamistes des Frères musulmans. À Tripoli en Libye, les habitants descendent dans les rues pour exprimer leur soutien à Hassan Nasrallah et inciter le mouvement chiite à attaquer Tel-Aviv[6]!!

Au Levant, la culture politique mélange populisme, culte de la personnalité et expression d’une résistance face à l’ennemi israélien. Cet événement résonne dans les cœurs et les consciences de chaque Arabe. Ce n’est pas uniquement l’expression d’une ferveur populaire, elle touche toutes les couches sociales réunies. La lutte contre Israël est encrée dans l’esprit de la majorité des habitants de la région. Israël représente le miroir du néocolonialisme. Quant à lui, le leader du Hezbollah fait l’objet d’une vénération. L’adoration collective qui a suivi cette victoire supplante de loin l’attache nationale. Des produits dérivés sont vendus à l’échelle de toute la région. Ses discours sont enregistrés sur des cassettes puis réécoutés dans les taxis du Caire ou de Damas. Somme toute, un mouvement chiite a été adulé par une foule majoritairement sunnite. Le dénominateur commun est la lutte contre Israël.

En 1956, il y a eu un effet Nasser. En 2006, il y a eu l’effet Nasrallah. Cependant, celui-ci est de courte durée, tant les régimes du Golfe et leurs alliés occidentaux ont investi massivement les organes de presse pour diaboliser le Hezbollah et confessionnaliser les tensions au Proche-Orient entre sunnites et chiites.


[1] Sami Makki, « Une guerre asymétrique », in Franck Mermier et al., Liban, une guerre de 33 jours, La Découverte « Cahiers libres », 2007, p-213-218

[2] Julie Chapuis, « Saper la reconstruction du Hezbollah : la diplomatie publique américaine au Liban depuis 2006 », Politique américaine 2017/2 (n°30), p 11-29

[3] Michel Goya et Marc-Antoine Brillant, « Israël contre le Hezbollah : Chronique d’une défaite annoncée 12 juillet- 14 août 2006 », éditions du Rocher, 2013

[4] Pierre Prier, « Le Hezbollah contre Israël : les leçons d’une victoire, naissance d’une guérilla plus-plus », Orient XXI, février 2014

[5] Franck Mermier et Elisabeth Picard, « Liban, Une guerre de 33 jours », La Découverte, 2007

[6] Tareq Arar, « L’ « effet Nasrallah » : les conséquences de la guerre israélo-libanaise au Proche-Orient », Hérodote 2007/1 (n°124), p 24-38

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