Mahmoud Darwish : le poète palestinien

À lui seul, il est la voix et le miroir de la Palestine contemporaine. Entre exil et espoir de retour, Mahmoud Darwish nous conte son histoire, celle de son intime, de son collectif mais surtout celle de sa terre bien-aimée. Dans un style engagé et rythmé, il réinvente le vers et la musicalité arabe. Poète politique pour les uns ou terroriste intellectuel pour les autres, il est autant sacralisé qu’il est décrié.

Chantre d’une poésie de la résistance, il consacre sa vie, son œuvre à donner un sens à la Palestine. Mahmoud Darwish tente de déceler la beauté dans l’obscur en démystifiant l’image attribuée au peuple palestinien. Or, indépendamment de sa propre volonté, il s’enferme dans cette image du poète résistant et engagé. Il est idolâtré dans le monde arabe. Ses poèmes, au style métaphorique unique, sont écoutés, chantés et étudiés.

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Un Palestinien ordinaire

Né en 1941 à Al Birwa en Galilée, Mahmoud Darwich est issu d’une famille de propriétaire terrien. À cette époque, la Palestine est encore sous mandat britannique. Dès la création de l’État d’Israël en 1948, sa famille fuit au Liban. Elle n’y réside qu’un an avant de retourner clandestinement en Palestine. Elle découvre alors, la destruction de leur village natale rayé de la carte par les bulldozers israéliens. Cette période entraînant un exode massif est connue sous le nom « Aam el Nakba » (l’année de la catastrophe). En effet, plusieurs milliers de familles palestiniennes émigrent au Liban, en Jordanie, en Syrie ou en Égypte après la défaite arabe de 1948.

Al Birwa rasé, la famille Darwish s’installe à Deir al-Asad, tout en craignant un deuxième exil imposé par les autorités israéliennes. Le jeune Mahmoud termine ses études secondaires à Kafar Yassif avant de partir pour Haïfa. Son appétence pour la littérature et l’écriture lui vaut d’être employé comme rédacteur au sein de plusieurs journaux locaux (Al-Itihad ou Al-Jadid). Lire et écrire symbolisent la résistance.

Face aux exactions et injustices, Mahmoud Darwich décide de rejoindre le parti communiste israélien (le Maki) en 1961. Ses articles et ses poèmes engagés et virulents gênent les autorités israéliennes. Il est plusieurs fois arrêté et incarcéré dans la prison de Saint Jean d’Acre. Le jeune poète est par la suite assigné à résidence à Haïfa. Son implication dans la défense de l’identité culturelle palestinienne dérange. Il ne peut se déplacer librement. En 1971, Mahmoud Darwish obtient une bourse et un visa d’étudiant. Il part étudier l’économie politique à Moscou. Il décide de continuer son exil et rejoint le Caire, où il travaille pour le journal égyptien Al-Ahram. Cette vie d’errance et son cœur le mènent ensuite à Beyrouth en 1973. Il dirige le mensuel AlShu’un Al-Falistiniya (Les affaires palestiniennes) avant d’intégrer l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et devient la plume de Yasser Arafat. En parallèle, il dirige le journal littéraire Al-Karmel en 1981.

En raison des bombardements israéliens sur Beyrouth en 1982, il est contraint de s’exiler une nouvelle fois. Le poète palestinien part au Caire, puis à Tunis avant de s’installer à Paris. Il jouit dans la capitale française d’une grande autonomie et liberté. Membre du comité exécutif de l’OLP, il prend ses distances avec le mouvement en raison de la signature des accords d’Oslo de 1993. Il juge injuste les conclusions de l’accord pour les Palestiniens. Ayant obtenu un permis d’entrée pour la Cisjordanie et Gaza, Mahmoud Darwich retourne à Ramallah en 1995, où il se sent étranger dans son propre pays. Son exil prend fin aux Etats-Unis. Il décède à Houston en 2008 suite à des troubles cardiaques.

Ses funérailles à Ramallah réunissent une foule immense et font l’objet d’un deuil de 3 jours. Plus qu’un simple poète, il est sacralisé tel un martyr pour l’œuvre d’une vie.

Le poète résistant

Sa vie est à l’image de la Palestine. Avec amour et mélancolie, Mahmoud Darwich a consacré son œuvre à cette nation imaginaire. Elle hante ses rêves et dicte sa plume, il ne vit que pour elle. Lorsqu’il évoque l’amour d’une femme, il personnifie l’amour de sa terre natale. De surcroît, il utilise sa plume contre les injustices et les humiliations « À chacune de mes lignes, les chars ennemis reculent d’un mètre ».

Les premiers poèmes de Mahmoud Darwich dans les années 60 sont un syncrétisme entre l’attachement à la mère patrie et l’expression d’un sentiment amoureux. La Palestine est alors représentée comme « la première mère ». Elle constitue cette création imaginaire pour tous les Palestiniens. Il la pense, la décrit et la conceptualise dans une sorte d’imaginaire collectif pour lui donner vie.

On se rappelle tous du discours de Yasser Arafat à l’ONU en 1974 où il déclare: « Aujourd’hui, je suis venu porteur d’un rameau d’olivier et du fusil du combattant de la liberté. Ne laissez pas tomber le rameau d’olivier de ma main », il est signé Mahmoud Darwich. Petit à petit, il devient la plume de l’OLP. Lors des bombardements israéliens sur Beyrouth en 1982, il écrit « Une mémoire pour l’oubli » qui deviendra un récit d’anthologie.

Le poète palestinien porte en lui les gènes du résistant. Face à la violence de l’occupation israélienne, il y oppose la violence des mots, la violence d’une littérature engagée. Son poème « Passants parmi les paroles passagères », en pleine période de la première intifada (1987-1991), offusque toute la société israélienne au point, de l’assimiler à du terrorisme intellectuel. Au diapason la presse israélienne le fustige et interprète son poème comme une menace pour l’existence du peuple juif. À cette époque, les autorités israéliennes tentent de brider la parole palestinienne. Mahmoud Darwich justifie ce poème en ses termes : « Cette dialectique absurde ne prendra fin que lorsque le Palestinien signera l’acte avec lequel il renonce à son être en même temps qu’à sa cause ». Son combat est d’ordre politique et aucunement lié à sa cohabitation avec le citoyen israélien.

Il porte en lui les germes du résistant, or avec le temps Mahmoud Darwich veut s’affranchir de cette image qui lui colle à la peau : « Je n’ai nullement cherché à devenir, ou à rester, un symbole de quoi que ce soit. J’aimerais, au contraire, qu’on me libère de cette charge très lourde ».

Le poète de la vie et de la liberté

Mahmoud Darwich excelle avant toute chose dans l’art de la métaphore. Homme enraciné dans cette culture arabe et orientale, il sublime la poésie par sa musicalité et ses vers qui mettent en lien la nature et l’amour, la terre et la tradition.

Une fois affranchi de son rôle politique, Mahmoud Darwich libère son talent pour écrire une ode à la vie. Il encense la culture orientale. Son poème de 1964 Sajel Ana Arabi (Inscris, je suis arabe) dépasse de loin le cadre palestinien. Ce poème est une déclaration d’amour au monde arabe, il y vante la culture de la terre et la famille nombreuse. On décèle également la colère enfouie d’un homme épris de justice face aux nombreuses humiliations.

Mahmoud Darwich décrit également dans « La fin de la nuit » (1967) et « Les oiseaux meurent en Galilée » (1970) cet amour de jeunesse impossible entre lui et Rita, une jeune juive qu’il avait rencontré lors d’un bal du parti communiste israélien. Idylle qui prit fin prématurément après la guerre de six jours en 1967 « Entre Rita et mes yeux : un fusil »

Mahmoud Darwich a popularisé, démocratisé la poésie arabe. En Orient, on a ce goût de la sémantique, du verbe et de la sonorité. Ses poèmes sont appris, chantés voire même théâtralisés dans plusieurs écoles du Moyen-Orient.  À lui seul, il représente la richesse extraordinaire de la langue arabe. Le poète jongle inlassablement entre les images figées de sa propre expérience et les images souhaitées par tout un peuple. Il encense cette culture de la vie et ce goût pour les relations humaines. Ses poèmes déconstruisent l’idée préconçue qu’on se fait de l’Orient. Né apatride, Mahmoud Darwich a ce souci de l’existence et de la liberté. Il veut se faire le chantre d’une poésie pluridimensionnelle. Mahmoud Darwich aborde aussi bien la solitude, l’ennui, l’angoisse, la peur que la nature, la beauté, la paix et la vérité.

Par moment, on se demande si Mahmoud Darwich n’aurait pas aimé être qu’un poète ordinaire pour vaquer plus librement à l’écriture de ses poèmes. En étant palestinien, tout un peuple, toute une région espéraient des écrits engagés et critiques à l’égard d’Israël. L’étiquette du poète palestinien est lourde de symboles et de responsabilités. En poète métaphorique, il aura réinventé un style et un verbe aiguisé aux multiples interprétations.

Bibliographie :

  • Mahmoud Darwich, « Anthologie (1992-2005) », Actes Sud, 2009
  • Mahmoud Darwich, « Palestine mon pays, l’affaire du poème », Les éditions de minuit, 1988
  • Mahmoud Darwich, « Une mémoire pour l’oubli », Actes Sud, 1994
  • Mahmoud Darwich, « la Palestine comme métaphore », Actes Sud, 2002
  • Mahmoud Darwich, « La Terre nous est étroite », Gallimard, 2000

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