La grande révolte arabe de 1916 : un soulèvement inutile ?

La grande révolte arabe de 1916 contre l’Empire ottoman est l’expression d’une insurrection instrumentalisée contre une domination étrangère. Ce soulèvement est entré dans l’histoire par l’entremise des écrits d’un officier de la Couronne britannique, ceux de Thomas Edward Lawrence dit Lawrence d’Arabie. Cet événement marquant de l’histoire régionale ne se résume pas uniquement à un fait militaire. Il reste intriguant, fascinant et traduit la duplicité des grandes puissances de l’époque.  

La Grande-Bretagne avait en effet promis aux Arabes un État indépendant en échange de prendre les armes contre les troupes ottomanes. En dépit de leur farouche engagement, la promesse est non tenue. Trahis et abusés, les Arabes avaient minoré les desseins coloniaux de l’époque au Moyen-Orient.

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 Les prémices d’un soulèvement

À la fin du XIXe siècle émerge un mouvement de renaissance culturel et politique au sein du monde arabe. Cette période de bouillonnement est appelée Al-Nahda (la renaissance). Un avènement d’une conscience politique se profile avec la création de sociétés secrètes. Plusieurs penseurs chrétiens et musulmans se liguent pour jeter les bases d’un nationalisme arabe s’opposant au joug ottoman. Ils s’inspirent de l’idéologie  nationaliste européenne.

À cette époque, le Levant est sous domination ottomane. Le pouvoir central, déliquescent et vacillant, réprime violement les intellectuels et les penseurs portant des revendications autonomistes. Pour éviter les pendaisons et les répressions, ces derniers agissent clandestinement. Désireux de s’immerger dans les affaires ottomanes, Paris et Londres soutiennent ces démarches politiques en proposant des relais journalistiques en Occident.

De surcroît, dans un élan irrédentiste, l’Empire ottoman s’allie à l’Allemagne et à l’Autriche-Hongrie pour tenter de récupérer ses anciennes possessions africaines et européennes. En novembre 1914, le Sultan Mehmed V lance même un appel au Djihad aux musulmans afin de s’opposer aux troupes franco-anglaises dans la région. Tentative partiellement suivie, car chez certaines tribus, le sentiment d’injustice et les revendications nationalistes arabes prévalent sur la notion d’Oumma (la communauté musulmane). Ainsi, des musulmans arabes de l’Empire ottoman rejettent cet appel et nouent des liens avec la Grande-Bretagne.

En effet dès 1915, le haut-commissaire britannique en Égypte Henry Mac-Mahon entretient une correspondance avec le chérif de la Mecque Hussein bin Ali. Ce dernier est issu du clan Hachémites, descendant du prophète et gardien des lieux saints musulmans[1]. Les Anglais promettent au chérif de la Mecque une indépendance sur les territoires libérés du joug ottoman, s’il accepte d’aider leurs troupes sur le front arabe. Pour Londres, il s’agit de faire imploser cet Empire vieillissant grâce aux tribus bédouines du Hedjaz (littoral de l’actuel Arabie Saoudite). Hussein bin Ali accepte et reçoit l’aide d’un homme des renseignements britanniques, Thomas Edward Lawrence. Arabisant, archéologue de formation et fin connaisseur de la géographie et de l’histoire du Moyen-Orient, Lawrence « d’Arabie » se lie d’amitié avec l’un des 4 fils d’Hussein, Fayçal.

En parallèle à cette promesse, Anglais et Français s’entendent sur le partage des provinces arabes de l’Empire ottoman suite aux accords secrets de Sykes-Picot. Ignorants les dessous de ces accords, les Arabes se lancent dans une guerre de reconquête contre les troupes ottomanes.

Un succès militaire

La révolte des tribus bédouines du Hedjaz débute le 5 juin 1916. Par effet de surprise, les insurgés s’emparent rapidement de la Mecque puis des principales villes côtières. Ces premiers succès n’auraient jamais été possibles sans l’appui des croiseurs et des canons britanniques. Néanmoins, ils sont stoppés à Médine par une importante garnison ottomane. De surcroît, par l’intermédiaire du colonel Edouard Brémond, les Français soutiennent sans enthousiasme l’effort de guerre des Arabes.  À la fin de l’année 1916, les troupes bédouines entament une guerre de position de basse intensité contre les forces ottomanes.

Quant à lui, l’émir Fayçal réunit une importante force d’environ 8 000 hommes pour prendre le port d’El-Ouedj, non loin du chemin de fer reliant le Hedjaz à la Turquie. Or, la prise de cette place stratégique est un fait d’arme britannique. Excellant dans l’art du sabotage, les troupes bédouines détruisent plusieurs parcelles du chemin de fer du Hedjaz, unique source d’approvisionnement pour les troupes ottomanes dans cette région. Fins connaisseurs de leur région, les bédouins harcèlent sans cesse leurs ennemis par le biais d’attaques surprises et de vols de cargaisons dans le désert[2]. Lawrence d’Arabie décrit ces conquêtes et ces tactiques de combat dans son livre autobiographique « Les Sept piliers de la sagesse »[3]. Les généraux anglais et français de l’époque perçoivent les bédouins comme des pilleurs sans foi ni loi, se distinguant dans l’art de la guérilla.

Le succès le plus retentissant et surprenant fut la prise du port d’Aqaba, situé sur la mer rouge. Lawrence d’Arabie et les troupes de Fayçal traversent le désert du Nefoud en mai 1917 avant de s’emparer d’Aqaba par les terres en juillet de la même année. Cette victoire permet aux Britanniques de relier l’Égypte à la Palestine. De leur côté, les partisans de Fayçal aspirent à rejoindre les nationalistes syriens. Après avoir repris Jaffa et Jérusalem en décembre 1917 avec les troupes anglaises, l’émir Fayçal fait une entrée triomphale à Damas en septembre 1918[4], mettant fin à 4 siècles de domination ottomane.

Dans les faits, cette victoire de la grande révolte arabe n’aurait pas été possible sans l’aide logistique et matérielle des Anglais. Ces derniers ont utilisé la fougue et la bravoure des Arabes à des fins de politique extérieure.

Déceptions et désillusions

Les Anglais n’ayant pas honoré leurs engagements, l’espoir d’un grand royaume arabe indépendant est déchu. En effet, la promesse anglaise est balayée par les accords de Sykes-Picot en 1916 et par la déclaration Balfour en 1917.[5]

Dupés, les Arabes prennent connaissance de la conclusion de ces accords une fois le travail accompli. De ce fait, les nationalistes syriens sous la houlette de l’émir Fayçal entrent en résistance contre la présence française en Syrie et au Liban. Le fils du chérif Hussein refuse catégoriquement le mandat français au Levant et se rend même à deux reprises en Europe pour prêcher les revendications d’indépendance arabe.

Ses tentatives sont vaines. Les accords Sykes-Picot sont entérinés en 1920 lors de la conférence de San Rémo. Pourtant, un éphémère royaume arabe de Syrie voit le jour en mars 1920 en opposition aux desseins français dans la région. Des pourparlers s’engagent entre la France et le gouvernement de Fayçal. Ceux-ci n’aboutissent pas et l’affrontement armé est inévitable. S’ensuit la bataille de Khan Mayssaloun en juillet 1920. Défait, l’émir Fayçal est contraint à l’exil. En compensation, les Britanniques le placent à la tête de l’Irak. Cependant, cet échec de la constitution d’un royaume arabe unifié est le prélude d’un nationalisme plus contemporain et plus populaire.

En guise de consolation, la famille hachémite du chérif Hussein bin Ali obtient le trône de la Transjordanie (la future Jordanie) et conserve l’autorité sur le Hedjaz avant d’être destituée en 1925 par une dynastie concurrente… les Saoud[6].  

La grande révolte arabe est plus synonyme de duperie que de victoire. Le fait d’arme n’est pas négligeable, or ce soulèvement incarne surtout les desseins coloniaux de Paris et de Londres. L’ampleur de la désillusion est consubstantielle aux espoirs d’indépendance. L’époque des mandats britanniques et français au Moyen-Orient renforce de fait un nationalisme arabe jusque là embryonnaire[7]. Depuis, ce dernier se modernise, se diffuse et touche tous les pans de la société arabe. Or, cette idée de nation arabe unifiée se heurte à la volonté de certains États de devenir souverains, à l’instar de l’Arabie Saoudite.

L’échec des revendications arabes suite à la révolte de 1916 à 1918 participe à cette méfiance populaire à l’égard des visées occidentales dans la région. Quand les intérêts des uns priment sur le désir d’indépendance des autres…


[1] https://www.cairn.info/revue-etudes-2016-5-page-17.htm

[2] https://orientxxi.info/l-orient-dans-la-guerre-1914-1918/debats-et-controverses-autour-de-la-grande-revolte-arabe-contre-les-turcs,2154

[3] Thomas Edward Lawrence, « Les Sept piliers de la sagesse », Gallimard, 2017

[4] https://orientxxi.info/documents/glossaire/revolte-arabe,0838

[5] https://www.monorient.fr/index.php/2020/05/12/les-accords-sykes-picot-en-1916-partage-franco-anglais-du-proche-orient/

[6] https://www.pressreader.com/france/carto/20171103/281689730084986

[7] Charles Saint-Prot, « Le mouvement national arabe », Ellipses, 2013

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