La grande révolte arabe de 1936-1939 : naissance du nationalisme palestinien

Au lendemain de la première guerre mondiale, la Grande-Bretagne et la France participent activement à la refonte du Moyen-Orient selon leurs propres intérêts. Officiellement maître de la Palestine mandataire en 1922, Londres opte pour une politique sioniste au détriment de la population locale. Après avoir promis « un Foyer national juif » en 1917 lors de la déclaration Balfour, le gouvernement britannique fait face à une colère populaire. Exploités et humiliés, les Arabes font de la Palestine le cœur de même de l’arabité. Face à l’érosion de leurs droits et aux confiscations de leurs terres, émerge un sentiment d’identité et de nationalité palestinienne, prélude d’une longue et surprenante histoire de la résistance.

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Les prémices d’un soulèvement

Au lendemain de la déclaration Balfour en 1917, encourageant l’émigration juive, les contestations des Palestiniens se font de plus en plus vives. En effet, cette déclaration unilatérale légifère sur la création d’un foyer national juif en Palestine. Des émeutes éclatent partiellement en 1920, 1921 et 1929 pour réclamer la fin du mandat britannique, et surtout s’opposer farouchement au projet sioniste.

La Palestine devient progressivement le cœur battant de l’arabité face au sionisme[1]. Les deux idéologies s’opposent par l’entremise de factions armées. Des organisations paramilitaires se forment. Lors des nombreux troubles de la décennie 1920, plusieurs attaques sont commises de part et d’autre. La Couronne britannique favorise logiquement le projet sioniste, alors que les Palestiniens reçoivent l’appui moral, financier et militaire des Arabes du Proche-Orient [2].

L’arrivée d’Adolf Hitler à la tête de l’Allemagne en 1933 accentue la crise en Palestine. En effet, en raison de l’idéologie nazie, plus de 135 000 juifs émigrent en Palestine à cette période[3]. Incapables de se structurer politiquement face à une menace commune, cet afflux massif de personnes et de capitaux renforce l’inquiétude palestinienne. En proie à des divisions claniques et mouvements rivaux, les Palestiniens sont désunis. Entre les partisans d’une entente avec les Britanniques et les nationalistes adeptes d’une lutte totale, les leaders palestiniens peinent à fédérer.

Face aux connivences avérées anglo-sionistes et à la volonté du nationaliste sioniste David Ben Gourion de fonder un futur État juif en Palestine, certains nationalistes palestiniens n’hésitent pas à se rapprocher de l’Allemagne nazie. Cette initiative répond à un impératif de survie. En tant qu’ennemi de Londres, Berlin fait office d’allié de circonstance pour certains Arabes. L’affrontement semble inévitable et ce, en dépit des nombreux efforts britanniques pour trouver une solution pacifique.

En 1935, Izz al-Din al-Qassam, prédicateur musulman d’origine syrienne, affronte avec ses partisans les opposants sionistes et britanniques. Il meurt lors d’une bataille contre l’armée anglaise le 20 novembre 1935[4]. Son action politico-militaire fait de lui l’un des pères fondateurs du nationalisme palestinien. Il sera considéré comme le premier martyr de la cause palestinienne. En prônant le djihad contre l’occupant, Izz al-Din al-Qassam éveille une prise de conscience populaire, quant à la possibilité d’une lutte armée pour soutenir les revendications politiques.

De la grève à la révolte

Les troupes britanniques s’évertuent à rétablir l’ordre en Palestine mandataire. Les autochtones palestiniens sont de plus en plus virulents et exigent qu’on respecte leurs droits. Dans ce contexte houleux et vindicatif, 2 juifs sont assassinés par des extrémistes arabes le 15 avril 1936. En représailles, un groupe sioniste ôte la vie à deux Arabes, et 9 Juifs sont tués à Jaffa. Acculés, les Anglais décrètent immédiatement l’état d’urgence et imposent un couvre-feu.

Sous la houlette du mufti de Jérusalem Amin al-Husseini, également chef du haut comité arabe (Al-Hay’a al-Arabîya al-Ulya) formé le 12 avril 1936, la Palestine entre en grève générale contre l’occupant. Les produits anglais et sionistes sont boycottés. Les Palestiniens refusent de payer l’impôt. Divers pans de la société sont paralysés (ports, écoles, justice…) et les entreprises palestiniennes sont fermées. Par l’entremise de ces actions politico-sociales[5], les chefs palestiniens espèrent arracher des concessions à l’Empire britannique en s’attaquant méthodiquement à leurs sources de revenus. S’ensuivent des attaques menées par des insurgés arabes, partisans d’Al-Qassam. Ils sabotent les chemins de fer ou le pipeline reliant Kirkouk à Haïfa[6]. Face à l’étendue de cette grève généralisée et la montée de la violence, les Anglais envoient une commission pour étudier les revendications palestiniennes.

La commission Peel constate que Juifs et Arabes ne peuvent vivre au sein d’un même État. Elle décide par l’intermédiaire de lord Peel de découper la Palestine en deux États bien distincts : la Galilée et l’ensemble du littoral formeraient un État juif et le reste du territoire jusqu’à la Transjordanie (actuel Jordanie) constituerait un État arabe. Les sionistes, dirigés par David Ben Gourion, sont favorables à ce plan. Les Arabes le rejettent catégoriquement et préconisent la création d’un État indépendant qui garantirait les droits fondamentaux des minorités juives. Devant l’échec des négociations, la contestation reprend et s’intensifie. Le commandant Andrew, gouverneur anglais chargé de la Galilée, est assassiné. La communauté druze, historiquement proche des Anglais, est également prise pour cible.

La Palestine devient de facto un véritable bourbier pour les troupes anglaises. La Grande-Bretagne décide d’accentuer sa répression sélective et s’attaque aux chefs nationalistes et aux notables arabes. Au summum de la crise, Londres envoie jusqu’à 20 000 hommes supplémentaires pour mater la révolte. Amin al-Husseini est obligé de s’exiler à Beyrouth où il prend contact avec des dirigeants nazis. Le bilan de cette grande révolte arabe de 1936-1939 en Palestine mandataire est élevé. 5 000 Arabes, 200 Britanniques et 500 Juifs sont morts et près de 9 000 Arabes sont emprisonnés.

Les conséquences à court terme

Compte tenu de la colère arabe et de l’incapacité britannique à administrer la Palestine, les Anglais promulguent un troisième Livre blanc en 1939. L’immigration juive doit être freinée. La vente des terres arabes aux Juifs est limitée et réglementée. Ce Livre blanc  dispense également aux Arabes palestiniens des concessions politiques avec la promesse d’indépendance dans les 10 ans.

Cette période de tensions communautaires a vu s’enraciner dans le paysage politico-militaire de la Palestine des groupes paramilitaires. L’organisation sioniste Haganah (qui signifie défense en hébreu) bien entraînée, a excellé contre les groupes palestiniens, plus brouillons et plus anarchiques dans leurs méthodes. Ce groupuscule sert de supplétif à l’armée britannique. De surcroît, le groupe armé nationaliste Irgoun prend de l’ampleur avec la contestation arabe de 1936. Cette organisation militaire s’impose également comme une puissante force politique, prônant un sionisme révisionniste[7]. Elle est partisane d’un État juif sur les deux rives du Jourdain, faisant fi des revendications palestiniennes.

Quant aux Palestiniens, bien que désorganisés et divisés sur le plan militaire et politique, ils embrassent majoritairement le nationalisme et préconisent la lutte contre l’occupant. Malgré la défaite, cette grande révolte jette les bases d’une organisation politique patriotique, soutenue par l’ensemble de la région. De ce fait, Arabes et Juifs campent sur des positions diamétralement opposées où le compromis semble inenvisageable. D’un côté comme de l’autre, les revendications se durcissent. Les autorités britanniques sont dépassées par les évènements.

Dans ce jeu de billard à trois bandes, les Anglais ont le rôle d’arbitre. Conciliants et bienveillants à l’égard des Juifs, ils indisposent les Arabes. La politique coloniale britannique et le pari sioniste plongent la région dans un cycle de tensions communautaires et territoriales. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, les Palestiniens doivent une fois de plus céder une partie de leurs droits pour des crimes qu’ils n’ont pas commis.


[1] https://www.persee.fr/doc/raipr_0033-9075_2012_num_182_1_4393

[2] https://www.aljazeera.com/archive/2003/12/2008410112850675832.html

[3] https://www.persee.fr/doc/geo_0003-4010_1954_num_63_335_14349

[4] https://www.lesclesdumoyenorient.com/Revolte-arabe-de-1936-1938.html

[5] https://www.monde-diplomatique.fr/1985/01/SANBAR/38384

[6] Ilan Pappe, « Une terre pour deux peuples, Histoire de la Palestine », Fayard, 2004

[7] James Barr, « Une ligne dans le sable », Perrin, 2017

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