Il y a 20 ans, l’armée israélienne abdiquait au Sud-Liban

Au lendemain de la création de l’État d’Israël en 1948, le Liban participe brièvement avec les armées jordaniennes, égyptiennes, syriennes et irakiennes à la première guerre israélo-arabe. Conscientes des risques d’une guerre face à l’État hébreu, les autorités libanaises se risquent à une posture d’équilibriste. Prenant ses distances avec les milieux panarabes, Beyrouth obtient les bonnes grâces de Washington pour ses réformes libérales.

Or compte tenu de la conjoncture, le pays du Cèdre se retrouve soumis aux soubresauts de l’Histoire régionale dans la décennie 70. L’arrivée des réfugiés palestiniens et les desseins de l’administration israélienne font du Liban le théâtre d’une confrontation aux multiples facettes. Dans sa politique jusqu’au-boutiste, Tel-Aviv lorgne sur le territoire libanais au point d’intervenir à maintes reprises. En raison d’une farouche opposition, l’armée de Tsahal s’enlise au Sud-Liban.

Retour sur les 3 décennies d’intervention israélienne au Liban.

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Les raisons de l’occupation israélienne

Suite à la première défaite arabe de 1948, 150 000 palestiniens s’installent au Sud-Liban[1]. Ils sont accueillis par des populations majoritairement chiites, politiquement proches des milieux nassériens et panarabes. Au fur et à mesure des débâcles arabes, l’exode palestinien se poursuit et s’accélère vers les pays frontaliers. Cette zone devient peu à peu le terreau des mouvements pro-palestiniens. Plusieurs milices se forment dans les années 60. De surcroît, selon les accords du Caire de 1969, les groupes armés palestiniens peuvent mener des opérations contre Israël depuis le Sud-Liban. C’est à cette époque que le Liban devient l’épicentre des tensions israélo-palestiniennes. 

Or, cette présence étrangère ébranle la cohésion nationale. L’armée libanaise s’oppose tant bien que mal aux différents groupes palestiniens. De son côté, Israël fait pression sur les autorités libanaises afin qu’elles mettent fin aux actions de ces milices. Ainsi, l’aviation israélienne commence à pilonner méthodiquement les infrastructures du Liban pour accentuer la coercition. Au sein même de la société libanaise, la division se consomme, entre d’une part les partisans et sympathisants des milices palestiniennes et d’autre part certains groupes chrétiens, farouches adeptes de l’indépendance du Liban[2].

Peu à peu, le pays du Cèdre sombre dans une guerre inévitable en 1975 entre factions opposées, où les puissances étrangères soufflent consciencieusement sur les braises[3]. Après plusieurs assassinats ciblés et plusieurs frappes aériennes, l’armée israélienne intervient une première fois en 1978 (Opération Litani) pour mater les groupes pro-palestiniens à la frontière. En effet, la cause palestinienne s’enracine dans les esprits et les consciences des habitants du Sud qui apportent une aide non négligeable aux Fedayins (combattants palestiniens). De ce fait, Israël va s’appuyer massivement sur l’Armée du Sud Liban (ASL), fondée en 1976, pour stopper les salves palestiniennes. En effet, constituée en majeure partie de Chrétiens du Sud du pays, cette armée suit les directives de Tel-Aviv.

L’adoption de la résolution 425 du Conseil de sécurité des Nations unies, stipule l’envoi de la FINUL en 1978 pour sécuriser le Sud Liban, en créant une zone démilitarisée. Malgré ce dispositif international, les tensions s’accentuent.

De l’occupation à l’enlisement

La lutte contre les milices palestiniennes sert de prétexte direct et officiel à l’armée israélienne pour intervenir au Liban. Or, cette opération militaire est dictée par des impératifs d’ordre territorial, hydraulique mais également politique. En 1982, Oded Yinon un journaliste et fonctionnaire israélien écrit un article intitulé « Une stratégie pour Israël dans les années 80 »[4]. Il y théorise la volonté israélienne de dislocation du tissu social des pays voisins, notamment l’Irak, la Syrie et le Liban. Ainsi, par l’entremise de groupes opposés, Israël doit promouvoir la division au sein de ces États. S’agissant du Liban, les autorités israéliennes tissent des liens avec des partis chrétiens et attisent les tensions communautaires. De plus, Israël ne cache guère sa volonté d’occuper le fleuve Litani au Liban. Contrairement à l’État hébreu, le Liban est pourvu d’importantes ressources hydrauliques. À cette époque, la stratégie israélienne réside également sur l’occupation d’une zone stratégique afin de négocier la paix (Cf le Golan syrien et le Sinaï égyptien).

Suite à une tentative d’assassinat de l’ambassadeur israélien à Londres, l’armée israélienne lance le 6 juin 1982 l’opération Paix en Galilée. Celle-ci a pour butde museler l’appareil militaire des groupes palestiniens de Yasser Arafat, présents au Sud-Liban et à Beyrouth. Cette intervention militaire est également conditionnée par un impératif géopolitique, celui de contrecarrer l’influence syrienne au Liban. En quelques semaines, les troupes israéliennes sont à Beyrouth. Acculés, les miliciens de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) sont obligés de fuir vers Tunis. C’est une réelle démonstration de force de la part de Tsahal. De surcroît, le gouvernement israélien noue des liens avec les Forces libanaises de Bachir Gemayel en vue d’un futur accord de paix entre les deux pays. Finalement, une fois nommé Président de la République libanaise, Bachir Gemayel est probablement assassiné pour son positionnement pro-israélien. En représailles, les Forces libanaises se livrent à un massacre de masse dans le camp palestinien de Sabra et Chatilla en septembre 1982, avec la complicité de l’armée israélienne.

En réponse à cette intervention illégale, la communauté chiite du Sud du pays se structure et commence à s’imposer sur l’échiquier politico-militaire libanais. En effet, suite à l’occupation partielle du Liban par les forces israéliennes, une partie de la population décide de prendre les armes et de former une résistance locale. Avec l’aide de l’Iran, les habitants du Sud du pays et de la Bekaa s’organisent et reçoivent du matériel militaire. C’est en 1982, suite à l’occupation israélienne du Sud-Liban que le puissant parti chiite Hezbollah voit le jour. Israël venait de « créer » son prochain ennemi pour les prochaines décennies[5].   

Le Hezbollah harcèle méthodiquement les troupes israéliennes et l’ASL, en se livrant à une véritable guérilla. L’affrontement et la désobéissance sont permanents tant l’occupation est perçue comme une opprobre par les habitants de la région. Le Hezbollah gagne peu à peu ses lettres de noblesse pour sa résistance face à Tsahal. La popularité du mouvement chiite est consubstantielle avec l’enlisement israélien. Au Moyen-Orient, le Hezbollah devient la première armée à véritablement mettre en échec la première puissance militaire de la région.

Les conséquences d’un retrait programmé

Dès 1985, l’armée israélienne entame un relatif retrait de ses forces du Liban. Malgré la fin de la guerre civile en 1990, Tel-Aviv reste secondée par l’ASL pour quadriller une zone tampon à la frontière. Le Hezbollah, quant à lui, multiplie les actions militaires pour repousser l’ennemi hors des frontières du Liban. Dans une logique souveraine, le mouvement chiite participe à la refonte de l’État libanais post guerre civile[6]. Face à l’harcèlement constant du Hezbollah, l’armée du Sud Liban perd du terrain.

Suite à des tirs de roquettes à la frontière, Israël lance une énième opération contre la milice libanaise en 1996. Intitulée Raisins de la Colère, cette intervention se solde par plusieurs bombardements, notamment ceux d’un camp de réfugiés de l’ONU à Cana au Liban. Devant l’impossibilité de contenir et de désarmer le Hezbollah et face aux pressions internationales, Israël n’atteint pas ses objectifs.

Les troupes israéliennes annoncent officiellement le retrait de leurs forces du Sud-Liban le 25 mai 2000. Affaiblie et isolée, l’ASL s’effondre. Le 25 mai 2000 est la date de libération du Sud-Liban. C’est également un jour férié et fêté dans l’ensemble du pays. Néanmoins, l’armée israélienne occupe toujours illégalement les fermes de Chebaa et ce, malgré la résolution 425 de l’ONU.

De 1978 à 2000, l’armée israélienne a occupé illégalement une partie du Liban. En 22 ans, elle a atteint le fleuve Litani, a chassé les miliciens de l’OLP, s’est alliée à une frange de la communauté chrétienne, mais a surtout contribué à l’émergence du Hezbollah. Engluée dans des difficultés, l’armée israélienne est contrainte d’abandonner ses visées sur le territoire libanais. Elle laisse derrière elle un pays meurtri par plusieurs années d’occupation, des villages rasés, des milliers de victimes civils et militaires ainsi que d’innombrables dégâts matériels.


[1] Xavier Baron, « Histoire du Liban », Tallendier, 2017

[2] Nadine Picaudou « La déchirure libanaise », Editions Complexe, 1992

[3] Hervé Amiot « La guerre du Liban (1975-1990) : entre fragmentation interne et interventions extérieures », Les clés du Moyen-Orient, 2013/ www.clesdumoyentorient.com

[4] https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2007-2-page-149.htm

[5] Dominique Avon et Anaïs-Trissa Khatchadourian, « Le Hezbollah : de la doctrine à l’action », Seuil, 2010

[6] Sabrina Mervin « Le Hezbollah, état des lieux », Sindbad, 2008

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