L’Empire ottoman – Partie I : de l’Asie centrale aux rives méditerranéennes, un désir d’Occident.

Une irrésistible poussée vers l’Occident ; ainsi peut être caractérisée l’histoire plus de six fois centenaire de l’Empire ottoman dont les fondateurs, peuples nomades venus d’Asie centrale, ont rejoint l’Anatolie avant de s’emparer des rives orientales de la Méditerranée et des Balkans, jusqu’à venir frapper aux portes de Vienne, en 1683. Au fil des siècles et des conquêtes, ils ont ainsi fait de leur capitale, Istanbul, la clé de voute d’un édifice monumental unissant Orient et Occident, le coeur d’un Empire vaste de 5 200 000 km2 à son apogée.

L’Empire ottoman du XIVe au XVIIe (Encyclopédie Larousse)

Emergence de l’Empire ottoman ; des steppes d’Asie centrale aux plaines d’Anatolie.

Entre le Xe et le XIIIe siècle, l’Empire byzantin (330-1453), héritier de l’Empire romain antique, qui a pour capitale Constantinople, vit ses dernières heures de gloire tandis que des migrations de peuples turciques (turcs Oghouz) s’effectuent depuis l’Asie centrale vers l’Anatolie. Ces migrations ont donné naissance à deux Empires. Le premier est l’Empire seldjoukide (1037–1194), qui s’étend de l’ouest de l’Anatolie à l’Asie centrale, en passant par la côte levantine et le golfe Persique. Au XIIIe siècle, sa puissance s’étiole ; les ancêtres des sultans ottomans accomplissent alors leurs premiers faits d’armes. Il s’agit d’autres tribus turques qui se sont établies en marge des empires seldjoukide et byzantin, formant de petits royaumes que l’on nomme les Beylicats. Le beylik gouverné par le clan des Gazi se situe dans la région de l’actuelle Söğüt, au nord ouest de la Turquie. En 1299, leur chef de clan s’empare de la ville byzantine de Mocadène (actuelle Bilecik) et prend le titre d’Osman Ier ; l’Empire ottoman est né. Au début du XIVe siècle, la quasi-totalité de l’Anatolie est aux mains des Ottomans. [1] En 1326, ces derniers font de Brousse (Bursa) leur capitale. Dès 1354, les Ottomans atteignent la rive européenne, où ils prennent la ville de Gallipoli.

Sous le règne de Murat Ier (1359-1389), les troupes ottomanes poursuivent leur expansion. Elles entament la conquête des Balkans : l’actuelle Bulgarie, la Serbie et le Kosovo. Ce faisant, l’Empire se dote d’une autorité administrative : le Divan-u Hümayun, équivalent de notre conseil des ministres, placé sous la direction du Grand vizir.

Mais l’expansion ottomane connait un premier coup d’arrêt ; l’empire traverse, à la fin du XIVe siècle, une période de troubles nommée fetret (discorde, chaos). [2] En 1402, l’armée est ottomane est contrainte de capituler à Ankara face aux armées de Tamerlan (ou Timour) – fondateur d’un empire qui s’étend à son apogée de l’est de l’Anatolie à l’Asie centrale -, tient lieu d’élément déclencheur. Tamerlan se retire, épargnant le jeune Empire, qui s’avère cependant ébranlé : le sultan Bayezid Ier meurt prisonnier des forces timourides. Une violente guerre de succession oppose ses frères. Il faudra attendre le règne de Mourad II (1421-1451) pour que la situation se stabilise de nouveau et que les conquêtes reprennent ; face aux expéditions ottomanes, l’Empire byzantin affiche une résistance de moins en moins soutenue.

C’est au sultan Mehmet II dit le Conquérant (1451-1481) que revient enfin la prise de Constantinople, en 1453, actant la chute de l’Empire Byzantin, au grand dam des puissances européennes qui voient se rapprocher la menace ottomane. La ville est renommée Istanbul et faite capitale de l’Empire. Mehmet II achève la conquête des Balkans, confirmant l’ancrage ottoman sur le continent européen. Dès lors, l’Empire peut être considéré comme européen, son coeur politique se situant en Roumélie (ensemble des possessions européennes de l’Empire). Mehmet II se présente quant à lui comme kaiser (césar), dans la continuité des empereurs byzantins. Dans le même temps, il fait de l’Islam sunnite la religion d’Etat de l’Empire. Celui-ci oppose à l’Europe un islam conquérant. L’idéologie de la gaza (« guerre sacrée victorieuse ») galvanise les troupes ottomanes. Pour autant, l’Empire est d’emblée une entité multi-confessionnelle, compte-tenu du très grand nombre de non musulmans qui l’habitent. [3]

L’Ottoman aux portes de l’Europe : l’apogée de l’Empire.

Les successeurs de Mehmet II étendent l’Empire à l’Azerbaïdjan, aux territoires kurdes et aux provinces arabes : la Syrie, la Palestine et enfin l’Egypte, en 1517 [4]. La prise du Caire acte la chute du sultanat Mamelouk (1250-1517) qui s’étendait sur l’Égypte, le Levant et le Hedjaz. L’Empire, européen de par son centre géographique et musulman de confession, procède ainsi à un rééquilibrage en conquérant nombre de terres appartenant au monde arabe. Il s’ancre par ailleurs dans cet héritage et affirme la supériorité du sunnisme. Après avoir établit sa domination sur la Méditerranée orientale suite à une victoire contre la flotte vénitienne en 1503, l’Empire règne sans partage sur le monde musulman. Selim Ier dit « Le Terrible » (1512-1520) devient le premier calife, cependant que les villes saintes de l’Islam, la Mecque et Médine, ne sont pas encore placées sous contrôle ottoman. [5]

Empire safavide

Un opposant notoire émerge toutefois sur le front est de l’Empire : l’Empire safavide (1501–1736), situé à l’emplacement de l’actuel Iran. L’Etat persan et l’Empire ottoman s’affrontent du XVIe au XIXe siècle au cours de guerres récurrentes. On considère néanmoins que la frontière avec la Perse se stabilise dès 1514, à l’issue de la bataille de Çaldıran (actuelle province de Van, à l’extrémité est de la Turquie). La rivalité entre les deux puissances est non seulement territoriale mais également religieuse et idéologique ; le sunnisme ottoman s’oppose au chiisme safavide. [6]

Les rivalités entre l’Empire de Charles Quint et l’Empire de Soliman

Sous le règne de Soliman II (1520-1566), l’Empire atteint l’apogée de sa puissance. Une menace subsiste pourtant, l’Empire de Charles Quint, dont la puissance s’affirme à l’ouest de la Méditerranée. Fort de plusieurs victoires militaires, avec la prise de Belgrade (1521) puis la soumission de la Hongrie (1526), l’Ottoman fait face aux troupes de l’empereur du Saint-Empire aux portes de sa capitale, Vienne, en 1529. Soliman est vaincu et doit se retirer. C’est dans ce contexte que le sultan ottoman et le roi François Ier – également menacé par Charles Quint, qui cherche à prendre l’Italie – concluent une alliance historique. Le 4 février 1536, le traité dit des « Capitulations » est signé. Par ce traité, qui restera en vigueur jusqu’à la Première Guerre mondiale, le sultan offre aux navires français le privilège de faire du commerce avec tous les ports de l’empire ottoman. Il confie également au roi de France la protection des Lieux Saints et des populations chrétiennes de l’Empire. L’Empire, qui établie ainsi des relations privilégiées avec le royaume de France, commerce abondamment avec le monde occidental : Gênes, Venise, la Hollande et le Royaume-uni figurent parmi ses partenaires commerciaux. [7] En effet, l’action du sultan ne se limite pas au seul domaine militaire. Si les occidentaux le nomment Soliman « Le Magnifique », les Turcs lui préfèrent le qualificatif de « Législateur », pour avoir pourvu l’Empire de son code civil le plus abouti, le Kanun-i Osmani. En 1566, l’Empire a atteint sa superficie maximale. Il comprend les Balkans, l’Afrique du nord – exception faite du Maroc – et l’ensemble du Moyen-Orient jusqu’aux frontières de la Perse. Le sultan règne sur 21 millions d’âmes, soit 4,20% de la population mondiale de l’époque. [8]

L’Empire repoussé vers l’Asie ; le début d’un lent déclin.

A la suite du règne de Soliman, l’Empire entame un lent déclin, amorcé par la bataille de Lépante (1571), au nord de Péloponnèse. Cet affrontement historique oppose la flotte ottomane à celle de la Sainte-Ligue, une alliance fondée à l’initiative du pape Pie V et qui regroupe plusieurs Etats chrétiens occidentaux. La défaite ottomane marque la fin de la domination impériale sur la Méditerranée. Première grande victoire navale des forces chrétiennes sur les forces musulmanes, elle possède de plus une portée symbolique majeure. [9] A l’est, le souverain safavide Abbas Ier le Grand (1588-1629) repousse définitivement les ottomans hors de l’Iran occidental. A l’ouest, l’Europe se développe de manière exponentielle sur le plan économique, à la faveur de la récente découverte des Amériques et de l’ouverture d’une nouvelle route maritime vers les Indes. L’Empire ottoman, quant à lui, accumule le retard, aux prises avec des difficultés sur le plan de sa politique intérieure. En 1622, le sultan Osman II (1618-1622), désireux de réformer l’Empire, est assassiné. Son successeur, Ibrahim Ier (1640 à 1648), connait un sort similaire. [10]

Il faut attendre le règne de Mehmet IV (1648-1687) et le grand vizirat de Mehmet Koprülü (1575-1661), pour que l’Empire connaisse un nouveau sursaut. Entre 1656 et 1703, les membres de la famille Köprülü entreprennent son redressement sur les plans politique, économique et militaire. De nouvelles campagnes sont lancées vers l’Europe centrale, où l’Ottoman se heurte aux armées autrichiennes. En 1683, ses armées assiègent de nouveau Vienne, mais sont mises en déroute par les troupes menées par le roi de Pologne Jean III Sobieski. Les troupes européennes coalisées de la Sainte-Ligue poursuivent les troupes ottomanes dans leur retraite. Les deux armées se livrent une ultime bataille, la Grande guerre turque (1683-1699), dont l’enjeu est de bouter l’Ottoman hors d’Europe. Le conflit se solde par le traité de Karlowitz, au titre duquel de nombreux territoires européens sont retirés à l’Empire : le début d’un lent démembrement qui réduira, à terme, le géant ottoman à son coeur anatolien. [11]

Bibliographie :

[1] SCHMID Dorothée, La Turquie en 100 questions, Texto, Editions Tallandier, Paris, 2017, pp. 23-27

[2] BOZARSLAN Hamit, Histoire de la Turquie de l’Empire ottoman à nos jours, Texto, Tallandier, Paris, 2015, pp. 33-35

[3] SA, Empire ottoman, Encyclopédie Larousse en ligne

[4] CHAIGNE-OUDIN Anne-Lucie, l’Empire ottoman, Les Clés du Moyen-Orient, 01/12/10

[5] BILICI Faruk, L’Egypte ottomane, Dipnot, 01/12/15

[6] GHADERI-MAMELI Soheila, « L’histoire mouvementée des frontières orientales de la Turquie », Confluences Méditerranée, vol. 53, no. 2, 2005, pp. 91-102

[7] SOLNON Jean-François dir. « V. Les lys et le croissant », L’Empire ottoman et l’Europe, Éditions Perrin, 2017, pp. 121-144

[8] DIGNAT Alban, Soliman le Magnifique (1495 – 1566), un homme de la Renaissance, Hérodote, 22/02/20

[9] LARANE André, 7 octobre 1571, la flotte turque est détruite à Lépante, Hérodote, 21/06/19

[10] PIRONET Olivier, « Chronologie 1299-2013 », Le Monde diplomatique, Turquie : des ottomans aux islamistes, « Manière de voir » n.132, 12/2013 – 01/2014

[11] Lucrèce, Empire ottoman, de l’essor au déclin (XIVe-XIXe), Histoire pour tous de France et du monde, 27/03/20

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