Partie I : Les Croisades (1096-1291) : le choc des civilisations ?

Même si les Croisades datent du XIe siècle, elles demeurent un sujet de discordes et de controverses. Cette rencontre entre deux mondes, deux religions et deux cultures, ceux de l’Occident chrétien et de l’Orient musulman, continue d’attiser les passions et de susciter les craintes. Cette période constitue un bouleversement dans les consciences. En Orient, le souvenir des Croisades perpétue l’image d’un Occident agresseur. En Occident, ces expéditions guerrières répondent à une menace et sont justifiées et motivées officiellement pour la reconquête de Jérusalem et la protection des pèlerins.

Au Moyen-Orient, ce souvenir douloureux est actualisé au gré des interventions occidentales. On se souvient tous de Georges W. Bush  invoquant une croisade contre le terrorisme, au lendemain des attentas du 11 septembre 2001. Néanmoins, en dépit des actions militaires qui ont secoué le bassin oriental de la Méditerranée pendant deux siècles, cette période a vu naître des interactions culturelles et économiques.

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À la veille des Croisades :

À la veille des Croisades, le pourtour méditerranéen est divisé en 3 régions distinctes et subdivisées : l’Empire byzantin, l’Occident et le monde arabo-musulman.

L’Empire byzantin constitue la partie orientale de l’ancien Empire romain, déchu en 476. Depuis l’avènement de la nouvelle religion musulmane au VIIe siècle, l’Empire byzantin perd peu à peu les territoires orientaux. Affaibli, il se recentre sur l’Anatolie et la mer Égée. La défaite de Mantzikert en 1071, aux confins de la Turquie actuelle, parachève l’expansion des Turcs Seldjoukides en Orient et confirme le repli et l’affaiblissement des Byzantins[1]. De surcroît, la chrétienté ne forme pas un bloc homogène. En Orient, plusieurs églises répondent à une liturgie et une théologie différentes en s’interrogeant sur la nature divine. Or, la division est consumée avec l’Occident en 1054 suite au Grand schisme. Le contentieux sur la primauté du pape rompt l’unité de l’Église. Ainsi, deux groupes distincts s’opposent : les Orthodoxes d’Orient et les Catholiques d’Occident.

De son côté, l’Occident se compose d’une multitude de seigneuries et royaumes à superficie variable au gré des conquêtes. Après la chute de l’Empire romain en 476, les différents seigneurs se tissent des fiefs. Ils s’enorgueillissent tous d’être sous la protection de l’Église, qui incarne le pouvoir centralisateur et omnipotent de l’époque. À la veille des Croisades, la peur de l’An Mil s’empare de l’Occident. Il représente le millénaire de la mort du Christ (1033), censé punir le monde chrétien pour ses pêchés. Cette lecture exagérée fédère la chrétienté contre un potentiel ennemi commun.

Pour sa part, le monde arabo-musulman est en pleine expansion depuis l’avènement de la nouvelle religion. Après avoir conquis la péninsule arabique à la mort de Mahomet en 632, les troupes musulmanes s’emparent de la Syrie, de la Palestine et de l’Égypte. Jérusalem est conquise en 638. Ces conquêtes territoriales s’accompagnent généralement d’une islamisation des populations autochtones. Néanmoins, plusieurs minorités chrétiennes demeurent sur place. C’est le cas des maronites, des melkites, des syriaques, des chaldéens et des coptes. L’expansion territoriale est fulgurante. En l’espace d’un siècle, les musulmans sont aux portes de l’Occident chrétien à Poitiers en 732. Après l’apogée des premières dynasties Omeyades et Abbassides, le monde musulman est en proie à des divisions internes. À partir de 969, un califat fatimide, de confession chiite, voit le jour en Égypte et en Syrie. Ailleurs, les territoires sont morcelés en diverses entités politico-territoriales[2]. De plus, l’arrivée de populations nomades turcophones chamboule l’équilibre préétabli. Ces derniers embrassent le sunnisme et deviennent de redoutables adversaires de l’Empire byzantin. Ils forment la dynastie des Seldjoukides. Ainsi à la veille des croisades, une fracture très nette s’installe dans le monde musulman. Le pouvoir religieux est aux mains du Calife arabe de Bagdad, quant au pouvoir militaire, il est l’apanage du Sultan Seldjoukides.    

Les raisons officielles et officieuses des Croisades :

Pour justifier une telle entreprise, il est courant de citer l’appel à la Croisade du pape Urbain II en 1095 lors du concile de Clermont Ferrand. En analysant ce texte, on se rend compte que la partie dédiée à la lutte contre « l’infidèle » (le musulman) ne représente qu’une infime partie. En effet lors de ce concile, le pape met l’accent sur le respect du dogme, sur la conduite des prêtres et l’obligation du jeûne. Néanmoins, cet événement demeure le prétexte officiel et direct au début des Croisades[3].

Or, les raisons sont plus profondes. Depuis l’avènement de la nouvelle religion musulmane et sa fulgurante expansion vers l’Europe, l’Islam est un sujet de préoccupation pour l’Occident chrétien. Ce dernier entend défendre les frontières naturelles de la chrétienté. Les troupes musulmanes sont présentes en Corse, en Sicile, dans les Baléares et dans la péninsule ibérique où ils commettent plusieurs razzias[4]. De surcroît, l’empereur byzantin Alexis Comnène alerte l’Occident sur les dangers des troupes turques et arabes. En effet, depuis la défaite de Mantzikert en 1071, les pèlerins chrétiens ne peuvent plus se rendre dans la ville sainte de Jérusalem. Il informe également l’Occident sur le pillage et la destruction de l’Église du Saint-Sépulcre en 1009 par le calife fatimide Al-Hakim[5].

Face à cette menace existentielle, le pape Urbain II promet à ceux qui porteront la croix et qui participeront à ce pèlerinage armé l’absolution de leurs pêchés. La raison première invoquée est sans nul doute le recouvrement des droits pour le pèlerinage à Jérusalem. Or, la défense de la ville Sainte sert également de prétexte à une entreprise plus large, celle de lutter et de stopper l’expansion musulmane. De ce fait, prédicateurs et prêtres prêchent la guerre sainte dans les villages européens pour grossir les armées.

Cette notion de « croisade » n’est connue qu’à partir du XIIIe siècle. À l’époque, on parle de « voyage à Jérusalem » ou de « pèlerinage » en reprenant une sémantique guerrière et de conquête contre un ennemi (l’infidèle). À cheval et surtout à pied, l’aventure s’avère périlleuse. Par amateurisme et par excès de zèle, bon nombre de croisés perd la vie sur le chemin de l’Orient.

La création des États latins d’Orient :

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Très vite, l’annonce d’un pèlerinage en terre Sainte prend de l’ampleur en Occident. De nombreuses familles pauvres délaissent leurs conditions miséreuses et espèrent un avenir meilleur en Orient. Guidée par le prédicateur Pierre l’Ermite, la croisade des pauvres commet des massacres sur les populations juives en Europe centrale. Une fois arrivée en Anatolie, ils sont massacrés par les troupes turques[6].

La première croisade débute réellement en 1096 avec la participation de barons et chevaliers de renoms, à l’instar de Godefroy de Bouillon, de Baudoin de Boulogne ou encore de Raymond de Saint Gilles. Ils font une halte à Constantinople auprès de l’empereur byzantin, en lui promettant que les futurs territoires conquis seront sous son autorité. La croisade se transforme en une réelle entreprise de conquête. Une fois sur place, ils ne tiennent pas compte des accords passés avec l’empereur. En effet, ils se créent des États indépendants en Orient. Le comté d’Édesse est administré par Baudoin de Boulogne et la principauté d’Antioche est fondée par Bohémond de Tarente[7].

La ville de Jérusalem tombe aux mains des croisés le 15 juillet 1099. Selon les chroniqueurs de l’époque, les chevaliers chrétiens s’adonnent à des massacres, ne faisant aucune distinction entre les chrétiens orientaux et les musulmans. Godefroy de Bouillon s’empare du royaume de Jérusalem. Le dernier État latin à être fondé est le comté de Tripoli sur la côte libanaise. Aidé par des chrétiens maronites, Raymond de Saint Gilles érige une citadelle au cœur de la ville.

Ce faisant, la première croisade est une réussite politique et territoriale pour les croisés. En repoussant les musulmans dans les terres, ils se sont accaparés une bande littorale allant de l’Anatolie à Gaza. La survie de ces micros États dépend de l’aide matérielle et humaine envoyée par l’Occident. Ainsi plusieurs générations naissent en Orient, ils s’imprègnent de la culture locale, on les nomme les « Poulains ». Par méconnaissance de la région et de la culture, les nouveaux arrivants commettent plusieurs exactions qui dissuadent la majorité de leurs coreligionnaires orientaux de les rejoindre.

De leur côté, les troupes musulmanes, surprises par la première croisade, se sentent humiliées par un ennemi extérieur[8]. Depuis l’avènement de l’Islam, les musulmans n’avaient pas connu semblable défaite sur leur terre. C’est ainsi que la notion de Djihad refait surface. En opposition aux croisades, une lutte armée contre l’infidèle (le chrétien) est prônée. Conséquemment, deux mondes ultra-confessionnalisés se font face. L’un et l’autre se considèrent et se perçoivent comme des ennemis naturels. La période des croisades voit naître et se consolider des antagonismes politiques, territoriaux et religieux.


[1] Vincent Déroche, Vincent Puech, « Le monde byzantin 750-1204 », Atlande, 2007

[2] https://www.cairn.info/croisades-et-orient-latin–9782200264987-page-171.htm

[3] https://www.persee.fr/doc/efr_0223-5099_1997_act_236_1_6047

[4] https://www.persee.fr/doc/efr_0223-5099_1997_act_236_1_6067

[5] https://www.lesclesdumoyenorient.com/Les-Croisades-1096-1291-le-choc-de-la-rencontre-entre-deux-mondes-1-3.html

[6] https://www.persee.fr/doc/efr_0223-5099_1997_act_236_1_6067

[7] https://www.lesclesdumoyenorient.com/Les-Croisades-1096-1291-le-choc-de-la-rencontre-entre-deux-mondes-2-3.html

[8] Amin Maalouf, « Les croisades vues par les Arabes », J’ai lu, 1983

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