La Cisjordanie : de la colonisation à l’annexion ?

Le 1er juillet 2020, le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, devait dévoiler  le détail de son projet d’annexion des territoires occupés. Annonce remise à plus tard, en raison paraît-il de la pandémie du Covid-19. De la théorie à la pratique, ce projet est prévisible depuis l’annonce de « l’accord du siècle », officialisé par Donald Trump en janvier dernier. Ainsi, le gouvernement israélien, avec l’appui des Etats-Unis, continue en toute impunité sa logique de dépècement de la Palestine. Tel-Aviv s’apprête à annexer illégalement 30% de la Cisjordanie (Judée-Samarie), dont la majeure partie de la vallée du Jourdain. Une fois de plus, le sort des Palestiniens ne fait l’objet d’aucune réaction. Israël profite donc de la faiblesse de la Ligue arabe, de la mésentente au sein l’Union européenne et du silence de la communauté internationale pour poursuivre ses desseins expansionnistes.

Esseulés et désabusés, les Palestiniens sont renvoyés à leur propre et triste sort.

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Les prémices d’une annexion

Changement d’époque, changement de paradigme[1]. Lors de la création de l’État d’Israël en 1947, les pays arabes prônent une guerre totale pour récupérer l’intégralité du territoire palestinien. Au fur et à mesure des défaites arabes (1948, 1956, 1967 et 1973) leurs gouvernements rétropédalent et admettent les frontières de 1967, donc de facto ils sont prêts à reconnaître l’État hébreu.

Or, compte tenu de la supériorité militaire israélienne et de l’appui inconditionnel américain, les Arabes ne sont pas en mesure de négocier la restitution des terres. De surcroît, le sionisme de gauche est évincé au profit d’un courant politique de droite, plus intransigeant et partisan d’un durcissement de la politique de colonisation dans les territoires occupés[2].

Ainsi, la colonisation débute après la guerre des Six Jours en 1967. En plus d’avoir conquis la Cisjordanie, l’armée israélienne occupe le Sinaï égyptien et le Golan syrien. Cette victoire écrasante de 1967 permet à Tel-Aviv de négocier la paix en échange des territoires occupés. C’est le cas de l’Égypte en 1979 avec la signature des accords de Camp David. En échange de la rétrocession du Sinaï, Anouar Al-Sadate signe la paix avec Israël. Malgré les nombreuses négociations et pressions diplomatiques, la Syrie de Hafez Al-Assad refuse tout accord de paix.

La colonisation devient petit à petit un fait accompli de la politique israélienne. Dès 1967, les premiers colons s’installent à Jérusalem Est et en Cisjordanie. Au gré des gouvernements de droite ou de gauche, la colonisation s’intensifie[3]. En 1989, 200 000 colons israéliens sont présents dans les territoires occupés. Malgré les accords d’Oslo en 1993 qui prévoyaient entre autre le « gel de la colonisation », l’implantation des colons s’accentue.

En dépit des promesses de décolonisation du Premier ministre israélien Ehud Olmert dans les années 2000, l’arrivée de Benyamin Netanyahu au pouvoir en 2009 change la donne. Partisan de la légalisation de la colonisation, il s’appuie notamment sur le puissant lobby américain pro-israélien (AIPAC) pour asseoir sa politique. En 2019, ce sont 630 000 colons qui résident en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Après sa victoire aux élections législatives en septembre 2019, Benyamin Netanyahu, chef du Likoud, annonce sa volonté d’annexer une partie de la Cisjordanie.

Le plan de paix américain pour la résolution du conflit israélo-palestinien intitulé « accord du siècle », dévoilé officiellement en janvier dernier, prévoit la légalisation de la colonisation et l’annexion par Israël de la vallée du Jourdain en Cisjordanie. Quant à eux, les Palestiniens hériteraient d’un État morcelé et démilitarisé.

Le « fardeau » palestinien des pays arabes

L’effritement du soutien arabe à la cause palestinienne est consubstantiel à la dépendance financière et militaire vis-à-vis de Washington. Aujourd’hui, la logique schmitienne prédomine en Orient. L’ennemi de mon ennemi est mon allié. Les chancelleries arabes délaissent petit à petit la cause palestinienne en s’alignant sur la politique israélienne afin de contrer l’influence iranienne dans la région.

Malgré les discours de façade pour rassurer une rue foncièrement pro-palestinienne, les dirigeants peinent à s’opposer à ce projet d’annexion. Les Émirats arabes unis, par la voix de leur ambassadeur aux Etats-Unis ont fait part de leur inquiétude et ont prévenu « qu’une annexion risque d’entraver le processus de normalisation entre Israël et le monde arabe »[4]. L’Égypte, absorbée par le dossier libyen et éthiopien, est restée discrète sur le sujet. La Syrie et le Liban, englués dans une crise économique sans précédent, ne peuvent réagir. La Jordanie, seul pays arabe avec l’Égypte ayant conclu un accord de paix avec l’État hébreu en 1994, a menacé de repenser ses relations bilatérales avec Tel-Aviv. Selon Amman, l’annexion est un danger. Le roi Abdallah II craint l’afflux massif de réfugiés palestiniens dans son pays[5].

Auparavant fédératrice, aujourd’hui la cause palestinienne divise. Récemment, les Émirats arabes unis ont signé un accord de coopération avec l’État hébreu pour lutter contre la pandémie du coronavirus. Ainsi, les pétromonarchies du Golfe cachent de moins en moins leurs intentions de se rapprocher d’Israël. Profitant de la position de l’Union européenne et de l’ONU qui s’opposent à cette annexion, l’Iran se pose en champion de la défense de la cause palestinienne. Son discours embrasse une sémantique fédératrice et consensuelle à l’échelle de la région. L’Iran sait que la Palestine monopolise les débats. En soutenant cette cause, Téhéran cherche à étendre sa zone d’influence idéologique en Orient[6]. De plus, la Turquie de Recep Tayyip Erdogan menace Israël et clame qu’Ankara « ne permettra pas l’annexion de la Cisjordanie »[7].

Si ce projet d’annexion voit le jour, il est fort à parier que le peuple palestinien rentrera dans une désobéissance généralisée contre l’occupant israélien.

Vers une nouvelle Intifada ?

Si exécutée, cette annexion constitue une grave violation du droit international et réduit les possibilités de reprise des négociations. Le danger pour Israël ne provient pas de l’extérieur. Ses principaux ennemis subissent de plein fouet le poids des sanctions américaines. Le Hezbollah, l’Iran et la Syrie sont durement impactés par les pressions économiques et financières. Le danger est en interne, incarné par la rue palestinienne. Au gré des divers rebondissements, les Palestiniens descendent dans la rue pour réclamer le respect de leur droit. En Cisjordanie, ce soulèvement populaire se cantonne souvent à une rébellion sociale. Or, compte tenu de l’humiliation, le spectre de la radicalisation n’est jamais bien loin, prémices notamment à une explosion de la rue arabe[8].  

De plus, le Hamas, mouvement islamiste de la bande de Gaza, a menacé le 25 juin dernier les autorités israéliennes qu’une annexion de pans de la Cisjordanie constituerait « une déclaration de guerre ». Habitué à une sémantique guerrière, le Hamas surfe sur l’intransigeance de la politique israélienne. En intensifiant la colonisation, Israël procure une légitimité supplémentaire au mouvement islamiste dans sa résistance et accroît de fait sa popularité[9].

De façon surprenante,  une partie de la société civile israélienne ne soutient pas ce projet. Plusieurs personnalités publiques de gauche craignent qu’Israël dérive vers un État d’Apartheid. L’ONU exhorte l’État hébreu d’abandonner l’annexion. L’échec de la diplomatie et des négociations font redouter une recrudescence des tensions israélo-palestiniennes. L’administration israélienne minore ce risque. Or désespérés et esseulés, les Palestiniens se tourneront vers les partis radicaux.

L’annonce prévisible de l’annexion de la vallée du Jourdain ranime les débats et replace le conflit israélo-palestinien au centre de l’actualité. Benyamin Netanyahu profite des divisions régionales et internationales pour avancer ses pions, au détriment d’une population palestinienne lésée par des décennies d’humiliations.


[1] https://www.lorientlejour.com/article/1223989/cisjordanie-pourquoi-lannexion-refermerait-la-parenthese-de-1967.html

[2] https://www.monde-diplomatique.fr/cartes/annexionisraelienne95

[3] Dominique Vidal, « L’annexion de la Cisjordanie est en marche », Le Monde diplomatique, manière de voir Février-Mars 2018

[4] https://www.lemonde.fr/international/article/2020/06/13/les-emirats-arabes-unis-mettent-en-garde-israel-sur-l-annexion_6042746_3210.html

[5] https://www.lemonde.fr/international/article/2020/06/26/embarras-arabe-sur-le-projet-d-annexion-en-cisjordanie_6044265_3210.html

[6] https://www.atlantico.fr/decryptage/3590737/l-annexion-de-la-cisjordanie-par-israel-ou-le-retour-de-l-iran-comme-champion-de-la-cause-palestinienne-ardavan-amir-aslani

[7] https://fr.timesofisrael.com/la-turquie-ne-permettra-pas-lannexion-en-cisjordanie-previent-erdogan/

[8] https://www.la-croix.com/Debats/Forum-et-debats/pays-arabes-ont-ils-abandonne-cause-palestinienne-2020-06-30-1201102657

[9] https://www.lefigaro.fr/international/le-hamas-avertit-que-toute-annexion-de-pans-de-la-cisjordanie-equivaudrait-a-une-declaration-de-guerre-20200628

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