Mohammed Assaf: la success story de Gaza

Après avoir analysé le marché du divertissement et le système économique et géopolitique dans lequel s’inscrivent les télé-crochets et émissions de télé-réalité, concentrons nous maintenant sur un cas précis, celui de Mohammed Assaf, symbole de la cause palestinienne.  Son histoire illustre le rôle éminemment politique que peuvent prendre ces programmes suivis par des millions de téléspectateurs dans le monde arabe. Ainsi ils deviennent tantôt des réceptacles à idées, tantôt des programmes cathartiques tirant les larmes aux spectateurs. Cette idée est d’autant plus valable dans le monde arabe où la radio et la télévision détiennent une place majeure dans les foyers depuis les années 1950, en tant que transmetteur du « soft power » artistique.

Mohammed Assaf vainqueur de l’édition 2013 d’Arab Idol

La « roquette palestinienne » devenue diplomate

Originaire d’un camp de réfugiés de Khan Younis, dans la bande de Gaza, il remporte la 2ème saison d’Arab Idol en 2013. Il fut le premier candidat palestinien à ouvrir la porte des télé-crochets et toute sa réussite a reposé sur la revendication de cette identité.

La Palestine n’avait plus connu de meilleur diplomate, et ce pour différentes raisons. Dans un monde globalisé, dont justement la Palestine, et plus encore l’enclave gazouie sont exclues Mohammed Assaf a su véhiculer une autre réalité. La réalité d’une jeunesse imprégnée des standards très occidentaux[i] : visionnage des émissions tv, utilisation des réseaux sociaux… alors même que l’enclave connaît une situation sanitaire catastrophique. En effet, les représentations mentales associés à la bande de Gaza sont souvent l’image de la pauvreté et de la barbarie. Mohammed Assaf a donc donné à son peuple, le droit de rêver au-delà des frontières de Gaza. En effet, Israël contrôle les entrées et sorties de la population et n’accorde que très rarement les permis de circulation en raison du blocus mis en place il y a 12 ans. Sortir, chercher du travail hors de Gaza ( qui connaît par ailleurs un taux de chômage élevé : environ 70 % des jeunes n’ont pas d’emploi)[ii], rendre visite à de la famille hors du territoire sont des activités impossibles pour ces personnes qui possèdent le statut de réfugiés. Dans ce contexte, l’accès aux écrans est la seule passerelle vers l’extérieur ce qui renforce le soutien de l’opinion publique vis à vis du chanteur[iii] et en particulier de la jeunesse. Ainsi, le soir de la finale, plus d’un million de votes en sa faveur ont été comptabilisés depuis Gaza, rappelant l’importance de ces moyens de communication dans un contexte de vie sous blocus. 

                  Par ailleurs, Mohammed Assaf est vu comme le porte-parole qui transmet et revalorise l’identité palestinienne au reste du monde arabe mais aussi au monde à travers la musique et ses passages à la télévision[iv].  Cette diplomatie culturelle est, plus qu’importante, nécessaire, dans un contexte de conflit où l’État hébreu tente de réduire drastiquement la portée de la culture palestinienne. En ce sens, l’interprétation de chansons patriotiques et la reprise de symboles particuliers est marquante : à chaque passage sur scène dans l’émission, Mohammed Assaf portait tantôt un Keffieh sur l’épaule, tantôt un drapeau palestinien. Aussi pouvait-on le voir haranguer la foule en dansant le Dabkeh sur scène, entraînant avec lui le jury et le public lors de son interprétation d’ « A3ly el koufiyeh »[v], lève ton keffieh, lève le. La chanson contient plusieurs références palestiniennes et levantines.

La difficile contribution à un rapprochement politique 

                  L’autorité palestinienne a, dès le début du programme, exprimé son soutien à Mohammed Assaf et l’a intensifié. Mahmoud Abbas, président du Fatah a par exemple contacté le jeune homme au début du programme, et l’a finalement rencontré lors de son retour en Palestine, un signe fort. D’autres institutions rattachées ont suivi : La Banque de Palestine a lancé une campagne de soutien au chanteur pour encourager les Palestiniens à voter pour lui, intitulée « ton vote et le vote de la Banque de Palestine font deux votes »[vi]. Ainsi, ils ont financé 100 000 votes chaque semaine pour Mohammed puis 130 000 le soir de la finale. Par ailleurs, ils ont subventionnés des affiches géantes en Cisjordanie, prônant là encore l’importance de la diplomatie culturelle et la contribution du chanteur au rayonnement de la cause Palestinienne dans son acception la plus pure. Et c’est la toute sa réussite : unir tous les Palestiniens.

Cependant le Hamas, à l’inverse a adopté des positions ambivalentes, tiraillé entre son projet, ses valeurs politiques radicales et l’engouement autour du jeune chanteur patriote[vii]. Le mouvement a par exemple condamné le chanteur pour avoir interprété un hymne pro-Fatah le soir de la finale[viii] (3aly el kouffiyeh), et aussi le caractère non islamique et pervers de télé-crochets comme Arab Idol, tout en gardant une position prudente et distante, suivant l’idée que le succès du chanteur peut servir la cause palestinienne.[ix] Finalement, au lendemain de sa victoire il a été accueilli officiellement à Gaza.

Mohammed Assaf reçut par le chef de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas

Ainsi, cet évènement met en avant la bicéphalie du pouvoir[x] dans les Territoires palestiniens. Des deux côtés la récupération est de mise, notamment au vu de la perte de vitesse des pouvoirs en place et de la méfiance populaire envers le Hamas et le Fatah. En effet, du côté de l’Autorité palestinienne ce soutien a compensé, masqué ce que certains considéreront comme un laxisme politique. En effet, dans les mois qui ont suivi la montée en puissance d’Assaf sur Arab Idol, se tenaient aussi les reprises de négociations de paix entre Israël et l’Autorité palestinienne, gelées depuis trois ans. Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu s’est vanté d’avoir fait « tomber de l’arbre des concessions » le leadership palestinien. La promesse faite de ne pas construire de nouvelles colonies n’a pas été respectée et à l’été 2013, un projet de 1200 logements à Jérusalem-est fut lancé.[xi] 
Les banques, les institutions privées, et l’autorité du Fatah ont pleinement participé et financé la campagne médiatique de Mohammed Assaf voulant aussi affirmer leur ancrage dans la promotion d’un mode de vie libéralisé et ouvert sur le reste du monde, contrairement au Hamas. C’est aussi un moyen de mettre en lumière un nouveau type de réussite sociale qui correspond au contexte actuel. En effet, comme Mohammed Assaf, des milliers de jeunes vivent  dans les camps de réfugiés. Selon l’UNWRA ( Office de Secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient), 87 816 personnes vivent actuellement dans le camp de Khan Younis.[xii]

 Mohammed Assaf s’est complètement ancré dans ce système politique et agit comme un véritable médiateur. Ainsi, il a été nommé, après sa victoire, ambassadeur de la jeunesse pour les réfugiés palestiniens par l’UNWRA. Il a également reçu le titre d’ambassadeur de la culture et des arts par le gouvernement palestinien et s’est vu offrir un poste avec « statut diplomatique »[xiii]. D’une part pour l’UNWRA ce scénario semble parfait puisque Mohammed Assaf est un pur « produit » de ce système, il l’a d’ailleurs évoqué plusieurs fois en interview. Sa mère était professeure dans le camp de Khan Younis et Mohammed Assaf est allé à l’école UNWRA. L’agence n’a d’ailleurs pas manqué de vanter ses mérites après la victoire, rappelant l’importance de l’organisation dans la région.

La portée du message politique

 On peut s’interroger sur le fait que ce message politique dépasse les frontières du monde arabe. D’une part grâce aux réseaux sociaux et à internet : les candidats qui marquent les esprits dans les télé crochets grâce à leurs talents font très rapidement le tour de la toile mondiale. Ainsi, le chanteur est suivi par environ 10 millions de personnes sur Facebook, et il rallie lors de ses concerts en Europe autant les curieux que les diasporas palestiniennes et arabes.  D’autre part, la promotion d’une« story telling » qui accompagne le succès de l’artiste est importante. Le message est plus percutant. Le chanteur a un parcours atypique qui réactualise une cause humanitaire souvent délaissée au profit des vicissitudes politiques.

Nouvel outil de propagande ou représentant d’une jeunesse palestinienne qui cherche à réaffirmer son identité par de nouveaux moyens, quoiqu’il en soit Mohammed Assaf incarne toujours l’espoir d’une jeunesse, au-delà du rôle politique qu’il a accepté.


[i] Al-Rawi, A. (2018). Regional Television and Collective Ethnic Identity: Investigating the SNS Outlets of Arab TV Shows. Social Media + Society. https://doi.org/10.1177/2056305118795879

[ii] https://apps.who.int/gb/ebwha/pdf_files/WHA67/A67_INF4-fr.pdf

[iii]   Al-Rawi, A. (2018). Regional Television and Collective Ethnic Identity: Investigating the SNS Outlets of Arab TV Shows. Social Media + Society. https://doi.org/10.1177/2056305118795879

[iv] Miladi, Noureddine Transformative pan-Arab TV: National and cultural expression on reality TV programmes, Journal of Arab & Muslim Media Research, Volume 8, Number 2, 1 June 2015, pp. 99-115(17)

[v]  https://www.youtube.com/watch?v=Aj-pyJF6ckU 

[vi]  https://bankofpalestine.com/ar/media-center/newsroom/details/293?fbclid=IwAR1Tp29Ms4-MJA9Vt4sRMlwZKR9V5eFbGdB_Ss6YgjS6evS4x-h2OTqc240

[vii] https://www.france24.com/fr/20130624-arab-idol-mohammad-assaf-hamas-fatah-abbas-chanson-musique

[viii] idem

[ix] https://www.thenational.ae/world/arab-idol-hamas-silent-as-gaza-cheers-mohammed-assaf-s-victory-1.575603

[x] Formule reprise à Olivier Danino, chercheur au sein de l’Institut Français d’Analyse Stratégique.

[xi] https://www.lesclesdumoyenorient.com/Les-implantations-israeliennes-en-Cisjordanie-2-histoire-d-une-colonisation.html

[xii] https://www.unrwa.org/Assaf

[xiii] https://www.alquds.co.uk/الامم-المتحدة-تمنح-محمد-عساف-جواز-سفر-د/

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