Partie 2 : Apogée et déclin du sultanat mamelouk

La vie commerciale du pays permet au sultanat de pleinement s’épanouir et de s’affirmer comme une puissance incontournable au Moyen-âge. Le Sultanat mamelouk s’appuie sur une organisation pyramidale très structurée. Dans cet État, le sultan s’appuie sur les émirs, mamelouks eux-aussi. Liés par leur formation, les Mamelouks du sultan s’avèrent être un atout jusqu’au XVème. Date à laquelle les rapports entre les  différentes générations se dégradent, menant parfois à des affrontements.

Le XVème siècle s’avère être une époque difficile ; les sultans enchaînent les périodes de stabilités et de crises, ce qui aboutit en 1517 à l’effondrement du sultanat Mamelouk suite aux affrontements contre l’Empire ottoman, véritable force montante en Méditerranée orientale.

La vie dans le sultanat, commerce et fiscalité :

Si le sultanat Mamelouk est souvent reconnu pour son activité militaire et son originalité politique, il ne faut cependant pas le réduire à cela. De part sa position stratégique (Égypte et Syrie), le sultanat devient un carrefour commercial. Les ports, comme celui d’Alexandrie, permettent l’importation de produits d’Asie du Sud comme les épices dont les Européens sont friands, des produits d’Anatolie ou encore de l’or du Soudan. Enfin, la route de la soie qui passe par la Syrie assure un commerce fleurissant via un axe terrestre. Si les Mamelouks peuvent vendre divers produits, ils profitent également des ports pour acheter aux Européens les métaux et le bois qui leur font défauts.

L’État contrôle fortement une autre part du commerce : celui des esclaves. Le sultanat a un fort besoin en esclaves puisque chaque sultan achète les Mamelouks de l’ancien sultan, mais aussi les siens. Ainsi, Qalâwûn (1280-1290) possède environ 6 000 Mamelouks, et jusqu’à 8 000 durant le règne de Qâytbây (1468-1496)[i].  L’achat et l’entretien des Mamelouks coûtent extrêmement cher puisque le sultan paye aux Mamelouks 3 à 10 dinars d’or par mois, une ration de viande par jour et une ration de fourrage et d’orge par semaine pour chaque cheval.

Le prélèvement de l’iqta et plus largement la fiscalité occupe une place importante des revenus. L’iqta est « l’attribution d’une part de l’impôt foncier à un officier de l’armée, à charge pour lui de la lever par ses propres moyens et d’entretenir sur cette part un contingent d’hommes déterminé»[ii]. Si ce moyen de prélèvement s’avère dans un premier temps très rentable, les sultans n’hésitent pas à modifier le cadastre pour s’octroyer plus de revenus lorsqu’ils en ont besoin. Alors que la population baisse, notamment à cause des épidémies de peste qui tuent un tiers de la population à partir du XIVème siècle, la pression fiscale augmente. Les sultans, guidés par l’idée de faste des premiers règnes, ne cessent d’augmenter les prélèvements. Hormis le règne de Barquq (1382 – 1399), désigné par Ibn Khaldoun comme un sursaut de l’État mamelouk avant le début de son déclin[iii], le sultanat est en proie à des difficultés financières dès la fin du XIVe siècle.

Les Mamelouks, des militaires au pouvoir :

Les Mamelouks, comme nous l’avons vu précédemment, sont des esclaves affranchis recrutés dans l’armée sultanienne principalement afin d’être des cavaliers d’élite, voire des émirs ou des  sultans pour quelques-uns. Leur fierté s’appuie en grande partie sur leur formation au cours de laquelle ils apprennent et s’approprient la furûsiyya, « art de guerre »[iv] particulièrement important pour les  Mamelouks du XIIIème et XIVème siècle.


Traité de l’art militaire mamelouk, manuscrit «Kitab al makhzoun djami’ el funun» réalisé en 1470. Folio 63r. BnF

À partir de la fin du XIVème siècle, l’excellence guerrière passe au second plan, faisant des Mamelouks plus des hommes de cour que des guerriers. La furûsiyya semble de plus en plus dépassée. Depuis les prouesses militaires des premières décennies face aux Francs et aux Mongols, les techniques et tactiques militaires n’évoluent plus. Le domaine militaire devient secondaire. Malgré les raids de Tamerlan, chef de guerre turco-mongol, qui ravagent l’Asie centrale allant jusqu’à Alep et Damas, les Mamelouks ne sont plus confrontés à de puissants ennemis au XVème siècle. Ainsi, ils ne développent pas les armes à feu et n’ont plus d’unité d’infanterie. La fabrication d’armes à feu, comme les arquebuses, supposerait de grandes importations de métaux[v]

Outre les armements, les sultans ne développent pas vraiment leur flotte. Sur les navires, ne sont embarqués que des hommes ayant peu d’importance pour le sultan. Il existe un véritable mépris pour la flotte, opposée au prestige cavalier. 

L’intérêt porté à la flotte change avec le règne du sultan Barbays (1422- 1438). Il fait construire une flotte plus puissante que toutes les précédentes malgré le manque de bois. Ainsi, entre 1425 et 1426 les Mamelouks occupent Chypre. Les Mamelouks font aussi des raids sur l’île de Rhodes en 1439 et 1442, et un siège en 1444. Enfin, à la fin du siècle, les Portugais, ayant passés le cap de Bonne Espérance, représentent un ennemi commercial pour les Mamelouks. Contournant l’Afrique, les Portugais découvrent une voie navigable menant vers les Indes. Ainsi, la guerre portugo-mamelouk éclate en 1506. Malgré l’alliance avec Venise, le Gujarat et l’Empire Ottoman, les Mamelouks essuient une défaite définitive en 1509. Mais d’autres difficultés viennent bientôt fragiliser le pouvoir. Le sultanat au XVème fait face à des phases de querelles internes et des phases de stabilité.

La chute du Sultanat mamelouk

Le XVème siècle s’avère difficile pour le sultanat. Ce siècle s’ouvre sur une guerre entre le sultan au Caire et les émirs en Syrie. En mars 1407, l’émir Jakam min ‘Iwad se fait proclamer sultan dans la mosquée des Omeyyades d’Alep, pour quelques semaines. Finalement, à partir de 1412, une période de stabilité politique débute jusqu’en 1461. Si cette période semble durer, les nouveaux Mamelouks s’avèrent en vérité de plus en plus indisciplinés. Ils menacent le pouvoir en place dès qu’ils ne sont pas payés. Les premières manifestations de colère de ces nouveaux Mamelouks ont lieu dès 1428. Rapidement, un bras de fer commence entre les nouvelles et anciennes générations de Mamelouks.

En 1461, Khushqadam arrive sur le trône. Durant son règne, qui s’achève en 1467, il achète 3000 Mamelouks.  Lorsque ce sultan décède, les émirs veulent mettre sur le trône un Mamelouk de leur maison et Bilbay est choisi comme nouveau sultan. Cependant, il ne reste que deux mois sur le trône, car il ne parvient pas à s’affirmer face aux Mamelouks du sultan précédent. C’est finalement Qaytbay qui monte sur le trône en 1468, avec l’appui de tous les Mamelouks des générations précédentes. Les oppositions entre les différents Mamelouks ont fait du poste de sultan, un poste peu désiré. Durant le règne de Qaytbay, qui dure tout de même 28 ans, s’installe une période de stabilité.

Si ce règne semble stable, celui-ci ne se prépare pas à la montée en puissance de ses voisins, notamment des Ottomans. La Cilicie, territoire jusque-là sous la domination des Mamelouks est occupée par les Ottomans dès 1485. Les premiers affrontements ont lieu en 1488 à Agha Chayiri,  mais les Mamelouks parviennent à garder la Cilicie sous tutelle jusqu’à 1512. Durant le règne de Qansuh al-Ghawri (1501 – 1516) la situation se tend: les difficultés économiques et les menaces des jeunes recrues n’aident pas le sultanat. Le sultan réunit une armée pour tenter de battre le sultan ottoman Selim et de mettre Kasim, le rival de Selim sur le trône. En 1516, La bataille de Marj Dabiq se solde par un échec, en raison notamment de la trahison de l’émir d’Alep Khairbay [vi] qui rejoint les troupes de Selim. Les survivants de la bataille rentrent au Caire et Tuman devient sultan. Le 31 janvier 1517 a lieu la bataille de Ridaniya, entraînant la chute du Caire. Tuman perd la capitale et fuit dans le désert. Il est finalement rattrapé et pendu le 13 avril 1517, ce qui signe la fin du sultanat Mamelouk.

Le sultanat Mamelouk s’affirme rapidement comme une puissance incontournable à l’époque médiévale et ce, grâce à sa force militaire. Système politique original, d’anciens esclaves affranchis gouvernent le sultanat. Si ce système s’avère très efficace dans les premières décennies, les difficultés financières, l’immobilisme militaire et les querelles internes plongent petit à petit le sultanat dans une période de déclin. L’expansion ottomane met fin aux Mamelouks en 1517 et étend sa domination sur la Méditerranée orientale.


[i] Aillet Cyrille, Tixier Emmanuelle, Vallet Eric (dirs), Gouverner en Islam Xème- XVème siècle. Neuilly-sur-Seine : Atlante, 2014, page 262.

[ii] Loiseau Julien, Les Mamelouks, XIIIe-XVIe siècle : une expérience du pouvoir dans l’islam médiéval.

Paris:  Editions du Seuil, 2014, page 92.

[iii] Ibn Khaldoun, Kitab al’-Ibar, I, Muqaddima, p.310/A. Chaddadi (trad.), p. 623 cité par Loiseau Julien, Les Mamelouks, XIIIe-XVIe siècle : une expérience du pouvoir dans l’islam médiéval. Paris:  Editions du Seuil, 2014, page 322.

[iv] Zouache Abbès, « Une culture en partage : la furûsiyya à l’épreuve du temps », Médiévales 64 [en ligne], printemps 2013, mis en ligne le 30 septembre 2013, consulté le 19 juillet 2020. URL : http://journal.openedition.org/medievale/6953

[v] Ayalon David, Le phénomène mamlouk dans l’Orient islamique. Paris : Presses universitaires de France, 1996, page 138.

[vi]Mantran Robert (dir), Histoire de l’Empire Ottoman, Paris : Fayard, 1989, page 144.

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