L’ombre des élections américaines sur l’avenir de la République islamique d’Iran

Le monde s’impatiente. La première puissance mondiale est sur le point d’élire son nouveau Président. Qui de Donald Trump ou de Joe Biden remportera l’élection ? Une chose est sûre, cette campagne présidentielle anime toutes les craintes et les attentes au Moyen-Orient. L’Iran attend impatiemment le résultat final sans pour autant espérer de réel changement. L’image de Téhéran reste négative aux Etats-Unis auprès des républicains et des démocrates réunis. Quoiqu’il arrive, la République islamique d’Iran restera l’ennemi, le pays qu’il faudra contraindre à négocier par le biais des pressions économiques et diplomatiques.

Finalement, cette posture isolationniste à l’égard du régime des Mollahs pousse encore un peu plus l’Iran dans l’aire d’influence sino-russe.

I-Les relations américano-iraniennes : le lourd poids des décisions américaines sur l’Iran

L’Accord de Vienne en 2015 : un court espoir pour l’Iran et la communauté internationale:

Le 14 juillet 2015, l’Iran et les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies, plus l’Allemagne, ont signé, un accord sur le programme nucléaire iranien à Vienne. Les principaux objectifs de l’accord sont la mise en place de restriction et un contrôle strict du programme nucléaire iranien afin d’assurer qu’il reste pacifique. En contrepartie, ces pays s’engagent à lever progressivement les sanctions imposées contre l’Iran depuis 1995. À l’occasion de cet accord historique, l’Iran et les États-Unis ont procédé à des négociations bilatérales pour la première fois depuis la rupture de leurs relations en 1980. Ces accords laissaient alors espérer une ouverture, un premier pas vers de futures négociations entre l’Iran et les Etats-Unis. Pour preuve, le chef de la diplomatie iranien avait alors déclaré : « Nous sommes prêts à ouvrir de nouveaux horizons pour affronter les défis importants et communs. Aujourd’hui, la menace commune est le développement de l’extrémisme violent et de la barbarie sans limites »[1]. Ban Ki-Moon, le secrétaire général de l’ONU à l’époque, avait confirmé cette vision dans une déclaration : « J’espère et je crois même que cet accord conduira à une meilleure compréhension mutuelle et à une coopération sur les nombreux graves problèmes de sécurité au Moyen-Orient. Comme tel, il pourrait servir de contribution essentielle à la paix et la stabilité à la fois dans la région et au-delà. » Mais l’Accord Vienne n’aura finalement pas duré…

  • L’ère D. Trump : retour des sanctions et regain de tensions

Car dès son arrivé au pouvoir, D. Trump bouleverse tous les espoirs de la communauté internationale. Ce dernier avait critiqué à de nombreuses reprises l’Accord de Vienne et avait d’ores et déjà annoncé sa volonté de retirer les Etats-Unis de cet accord au cours de sa campagne électorale. Ce sera chose faite le 8 mai 2018, quand il annonce le retrait des Etats-Unis en informant l’établissement de nouvelles sanctions et le retour des précédentes qui existaient avant 2015. Lors de son intervention, il a notamment estimé qu’« il s’agissait d’un abominable accord unilatéral qui n’aurait jamais dû être conclu. »[3]

Depuis le désengagement de D. Trump de l’accord sur nucléaire iranien, de nouvelles sanctions sont imposées à la République islamique. Lors de la signature de l’ordre présidentiel, le Président américain a déclaré que lui et son administration allaient « instituer le plus haut niveau de sanctions économiques »[4] et que « tout pays qui aidera l’Iran dans sa quête d’armes nucléaires pourrait aussi être fortement sanctionné par les Etats-Unis. »[5] Ces sanctions ont évolué au fil de temps, visant les principales sources de revenus de l’Iran : la banque centrale, les secteurs de pétrolier et de l’énergie, la finance. L’administration de Trump se base largement sur un politique de « pression maximale » contre l’Iran afin de soumettre le pays. De son côté, l’Iran qualifie ces sanctions de « terrorisme économique ». Actuellement, l’Iran se retrouve donc très esseulé diplomatiquement et financièrement.

II-Elections américaines : quand l’Iran s’en mêle

En effet, dans la région, les Etats-Unis sont les alliés vitaux de nombreuses puissances comme les Emirats arabes unis ou l’Arabie Saoudite. Les puissances régionales se plient aux volontés américaines et érigent régulièrement l’Iran comme la grande menace à abattre. L’approche des élections pourrait néanmoins changer la donne, puisque J. Biden ne suivrait pas forcément la politique étrangère de D. Trump.

Trump ou Biden : ce qu’en pensent les Iraniens

A en croire les différents médias internationaux, les élections américaines en Iran, « on ne parle que de ça ».[6] Selon un sondage réalisé par l’Iran Students Polling Agency Poll, 56,6% de la population iranienne estime que les élections américaines auront un impact sur leur pays.[7] Tout logiquement, les Iraniens préfèreraient voir J. Biden élu (36,7 %)[8] et non voir D. Trump briguer un second mandat. J. Biden étant un Démocrate et l’ancien Vice-Président de B. Obama qui avait permis la signature de l’Accord de Vienne, tout laisse penser qu’il serait en effet plus à même d’être favorable à l’Iran et à une détente de la pression maximale. Ce dernier a affirmé qu’il existait une façon plus subtile d’être sévère à l’encontre de l’Iran,[9] laissant encore une fois présager des mesures moins strictes.

Pour autant, les Iraniens n’affichent pas clairement leur soutien à J. Biden. Ils savent que s’ils soutenaient publiquement le candidat démocrate, cela pourrait faire gagner des voix à D. Trump. Bien que les Américains ne soutiennent pas tous la politique menée par celui-ci au Moyen-Orient et donc en Iran, l’image de l’Iran dans l’imaginaire collectif américain reste plutôt négative et biaisée par les médias occidentaux. Les élections législatives iraniennes de février dernier largement gagnées par les conservateurs n’ont sans doute pas aidé à donner une image plus modérée de l’Iran.

À la veille des élections, les incertitudes subsistent

Dans ce contexte déjà complexe, difficile de prédire qui sera élu et quelles seront les conséquences pour l’Iran et plus largement le Moyen-Orient. Les récentes normalisations israélo-arabes rappellent combien les pays sunnites de la région redoutent l’Iran, surtout depuis la levée des sanctions sur les armes. Aussi, même si J. Biden venait à être élu, il y a de fortes probabilités que la situation en Iran ne s’améliore pas. Les Etats du Golfe resteront farouchement opposés à l’Iran et à l’idée de commercer avec Téhéran (excepté le Qatar) et l’arrivée au pouvoir des conservateurs n’aidera pas la République islamique à apparaître comme un partenaire de confiance sur les marchés asiatiques ou européens.

Enfin, le jeudi 22 octobre, les Etats-Unis ont annoncé des sanctions à l’encontre des Gardiens de la Révolution (principalement la Force Al-Qods) et des médias iraniens (dont le Bayan Rasaneh Gostar Institute) pour « tentative d’ingérence » dans les élections américaines.[10] John Ratcliffe, Directeur du renseignement national américain, a annoncé avoir des preuves que l’Iran et la Russie détenaient séparément des informations sur les électeurs américains et s’en étaient servi pour influencer les votants. Il a affirmé par exemple que des e-mails menaçants avaient été envoyés à des électeurs démocrates, signés par les Proud Boys[11], leur ordonnant de voter pour D. Trump. Téhéran a rapidement démenti toute implication.

Aujourd’hui le 3 Novembre se tiennent les élections présidentielles américaines, dans des conditions quelque peu particulières à cause de la Covid-19 et des votes par correspondance. Les résultats pourraient donc se faire attendre, laissant encore le Moyen-Orient, mais surtout l’Iran dans l’incertitude. Si une réélection de D. Trump ne présage rien de bon pour l’Iran, il n’est pas certain qu’une victoire démocrate change réellement la donne. Téhéran devrait au contraire plutôt se reposer sur ses alliés, certes disparates, pour tenter d’établir des liens économiques avec des pays moins réfractaires à son gouvernement. Les récents rapprochements avec la Chine pourraient également permettre à l’Iran de sortir progressivement de son isolement.  


[1] Yves-Michel Riols, « Accord historique sur le nucléaire iranien », Le Monde, le 14 juillet 2015

[3] Le Monde, « Donald Trump annonce le retrait des Etats-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien », Le Monde, le 8 mai 2018.

[4] M. L.W. et AFP, « Nucléaire iranien : Trump annonce le retrait des Etats-Unis de l’accord », Le Parisien, le 8 mai 2018.

[5] Ibid.

[6] AFP, « La présidentielle américaine ? A Téhéran, on ne parle que de ça », The Time of Israël, le 9 octobre 2020

[7] CET, « La République islamique d’Iran à l’épreuve de l’élection présidentielle américaine », The Conversation, 29 octobre 2020

[8] Ibid

[9] “There’s a smarter way to be tough on Iran” prononcé par Joe Biden

[10] AFP, « Washington annonce des sanctions après une « tentative d’ingérence » électorale iranienne », L’Orient le Jour, le 23 octobre 2020

[11] Groupuscule ultra-nationaliste américain

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