La tournée de Mike Pompeo au Moyen-Orient : dernier coup de Trump contre l’Iran ?

L’administration américaine ne cache pas sa volonté d’isoler l’Iran et de l’asphyxier économiquement. Les Etats-Unis s’apprêtent à durcir encore un peu plus les sanctions contre Téhéran et ses alliés syriens et libanais[1]. Depuis l’arrivée de Donald Trump à la Maison blanche en janvier 2017, plusieurs mesures coercitives ont été prises. Dans une logique « d’endiguement » des intérêts iraniens au Proche et au Moyen-Orient, Washington a multiplié les sanctions et a rendu officiel ce qui était officieux. En effet, le rapprochement de plusieurs pays arabes avec Israël était le souhait de Donald Trump lui-même. Une pacification de la région selon les intérêts américains et israéliens pousse automatiquement l’Iran et ses principaux alliés à redouter la prochaine tournée du secrétaire d’État des Etats-Unis, Mike Pompeo au Moyen-Orient.

Alors que Donald Trump a admis pour la première fois sa défaite à l’élection présidentielle, cette visite de Mike Pompeo dans la région semble être la dernière avant l’investiture du nouveau Président Joe Biden. Serait-elle le prélude à une nouvelle montée des tensions avec l’Iran ?

https://fr.timesofisrael.com/netanyahu-va-rencontrer-pompeo-au-portugal/

Les accords Abraham : une pierre deux coups pour les Etats-Unis

Le 13 août 2020 un accord prévisible, première partie des accords dits d’Abraham, a été convenu entre Israël et les Émirats arabes unis. Cet accord, annoncé par Donald Trump, est le premier accord de normalisation entre Israël et un pays arabe depuis plus de 25 ans, et le troisième au total – après l’Égypte en 1979 puis la Jordanie en 1994. Celui-ci, signé le 15 septembre 2020, concerne plusieurs domaines dont le tourisme, l’établissement des vols directs et la sécurité.[1] L’importance de cet accord par rapport aux précédents est que les Émirats sont le premier pays du Golfe persique à normaliser ses relations avec l’État hébreu, ce qui risque de modifier définitivement le théâtre géopolitique de la région, notamment quant au rôle et à la présence de l’Iran – le principal ennemi d’Israël – dans cette zone. Un accord similaire a été conclu entre Israël et Bahreïn à la même date. Cette normalisation se concrétise alors que les tensions entre l’Iran et les Etats-Unis, Israël et certains pays arabes – notamment l’Arabie Saoudite – sont à leur paroxysme. Depuis l’assassinat du général iranien Qassem Souleimani le 3 janvier 2020, Washington a accentué la pression sur l’Iran, faisant craindre une énième guerre par procuration entre les deux belligérants.

De plus, le 24 octobre dernier, le Président américain Donald Trump annonce un accord de normalisation entre le Soudan et Israël. Ainsi, cette série d’accords permet aux Etats-Unis de sanctuariser encore un peu plus leurs intérêts dans la région.

Les accords de normalisation et l’Iran

Si l’accord de normalisation entre le Soudan et Israël n’a pas de réel impact sur l’économie iranienne, les accords avec les Émirats arabes unis sont quant à eux, problématiques pour la sécurité et l’économie de l’Iran.

En réaction aux accords d’Abraham – appelés une « paix historique » par Donald Trump – l’Iran a fortement réagi dans un communiqué du ministère des affaires étrangères. Celui-ci déclare que « la République islamique d’Iran considère la manœuvre honteuse d’Abu Dhabi de normalisation des relations avec le régime sioniste illégitime et anti-humain comme une mesure dangereuse, met en garde contre toute interférence du régime sioniste dans la région du Golfe persique, et déclare que le gouvernement émirati ainsi que les autres gouvernements qui prennent son parti doivent accepter la responsabilité de toute conséquence de cette manœuvre. ».[2] De plus, le Guide suprême a déclaré que « les EAU ont trahi à la fois le monde de l’islam, les nations arabes, les pays de la région, mais aussi, et surtout la Palestine. C’est une trahison qui ne durera pas longtemps bien que la stigmatisation en accompagne toujours les Émirats. » et il espère que « les Émiratis se réveilleront le plus tôt possible et compenseront ce qu’ils viennent de commettre ».[3]

Il convient de noter les raisons pour lesquelles cet accord, conclu sous l’égide des États-Unis, est si important pour la région. D’abord, l’Iran réalise que, cette fois-ci, c’est Israël qui s’approche de ses frontières. Compte tenu que le Golfe persique et surtout le détroit d’Ormuz est l’un des endroits les plus stratégiques pour l’Iran, la présence d’Israël – le principal ennemi de l’Iran – risque d’accentuer la tension dans cette zone, ce qui pourrait affecter le commerce international, particulièrement le prix du pétrole. En outre, malgré les sanctions imposées par les États-Unis, les Émirats entretiennent des échanges commerciaux avec l’Iran, mais ces échanges ont connu des hauts et des bas ces dernières années. Pour preuve, les Émirats arabes unis sont le deuxième partenaire commercial le plus important de l’Iran, avec 15,8 % du total des échanges. Donc l’apparition de tensions, ou la mise en place de limitations pour le commerce iranien par leur gouvernement du fait de la présence d’Israël risque d’affaiblir l’économie de la République islamique. Au demeurant, à cause des sanctions américaines, l’économie de l’Iran est en chute libre, donc ce dernier n’est pas en mesure de dépenser des masses d’argent afin de maintenir sa présence dans la région. Téhéran risque fortement de diminuer son investissement en Irak et en Syrie afin de pouvoir protéger ce nouveau front.

Si les accords entre Israël et les pays arabes – déjà signés avec Bahreïn – continuent, comme l’a évoqué Donald Trump[4], l’Iran serait de plus en plus sous pression, principalement dans le domaine économique. L’affaiblissement de l’Iran aura des conséquences importantes sur l’« axe de la résistance » dont il est un membre fondateur et crucial. En d’autres termes, le rôle, la présence et l’efficacité de l’Iran diminueraient dans la région, tandis qu’Israël développera sa mainmise sur cette région stratégique.

Une visite symbolique ou capitale ?

Après avoir été reçu par le Président français Emmanuel Macron à l’Élysée, Mike Pompeo s’apprête à faire une tournée au Moyen-Orient, au cours de laquelle il se rendra en Turquie, en Georgie, en Israël, aux Émirats arabes unis, au Qatar et en Arabie Saoudite.

Beaucoup d’observateurs pensent que le secrétaire d’État des Etats-Unis veut accentuer la pression sur l’ennemi iranien, afin de compliquer la tâche des négociations pour la future administration de Joe Biden. Par cette tournée, Washington entend rassurer ses alliés historiques dans la région, notamment Israël. En effet, Mike Pompeo sera le premier secrétaire d’État américain à se rendre dans le Golan[2]. Ce territoire est annexé militairement pour les Israéliens depuis 1981 et n’est pas reconnu par la communauté internationale. Par cet acte symbolique fort, il veut également montrer à Damas que ce territoire est non-négociable. En effet, depuis plusieurs décennies, cette parcelle montagneuse a fait l’objet de nombreuses négociations pour arriver à la signature d’un accord de paix entre Israël et la Syrie.

La visite dans les pays du Golfe sera suivie de très près. À la suite des accords d’Abraham, Donald Trump avait stipulé que 5 prochains pays arabes suivront cette logique de normalisation avec l’État hébreu. Néanmoins, il est très peu envisageable que le Qatar, d’obédience frères musulmans, décide de normaliser ses relations avec Israël. Quant à L’Arabie saoudite, dont les liens avec Tel-Aviv sont de plus en plus officiels compte tenu de leurs intérêts communs dans la région, la question de la normalisation semble envisageable. Or, gardien des lieux saints de l’Islam, Riyad s’attirerait la critique du monde musulman.

Cette tournée orientale du secrétaire d’État américain préoccupe le Moyen-Orient quant à sa teneur et à son but recherché. Que compte faire Mike Pompeo lors de sa dernière visite diplomatique ? Il est fort à parier que l’administration Trump voudra entraver toute future négociation avec Téhéran pour la prochaine administration. Mais il est également peu certain que les Etats-Unis veuillent entreprendre une quelconque action militaire contre des sites nucléaires iraniens. Le choix des pays visités n’est pas anodin, il faut marquer les esprits et faire pression sur les ennemis de Washington. Une fois de plus, l’Iran et ses alliés (la Syrie et le Hezbollah) sont au cœur des discussions. L’axe Washington Tel-Aviv avec les principales monarchies du Golfe sanctuarisent leurs intérêts régionaux, ce qui pousse Téhéran à se méfier des probables intimidations des prochaines semaines.


[1] https://www.la-croix.com/Monde/Iran-Etats-Unis-preparent-nouvelles-sanctions-2020-11-13-1201124383

[2] https://www.lorientlejour.com/article/1241131/les-enjeux-de-la-tournee-de-mike-pompeo-en-europe-et-au-moyen-orient.html


[1] https://www.lemonde.fr/international/article/2020/08/13/israel-et-les-emirats-arabes-unis-annoncent-une-normalisation-de-leurs-relations-diplomatiques_6048887_3210.html

[2] https://en.mfa.gov.ir/portal/newsview/606638

[3] https://french.khamenei.ir/news/12372

[4] https://www.leparisien.fr/international/cinq-minutes-pour-comprendre-l-accord-historique-entre-israel-et-les-emirats-arabes-unis-14-08-2020-8367912.php

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