Les Houthis: une milice chiite yéménite au service de l’Iran ? (Partie 2/2)

L’histoire du Yémen est un imbroglio religieux et politique, résultat d’une succession de guerres et de colonisations menées par différentes puissances. Jamais réellement uni, le pays le plus pauvre du Moyen-Orient, subit au gré des périodes les influences des différentes mouvances salafistes, marxistes et chiites révolutionnaires… Les Chiites du pays, en proie à la marginalisation à l’instar des Chiites libanais dans les années 70, ont oeuvré à la renaissance de leur communauté zaydite à travers une révolution culturelle et une présence politique.

De mouvement intellectuel dans les années 80-90, il s’est transformé en une redoutable milice armée suite aux différents affrontements contre le pouvoir central à partir de 2004. De surcroît, l’intervention de la coalition arabe au Yémen depuis 2015, menée par l’Arabie saoudite, se révèle être un véritable bourbier économique et militaire. Le but initial était de saper rapidement l’influence iranienne dans ce pays limitrophe. Or, aujourd’hui en raison de la durée du conflit, des bombardements aléatoires de la coalition et du mutisme des dirigeants occidentaux, l’opinion internationale s’émeut et se scandalise face à cette guerre sous médiatisée.

Arabie saoudite- Iran : guerre par procuration au Yémen …

Au lendemain des affrontements en 2010, le pouvoir central est déliquescent. La contagion du « Printemps arabe » arrive au Yémen. De surcroît, la majeure partie de la population se soulève pacifiquement pour contester le manque de légitimité du gouvernement de Sanaa. C’est une aubaine pour les Houthis. Dans un premier temps, ils se greffent à ce mouvement fédérateur afin de s’intégrer sur l’échiquier politique national. Or, le projet de dialogue national pour une transition politique s’effectue sous l’égide des pays du Golfe, donc profondément opposé aux rebelles houthis. Dès lors, Ansar Allah ne reconnaît pas l’autorité du nouveau Président Abdrabbo Mansour Hadi. De son côté, l’ancien Président Saleh se rallie à ses anciens ennemis pour récupérer le pouvoir. En effet, les partisans de ce dernier fournissent aux Houthis de nombreux équipements militaires. Ceci permet dès 2014, au mouvement zaydite de sanctuariser ses acquis territoriaux tout en progressant rapidement vers la capitale Sanaa. Le mouvement devient peu à peu une puissance militaire capable de se déployer et de contrôler plusieurs régions stratégiques.

 En septembre 2014, les Houthis contrôlent plusieurs quartiers de la capitale. Le Président Hadi est contraint de fuir à Aden puis de se réfugier en Arabie saoudite. La situation est délétère. La mouvance terroriste (Al-Qaïda au Yémen ainsi que Daech) s’immisce durablement dans les affaires internes du pays. Elle diligente des attentas dans les mosquées zaydites pour se débarrasser de « ces chiites hérétiques ».

De plus, les évènements régionaux ont un impact sur la situation locale. L’accord sur le nucléaire iranien en juillet 2015 contrarie durement les desseins saoudiens. Pour eux, il faut impérativement lutter contre toute forme d’influence iranienne au Moyen-Orient, quitte à financer la nébuleuse djihadiste. C’est à partir de cette époque, qu’une coalition arabe regroupant 9 pays (Arabie saoudite, Bahreïn, Égypte, les Émirats Arabes Unis, Jordanie, Koweït, Maroc et Soudan) intervient militairement pour mettre fin à la rébellion houthis. Cette coalition reçoit l’aide matérielle et logistique non négligeable des Etats-Unis, de l’Angleterre, de la France et d’Israël. Les nombreux bombardements aléatoires sur les villages zaydites poussent de nombreuses tribus à rejoindre le mouvement houthis.

En raison de la durée des combats et de l’urgence de la situation humanitaire sur place, l’ancien Président Saleh se rapproche de l’Arabie saoudite pour tenter de négocier. Véritable pied de nez aux Houthis, il est assassiné en décembre 2017 lors d’un attentat, commis assurément par la rébellion zaydite.

À l’échelle régionale, les Houthis rejoignent « l’axe de la résistance » formé par l’Iran, les milices irakiennes chiites, l’armée syrienne de Bachar Al-Assad, le Hezbollah libanais et la résistance palestinienne. Les discours d’Abdul Malik Al-Houthi, leader du mouvement, corroborent cette analyse. L’idéologie anti-impérialiste iranienne s’enracine durablement dans les couches populaires zaydites. C’est dans une logique de chiisme politique révolutionnaire que l’Iran pérennise un réseau d’alliance hostile aux Etats-Unis, à Israël et à l’Arabie saoudite. De son côté, la coalition arabe, menée par Riyad, est engluée dans une guerre interminable qu’elle ne peut gagner. Les investissements massifs dans les armements européens contrastent avec le manque de résultat sur le terrain. Au contraire, ce sont mêmes les Houthis qui infligent de lourds dégâts à la coalition. C’est une défaite psychologique et militaire pour les principaux pays du Golfe.  Récemment, devant l’enlisement de la situation, ils ont été contraints d’envoyer une délégation pour négocier avec la rébellion.

Sur fond de rivalité irano-américaine

Grand allié de l’Arabie saoudite, Washington veut saper l’influence iranienne au Moyen-Orient, et cela passe par un soutien inconditionnel à l’offensive de Riyad contre les Houthis.  Néanmoins, cette guerre est plus longue et plus couteuse que prévue. La coalition arabe est embourbée au Yémen, les objectifs ne sont pas atteints, et pire encore, la rébellion yéménite inflige de nombreux dégâts aux troupes saoudiennes. Ansar Allah arrive même à bombarder des infrastructures pétrolières d’Aramco à Jeddah[1].

Plus l’Arabie saoudite s’enlise dans ce conflit, plus les Houthis sanctuarisent leurs acquis territoriaux. Ces derniers profitent des faiblesses de leurs ennemis régionaux pour avancer leurs pions. Perçus comme le bras armé de l’Iran, cette milice a pourtant une logique yéménite nationaliste. Compte tenu des ingérences extérieures et des nombreux bombardements, plusieurs tribus adhérent et soutiennent la résistance houthistes dans leur lutte pour la défense de la souveraineté nationale[2].

À l’échelle régionale, les récents accords entre les Émirats arabes unis et Israël confirment la rhétorique d’Ansar Allah comme quoi ils combattent « l’ennemi sioniste ». Washington a récemment déclaré son intention de placer la rébellion yéménite sur la liste des organisations terroristes[3]. Officieusement, c’est un moyen pour justifier la durée des combats et donc la vente d’armes à Abu Dhabi et à Riyad.

Aujourd’hui, force est de constater que la résistance Houthis est devenu un acteur incontournable de la scène régionale. En raison du mutisme des grands médias, ce mouvement est souvent assimilé au bras armé de l’Iran au Yémen, à l’instar du Hezbollah au Liban. Or, pour comprendre les desseins politiques de l’organisation, il faut se plonger dans l’histoire du zaydisme jusqu’à la révolution de 1962.

À la suite de la révolution iranienne en 1979, l’Iran parrainait cette communauté sous le prisme d’un éveil intellectuel et spirituel. Au gré des évènements et des tensions avec le pouvoir central, cette communauté s’est muée en une milice défendant son histoire et son identité pour l’intégrer sur l’échiquier national.

L’intervention de la coalition arabe déclenchée en 2015 est désastreuse. Elle a fait plus de 100 000 morts. La situation humanitaire est catastrophique. Cependant, les Houthis en sont les grands vainqueurs au détriment d’une coalition, menée par Riyad, de plus en plus critiquée par l’opinion internationale. En effet, Ansar Allah contrôle un quart du pays, et à peu près les deux tiers du « Yémen utile ». Les différents partis souhaitent dominer la zone du golfe d’Aden et le port d’Hodeidah, véritables zones stratégiques pour l’activité économique de la région. Or, l’issue du conflit semble incertaine tant les initiatives militaro-diplomatiques restent tributaires des exigences contradictoires des nombreux belligérants.

Le succès des Houthis résulte donc plus de l’incompétence de ses ennemis intérieurs et extérieurs que du prétendu et affirmé « soutien iranien ».

Bibliographie:

– Saoud El Mawla, « Le mouvement houthite au Yémen: d’une minorité politico-religieuse à une stratégie d’hégémonie », Maghreb-Machrek, 2018, p. 69-103

– François Frison-Roche, « Yémen: imbroglio politico-juridique, désastre humanitaire, impasse militaire », Institut français des relations internationales, 2017, p. 91-101

– Camille Verleuw, « Le chiisme paramilitaire », sécurité globale, 2017, p. 35-157


[1] https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20201124-arabie-saoudite-les-rebelles-houthis-revendiquent-l-attaque-d-une-installation-p%C3%A9troli%C3%A8re

[2] https://orientxxi.info/magazine/yemen-avec-de-tels-ennemis-les-houthistes-n-ont-pas-besoin-d-amis,4247

[3] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1751352/yemen-etats-unis-houthis-terroristes-donald-trump

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