L’Iran et le conflit syrien: réactivation d’un activisme politico-religieux

Le conflit syrien intervient dans une période où le discours révolutionnaire du régime iranien ne faisait plus écho auprès de l’opinion publique, que ce soit en Iran ou au Moyen-Orient. Ainsi, l’implication de Téhéran dans le conflit syrien permet la réactivation d’un activisme politico-religieux. En effet, la politique syrienne de l’Iran est sous la supervision des Gardiens de la Révolution et du Guide suprême.

Les Pasdarans sont présents en Syrie depuis le début du conflit où Téhéran justifiait leur présence dans le but de protéger les lieux saints chiites comme Sayyida Zaynab à Damas (Djalili, Kellner, 2018, p. 269) estimant que le régime syrien est incapable de protéger les lieux saints chiites (Luizard, 2017, p. 340). De ce fait, l’intervention des Pasdarans en Syrie s’inscrit dans la lutte contre Israël et les Occidentaux ainsi qu’au soutien au « front de la résistance » permettant de maintenir une pression constante sur ses rivaux (Israël notamment) depuis le territoire syrien.

Source : https://www.cassini-conseil.com/les-guerres-dans-le-monde-musulmans/

La Syrie : territoire stratégique du front de la résistance et de l’influence iranienne

En Syrie, les Pasdarans ont plusieurs objectifs allant de la protection des mausolées chiites, à la création et formation de milices paraétatiques. Ainsi, l’utilisation des milices par l’Iran a été importante dans la survie du régime de Bachar el-Assad. Cela a permis notamment de déléguer les opérations militaires de l’Iran, d’occuper le terrain après la conquête et de conserver une influence iranienne.

Cependant, l’utilisation de milices chiites par l’Iran a provoqué une sectarisation du conflit. Comme l’écrit le politologue Adam Baczko, « l’intervention du Hezbollah en 2013 au côté de supplétifs chiites de l’Iran renforça le caractère confessionnel du conflit syrien et provoqua une accélération de l’alignement des acteurs sur une base confessionnelle » (Baczko et alii, 2016, p. 193).

La sectarisation du conflit syrien permet aux Iraniens d’enrôler massivement des miliciens. En effet, les milices chiites combattantes pour l’Iran sont composées d’Afghans, d’Irakiens, de Pakistanais ou encore de Libanais. L’instrumentalisation du discours religieux permet d’enrôler massivement des milices chiites. D’après Clément Therme, « quand Téhéran mobilise des combattants chiites pakistanais ou afghans pour se battre en Syrie, cela se fait au nom de la défense d’une cause révolutionnaire et non de la défense de la nation iranienne » (2018, p. 79). Le conflit syrien a permis le relancement d’un activisme politico-religieux dans la vie politique iranienne.

Le soutien au Hezbollah, autre acteur majeur du « front de la résistance » demeure ainsi une priorité dans la politique syrienne de l’Iran. La Syrie est un territoire clé pour les Iraniens où l’ensemble du soutien militaire (notamment en armement) transite par l’aéroport de Damas avant d’être acheminé par camion au sud-Liban (Baczko et alii, 2016, p. 190), fief du Hezbollah.

Le Hezbollah, groupe faisant parti de l’axe de la résistance, est une organisation politico-militaire chiite vouée au Guide suprême Khamenei. C’est une pièce maîtresse de la politique étrangère de l’Iran, considérée comme sa plus grande réussite dans sa politique étrangère (Leroy, 2014, p. 109).

La perte de l’allié syrien provoquerait la perte du Hezbollah, scénario qui est envisageable pour les factions révolutionnaires du pouvoir iranien, d’autant que le Hezbollah fournit un soutien majeur au régime syrien en 2013 qui changera considérablement les rapports de force en leur faveur.

Vers un renforcement de l’arc chiite ?

La crise syrienne a permis le renforcement d’un arc chiite politico-militaire Téhéran-Bagdad-Damas-Beyrouth. Le terme d’arc chiite est apparu le 8 décembre 2004 dans le discours du roi Abdallah II de Jordanie, dans une période où un gouvernement chiite accède au pouvoir en Irak, désormais sous l’influence de l’Iran ou encore la chute des Talibans en Afghanistan.

Cet arc chiite se concrétise en 2006 avec la victoire du Hezbollah libanais sur l’armée israélienne lors de la guerre des 33 jours en juillet-août 2006. Comme l’écrit le géographe Bernard Hourcade, ce terme fait écho au sein du monde arabe soulignant « l’émergence sociale, culturelle et politique des chiites et de la nouvelle place géopolitique de l’Iran » (2016, p. 195). Cette analyse reste néanmoins discutable concernant les ambitions de l’impérialisme religieux contre le monde arabe et sunnite.

L’arc chiite traverse l’Iran, l’Irak, la Syrie et le Liban formant un axe Téhéran-Bagdad-Damas-Beyrouth. Ainsi, Téhéran a pu renforcer ses positions au Moyen-Orient grâce au conflit syrien en réaffirmant son soutien aux communautés chiites de la région. Cependant, la notion d’arc chiite, bien qu’il soit une réalité géopolitique, voire géostratégique (Thual, 2007, p. 108), est plus « une idée sunnite destinée à inviter les États arabes à resserrer leurs rangs face à l’Iran » comme le soulignent Mohammad-Reza Djalili et Thierry Kellner (2018, p. 273). L’intervention de l’Iran en Syrie permet un renforcement de l’archipel chiite mais certaines communautés chiites refusent d’être inféodées à l’Iran car elles rejettent l’autorité religieuse du Guide suprême Khamenei.

L’instrumentalisation de l’arc chiite est plus le fruit d’un discours cherchant à fédérer les État sunnites de la région contre l’Iran qu’une réalité concrète sur le terrain. Les chiites ne sont pas tous duodécimains (comme les Iraniens) et les acteurs locaux ont avant tout leurs propres intérêts qui ne convergent pas toujours avec ceux des Iraniens.

Entre volonté de stabilité régionale et capacité de nuisance

L’implication iranienne dans ce conflit syrien se fait dans des objectifs idéologiques. Par ces différentes actions, l’Iran renforce ses positions dans la région, tout en essayant d’affaiblir l’influence de ses rivaux. A l’heure actuelle, Téhéran est devenu un acteur incontournable de la crise syrienne à un moment où la révolution iranienne ne s’exportait plus (Hourcade, 2015). Cependant, même si certaines analyses mettent en avant les ambitions régionales de l’Iran, il semble exagérer d’affirmer qu’il ait une capacité d’hégémonie dans la région. La République islamique aurait plutôt une capacité de nuisance où elle est capable de s’attaquer aux intérêts de ses rivaux dans la région.

Ainsi, les Iraniens se perçoivent comme un rempart dans la lutte contre le terrorisme islamiste sunnite soutenu par l’Occident alors que les rivaux de Téhéran dénoncent une ambition d’hégémonie régionale. L’Iran ne peut donc avoir une hégémonie régionale mais applique des stratégies pour essayer de conserver son influence et ses intérêts dans la région, et ce, dans un contexte où l’influence iranienne est remise en cause dans certains pays comme l’ont démontré les manifestations de 2019 en Irak et au Liban. Un règlement du conflit syrien est nécessaire pour espérer une réinsertion de l’Iran sur la scène régionale et internationale.

Références

BACZKO A., DORONSORRO G., QUESNAY A., (2016), Syrie. Anatomie d’une guerre civile, Paris, CNRS Éditions, 416 p.

DJALILI M.-R., KELLNER T., (2018), L’Iran en 100 questions, Paris, Tallandier, 382 p.

HOURCADE B., (2015), « Les fondements de la politique iranienne en Syrie », Orient XXI, [en ligne]. URL : https://orientxxi.info/magazine/les-fondements-de-la-politique-iranienne-en-syrie,1042,1042

HOURCADE B., (2016), Géopolitique de l’Iran. Les défis d’une renaissance, Paris, Armand Colin, 336 p.

LEROY D., (2014), « L’« axe » de la résistance » dans le feu syrien : perspective du Hezbollah », Confluences Méditerranée, vol. 89, n° 2, pp. 105-118. URL : https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2014-2-page-105.htm?contenu=article

LUIZARD P.-J., (2017), Chiites et Sunnites. La grande discorde, Paris, Tallandier, 382 p.

THUAL F., (2007), « Le croissant chiite : slogan, mythe ou réalité ? », Hérodote, vol. 124, n° 1, pp. 107-117. URL : https://www.cairn.info/revue-herodote-2007-1-page-107.htm

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