Partie I : Les Croisades (1096-1291) : le choc des civilisations ?

Même si les Croisades datent du XIe siècle, elles demeurent un sujet de discordes et de controverses. Cette rencontre entre deux mondes, deux religions et deux cultures, ceux de l’Occident chrétien et de l’Orient musulman, continue d’attiser les passions et de susciter les craintes. Cette période constitue un bouleversement dans les consciences. En Orient, le souvenir des Croisades perpétue l’image d’un Occident agresseur. En Occident, ces expéditions guerrières répondent à une menace et sont justifiées et motivées officiellement pour la reconquête de Jérusalem et la protection des pèlerins.

Au Moyen-Orient, ce souvenir douloureux est actualisé au gré des interventions occidentales. On se souvient tous de Georges W. Bush  invoquant une croisade contre le terrorisme, au lendemain des attentas du 11 septembre 2001. Néanmoins, en dépit des actions militaires qui ont secoué le bassin oriental de la Méditerranée pendant deux siècles, cette période a vu naître des interactions culturelles et économiques.

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À la veille des Croisades :

À la veille des Croisades, le pourtour méditerranéen est divisé en 3 régions distinctes et subdivisées : l’Empire byzantin, l’Occident et le monde arabo-musulman.

L’Empire byzantin constitue la partie orientale de l’ancien Empire romain, déchu en 476. Depuis l’avènement de la nouvelle religion musulmane au VIIe siècle, l’Empire byzantin perd peu à peu les territoires orientaux. Affaibli, il se recentre sur l’Anatolie et la mer Égée. La défaite de Mantzikert en 1071, aux confins de la Turquie actuelle, parachève l’expansion des Turcs Seldjoukides en Orient et confirme le repli et l’affaiblissement des Byzantins[1]. De surcroît, la chrétienté ne forme pas un bloc homogène. En Orient, plusieurs églises répondent à une liturgie et une théologie différentes en s’interrogeant sur la nature divine. Or, la division est consumée avec l’Occident en 1054 suite au Grand schisme. Le contentieux sur la primauté du pape rompt l’unité de l’Église. Ainsi, deux groupes distincts s’opposent : les Orthodoxes d’Orient et les Catholiques d’Occident.

De son côté, l’Occident se compose d’une multitude de seigneuries et royaumes à superficie variable au gré des conquêtes. Après la chute de l’Empire romain en 476, les différents seigneurs se tissent des fiefs. Ils s’enorgueillissent tous d’être sous la protection de l’Église, qui incarne le pouvoir centralisateur et omnipotent de l’époque. À la veille des Croisades, la peur de l’An Mil s’empare de l’Occident. Il représente le millénaire de la mort du Christ (1033), censé punir le monde chrétien pour ses pêchés. Cette lecture exagérée fédère la chrétienté contre un potentiel ennemi commun.

Pour sa part, le monde arabo-musulman est en pleine expansion depuis l’avènement de la nouvelle religion. Après avoir conquis la péninsule arabique à la mort de Mahomet en 632, les troupes musulmanes s’emparent de la Syrie, de la Palestine et de l’Égypte. Jérusalem est conquise en 638. Ces conquêtes territoriales s’accompagnent généralement d’une islamisation des populations autochtones. Néanmoins, plusieurs minorités chrétiennes demeurent sur place. C’est le cas des maronites, des melkites, des syriaques, des chaldéens et des coptes. L’expansion territoriale est fulgurante. En l’espace d’un siècle, les musulmans sont aux portes de l’Occident chrétien à Poitiers en 732. Après l’apogée des premières dynasties Omeyades et Abbassides, le monde musulman est en proie à des divisions internes. À partir de 969, un califat fatimide, de confession chiite, voit le jour en Égypte et en Syrie. Ailleurs, les territoires sont morcelés en diverses entités politico-territoriales[2]. De plus, l’arrivée de populations nomades turcophones chamboule l’équilibre préétabli. Ces derniers embrassent le sunnisme et deviennent de redoutables adversaires de l’Empire byzantin. Ils forment la dynastie des Seldjoukides. Ainsi à la veille des croisades, une fracture très nette s’installe dans le monde musulman. Le pouvoir religieux est aux mains du Calife arabe de Bagdad, quant au pouvoir militaire, il est l’apanage du Sultan Seldjoukides.    

Les raisons officielles et officieuses des Croisades :

Pour justifier une telle entreprise, il est courant de citer l’appel à la Croisade du pape Urbain II en 1095 lors du concile de Clermont Ferrand. En analysant ce texte, on se rend compte que la partie dédiée à la lutte contre « l’infidèle » (le musulman) ne représente qu’une infime partie. En effet lors de ce concile, le pape met l’accent sur le respect du dogme, sur la conduite des prêtres et l’obligation du jeûne. Néanmoins, cet événement demeure le prétexte officiel et direct au début des Croisades[3].

Or, les raisons sont plus profondes. Depuis l’avènement de la nouvelle religion musulmane et sa fulgurante expansion vers l’Europe, l’Islam est un sujet de préoccupation pour l’Occident chrétien. Ce dernier entend défendre les frontières naturelles de la chrétienté. Les troupes musulmanes sont présentes en Corse, en Sicile, dans les Baléares et dans la péninsule ibérique où ils commettent plusieurs razzias[4]. De surcroît, l’empereur byzantin Alexis Comnène alerte l’Occident sur les dangers des troupes turques et arabes. En effet, depuis la défaite de Mantzikert en 1071, les pèlerins chrétiens ne peuvent plus se rendre dans la ville sainte de Jérusalem. Il informe également l’Occident sur le pillage et la destruction de l’Église du Saint-Sépulcre en 1009 par le calife fatimide Al-Hakim[5].

Face à cette menace existentielle, le pape Urbain II promet à ceux qui porteront la croix et qui participeront à ce pèlerinage armé l’absolution de leurs pêchés. La raison première invoquée est sans nul doute le recouvrement des droits pour le pèlerinage à Jérusalem. Or, la défense de la ville Sainte sert également de prétexte à une entreprise plus large, celle de lutter et de stopper l’expansion musulmane. De ce fait, prédicateurs et prêtres prêchent la guerre sainte dans les villages européens pour grossir les armées.

Cette notion de « croisade » n’est connue qu’à partir du XIIIe siècle. À l’époque, on parle de « voyage à Jérusalem » ou de « pèlerinage » en reprenant une sémantique guerrière et de conquête contre un ennemi (l’infidèle). À cheval et surtout à pied, l’aventure s’avère périlleuse. Par amateurisme et par excès de zèle, bon nombre de croisés perd la vie sur le chemin de l’Orient.

La création des États latins d’Orient :

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Très vite, l’annonce d’un pèlerinage en terre Sainte prend de l’ampleur en Occident. De nombreuses familles pauvres délaissent leurs conditions miséreuses et espèrent un avenir meilleur en Orient. Guidée par le prédicateur Pierre l’Ermite, la croisade des pauvres commet des massacres sur les populations juives en Europe centrale. Une fois arrivée en Anatolie, ils sont massacrés par les troupes turques[6].

La première croisade débute réellement en 1096 avec la participation de barons et chevaliers de renoms, à l’instar de Godefroy de Bouillon, de Baudoin de Boulogne ou encore de Raymond de Saint Gilles. Ils font une halte à Constantinople auprès de l’empereur byzantin, en lui promettant que les futurs territoires conquis seront sous son autorité. La croisade se transforme en une réelle entreprise de conquête. Une fois sur place, ils ne tiennent pas compte des accords passés avec l’empereur. En effet, ils se créent des États indépendants en Orient. Le comté d’Édesse est administré par Baudoin de Boulogne et la principauté d’Antioche est fondée par Bohémond de Tarente[7].

La ville de Jérusalem tombe aux mains des croisés le 15 juillet 1099. Selon les chroniqueurs de l’époque, les chevaliers chrétiens s’adonnent à des massacres, ne faisant aucune distinction entre les chrétiens orientaux et les musulmans. Godefroy de Bouillon s’empare du royaume de Jérusalem. Le dernier État latin à être fondé est le comté de Tripoli sur la côte libanaise. Aidé par des chrétiens maronites, Raymond de Saint Gilles érige une citadelle au cœur de la ville.

Ce faisant, la première croisade est une réussite politique et territoriale pour les croisés. En repoussant les musulmans dans les terres, ils se sont accaparés une bande littorale allant de l’Anatolie à Gaza. La survie de ces micros États dépend de l’aide matérielle et humaine envoyée par l’Occident. Ainsi plusieurs générations naissent en Orient, ils s’imprègnent de la culture locale, on les nomme les « Poulains ». Par méconnaissance de la région et de la culture, les nouveaux arrivants commettent plusieurs exactions qui dissuadent la majorité de leurs coreligionnaires orientaux de les rejoindre.

De leur côté, les troupes musulmanes, surprises par la première croisade, se sentent humiliées par un ennemi extérieur[8]. Depuis l’avènement de l’Islam, les musulmans n’avaient pas connu semblable défaite sur leur terre. C’est ainsi que la notion de Djihad refait surface. En opposition aux croisades, une lutte armée contre l’infidèle (le chrétien) est prônée. Conséquemment, deux mondes ultra-confessionnalisés se font face. L’un et l’autre se considèrent et se perçoivent comme des ennemis naturels. La période des croisades voit naître et se consolider des antagonismes politiques, territoriaux et religieux.


[1] Vincent Déroche, Vincent Puech, « Le monde byzantin 750-1204 », Atlande, 2007

[2] https://www.cairn.info/croisades-et-orient-latin–9782200264987-page-171.htm

[3] https://www.persee.fr/doc/efr_0223-5099_1997_act_236_1_6047

[4] https://www.persee.fr/doc/efr_0223-5099_1997_act_236_1_6067

[5] https://www.lesclesdumoyenorient.com/Les-Croisades-1096-1291-le-choc-de-la-rencontre-entre-deux-mondes-1-3.html

[6] https://www.persee.fr/doc/efr_0223-5099_1997_act_236_1_6067

[7] https://www.lesclesdumoyenorient.com/Les-Croisades-1096-1291-le-choc-de-la-rencontre-entre-deux-mondes-2-3.html

[8] Amin Maalouf, « Les croisades vues par les Arabes », J’ai lu, 1983

Il y a 20 ans, l’armée israélienne abdiquait au Sud-Liban

Au lendemain de la création de l’État d’Israël en 1948, le Liban participe brièvement avec les armées jordaniennes, égyptiennes, syriennes et irakiennes à la première guerre israélo-arabe. Conscientes des risques d’une guerre face à l’État hébreu, les autorités libanaises se risquent à une posture d’équilibriste. Prenant ses distances avec les milieux panarabes, Beyrouth obtient les bonnes grâces de Washington pour ses réformes libérales.

Or compte tenu de la conjoncture, le pays du Cèdre se retrouve soumis aux soubresauts de l’Histoire régionale dans la décennie 70. L’arrivée des réfugiés palestiniens et les desseins de l’administration israélienne font du Liban le théâtre d’une confrontation aux multiples facettes. Dans sa politique jusqu’au-boutiste, Tel-Aviv lorgne sur le territoire libanais au point d’intervenir à maintes reprises. En raison d’une farouche opposition, l’armée de Tsahal s’enlise au Sud-Liban.

Retour sur les 3 décennies d’intervention israélienne au Liban.

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Les raisons de l’occupation israélienne

Suite à la première défaite arabe de 1948, 150 000 palestiniens s’installent au Sud-Liban[1]. Ils sont accueillis par des populations majoritairement chiites, politiquement proches des milieux nassériens et panarabes. Au fur et à mesure des débâcles arabes, l’exode palestinien se poursuit et s’accélère vers les pays frontaliers. Cette zone devient peu à peu le terreau des mouvements pro-palestiniens. Plusieurs milices se forment dans les années 60. De surcroît, selon les accords du Caire de 1969, les groupes armés palestiniens peuvent mener des opérations contre Israël depuis le Sud-Liban. C’est à cette époque que le Liban devient l’épicentre des tensions israélo-palestiniennes. 

Or, cette présence étrangère ébranle la cohésion nationale. L’armée libanaise s’oppose tant bien que mal aux différents groupes palestiniens. De son côté, Israël fait pression sur les autorités libanaises afin qu’elles mettent fin aux actions de ces milices. Ainsi, l’aviation israélienne commence à pilonner méthodiquement les infrastructures du Liban pour accentuer la coercition. Au sein même de la société libanaise, la division se consomme, entre d’une part les partisans et sympathisants des milices palestiniennes et d’autre part certains groupes chrétiens, farouches adeptes de l’indépendance du Liban[2].

Peu à peu, le pays du Cèdre sombre dans une guerre inévitable en 1975 entre factions opposées, où les puissances étrangères soufflent consciencieusement sur les braises[3]. Après plusieurs assassinats ciblés et plusieurs frappes aériennes, l’armée israélienne intervient une première fois en 1978 (Opération Litani) pour mater les groupes pro-palestiniens à la frontière. En effet, la cause palestinienne s’enracine dans les esprits et les consciences des habitants du Sud qui apportent une aide non négligeable aux Fedayins (combattants palestiniens). De ce fait, Israël va s’appuyer massivement sur l’Armée du Sud Liban (ASL), fondée en 1976, pour stopper les salves palestiniennes. En effet, constituée en majeure partie de Chrétiens du Sud du pays, cette armée suit les directives de Tel-Aviv.

L’adoption de la résolution 425 du Conseil de sécurité des Nations unies, stipule l’envoi de la FINUL en 1978 pour sécuriser le Sud Liban, en créant une zone démilitarisée. Malgré ce dispositif international, les tensions s’accentuent.

De l’occupation à l’enlisement

La lutte contre les milices palestiniennes sert de prétexte direct et officiel à l’armée israélienne pour intervenir au Liban. Or, cette opération militaire est dictée par des impératifs d’ordre territorial, hydraulique mais également politique. En 1982, Oded Yinon un journaliste et fonctionnaire israélien écrit un article intitulé « Une stratégie pour Israël dans les années 80 »[4]. Il y théorise la volonté israélienne de dislocation du tissu social des pays voisins, notamment l’Irak, la Syrie et le Liban. Ainsi, par l’entremise de groupes opposés, Israël doit promouvoir la division au sein de ces États. S’agissant du Liban, les autorités israéliennes tissent des liens avec des partis chrétiens et attisent les tensions communautaires. De plus, Israël ne cache guère sa volonté d’occuper le fleuve Litani au Liban. Contrairement à l’État hébreu, le Liban est pourvu d’importantes ressources hydrauliques. À cette époque, la stratégie israélienne réside également sur l’occupation d’une zone stratégique afin de négocier la paix (Cf le Golan syrien et le Sinaï égyptien).

Suite à une tentative d’assassinat de l’ambassadeur israélien à Londres, l’armée israélienne lance le 6 juin 1982 l’opération Paix en Galilée. Celle-ci a pour butde museler l’appareil militaire des groupes palestiniens de Yasser Arafat, présents au Sud-Liban et à Beyrouth. Cette intervention militaire est également conditionnée par un impératif géopolitique, celui de contrecarrer l’influence syrienne au Liban. En quelques semaines, les troupes israéliennes sont à Beyrouth. Acculés, les miliciens de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) sont obligés de fuir vers Tunis. C’est une réelle démonstration de force de la part de Tsahal. De surcroît, le gouvernement israélien noue des liens avec les Forces libanaises de Bachir Gemayel en vue d’un futur accord de paix entre les deux pays. Finalement, une fois nommé Président de la République libanaise, Bachir Gemayel est probablement assassiné pour son positionnement pro-israélien. En représailles, les Forces libanaises se livrent à un massacre de masse dans le camp palestinien de Sabra et Chatilla en septembre 1982, avec la complicité de l’armée israélienne.

En réponse à cette intervention illégale, la communauté chiite du Sud du pays se structure et commence à s’imposer sur l’échiquier politico-militaire libanais. En effet, suite à l’occupation partielle du Liban par les forces israéliennes, une partie de la population décide de prendre les armes et de former une résistance locale. Avec l’aide de l’Iran, les habitants du Sud du pays et de la Bekaa s’organisent et reçoivent du matériel militaire. C’est en 1982, suite à l’occupation israélienne du Sud-Liban que le puissant parti chiite Hezbollah voit le jour. Israël venait de « créer » son prochain ennemi pour les prochaines décennies[5].   

Le Hezbollah harcèle méthodiquement les troupes israéliennes et l’ASL, en se livrant à une véritable guérilla. L’affrontement et la désobéissance sont permanents tant l’occupation est perçue comme une opprobre par les habitants de la région. Le Hezbollah gagne peu à peu ses lettres de noblesse pour sa résistance face à Tsahal. La popularité du mouvement chiite est consubstantielle avec l’enlisement israélien. Au Moyen-Orient, le Hezbollah devient la première armée à véritablement mettre en échec la première puissance militaire de la région.

Les conséquences d’un retrait programmé

Dès 1985, l’armée israélienne entame un relatif retrait de ses forces du Liban. Malgré la fin de la guerre civile en 1990, Tel-Aviv reste secondée par l’ASL pour quadriller une zone tampon à la frontière. Le Hezbollah, quant à lui, multiplie les actions militaires pour repousser l’ennemi hors des frontières du Liban. Dans une logique souveraine, le mouvement chiite participe à la refonte de l’État libanais post guerre civile[6]. Face à l’harcèlement constant du Hezbollah, l’armée du Sud Liban perd du terrain.

Suite à des tirs de roquettes à la frontière, Israël lance une énième opération contre la milice libanaise en 1996. Intitulée Raisins de la Colère, cette intervention se solde par plusieurs bombardements, notamment ceux d’un camp de réfugiés de l’ONU à Cana au Liban. Devant l’impossibilité de contenir et de désarmer le Hezbollah et face aux pressions internationales, Israël n’atteint pas ses objectifs.

Les troupes israéliennes annoncent officiellement le retrait de leurs forces du Sud-Liban le 25 mai 2000. Affaiblie et isolée, l’ASL s’effondre. Le 25 mai 2000 est la date de libération du Sud-Liban. C’est également un jour férié et fêté dans l’ensemble du pays. Néanmoins, l’armée israélienne occupe toujours illégalement les fermes de Chebaa et ce, malgré la résolution 425 de l’ONU.

De 1978 à 2000, l’armée israélienne a occupé illégalement une partie du Liban. En 22 ans, elle a atteint le fleuve Litani, a chassé les miliciens de l’OLP, s’est alliée à une frange de la communauté chrétienne, mais a surtout contribué à l’émergence du Hezbollah. Engluée dans des difficultés, l’armée israélienne est contrainte d’abandonner ses visées sur le territoire libanais. Elle laisse derrière elle un pays meurtri par plusieurs années d’occupation, des villages rasés, des milliers de victimes civils et militaires ainsi que d’innombrables dégâts matériels.


[1] Xavier Baron, « Histoire du Liban », Tallendier, 2017

[2] Nadine Picaudou « La déchirure libanaise », Editions Complexe, 1992

[3] Hervé Amiot « La guerre du Liban (1975-1990) : entre fragmentation interne et interventions extérieures », Les clés du Moyen-Orient, 2013/ www.clesdumoyentorient.com

[4] https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2007-2-page-149.htm

[5] Dominique Avon et Anaïs-Trissa Khatchadourian, « Le Hezbollah : de la doctrine à l’action », Seuil, 2010

[6] Sabrina Mervin « Le Hezbollah, état des lieux », Sindbad, 2008

La grande révolte arabe de 1936-1939 : naissance du nationalisme palestinien

Au lendemain de la première guerre mondiale, la Grande-Bretagne et la France participent activement à la refonte du Moyen-Orient selon leurs propres intérêts. Officiellement maître de la Palestine mandataire en 1922, Londres opte pour une politique sioniste au détriment de la population locale. Après avoir promis « un Foyer national juif » en 1917 lors de la déclaration Balfour, le gouvernement britannique fait face à une colère populaire. Exploités et humiliés, les Arabes font de la Palestine le cœur de même de l’arabité. Face à l’érosion de leurs droits et aux confiscations de leurs terres, émerge un sentiment d’identité et de nationalité palestinienne, prélude d’une longue et surprenante histoire de la résistance.

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Les prémices d’un soulèvement

Au lendemain de la déclaration Balfour en 1917, encourageant l’émigration juive, les contestations des Palestiniens se font de plus en plus vives. En effet, cette déclaration unilatérale légifère sur la création d’un foyer national juif en Palestine. Des émeutes éclatent partiellement en 1920, 1921 et 1929 pour réclamer la fin du mandat britannique, et surtout s’opposer farouchement au projet sioniste.

La Palestine devient progressivement le cœur battant de l’arabité face au sionisme[1]. Les deux idéologies s’opposent par l’entremise de factions armées. Des organisations paramilitaires se forment. Lors des nombreux troubles de la décennie 1920, plusieurs attaques sont commises de part et d’autre. La Couronne britannique favorise logiquement le projet sioniste, alors que les Palestiniens reçoivent l’appui moral, financier et militaire des Arabes du Proche-Orient [2].

L’arrivée d’Adolf Hitler à la tête de l’Allemagne en 1933 accentue la crise en Palestine. En effet, en raison de l’idéologie nazie, plus de 135 000 juifs émigrent en Palestine à cette période[3]. Incapables de se structurer politiquement face à une menace commune, cet afflux massif de personnes et de capitaux renforce l’inquiétude palestinienne. En proie à des divisions claniques et mouvements rivaux, les Palestiniens sont désunis. Entre les partisans d’une entente avec les Britanniques et les nationalistes adeptes d’une lutte totale, les leaders palestiniens peinent à fédérer.

Face aux connivences avérées anglo-sionistes et à la volonté du nationaliste sioniste David Ben Gourion de fonder un futur État juif en Palestine, certains nationalistes palestiniens n’hésitent pas à se rapprocher de l’Allemagne nazie. Cette initiative répond à un impératif de survie. En tant qu’ennemi de Londres, Berlin fait office d’allié de circonstance pour certains Arabes. L’affrontement semble inévitable et ce, en dépit des nombreux efforts britanniques pour trouver une solution pacifique.

En 1935, Izz al-Din al-Qassam, prédicateur musulman d’origine syrienne, affronte avec ses partisans les opposants sionistes et britanniques. Il meurt lors d’une bataille contre l’armée anglaise le 20 novembre 1935[4]. Son action politico-militaire fait de lui l’un des pères fondateurs du nationalisme palestinien. Il sera considéré comme le premier martyr de la cause palestinienne. En prônant le djihad contre l’occupant, Izz al-Din al-Qassam éveille une prise de conscience populaire, quant à la possibilité d’une lutte armée pour soutenir les revendications politiques.

De la grève à la révolte

Les troupes britanniques s’évertuent à rétablir l’ordre en Palestine mandataire. Les autochtones palestiniens sont de plus en plus virulents et exigent qu’on respecte leurs droits. Dans ce contexte houleux et vindicatif, 2 juifs sont assassinés par des extrémistes arabes le 15 avril 1936. En représailles, un groupe sioniste ôte la vie à deux Arabes, et 9 Juifs sont tués à Jaffa. Acculés, les Anglais décrètent immédiatement l’état d’urgence et imposent un couvre-feu.

Sous la houlette du mufti de Jérusalem Amin al-Husseini, également chef du haut comité arabe (Al-Hay’a al-Arabîya al-Ulya) formé le 12 avril 1936, la Palestine entre en grève générale contre l’occupant. Les produits anglais et sionistes sont boycottés. Les Palestiniens refusent de payer l’impôt. Divers pans de la société sont paralysés (ports, écoles, justice…) et les entreprises palestiniennes sont fermées. Par l’entremise de ces actions politico-sociales[5], les chefs palestiniens espèrent arracher des concessions à l’Empire britannique en s’attaquant méthodiquement à leurs sources de revenus. S’ensuivent des attaques menées par des insurgés arabes, partisans d’Al-Qassam. Ils sabotent les chemins de fer ou le pipeline reliant Kirkouk à Haïfa[6]. Face à l’étendue de cette grève généralisée et la montée de la violence, les Anglais envoient une commission pour étudier les revendications palestiniennes.

La commission Peel constate que Juifs et Arabes ne peuvent vivre au sein d’un même État. Elle décide par l’intermédiaire de lord Peel de découper la Palestine en deux États bien distincts : la Galilée et l’ensemble du littoral formeraient un État juif et le reste du territoire jusqu’à la Transjordanie (actuel Jordanie) constituerait un État arabe. Les sionistes, dirigés par David Ben Gourion, sont favorables à ce plan. Les Arabes le rejettent catégoriquement et préconisent la création d’un État indépendant qui garantirait les droits fondamentaux des minorités juives. Devant l’échec des négociations, la contestation reprend et s’intensifie. Le commandant Andrew, gouverneur anglais chargé de la Galilée, est assassiné. La communauté druze, historiquement proche des Anglais, est également prise pour cible.

La Palestine devient de facto un véritable bourbier pour les troupes anglaises. La Grande-Bretagne décide d’accentuer sa répression sélective et s’attaque aux chefs nationalistes et aux notables arabes. Au summum de la crise, Londres envoie jusqu’à 20 000 hommes supplémentaires pour mater la révolte. Amin al-Husseini est obligé de s’exiler à Beyrouth où il prend contact avec des dirigeants nazis. Le bilan de cette grande révolte arabe de 1936-1939 en Palestine mandataire est élevé. 5 000 Arabes, 200 Britanniques et 500 Juifs sont morts et près de 9 000 Arabes sont emprisonnés.

Les conséquences à court terme

Compte tenu de la colère arabe et de l’incapacité britannique à administrer la Palestine, les Anglais promulguent un troisième Livre blanc en 1939. L’immigration juive doit être freinée. La vente des terres arabes aux Juifs est limitée et réglementée. Ce Livre blanc  dispense également aux Arabes palestiniens des concessions politiques avec la promesse d’indépendance dans les 10 ans.

Cette période de tensions communautaires a vu s’enraciner dans le paysage politico-militaire de la Palestine des groupes paramilitaires. L’organisation sioniste Haganah (qui signifie défense en hébreu) bien entraînée, a excellé contre les groupes palestiniens, plus brouillons et plus anarchiques dans leurs méthodes. Ce groupuscule sert de supplétif à l’armée britannique. De surcroît, le groupe armé nationaliste Irgoun prend de l’ampleur avec la contestation arabe de 1936. Cette organisation militaire s’impose également comme une puissante force politique, prônant un sionisme révisionniste[7]. Elle est partisane d’un État juif sur les deux rives du Jourdain, faisant fi des revendications palestiniennes.

Quant aux Palestiniens, bien que désorganisés et divisés sur le plan militaire et politique, ils embrassent majoritairement le nationalisme et préconisent la lutte contre l’occupant. Malgré la défaite, cette grande révolte jette les bases d’une organisation politique patriotique, soutenue par l’ensemble de la région. De ce fait, Arabes et Juifs campent sur des positions diamétralement opposées où le compromis semble inenvisageable. D’un côté comme de l’autre, les revendications se durcissent. Les autorités britanniques sont dépassées par les évènements.

Dans ce jeu de billard à trois bandes, les Anglais ont le rôle d’arbitre. Conciliants et bienveillants à l’égard des Juifs, ils indisposent les Arabes. La politique coloniale britannique et le pari sioniste plongent la région dans un cycle de tensions communautaires et territoriales. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, les Palestiniens doivent une fois de plus céder une partie de leurs droits pour des crimes qu’ils n’ont pas commis.


[1] https://www.persee.fr/doc/raipr_0033-9075_2012_num_182_1_4393

[2] https://www.aljazeera.com/archive/2003/12/2008410112850675832.html

[3] https://www.persee.fr/doc/geo_0003-4010_1954_num_63_335_14349

[4] https://www.lesclesdumoyenorient.com/Revolte-arabe-de-1936-1938.html

[5] https://www.monde-diplomatique.fr/1985/01/SANBAR/38384

[6] Ilan Pappe, « Une terre pour deux peuples, Histoire de la Palestine », Fayard, 2004

[7] James Barr, « Une ligne dans le sable », Perrin, 2017

La déclaration Balfour de 1917 : prélude à la création de l’État d’Israël

Parallèlement au dépècement méthodique des provinces arabes de l’Empire ottoman par les puissances coloniales anglaises et françaises, Londres « envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un Foyer national juif » pour satisfaire les desseins de l’idéologie sioniste. Cet événement marquant du 2 novembre 1917 est connu sous le nom de « Déclaration Balfour », du nom du ministre anglais des Affaires étrangères de l’époque. Or, cette déclaration totalement en contradiction avec ses engagements initiaux assène un coup fatal aux aspirations arabes du Proche et Moyen-Orient. En effet, après les accords secrets de Sykes-Picot en mai 1916 et la fausse promesse d’indépendance suite à la Grande révolte arabe de 1916-1918, la politique coloniale britannique plonge la région dans les soubresauts de l’histoire, dont les conséquences sont encore visibles…

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L’émergence du mouvement sioniste

La notion de sionisme date de la fin du XIXe siècle. La lente et difficile intégration des populations juives dans les pays européens poussent certains penseurs juifs à théoriser un concept sur la nation juive. De surcroît, en raison de la montée des théories antisémites en Europe de l’Est, notamment dans la Russie tsariste et les répressions violentes au sein des pogroms de la fin du XIXe, des Juifs veulent s’émanciper et favoriser le renouveau de l’identité juive. Dès lors, certains prônent déjà l’émigration des juifs en Palestine. Or à cette époque, le sionisme ne s’enracine pas dans les esprits et les consciences de la majorité. C’est un courant radicalement opposé à leurs identités européennes et aux préceptes du judaïsme.

L’attachement de la communauté juive à la Palestine n’est pas nouveau. Il s’explique par le fait que les juifs habitaient en Terre Sainte avant d’être chassés par les Romains en 135 après J-C[1]. De plus, le mot sionisme fait référence à Sion, une colline de Jérusalem. Les références à Sion sont nombreuses dans la liturgie et dans les prières juives. Néanmoins, les Juifs pratiquants attendent la venue du Messie pour retourner en Terre Promise.

Il faut attendre les écrits du journaliste juif d’origine hongroise Théodor Herzl afin que le sionisme s’inscrive dans la durée. Il conceptualise le sionisme politique à une époque où l’antisémitisme fait rage en Europe. Dans le contexte de l’affaire Dreyfus en France et face à l’impossibilité de l’assimilation des populations juives, Théodor Herzl écrit en 1896 « Der Judenstaat » (l’État des juifs). L’année suivante, il préside l’Organisation sioniste mondiale. Cependant, il hésite sur le lieu de ce futur foyer national juif. Initialement, il envisage l’Ouganda ou l’Argentine avant de se focaliser sur la Palestine.

Théodor Herzl se rapproche  des puissances financières juives (notamment la famille Rothschild), pour asseoir et donner du poids à son projet. Dès le début du XXe siècle, les riches financiers juifs achètent des terres en Palestine pour l’établissement des futurs colons (les Kibboutz). De ce fait, les idées de Herzl se diffusent rapidement en Europe et outre-Atlantique.

En 1882, 20 000 juifs[2] sont présents en Palestine. Ils ne représentent que 3% de la population qui compte 600 000 musulmans et chrétiens. Avec l’émergence du sionisme, l’émigration juive en Palestine se déroule en plusieurs étapes. Lente au départ, en raison de la méfiance de l’Empire ottoman et des réticences des Juifs européens, elle s’accélère et devient exponentielle avec la déclaration Balfour de 1917.

Les dessous de la déclaration Balfour

Durant la première guerre mondiale, la Grande-Bretagne participe activement à la refonte du Moyen-Orient selon ses propres intérêts. Après les accords secrets de Sykes-Picot en 1916 et la fausse promesse d’indépendance faite aux Arabes, Londres voit dans le mouvement sioniste une opportunité à saisir. En mauvaise posture sur le front européen et oriental, les Britanniques cherchent à canaliser les aspirations sionistes pour s’assurer un soutien de poids au Proche-Orient contre l’Empire ottoman. En effet, la Grande-Bretagne entend sanctuariser le Canal de Suez pour son commerce vers les Indes en sécurisant l’Égypte et la Palestine[3].

Bien que touchant simplement une minorité, le mouvement sioniste est soutenu par d’influentes personnalités juives en Europe et en Amérique. En défendant les revendications sionistes, Londres s’assure un soutien économique. Les motivations anglaises sont donc d’ordre commercial, financier et territorial. Dès lors, les contacts entre le gouvernement anglais et les différentes organisations du mouvement s’intensifient. Arthur Balfour, ministre des Affaires étrangères britannique, rencontre Lord Rothschild et Chaïm Weizman, vice-président de la fédération sioniste de Grande-Bretagne. Leurs négociations doivent aboutir à un accord, indiquant que le gouvernement britannique est favorable à la création en Palestine « d’un Foyer national juif ».

Après cinq versions, Arthur Balfour publie le 2 novembre 1917 une lettre à Lord Rothschild[4] :

« Le Gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un Foyer national pour les Juifs et fera tout ce qui est en son pouvoir pour faciliter la réalisation de cet objectif, étant clairement entendu que rien ne sera fait qui puisse porter atteinte soit aux droits civiques et religieux des collectivités non juives existant en Palestine, soit aux droits et au statut politique dont les Juifs disposent dans tout autre pays. »

Les mots de cette déclaration sont choisis avec minutie. Arthur Balfour emploie le terme de « Foyer » et non d’État, pour « rassurer » les populations autochtones sur les desseins sionistes. Néanmoins, les Arabes ne sont pas véritablement nommées, il les désigne par « les communautés non juives ». En une lettre, le cours de l’Histoire régionale se trouve bouleversé et plongé dans un cycle infernal de tensions communautaires et territoriales, dont l’Empire britannique en est le principal coupable et responsable.

Les conséquences régionales…

Cette déclaration est rendue publique le 9 novembre 1917. Les Arabes syriens et égyptiens, toutes confessions confondues s’opposent farouchement au futur établissement d’un foyer national juif en Palestine. Cette déclaration coloniale sonne le glas d’une nation arabe unifiée. Le rêve d’indépendance est brisé. En l’espace de deux ans, les Arabes passent d’une tutelle ottomane à une tutelle européenne. De surcroît, impuissants et humiliés, ils assistent à l’arrivée d’une population étrangère sur leur terre.

Les nations européennes emboitent le pas et s’alignent sur les positions britanniques. De fait, c’est une victoire pour le mouvement sioniste qui s’internationalise et obtient une garantie juridique. Dès lors, s’ensuit une période de confrontation idéologique entre deux courants diamétralement opposés, le sionisme contre le nationalisme arabe.

Dès 1914, l’écrivain palestinien chrétien Khalil Sakakini écrit sur le danger que représente le sionisme pour les habitants de la région : « les sionistes veulent mettre la main sur la Palestine (…) Ils entendent briser ce maillon et diviser la nation arabe afin d’empêcher son unité et sa cohésion (…) Si vous voulez mettre un peuple à mort, coupez-lui la langue, saisissez ses terres, c’est précisément ce que veulent faire les sionistes avec nous »[5].

La Palestine est officiellement sous mandat britannique suite à la conférence de San Remo en 1920. Désabusés et une fois de plus lésés, les Arabes cachent difficilement leurs inquiétudes vis à vis du projet sioniste[6]. La déclaration Balfour de 1917 reste l’un des documents diplomatiques les plus importants du XXe  siècle. Elle entérine et légifère sur la présence juive en Palestine, ouvrant la voie à la future création de l’État d’Israël en 1948. Ce document dégradant est la source d’un conflit aux multiples facettes qui se prolonge à ce jour, avec le démembrement progressif et inique de ce qu’était la Palestine.

En tant qu’instigatrice de cette déclaration, la Grande-Bretagne bafoue le droit des Palestiniens à disposer d’eux-mêmes. Comme le dit à juste titre Arthur Koestler, journaliste juif d’origine hongroise : « Une nation (la Grande Bretagne) a solennellement promis à une seconde (le peuple juif) le territoire d’une troisième (le peuple palestinien). »


[1] https://www.lesclesdumoyenorient.com/Sionisme-et-creation-de-l-Etat-d.html

[2] https://www.persee.fr/doc/geo_0003-4010_1954_num_63_335_14349

[3] https://blogs.mediapart.fr/mongi-benali/blog/301217/une-nation-solennellement-promis-une-seconde-le-territoire-dune-troisieme

[4] https://www.lesclesdumoyenorient.com/Declaration-Balfour.html

[5] Le Monde diplomatique, Manière de voir « Palestine : un peuple, une colonisation », Février-Mars 2018, p-91

[6] Henry Laurens, « La Question de Palestine tome premier, 1799-1922, L’invention de la Terre sainte », Fayard, 1999

La grande révolte arabe de 1916 : un soulèvement inutile ?

La grande révolte arabe de 1916 contre l’Empire ottoman est l’expression d’une insurrection instrumentalisée contre une domination étrangère. Ce soulèvement est entré dans l’histoire par l’entremise des écrits d’un officier de la Couronne britannique, ceux de Thomas Edward Lawrence dit Lawrence d’Arabie. Cet événement marquant de l’histoire régionale ne se résume pas uniquement à un fait militaire. Il reste intriguant, fascinant et traduit la duplicité des grandes puissances de l’époque.  

La Grande-Bretagne avait en effet promis aux Arabes un État indépendant en échange de prendre les armes contre les troupes ottomanes. En dépit de leur farouche engagement, la promesse est non tenue. Trahis et abusés, les Arabes avaient minoré les desseins coloniaux de l’époque au Moyen-Orient.

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 Les prémices d’un soulèvement

À la fin du XIXe siècle émerge un mouvement de renaissance culturel et politique au sein du monde arabe. Cette période de bouillonnement est appelée Al-Nahda (la renaissance). Un avènement d’une conscience politique se profile avec la création de sociétés secrètes. Plusieurs penseurs chrétiens et musulmans se liguent pour jeter les bases d’un nationalisme arabe s’opposant au joug ottoman. Ils s’inspirent de l’idéologie  nationaliste européenne.

À cette époque, le Levant est sous domination ottomane. Le pouvoir central, déliquescent et vacillant, réprime violement les intellectuels et les penseurs portant des revendications autonomistes. Pour éviter les pendaisons et les répressions, ces derniers agissent clandestinement. Désireux de s’immerger dans les affaires ottomanes, Paris et Londres soutiennent ces démarches politiques en proposant des relais journalistiques en Occident.

De surcroît, dans un élan irrédentiste, l’Empire ottoman s’allie à l’Allemagne et à l’Autriche-Hongrie pour tenter de récupérer ses anciennes possessions africaines et européennes. En novembre 1914, le Sultan Mehmed V lance même un appel au Djihad aux musulmans afin de s’opposer aux troupes franco-anglaises dans la région. Tentative partiellement suivie, car chez certaines tribus, le sentiment d’injustice et les revendications nationalistes arabes prévalent sur la notion d’Oumma (la communauté musulmane). Ainsi, des musulmans arabes de l’Empire ottoman rejettent cet appel et nouent des liens avec la Grande-Bretagne.

En effet dès 1915, le haut-commissaire britannique en Égypte Henry Mac-Mahon entretient une correspondance avec le chérif de la Mecque Hussein bin Ali. Ce dernier est issu du clan Hachémites, descendant du prophète et gardien des lieux saints musulmans[1]. Les Anglais promettent au chérif de la Mecque une indépendance sur les territoires libérés du joug ottoman, s’il accepte d’aider leurs troupes sur le front arabe. Pour Londres, il s’agit de faire imploser cet Empire vieillissant grâce aux tribus bédouines du Hedjaz (littoral de l’actuel Arabie Saoudite). Hussein bin Ali accepte et reçoit l’aide d’un homme des renseignements britanniques, Thomas Edward Lawrence. Arabisant, archéologue de formation et fin connaisseur de la géographie et de l’histoire du Moyen-Orient, Lawrence « d’Arabie » se lie d’amitié avec l’un des 4 fils d’Hussein, Fayçal.

En parallèle à cette promesse, Anglais et Français s’entendent sur le partage des provinces arabes de l’Empire ottoman suite aux accords secrets de Sykes-Picot. Ignorants les dessous de ces accords, les Arabes se lancent dans une guerre de reconquête contre les troupes ottomanes.

Un succès militaire

La révolte des tribus bédouines du Hedjaz débute le 5 juin 1916. Par effet de surprise, les insurgés s’emparent rapidement de la Mecque puis des principales villes côtières. Ces premiers succès n’auraient jamais été possibles sans l’appui des croiseurs et des canons britanniques. Néanmoins, ils sont stoppés à Médine par une importante garnison ottomane. De surcroît, par l’intermédiaire du colonel Edouard Brémond, les Français soutiennent sans enthousiasme l’effort de guerre des Arabes.  À la fin de l’année 1916, les troupes bédouines entament une guerre de position de basse intensité contre les forces ottomanes.

Quant à lui, l’émir Fayçal réunit une importante force d’environ 8 000 hommes pour prendre le port d’El-Ouedj, non loin du chemin de fer reliant le Hedjaz à la Turquie. Or, la prise de cette place stratégique est un fait d’arme britannique. Excellant dans l’art du sabotage, les troupes bédouines détruisent plusieurs parcelles du chemin de fer du Hedjaz, unique source d’approvisionnement pour les troupes ottomanes dans cette région. Fins connaisseurs de leur région, les bédouins harcèlent sans cesse leurs ennemis par le biais d’attaques surprises et de vols de cargaisons dans le désert[2]. Lawrence d’Arabie décrit ces conquêtes et ces tactiques de combat dans son livre autobiographique « Les Sept piliers de la sagesse »[3]. Les généraux anglais et français de l’époque perçoivent les bédouins comme des pilleurs sans foi ni loi, se distinguant dans l’art de la guérilla.

Le succès le plus retentissant et surprenant fut la prise du port d’Aqaba, situé sur la mer rouge. Lawrence d’Arabie et les troupes de Fayçal traversent le désert du Nefoud en mai 1917 avant de s’emparer d’Aqaba par les terres en juillet de la même année. Cette victoire permet aux Britanniques de relier l’Égypte à la Palestine. De leur côté, les partisans de Fayçal aspirent à rejoindre les nationalistes syriens. Après avoir repris Jaffa et Jérusalem en décembre 1917 avec les troupes anglaises, l’émir Fayçal fait une entrée triomphale à Damas en septembre 1918[4], mettant fin à 4 siècles de domination ottomane.

Dans les faits, cette victoire de la grande révolte arabe n’aurait pas été possible sans l’aide logistique et matérielle des Anglais. Ces derniers ont utilisé la fougue et la bravoure des Arabes à des fins de politique extérieure.

Déceptions et désillusions

Les Anglais n’ayant pas honoré leurs engagements, l’espoir d’un grand royaume arabe indépendant est déchu. En effet, la promesse anglaise est balayée par les accords de Sykes-Picot en 1916 et par la déclaration Balfour en 1917.[5]

Dupés, les Arabes prennent connaissance de la conclusion de ces accords une fois le travail accompli. De ce fait, les nationalistes syriens sous la houlette de l’émir Fayçal entrent en résistance contre la présence française en Syrie et au Liban. Le fils du chérif Hussein refuse catégoriquement le mandat français au Levant et se rend même à deux reprises en Europe pour prêcher les revendications d’indépendance arabe.

Ses tentatives sont vaines. Les accords Sykes-Picot sont entérinés en 1920 lors de la conférence de San Rémo. Pourtant, un éphémère royaume arabe de Syrie voit le jour en mars 1920 en opposition aux desseins français dans la région. Des pourparlers s’engagent entre la France et le gouvernement de Fayçal. Ceux-ci n’aboutissent pas et l’affrontement armé est inévitable. S’ensuit la bataille de Khan Mayssaloun en juillet 1920. Défait, l’émir Fayçal est contraint à l’exil. En compensation, les Britanniques le placent à la tête de l’Irak. Cependant, cet échec de la constitution d’un royaume arabe unifié est le prélude d’un nationalisme plus contemporain et plus populaire.

En guise de consolation, la famille hachémite du chérif Hussein bin Ali obtient le trône de la Transjordanie (la future Jordanie) et conserve l’autorité sur le Hedjaz avant d’être destituée en 1925 par une dynastie concurrente… les Saoud[6].  

La grande révolte arabe est plus synonyme de duperie que de victoire. Le fait d’arme n’est pas négligeable, or ce soulèvement incarne surtout les desseins coloniaux de Paris et de Londres. L’ampleur de la désillusion est consubstantielle aux espoirs d’indépendance. L’époque des mandats britanniques et français au Moyen-Orient renforce de fait un nationalisme arabe jusque là embryonnaire[7]. Depuis, ce dernier se modernise, se diffuse et touche tous les pans de la société arabe. Or, cette idée de nation arabe unifiée se heurte à la volonté de certains États de devenir souverains, à l’instar de l’Arabie Saoudite.

L’échec des revendications arabes suite à la révolte de 1916 à 1918 participe à cette méfiance populaire à l’égard des visées occidentales dans la région. Quand les intérêts des uns priment sur le désir d’indépendance des autres…


[1] https://www.cairn.info/revue-etudes-2016-5-page-17.htm

[2] https://orientxxi.info/l-orient-dans-la-guerre-1914-1918/debats-et-controverses-autour-de-la-grande-revolte-arabe-contre-les-turcs,2154

[3] Thomas Edward Lawrence, « Les Sept piliers de la sagesse », Gallimard, 2017

[4] https://orientxxi.info/documents/glossaire/revolte-arabe,0838

[5] https://www.monorient.fr/index.php/2020/05/12/les-accords-sykes-picot-en-1916-partage-franco-anglais-du-proche-orient/

[6] https://www.pressreader.com/france/carto/20171103/281689730084986

[7] Charles Saint-Prot, « Le mouvement national arabe », Ellipses, 2013

Les accords Sykes-Picot en 1916 : partage franco-anglais du Proche-Orient

À partir du XIXe siècle, chancelant et moribond, l’Empire ottoman devient peu à peu « l’Homme malade de l’Europe ». Français et Britanniques lorgnent sur les territoires levantins de l’Empire déliquescent. Depuis plusieurs décennies déjà, les Européens nouent des contacts avec les différentes communautés autochtones (Chrétiens notamment) pour assurer leurs sécurités et ainsi prétexter un droit de regard.   

Faisant le choix de s’allier à l’Allemagne et à l’Autriche-Hongrie durant la première guerre mondiale, l’Empire ottoman devient de facto un ennemi de Paris et de Londres. Lors de longues tractations et négociations, Anglais et Français décident conjointement de se partager les provinces arabes du Moyen-Orient en fonction de leurs intérêts respectifs. Aujourd’hui encore, les accords Sykes-Picot représentent une humiliation à l’échelle régionale dont les conséquences sont encore visibles.

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Le contexte d’un démembrement

Dès la fin du XIXe siècle, les territoires de l’Empire ottoman se réduisent comme peau de chagrin. Après avoir perdu la Grèce en 1830, « la Sublime porte » est contrainte d’abandonner ses possessions européennes avec les indépendances de la Roumanie, de la Bulgarie, de la Serbie et du Monténégro.

Confronté à des difficultés économiques et sociales et face aux visées coloniales européennes, l’Empire ottoman est obligé de céder peu à peu ses régions africaines. Il perd successivement l’Algérie puis la Tunisie qui passent sous protectorat français, à partir de 1882 la Grande-Bretagne administre l’Égypte et la Libye devient une colonie italienne en 1911. À l’agonie, l’Empire se recentre sur le Levant et l’Anatolie. Or au sein même de ses provinces arabes, un sentiment national émerge contre le joug ottoman. Les nationalismes arabe et kurde revendiquent plus d’autonomie vis-à-vis du pouvoir central. Anglais et Français attisent conjointement cette colère pour faire imploser cet empire vacillant.

Conscient des desseins franco-anglais au Moyen-Orient et espérant reconquérir ses anciennes possessions, l’Empire ottoman décide de s’allier à l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie durant la première guerre mondiale (1914-1918). Parallèlement, le Sultan Mehmed V lance un appel au Djihad en Novembre 1914 à tous les citoyens musulmans pour contrer les troupes franco-anglaises[1]. Or, cet appel se heurte aux revendications nationalistes arabes toutes confessions confondues. En effet, les difficultés économiques et la répression brutale des élites arabes par le pouvoir central ottoman (pendaison des nationalistes sur les places publiques, famine du Mont Liban, massacre systématiques des communautés chrétiennes orthodoxes) poussent les populations locales à se rapprocher de Londres et de Paris. En échange de ce soutien, une promesse d’indépendance est faite aux Arabes.

Cependant, au détriment de ces promesses initiales, les deux puissances européennes entendent sanctuariser des zones d’influences au Moyen-Orient. À ces promesses d’Arabie indépendante, la France veut consolider son rôle dans une « Grande Syrie » francophone et francophile. Quant à l’Empire britannique, il veut sécuriser une voie de passage vers les Indes et s’intéresse à l’approvisionnement des hydrocarbures en Irak.

Les dessous de l’accord

Dès Novembre 1915, Français et Anglais entament des négociations secrètes pour se partager les provinces arabes de l’Empire ottoman. Après plusieurs mois de relations épistolaires entre le diplomate anglais Mark Sykes et le diplomate français François Georges-Picot, un accord est signé le 16 Mai 1916 par Paul Cambon, ambassadeur de France à Londres, et Edward Grey, secrétaire d’État au Foreign Office[2].

Cet accord secret prévoit à terme le découpage des provinces arabes de l’Empire ottoman en aires d’influences françaises et anglaises. Cette coopération franco-anglaise reçoit l’aval de l’Empire russe et de l’Italie. Le Proche-Orient est de fait découpé en 5 zones bien distinctes[3]:

  • une zone française d’administration directe comprenant le Liban actuel et la Cilicie (province turque)
  • une zone d’influence française comprenant une bonne partie de la Syrie avec la province de Mossoul
  • une zone anglaise d’administration directe formée par le Koweït et une partie de l’Irak jusqu’à Bagdad
  • une zone d’influence anglaise composée de l’actuel Jordanie, de la Palestine mandataire et du Sud de la Syrie
  • une zone d’administration internationale comprenant Saint Jean d’Acre, Haïfa et Jérusalem

Cependant, cet accord ne demeure pas secret bien longtemps. Lors de la révolution bolchévique de 1917, l’administration russe dévoile au grand jour les conclusions du traité. De plus, les Etats-Unis du Président Wilson, veulent contrecarrer les plans franco-anglais dans la région en théorisant sur l’autodétermination des peuples. Cet accord est finalement parachevé à la conférence de San Remo en 1920[4]. Conférence au cours de laquelle la France cède la province de Mossoul à l’administration britannique en contrepartie d’une participation aux bénéfices pétroliers de la région irakienne de Kirkouk[5]. La même année lors du traité de Sèvres, l’Empire ottoman vivant ses dernières heures, renonce officiellement et définitivement à ses provinces arabes et maghrébines.

Conséquences et répercussions

Malgré les promesses d’indépendance, les Arabes de la région se retrouvent soumis à la tutelle d’une puissance tierce. Le Liban et la Syrie sont administrés par la France, la Jordanie, l’Irak et la Palestine par la Grande-Bretagne.

Le gouvernement français entend faire du protectorat syro-libanais un pont pour la culture et la langue française[6]. Paris s’appuie majoritairement sur les communautés chrétiennes (notamment les Maronites) avec qui elle avait déjà noué des liens par le passé. En 1920, la France participe activement à la création d’un « Grand Liban » indépendant et autonome vis-à-vis de son voisin syrien. De ce fait, la présence française se heurte à une vive opposition en Syrie où plusieurs manifestations sont matées. Paris régionalise consciencieusement les différentes provinces syriennes en fonction de leurs appartenances religieuses. Cette politique coloniale française est hasardeuse. Elle crée les soubassements des tensions et des conflits ultérieurs.

De son côté, l’Empire britannique, maître d’un territoire allant de la Palestine au Golfe arabo-persique, participe activement à la mise en place d’un oléoduc transportant le pétrole irakien vers la Méditerranée[7]. De surcroît, cette présence au Proche Orient lui assure une meilleure sécurisation des routes commerciales vers les Indes. À l’instar des Français, les troupes anglaises sont également confrontées à de nombreuses révoltes. L’Irak, pays tribal et multiconfessionnel, est difficilement administrable. De ce fait, la militarisation de la présence anglaise s’intensifie dans la région. De plus, depuis le traité Balfour de 1917, stipulant la création d’un foyer national juif en Palestine, les autorités britanniques font face à de nombreuses contestations de la part des populations locales palestiniennes.

Le façonnement des frontières du Proche Orient, bravant les différentes ethnies et religions des populations locales, est perçu comme une humiliation par les Arabes, à qui on avait promis un État indépendant. Or, il faut savoir que cette époque est une période de domination coloniale, de partages territoriaux entre grandes puissances et de négociations secrètes faisant fi des volontés autochtones. Tout comme le congrès de Berlin en 1885, prévoyant le partage de l’Afrique, les accords de Sykes-Picot ont modelé les frontières d’une région selon les intérêts européens.

Depuis, ces frontières « artificielles » résistent à l’épreuve du temps. Même le nationalisme arabe des années 50-60 n’arrive pas à les gommer. En effet, l’ancrage politique et souverain de ces nouveaux États s’inscrit bon an mal an dans la durée, parachevant de fait les frontières coloniales de 1916. Ces accords sont « menacés » par Daech en 2014, qui veut redéfinir les frontières du Moyen-Orient selon ses propres conceptions et théories[8].

Aujourd’hui encore, les accords Sykes-Picot font l’objet de nombreuses critiques. Certains analystes jugent qu’ils sont la cause du chaos actuel. Les signataires ont inventé « une paix qui ressemble à la guerre ». Ces frontières héritées de la période coloniale sont soumises aux soubresauts de l’Histoire. Les multiples conflits, « les printemps arabes » et les menaces terroristes rabattent les cartes des acquis territoriaux. Au gré de la conjoncture, le Proche-Orient est une région mouvante et instable où chaque population ou communauté peut et veut revendiquer son propre territoire (cf les Kurdes et les Palestiniens).


[1] https://www.cairn.info/revue-etudes-2016-5-page-17.htm

[2] https://www.lesclesdumoyenorient.com/Accords-Sykes-Picot.html

[3] Jean-Paul Chagnollaud et Sid-Ahmed Souiah, « Les frontières au Moyen-Orient », L’Harmattan, 2004

[4] https://orientxxi.info/documents/glossaire/accords-de-sykes-picot,0678

[5] https://www.monde-diplomatique.fr/2003/04/LAURENS/10102

[6] James Barr, « Une ligne dans le sable », Tempus Perrin, 2017

[7] Ibid

[8] http://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20160516-accords-sykes-picot-redessinaient-moyen-orient-syrie-irak-siecle

Avicenne : « Le prince des savants »

De son vrai nom Abou Ali Al-Husayn Ibn Abd Allah Ibn Sînâ, Avicenne a acquis plusieurs savoirs. De médecin à philosophe, de mathématicien à astronome, il doit sa célébrité à la précocité de son génie. Il est l’un des joyaux de « l’âge d’or » de l’Islam. Cette période féconde a vu naître un bouillonnement intellectuel et culturel mêlant culte musulman et apport philosophique. Toujours est-il, que l’orthodoxie intransigeante des pouvoirs centraux l’a censuré pour ses travaux concernant l’alliage entre la raison des auteurs grecs et le monothéisme.

Au travers de l’étude de l’œuvre philosophique d’Avicenne, c’est l’étude du Moyen-âge oriental, véritable lieu de transit entre les influences helléno-chrétiennes d’une part et arabo-persanes et musulmanes de l’autre.

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miniature persane

Un savant hors-pair

Ibn Sîna est né en Perse en 980 dans le Khorasan (actuel Ouzbékistan). Il est issu d’une famille de haut fonctionnaire proche du pouvoir central de l’époque. Dès son plus jeune âge, son père s’attache à lui donner la meilleure éducation possible. Après des études préliminaires dans son village natal, il  part s’instruire à Boukhara, métropole riche et puissante où intellectuels et savants se côtoient à la cour des princes. Doté d’une mémoire prodigieuse, il mémorise le Coran à l’âge de 10 ans et est initié précocement à la littérature arabe (el adab), la philosophie et les lettres grecques. De rite chiite, il fréquente également les cercles religieux ismaéliens et en tire un grand profit pour sa culture religieuse de l’époque[1]. Avicenne consacre toute sa jeunesse à l’apprentissage du droit religieux (el fiqh), aux mathématiques, à la géométrie d’Euclide ainsi qu’à la logique.

À l’âge de 16 ans, Avicenne achève ses études de médecine et considère cette science comme facile. Il obtient finalement ses lettres de noblesse grâce à la guérison du prince de Boukhara. Il est nommé médecin de palais, ce qui lui donne accès à l’imposante bibliothèque royale. Cette fonction était généralement réservée à un chrétien pour éviter tout soupçon de trahison ou de meurtre contre le prince régnant.

Féru de philosophie, Ibn Sînâ ne cesse de se focaliser sur la compréhension de la Métaphysique d’Aristote. Texte qu’il aurait lu plus de 40 fois avant de l’assimiler, en s’aidant d’un traité d’Al-Farabi, philosophe persan.

Plusieurs fois ministres et proches des princes, Avicenne est obligé de s’enfuir quand le pouvoir central est renversé. Débute ainsi sa vie d’itinérance autour de la mer d’Aral et de la Perse. Il est emprisonné à plusieurs reprises mais réussit à s’évader avant de finir sa vie à Ispahan (actuel Iran). Il y devient vizir et peut s’adonner en toute quiétude à l’apprentissage et l’enseignement des sciences et de la philosophie. Cela constitue la période la plus prolifique de sa vie. Sa réputation et son génie dépassent de loin le cadre des frontières de la Perse. Des étudiants de tout le monde musulman viennent suivre ses préceptes. Il décède en 1037 à l’âge de 57 ans d’une affection gastro-intestinale lors d’une campagne militaire à Hamadan, au nord de la Perse.

Son mausolée reste un lieu de pèlerinage au XXIe siècle. Il est composé de 12 piliers, symbolisant les douze sciences d’Avicenne. Encore aujourd’hui, son héritage est revendiqué par de nombreux pays musulmans à l’instar de la Turquie, de l’Ouzbékistan, de l’Afghanistan mais surtout de l’Iran.

Son œuvre médicale

À peine âgé de 16 ans, le jeune Avicenne devient médecin. Il assimile toutes les sciences connues à son époque. Ceci lui vaut en premier lieu sa célébrité. Il est reconnu par ses pairs comme un imminent médecin de l’Orient médiéval.

L’œuvre d’Ibn Sînâ marque sans nul doute l’histoire de la médecine. Après avoir traduit lui-même les travaux de Galien et d’Hippocrate, il observe méticuleusement le corps humain à travers des dissections. Le jeune médecin s’attache à déconstruire les théories en préférant l’expérimentation. Il retranscrit et synthétise par écrit ses recherches dans le Canon de médecine (Kitab al-qanoun fi Al-Tibb), subdivisé en 5 livres[2] et précédé d’une introduction méthodologique. Avicenne prend le temps d’énumérer et de structurer sa logique et ses découvertes d’une manière rigoureuse. Particularité de cette œuvre, elle est écrite en prose et en arabe littéraire. Certains de ses contemporains n’y voient qu’une originalité dans la forme.

Dans ce célèbre ouvrage, qu’il lui valut le titre du « père de la médecine moderne », il aborde plusieurs pathologies. Certaines sont fondées sur ses observations et d’autres sur ses propres découvertes. À titre d’exemple, en ophtalmologie, il s’intéresse à l’étude précise des muscles oculaires[3]. Ce domaine est très prisé à cette époque en raison des nombreuses recherches sur l’optique et la lumière. En cardiologie, Avicenne décrit le rôle central du cœur dans la circulation sanguine. Il est notamment précurseur en médecine préventive et met en exergue la place de l’hygiène dans la propagation de certaines maladies (rôle des rats dans la peste, contagion lors de la tuberculose…). Dans le livre IV de son recueil, Ibn Sînâ liste tous les médicaments connus de son époque. De surcroît, il conseille et écrit « un poème de la médecine » (Urdjuza fi Tibb)[4], destiné aux princes pour une meilleure gestion de la santé publique.

Ibn Sîna est également l’un des premiers médecins à s’intéresser aux maladies psychiatriques et à reconnaître les effets bénéfiques de la musique. Il estime que certaines pathologies sont d’ordre psychosomatiques. Partant de l’observation de l’irrégularité du rythme cardiaque et de la faim, il en conclut que l’amour ainsi que la mélancolie ont un impact direct sur les troubles mentaux d’une personne.

Un siècle après l’écriture de son Canon, il est traduit en latin pendant la période des Croisades. Son livre est une référence jusqu’au XVIIème siècle. Il est étudié dans les facultés de médecine, notamment celles de Louvain et de Montpellier. Sa contribution en médecine est phénoménale.

Son œuvre philosophique 

Après avoir consacré une partie de sa vie à l’étude des sciences, Avicenne se focalise sur la compréhension des textes des philosophes grecs antiques, notamment Aristote. C’est à cette époque que l’Orient connaît un essor culturel par l’entremise de la culture littéraire (el adab), la culture religieuse (‘ilm) et les sciences profanes (el hekma). Cette période voit naître également cette émulation entre le perse et l’arabe, dont Ibn Sînâ en est l’acteur principal. Sa langue vernaculaire est le persan mais il écrit la plupart de ses textes en arabe littéraire, langue princière et nettement plus répandue.

En s’intéressant aux textes antiques, il compte modifier le contenu en y intégrant le facteur religieux. De ce fait, Avicenne allie raison et religion, deux notions qui semblent antinomiques. Après avoir étudié la Métaphysique d’Aristote, il écrit un immense recueil de la Philosophie orientale, composé de 28 000 réponses à autant de questions[5]. Malheureusement, cet ouvrage disparaît lors du sac de la ville d’Ispahan en 1034.

Sa philosophie opère une distinction entre l’essence et l’existence et fait de Dieu « l’être nécessaire » pour le développement de l’intelligence humaine. Ainsi selon sa conception philosophique, l’essence divine est à l’origine de tout, donc de l’existence humaine. L’intelligence divine est créatrice. C’est de cette façon qu’il fait le lien entre les philosophes grecs et le monothéisme. Ses écrits influencent des penseurs occidentaux tels que Albert le Grand et Thomas d’Aquin[6]. Selon lui, la raison peut nourrir la foi, ces deux éléments ne sont pas incompatibles. Cependant, ses travaux sur l’effort de la raison se heurtent à l’intransigeance de l’orthodoxie musulmane. La philosophie et la culture au sens large attisent la méfiance des théologiens et des juristes.

Ibn Sînâ reprend également les concepts de la philosophie politique d’Aristote, l’être humain est pensé comme un animal politique. Pour lui, la raison est l’aboutissement suprême de l’être humain. Elle provient de l’essence divine donc il faut la cultiver. Son œuvre philosophique se situe au carrefour de la pensée orientale et de la pensée occidentale. En effet, c’est grâce à ses réflexions que le monde arabe de l’époque médiévale intègre et étudie la philosophie antique.

Ibn Sînâ incarne « l’âge d’or » de l’Islam par son érudition et son ouverture universelle. Sa réflexion philosophique et ses connaissances en médecine participent à la transmission d’un riche héritage. Ses contemporains le nomment à juste titre « Ach-Chaikh ar-Raiss » (le Prince des savants).


[1] Meryem Sebti, « Avicenne, l’âme humaine », PUF, 2000

[2] Paul Mazliak, « Avicenne & Averroès : Médecine et biologie dans la civilisation », Vuibert, 2004

[3] https://www.persee.fr/doc/rhs_0048-7996_1952_num_5_4_2970

[4] https://www.lesclesdumoyenorient.com/Avicenne-Ibn-Sina-980-1037.html

[5] https://www.persee.fr/doc/phlou_0776-5541_1894_num_1_1_1359

[6] Meryem Sebti, « Avicenne, l’âme humaine », PUF, 2000

Mahmoud Darwish : le poète palestinien

À lui seul, il est la voix et le miroir de la Palestine contemporaine. Entre exil et espoir de retour, Mahmoud Darwish nous conte son histoire, celle de son intime, de son collectif mais surtout celle de sa terre bien-aimée. Dans un style engagé et rythmé, il réinvente le vers et la musicalité arabe. Poète politique pour les uns ou terroriste intellectuel pour les autres, il est autant sacralisé qu’il est décrié.

Chantre d’une poésie de la résistance, il consacre sa vie, son œuvre à donner un sens à la Palestine. Mahmoud Darwish tente de déceler la beauté dans l’obscur en démystifiant l’image attribuée au peuple palestinien. Or, indépendamment de sa propre volonté, il s’enferme dans cette image du poète résistant et engagé. Il est idolâtré dans le monde arabe. Ses poèmes, au style métaphorique unique, sont écoutés, chantés et étudiés.

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Un Palestinien ordinaire

Né en 1941 à Al Birwa en Galilée, Mahmoud Darwich est issu d’une famille de propriétaire terrien. À cette époque, la Palestine est encore sous mandat britannique. Dès la création de l’État d’Israël en 1948, sa famille fuit au Liban. Elle n’y réside qu’un an avant de retourner clandestinement en Palestine. Elle découvre alors, la destruction de leur village natale rayé de la carte par les bulldozers israéliens. Cette période entraînant un exode massif est connue sous le nom « Aam el Nakba » (l’année de la catastrophe). En effet, plusieurs milliers de familles palestiniennes émigrent au Liban, en Jordanie, en Syrie ou en Égypte après la défaite arabe de 1948.

Al Birwa rasé, la famille Darwish s’installe à Deir al-Asad, tout en craignant un deuxième exil imposé par les autorités israéliennes. Le jeune Mahmoud termine ses études secondaires à Kafar Yassif avant de partir pour Haïfa. Son appétence pour la littérature et l’écriture lui vaut d’être employé comme rédacteur au sein de plusieurs journaux locaux (Al-Itihad ou Al-Jadid). Lire et écrire symbolisent la résistance.

Face aux exactions et injustices, Mahmoud Darwich décide de rejoindre le parti communiste israélien (le Maki) en 1961. Ses articles et ses poèmes engagés et virulents gênent les autorités israéliennes. Il est plusieurs fois arrêté et incarcéré dans la prison de Saint Jean d’Acre. Le jeune poète est par la suite assigné à résidence à Haïfa. Son implication dans la défense de l’identité culturelle palestinienne dérange. Il ne peut se déplacer librement. En 1971, Mahmoud Darwish obtient une bourse et un visa d’étudiant. Il part étudier l’économie politique à Moscou. Il décide de continuer son exil et rejoint le Caire, où il travaille pour le journal égyptien Al-Ahram. Cette vie d’errance et son cœur le mènent ensuite à Beyrouth en 1973. Il dirige le mensuel AlShu’un Al-Falistiniya (Les affaires palestiniennes) avant d’intégrer l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et devient la plume de Yasser Arafat. En parallèle, il dirige le journal littéraire Al-Karmel en 1981.

En raison des bombardements israéliens sur Beyrouth en 1982, il est contraint de s’exiler une nouvelle fois. Le poète palestinien part au Caire, puis à Tunis avant de s’installer à Paris. Il jouit dans la capitale française d’une grande autonomie et liberté. Membre du comité exécutif de l’OLP, il prend ses distances avec le mouvement en raison de la signature des accords d’Oslo de 1993. Il juge injuste les conclusions de l’accord pour les Palestiniens. Ayant obtenu un permis d’entrée pour la Cisjordanie et Gaza, Mahmoud Darwich retourne à Ramallah en 1995, où il se sent étranger dans son propre pays. Son exil prend fin aux Etats-Unis. Il décède à Houston en 2008 suite à des troubles cardiaques.

Ses funérailles à Ramallah réunissent une foule immense et font l’objet d’un deuil de 3 jours. Plus qu’un simple poète, il est sacralisé tel un martyr pour l’œuvre d’une vie.

Le poète résistant

Sa vie est à l’image de la Palestine. Avec amour et mélancolie, Mahmoud Darwich a consacré son œuvre à cette nation imaginaire. Elle hante ses rêves et dicte sa plume, il ne vit que pour elle. Lorsqu’il évoque l’amour d’une femme, il personnifie l’amour de sa terre natale. De surcroît, il utilise sa plume contre les injustices et les humiliations « À chacune de mes lignes, les chars ennemis reculent d’un mètre ».

Les premiers poèmes de Mahmoud Darwich dans les années 60 sont un syncrétisme entre l’attachement à la mère patrie et l’expression d’un sentiment amoureux. La Palestine est alors représentée comme « la première mère ». Elle constitue cette création imaginaire pour tous les Palestiniens. Il la pense, la décrit et la conceptualise dans une sorte d’imaginaire collectif pour lui donner vie.

On se rappelle tous du discours de Yasser Arafat à l’ONU en 1974 où il déclare: « Aujourd’hui, je suis venu porteur d’un rameau d’olivier et du fusil du combattant de la liberté. Ne laissez pas tomber le rameau d’olivier de ma main », il est signé Mahmoud Darwich. Petit à petit, il devient la plume de l’OLP. Lors des bombardements israéliens sur Beyrouth en 1982, il écrit « Une mémoire pour l’oubli » qui deviendra un récit d’anthologie.

Le poète palestinien porte en lui les gènes du résistant. Face à la violence de l’occupation israélienne, il y oppose la violence des mots, la violence d’une littérature engagée. Son poème « Passants parmi les paroles passagères », en pleine période de la première intifada (1987-1991), offusque toute la société israélienne au point, de l’assimiler à du terrorisme intellectuel. Au diapason la presse israélienne le fustige et interprète son poème comme une menace pour l’existence du peuple juif. À cette époque, les autorités israéliennes tentent de brider la parole palestinienne. Mahmoud Darwich justifie ce poème en ses termes : « Cette dialectique absurde ne prendra fin que lorsque le Palestinien signera l’acte avec lequel il renonce à son être en même temps qu’à sa cause ». Son combat est d’ordre politique et aucunement lié à sa cohabitation avec le citoyen israélien.

Il porte en lui les germes du résistant, or avec le temps Mahmoud Darwich veut s’affranchir de cette image qui lui colle à la peau : « Je n’ai nullement cherché à devenir, ou à rester, un symbole de quoi que ce soit. J’aimerais, au contraire, qu’on me libère de cette charge très lourde ».

Le poète de la vie et de la liberté

Mahmoud Darwich excelle avant toute chose dans l’art de la métaphore. Homme enraciné dans cette culture arabe et orientale, il sublime la poésie par sa musicalité et ses vers qui mettent en lien la nature et l’amour, la terre et la tradition.

Une fois affranchi de son rôle politique, Mahmoud Darwich libère son talent pour écrire une ode à la vie. Il encense la culture orientale. Son poème de 1964 Sajel Ana Arabi (Inscris, je suis arabe) dépasse de loin le cadre palestinien. Ce poème est une déclaration d’amour au monde arabe, il y vante la culture de la terre et la famille nombreuse. On décèle également la colère enfouie d’un homme épris de justice face aux nombreuses humiliations.

Mahmoud Darwich décrit également dans « La fin de la nuit » (1967) et « Les oiseaux meurent en Galilée » (1970) cet amour de jeunesse impossible entre lui et Rita, une jeune juive qu’il avait rencontré lors d’un bal du parti communiste israélien. Idylle qui prit fin prématurément après la guerre de six jours en 1967 « Entre Rita et mes yeux : un fusil »

Mahmoud Darwich a popularisé, démocratisé la poésie arabe. En Orient, on a ce goût de la sémantique, du verbe et de la sonorité. Ses poèmes sont appris, chantés voire même théâtralisés dans plusieurs écoles du Moyen-Orient.  À lui seul, il représente la richesse extraordinaire de la langue arabe. Le poète jongle inlassablement entre les images figées de sa propre expérience et les images souhaitées par tout un peuple. Il encense cette culture de la vie et ce goût pour les relations humaines. Ses poèmes déconstruisent l’idée préconçue qu’on se fait de l’Orient. Né apatride, Mahmoud Darwich a ce souci de l’existence et de la liberté. Il veut se faire le chantre d’une poésie pluridimensionnelle. Mahmoud Darwich aborde aussi bien la solitude, l’ennui, l’angoisse, la peur que la nature, la beauté, la paix et la vérité.

Par moment, on se demande si Mahmoud Darwich n’aurait pas aimé être qu’un poète ordinaire pour vaquer plus librement à l’écriture de ses poèmes. En étant palestinien, tout un peuple, toute une région espéraient des écrits engagés et critiques à l’égard d’Israël. L’étiquette du poète palestinien est lourde de symboles et de responsabilités. En poète métaphorique, il aura réinventé un style et un verbe aiguisé aux multiples interprétations.

Bibliographie :

  • Mahmoud Darwich, « Anthologie (1992-2005) », Actes Sud, 2009
  • Mahmoud Darwich, « Palestine mon pays, l’affaire du poème », Les éditions de minuit, 1988
  • Mahmoud Darwich, « Une mémoire pour l’oubli », Actes Sud, 1994
  • Mahmoud Darwich, « la Palestine comme métaphore », Actes Sud, 2002
  • Mahmoud Darwich, « La Terre nous est étroite », Gallimard, 2000

Khalil Gibran : le poète intemporel

Très peu étudié en Occident, Khalil Gibran est pourtant le poète oriental qui aura marqué le renouveau de la culture arabe par son style et son talent au début de XXème siècle. Libanais chrétien maronite, son succès dépasse de loin sa propre communauté. Il se fait le héraut d’un syncrétisme entre la spiritualité et l’amour. Témoin oculaire d’un bouillonnement littéraire, culturel et politique au temps de la Nahda (la renaissance), il en est même l’un des principaux acteurs par son œuvre monumentale.

Sur fond de poésie et de littérature, l’auteur du « Prophète » continue d’inspirer, de fasciner et de créer un pont entre Islam et Chrétienté, entre Occident et Orient. Khalil Gibran nous lègue en héritage une œuvre prophétique et intemporelle.

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Un destin loin de l’Orient

Khalil Gibran est né en 1883 à Bcharré, situé dans les montagnes du Nord Liban, au fond de la magnifique vallée sainte de Qadisha. À cette époque, le Moyen-Orient est sous tutelle ottomane. La pression du pouvoir central est telle que, chaque province doit fournir des contingents militaires et verser divers impôts. Le jeune Gibran étudie à l’école élémentaire de Bcharré, au sein de laquelle il apprend l’arabe, le syriaque ainsi que le rite maronite. Son père, ayant contracté des dettes de jeu, est incarcéré par les autorités ottomanes sous prétexte de détournement de fonds. S’ensuit la confiscation des biens familiaux, obligeant donc sa mère d’émigrer avec le reste de sa famille à New-York en 1895.

Ils sont dans un premier temps accueillis par un membre de la famille résidant dans un quartier syro-libanais de Boston. Pour subvenir au besoin de la famille, sa mère travaille en tant que vendeuse de linge et femme de ménage, avant d’ouvrir une petite épicerie familiale. Le jeune Gibran est scolarisé et est très tôt attiré par l’art et notamment le dessin. Grâce aux économies de sa mère, il retourne au Liban en 1898. Il y reste 4 ans pour parfaire son apprentissage de l’arabe littéraire et s’imprégner encore un plus de sa culture d’origine. Or, en raison du décès d’une de ses sœurs, il retourne à Boston en 1902. L’année suivante sa mère et son beau frère décèdent. Sa deuxième sœur subvient à ses besoins grâce à ses activités de couturières. Toujours passionné de dessin, Gibran alors âgé de 21 ans, expose pour la première fois à Boston en 1904. Lors de cette première exposition, il rencontre Mary Elizabeth Haskell, directrice d’école qui deviendra sa confidente et sa mécène.

En parallèle, Khalil Gibran publie ses premiers livres en langue arabe avant de se rendre à Paris en 1908. Il y séjourne 2 ans et fréquente l’école des Beaux-Arts. Il expose brièvement au Salon du Printemps de Paris après avoir rencontré le célèbre sculpteur français Auguste Rodin. Gibran fait également la connaissance de Nietzshe, philosophe allemand qui aura une influence certaine sur ses écrits. Il retourne à Boston en 1910.

Khalil Gibran poursuit son érudition et participe à la création en 1920 d’un mouvement littéraire, regroupant des écrivains libanais et syriens Al-Rabitah al-qalamiyah (la Ligue de la Plume). C’est dans cette logique de bouillonnement culturel que Khalil Gibran fut un élément phare de la période de la Nahda. Véritable époque d’éveil de l’Orient arabe, par l’entremise des arts, de la littérature et de la culture, des artistes se font les hérauts d’une volonté de dépassement et d’indépendance. C’est dans la dernière décennie de sa vie que Khalil Gibran connaît un succès retentissant avec notamment la publication de son œuvre « Le Prophète » en 1923. Plus qu’un simple recueil, cet ouvrage est devenu l’aboutissement et la consécration de toute une vie. Initialement écrit en arabe, il est finalement publié en anglais puis rapidement traduit dans plusieurs langues. Il publie « Jésus Fils de l’Homme » en 1928, qui est en quelque sorte le prolongement logique du Prophète avec un dépassement de l’individualisme pour s’adonner à l’amour divin, véritable quête vers la plénitude de l’existence.

Khalil Gibran décède en 1931 à l’âge de 48 ans d’une cirrhose du foie et d’un début de tuberculose. Son corps est rapatrié dans sa ville natale de Bcharré.

Une influence entre foi, Orient et mysticisme

Poète intemporel, Khalil Gibran puise son inspiration dans ses souvenirs d’enfance. La montagne libanaise, la rusticité, l’amour inconditionnel pour les relations humaines, le partage et l’omniprésence du religieux le fascine. Cet Orient hétérogène et complexe l’inspire. Cette région le charme par son insouciance, sa générosité et son hospitalité. Né chrétien maronite, il se passionne très vite pour l’Islam et son prophète. Il affectionne également l’étude des autres rites orientaux, notamment le bouddhisme.  

Cet assemblage hétéroclite de références et d’inspirations fait de Khalil Gibran un artiste unique en son genre. Il a cette faculté de jongler entre les thèmes avec une aisance et un style clair et aéré. « Le Prophète » est un pont entre spiritualité et poésie, un syncrétisme mêlant l’espérance visible de la vie terrestre et l’espérance cachée et voulue de la vie dans l’au-delà.

Il n’a jamais cessé d’aimer sa région natale, en dépit de son exil précoce pour des raisons économiques. Ses premiers écrits sont en arabe et dénoncent la mainmise ottomane. En effet, dans son livre intitulé « Al- Arwah al-mutamarridat » (Les Esprits rebelles), écrit en 1906, Khalil Gibran soutient les nationalistes arabes dans leur combat pour l’indépendance. Les autorités ottomanes ordonnent son autodafé en 1910. Au lendemain de la première guerre mondiale, scellant le partage du Moyen-Orient par les puissances mandataires, il milite pour le retrait des troupes françaises et anglaises de la région. De surcroît, on ne peut occulter un poème « Pitié pour la nation divisée »[1] ô combien prémonitoire sur le Liban qu’il a tant aimé.

Homme de foi, oriental et épris de justice et d’amour, Khalil Gibran est le précurseur d’une nouvelle prose. Il se fait le chantre d’un nouveau courant littéraire qui allie spiritualité, sagesse et quête de dépassement de soi.  

Un messager de la paix   

Dans un Orient fracturé et meurtri, il fait office d’exception. À l’instar de Fayrouz pour la musique, Khalil Gibran fait consensus. Il évoque très rarement ses affinités politiques et se tient à l’écart des luttes intestines.

Dans « Le Prophète », il dépeint un personnage prophétique nommé Moustafa qui signifie littéralement l’élu ou le bien-aimé en arabe. Il y aborde les étapes importantes dans la vie de l’homme. Chaque chapitre est une leçon de vie mêlant piété, amour et sagesse. Cet ouvrage est un guide, un hymne à la vie et au dépassement de soi. Il évoque aussi bien l’amour, le mariage, l’amitié, la prière, la religion, les enfants, l’enseignement que la beauté, le plaisir, la douleur et la mort.

À titre d’exemple, il décrit l’être aimé en ces termes « Lorsque l’amour te fait signe, suis-le, même si ses chemins sont escarpés et malaisés. Quand ses ailes t’enveloppent, abandonne-toi à lui, bien que tu puisses être blessé par l’épée cachée dans ses plumes … »

Plus qu’un simple recueil de poèmes, « Le Prophète » nous embarque dans un monde pieux et vertueux, au sein duquel chaque ligne fait office d’une ode à la sagesse et à l’amour. Lorsqu’il évoque la prière, il écrit « Vous priez dans la détresse et le besoin ; puissiez-vous prier aussi dans la plénitude de votre joie et dans les jours d’abondance. » En le lisant tout nous semble si évident, il nous frappe par sa légèreté et sa clarté d’esprit. Tel un prophète, Khalil Gibran dicte, annonce et prescrit la parole divine.

Plus qu’un simple poète, c’est « un guide pour les âmes en quête de lumière »[2]. Il fédère autant qu’il fascine. Khalil Gibran touche les cœurs et les esprits de chaque habitant de la région, du musulman au chrétien. Son œuvre est aconfessionnelle et se focalise sur le destin de l’homme. Cet artiste visionnaire du XXème siècle intrigue par sa singularité qui fait de lui le poète arabe le plus lu au monde. « Le Prophète » a été traduit en plus de 50 langues et est devenu l’un des best-sellers les plus vendu après la Bible. Khalil Gibran est l’exemple de la réussite libanaise et orientale à l’étranger en devenant le porte-parole d’un renouveau littéraire et culturel.

Bibliographie :


[1] https://www.monde-diplomatique.fr/1982/09/GIBRAN/36941

[2] https://www.la-croix.com/Archives/2006-11-30/Khalil-Gibran-un-guide-pour-les-ames-en-quete-de-lumiere-_NP_-2006-11-30-277863

Et si le Coronavirus était un facteur de paix et de stabilité au Moyen-Orient ?

La pandémie du Covid-19 plonge notre monde dans une instabilité et un chaos colossal. Partout, les systèmes de santé sont soumis à rude épreuve et les prévisions désastreuses pour l’économie mondiale font craindre un krach boursier et une baisse de la croissance généralisée.

Pourtant au Moyen-Orient, du Yémen à la Syrie en passant par l’Irak, le coronavirus semble favoriser la paix. Un peu partout dans la région, des cessez-le-feu sont signés entre les différents belligérants, les troubles sociaux peinent à fédérer face à la panique globalisée et certaines troupes étrangères annoncent un retrait partiel de leurs forces. Est-ce le prélude d’une nouvelle ère ou une simple accalmie temporaire ?

Soldat syrien en période de coronavirus

Un répit pour le Yémen ?

Depuis 2015, la coalition arabe menée par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis s’est lancée dans une guerre dévastatrice au Yémen contre la milice des houthis soutenue par l’Iran, qui a renversé le pouvoir central de Sanaa. Dès lors, on assiste à une guerre de positions pour le contrôle des lieux stratégiques.

Cette intervention déclenchée en 2015 est désastreuse. Elle a fait plus de 100 000 morts et la situation humanitaire est catastrophique. Cependant, les Houthis en sont les grands vainqueurs au détriment d’une coalition de plus en plus critiquée par l’opinion internationale. En effet, Ansar Allah (autre nom des Houthis) contrôle un quart du pays, et à peu près les deux tiers du « Yémen utile ». Devant l’enlisement de la situation, des pourparlers ont été menés pour négocier un arrêt des combats.

Après le retrait des forces émiratis du pays en février 2020, l’Arabie saoudite engluée dans le bourbier yéménite, souhaite en sortir et ce en pleine pandémie du coronavirus. Sous la pression des organisations internationales et préoccupées à contenir la prolifération du virus dans le royaume, Riyad a décrété un cessez-le-feu unilatéral en début avril[1]. De leur côté les rebelles Houthis, en position de force et voulant consolider leurs acquis, ont refusé la proposition saoudienne[2].

À ce jour, l’Arabie saoudite compte 12 072 cas confirmés de Covid-19 et 114 décès alors que le Yémen vient de déclarer son premier cas.

En Syrie : le calme avant la tempête ?

Depuis le 5 mars 2020, la Russie et la Turquie ont signé un énième cessez-le-feu mettant fin à l’offensive russo-syrienne sur la localité d’Idlib. Damas et Moscou veulent sanctuariser l’intégralité du territoire syrien et cela passe automatiquement par la reprise du dernier bastion djihadiste d’Idlib. Compte tenu de la propagation de l’épidémie dans la région, les combats ont baissé en intensité et les différents belligérants campent sur leurs positions respectives. Nul doute, que les hostilités reprendront une fois que la contagion liée au virus sera jugulée. De surcroît, les Américains et les Européens ont réitéré leur soutien à leur allié turc membre de l’Otan, en vue d’endiguer l’influence russe[3]. En effet, Moscou n’entend pas lâcher Damas et veut faire de la Syrie le Kaliningrad du Moyen-Orient.

Après avoir soutenu massivement l’opposition anti-Assad, les Émirats arabes unis opèrent un changement radical. Ce rapprochement se traduit par la réouverture de l’ambassade émiratie à Damas en décembre 2018. Récemment, le prince héritier d’Abou Dhabi Mohammed Bin Zayed s’est entretenu avec Bachar al-Assad pour soutenir son offensive contre les djihadistes. Ces derniers sont en partie financés par le Qatar et la Turquie dans une logique d’expansion de l’idéologie des Frères musulmans. Or, ce courant est diamétralement opposé au wahhabisme de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis. Donc, cet entretien diplomatique parachève la logique émiratie de contenir l’idéologie frériste au Moyen-Orient. Mohammed Bin Zayed pousse même Bachar al-Assad à briser le cessez-le-feu d’Idlib[4].

Profitant de la crise sanitaire et du retrait partiel des forces occidentales, des djihadistes de Daesh se sont échappés d’une prison gardée par une milice kurde syrienne. Des attentas perpétrés par ces terroristes sont à craindre.

Pandémie ou pas, Israël veut neutraliser l’appareil militaire iranien présent en Syrie. Dernièrement, l’aviation de Tsahal a survolé illégalement et ce à plusieurs reprises l’espace aérien libanais pour bombarder des cibles proches de la ville de Palmyre[5].

À ce jour, 42 cas de Covid-19 sont répertoriés en Syrie pour 3 décès.

Des troubles sociaux mis entre parenthèses ?

Du Liban à l’Irak en passant par l’Iran, de nombreuses manifestations ont secoué les classes dirigeantes à partir d’Octobre 2019. La colère de la rue ciblait le confessionnalisme, la corruption ou tout simplement la tutelle militaire iranienne au Levant. L’expression du mécontentement est rapidement devenu un déversoir contre la politique de Téhéran au Moyen-Orient. En effet, l’Iran tente de former « un axe de la résistance » jusqu’à la Méditerranée s’opposant aux intérêts américains, saoudiens et israéliens dans la région. Les chancelleries de Tel-Aviv, Riyad et Washington apportent un soutien officiel et officieux aux manifestations pour neutraliser et limiter l’influence iranienne.

La récupération de la grogne populaire ne doit pas minorer la situation économique désastreuse de ces pays. Les manifestations sont légitimes et justifiées. Le chômage est endémique, la pauvreté s’accroît et la violence est structurelle. Tous ces éléments font craindre à un embrasement, notamment en Irak. En dépit des promesses de réformes, la classe politique est prise en étau tant à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur.

Au Liban:

La pandémie du coronavirus offre un répit pour les dirigeants. Le pouvoir libanais contesté lors de la Thawra (révolution) cherche tant bien que mal une sortie de crise. En défaut de paiement, le Liban risque de sombrer dans une crise économique et sociale sans précédent. La gestion de la crise sanitaire par le nouveau gouvernement libanais semble porter ses fruits et est louée par les citoyens. D’ailleurs, le Hezbollah participe également à cet effort de lutte contre cette épidémie en offrant ses services, même en dehors de ses bastions. Au lendemain de cette crise, nul doute, que le pays du Cèdre affrontera de nouveau la grogne populaire tant les indicateurs économiques sont au rouge[6]. Déjà, malgré un confinement imposé, des manifestations ont lieu à Tripoli, berceau de la Thawra d’Octobre 2019.

À ce jour, le Liban compte 682 cas confirmés de Covid-19 pour 22 décès.

En Irak:

L’Irak, quant à lui est devenu un État déliquescent où plane le spectre d’une énième guerre civile. La menace du coronavirus a redistribué les cartes. En fermant ses frontières avec l’Iran, la colère anti-iranienne portée par une partie de la population retombe. La présence militaire occidentale tant décriée depuis l’assassinat de Qassem Souleimani en Janvier 2020 se réduit de peur d’être contaminée par le virus. En effet, En raison de plusieurs cas recensés au sein des troupes françaises en Irak, le gouvernement français a également ordonné le retrait de ses troupes en mars dernier[7].

L’épidémie du Covid-19 paralyse la situation et apaise temporairement les tensions entre l’Iran et les Etats-Unis. Et si on assistait à une résurgence de Daesh dans le pays ?

À ce jour, l’Irak comptabilise 1602 cas de Covid-19 pour 83 décès.

Malgré l’épidémie, le maintien des sanctions :

Indépendamment du coronavirus, la Syrie et l’Iran restent soumis à la dureté des sanctions occidentales. La pauvreté rend la population plus vulnérable face au virus. Ce risque humanitaire ne change pas pour autant la position américaine qui maintient les sanctions et ce, en dépit des demandes internationales.

Avec un bilan de 85 996 cas confirmés et 5 391 décès, l’Iran est de loin le pays le plus affecté du Moyen-Orient. Le régime fragilisé, risque gros si l’épidémie se propage davantage. Le pays n’est pas confiné à ce jour, par crainte d’un désastre économique.

En visite à Damas, le ministre des Affaires étrangères iranien Mohammed Zarif et le Président syrien Bachar Al-Assad ont rappelé conjointement dans un communiqué officiel les conséquences destructrices des sanctions sur les deux pays. Damas dénonce également l’iniquité des sanctions et pointe du doigt l’immoralité des pays occidentaux[8].

On pourrait croire, que le coronavirus est capable de rabattre les cartes au Moyen-Orient. Cependant, il est fort à parier, qu’une fois la pandémie disparue, les tensions habituelles reprendront de plus belle…


[1]https://www.lemonde.fr/international/article/2020/04/10/l-arabie-saoudite-annonce-un-cessez-le-feu-au-yemen_6036163_3210.html

[2] https://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-moyen-orient/une-manoeuvre-au-yemen-les-rebelles-rejettent-le-cessez-le-feu-de-la-coalition_2123430.html

[3] https://theconversation.com/idlib-vers-un-rapprochement-entre-la-turquie-et-les-etats-unis-136148

[4] https://www.middleeasteye.net/news/abu-dhabi-crown-prince-mbz-assad-break-idlib-turkey-ceasefire

[5] https://www.lefigaro.fr/international/syrie-9-combattants-proregime-tues-dans-une-frappe-nocturne-menee-par-israel-20200421

[6] https://orientxxi.info/magazine/le-liban-au-bord-du-gouffre,3816

[7] https://www.lemonde.fr/international/article/2020/03/25/coronavirus-la-france-retire-ses-troupes-

d-irak_6034441_3210.html

[8] https://www.lepoint.fr/monde/syrie-rencontre-entre-bachar-al-assad-et-le-chef-de-la-diplomatie-iranienne-20-04-2020-2372164_24.php