Fayrouz : la diva libanaise qui conquit le monde arabe

Son nom résonne dans le cœur et l’esprit de tous les citoyens arabes. Elle envoûte autant qu’elle fédère. Fayrouz de son vrai nom Nouhad Haddad est sacralisée bien au delà de sa patrie, le Liban. Sa voix enivrante dénote, apporte une touche de légèreté et de joie dans un Moyen-Orient pris en étau, entre les guerres, les ingérences et les luttes intestines.

À l’instar d’Oum Kalthoum, elle devient la référence de la musique arabe et orientale. Fayrouz galvanise et transcende les frontières par les thèmes qu’elle aborde, mais surtout par l’amour de son pays et l’attachement à la défense des causes nobles et consensuelles.

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Une vie consacrée à la musique

Née en 1935 dans un village de la montagne libanaise, la jeune Nouhad Haddad est issue d’une famille catholique syriaque de classe moyenne. Elle commence sa scolarité à l’école primaire catholique de Saint Joseph à Beyrouth. Très tôt, elle se passionne pour la musique et intègre à l’âge de 6 ans la chorale de la Société de radiodiffusion libanaise.

Elle se consacre pleinement à la musique et se fait remarquer en 1952 en interprétant les chansons des célèbres compositeurs libanais de l’époque Assy et Mansour Rahbani. Elle épouse Assy Rahbani en 1955. Cette rencontre et cette alchimie entre la chanteuse et les compositeurs sont les prémisses d’une ascension fulgurante dans le monde de la musique. On lui choisit Fayrouz comme nom de scène, qui signifie littéralement turquoise en arabe. Son style musical diffère, dérange mais envoûte rapidement les foules. Contrairement à la musique traditionnelle longue et monotone et d’un rythme linéaire, la jeune Fayrouz propose des chansons courtes avec une certaine influence latine. On l’oppose à la diva égyptienne Oum Kalthoum, dont les chansons durent plus d’une heure.

En 1957, elle participe au festival international de Baalbek où elle conquiert littéralement le public libanais. S’ensuit de nombreuses tournées dans la région, du casino du Liban à la foire internationale de Damas. Elle joue également dans des comédies musicales où elle s’adonne à un style plus expressif et plus dramatique.

À partir de 1966, elle se produit pour la première fois à Beyrouth. À cette époque, la capitale libanaise est le cœur de l’expression culturelle et artistique du monde arabe. Avec les frères Rahbani, Fayrouz présentent une production cinématographique dans le quartier intellectuel et cosmopolite de Hamra. Le public est sous le charme de sa voix ténébreuse et cristalline. Ses chansons sont la synthèse d’un Liban en paix, épris de tolérance mais soumis aux soubresauts régionaux.

Une musique engagée et fédératrice

La défaite des armées arabes contre Israël en 1967 provoque une onde de choc à l’échelle régionale. Fayrouz, attristée, consacre l’intégralité d’un album à la cause palestinienne en 1971 Al Qods Qalbi (Jérusalem est mon cœur), avec notamment l’une de ses chansons les plus célèbres Zahrat Al Madaen (La fleur des cités)[1]. Cette composition est une véritable ode d’amour à la Palestine défaite et colonisée par l’armée israélienne.  Ses titres sont repris sur toutes les ondes du monde arabe, de Damas au Caire en passant par Tunis[2]. Cette jeune chrétienne libanaise, dont le style et la rythmique bouleversent les codes préétablis de la musique arabe, fédère et outrepasse de loin les appartenances religieuses et nationales de la région. Elle soutient pleinement le nationalisme arabe contre le sionisme. Pour autant, elle reste attachée à sa foi. Elle participe activement aux messes du vendredi en chantant en araméen (la langue du Christ) dans l’église d’Antélias, non loin de Beyrouth.

 Petit à petit, la diva libanaise gagne ses lettres de noblesse et devient un modèle de réussite pour l’ensemble du monde arabe. Surnommé la Suisse du Moyen-Orient, le Liban est un pays où les artistes se côtoient. Lieu de vie et d’interactions sociales, Fayrouz fait consensus et participe activement au rayonnement de la culture arabe et libanaise dans le monde.

Malheureusement, en 1975 le Liban sombre dans une guerre civile aux multiples facettes. Le pays plonge dans le chaos. La chanteuse Fayrouz a la maturité et l’intelligence artistique de ne pas s’ingérer dans le conflit. Elle prend soin de ne pas prendre partie pour tel ou tel camp. Cette neutralité exemplaire lui vaut davantage d’admiration et de prestige au sein de la société libanaise, toutes confessions confondues.

Malgré la maladie d’Azzi Rahbani, Fayrouz continue ses tournées à Amman et à Damas. En 1977, elle présente une comédie musicale à Pétra en l’honneur de l’anniversaire du roi Hussein de Jordanie. En 1978, elle se produit au London Palladium et l’année suivante à l’Olympia de Paris. Cette tournée internationale signe également la fin de la collaboration avec son mari, dont elle divorce.

Dès 1979, elle compose avec son fils Ziad. Le style est différent, un mélange de chansons mélodramatiques avec une sonorité orientale ou imprégnées de jazz. Il n’en demeure pas moins que son succès reste intact. Fayrouz remonte sur scène en septembre 1994 à Beyrouth devant 50 000 Libanais[3]. Meurtri à cause de l’épouvantable guerre civile, le peuple libanais voit en Fayrouz une messagère de la paix et de la réconciliation nationale. Elle chante pour sa patrie, pour son Liban bien aimé. C’est la voix de tout le Liban, de Tripoli à Tyr en passant par Baalbek. Un véritable hymne à la tolérance et au pardon.

Une musique intemporelle

Après plus de 800 chansons et 100 albums, la diva libanaise traverse les époques et les générations sans prendre aucune ride. Partout au Moyen-Orient, dans les bars, les cafés, les radios diffusent continuellement ses chansons. À l’unisson, ses paroles sont chantonnées et murmurées comme si l’instant d’un refrain le temps s’arrête. Vieillards, hommes, femmes et enfants connaissent ses airs dès la première note. Ses chansons sont l’expression d’un peuple avide de légèreté et d’insouciance face à la vie.

Toute la région se reconnaît dans l’un de ses couplets. Une litanie pour l’amour, la résistance ou pour la nature, Fayrouz aborde des thèmes qui s’inscrivent dans la durée. Au Levant, la musique dompte le temps. Les chansons de Fayrouz sont un pont entre les générations et les communautés. Dans un Moyen-Orient compliqué et fracturé, Fayrouz fait office d’exception. Cette diva libanaise apprivoise les divisions et soulage les peines. Pourtant, Fayrouz reste une femme mystérieuse. Elle donne peu d’interviews, ne s’investit pas politiquement et prend juste le soin de défendre ce qui lui semble être juste et noble.

Plus qu’un modèle, Fayrouz est une icône. Sur les étalages des marchés d’Amman de Ramallah ou de Damas, les CD de la diva libanaise sont vendus entre les keffiehs et les tasses à l’effigie de Bachar al-Assad. Les produits dérivés font florès, des coques de téléphone en passant par les briquets ou les portraits. Dans les rues, il n’est pas rare de voir des étudiants chanter un de ses refrains à tue tête. Dans les nombreux bars à narguilé au Moyen-Orient, dès qu’une chanson de Fayrouz passe, les discussions s’arrêtent, les mains se lèvent et tout le monde reprend en cœur ses hymnes de paix et d’amour.

Dans la ville syrienne sacrée de Maaloula, le temps se fige lors de la diffusion de la chanson Ya Mariam (Ô Marie) de Fayrouz. Cette litanie se répand dans toute la vallée par les mégaphones de l’Église.

Dernièrement Fayrouz, âgée de 85ans, a posté une vidéo dans laquelle elle récite un passage de la Bible en arabe pour insuffler un espoir en cette période de pandémie du Coronavirus[4]. Au Moyen-Orient, rares sont les sujets consensuels qui traversent les périodes et les âges avec toujours la même passion. La diva libanaise est l’exception qui confirme la règle.


[1] https://www.youtube.com/watch?v=HQJuPb_AZ-c

[2] https://www.telerama.fr/idees/fayrouz-la-diva-des-rivages,148820.php

[3] https://www.lexpress.fr/informations/fayrouz-la-voix-de-la-tolerance_609385.html

[4] https://www.arabnews.com/node/1652621/lifestyle

Juillet 2006 : le jour où Israël a perdu

Depuis sa création en 1948, l’État d’Israël cristallise toutes les tensions régionales. Après avoir vaincu à maintes reprises les armées arabes en 1948, 1967 et 1973, les gouvernements israéliens, par l’entremise de pressions diplomatiques et financières américaines, tentent de pacifier ses relations avec ses voisins. L’Égypte en 1979 et la Jordanie en 1994 signent des accords de paix avec Israël.

Pourtant, malgré sa supériorité militaire et technologique, Israël n’atteint pas ses objectifs au Liban. Depuis son intervention illégale en 1982, l’armée israélienne fait face à une résistance surprenante qui l’a contrainte à un retrait de ses forces en juin 2000. Le Hezbollah sort vainqueur de cette guerre asymétrique, mais Israël entend coûte que coûte se débarrasser de cette milice installée principalement au Sud-Liban.

Scènes de liesse au Sud-Liban en août 2006

Le contexte d’une guerre programmée

Plongé dans les affres d’une guerre civile aux nombreuses facettes depuis 1975, le Liban est fracturé en une multitude de milices d’obédiences souvent opposées. En 1982, Israël lance son opération « Paix en Galilée » au Liban. Le but initial est de contenir et de détruire la menace palestinienne présente au pays du Cèdre. Officieusement, l’armée israélienne doit atteindre le fleuve Litani pour profiter de ses ressources hydrauliques.

Or la même année, l’armée israélienne est confrontée à une nouvelle opposition populaire dans le Sud-Liban. En effet, suite à la révolution islamique d’Iran en 1979, une partie de la population chiite libanaise constitue une force armée pour s’opposer aux incursions israéliennes. La création du Hezbollah entrave les plans initiaux de l’administration israélienne. Dès lors, le mouvement de résistance libanais se lance dans une guerre d’usure contre un ennemi nettement mieux équipé. C’est un conflit asymétrique entre l’armée la plus puissante de la région et une jeune milice populaire. Or, la force du Hezbollah réside dans la connaissance du terrain. En effet, jusqu’au retrait israélien en 2000, les combattants du parti libanais harcèlent et oppressent les soldats israéliens par le biais de sabotages, de pièges et d’attaques ciblées. Acculé, Tsahal (nom de l’armée israélienne) se retire du Liban en juin 2000. C’est un véritable échec pour l’administration israélienne et une victoire cruciale pour la souveraineté libanaise.

Durant les années qui suivent cette défaite retentissante, les autorités israéliennes et américaines envisagent et planifient une revanche afin d’anéantir le Hezbollah. En effet, Tsahal avec l’aide d’officiers américains développe une expertise dans la gestion des conflits de basse intensité et en matière de contre-terrorisme[1]. Ils tentent également par des pressions diplomatiques et économiques de dissuader la Syrie et l’Iran d’aider le mouvement libanais. Compte tenu du retrait de l’armée syrienne du Liban en 2005, Israël pense avoir un avantage certain. De façon insidieuse, les Etats-Unis, par l’intermédiaire des agences de presse et des organisations humanitaires[2], sapent tant bien que mal l’influence du Hezbollah auprès de la population libanaise.

Le Hezbollah, par proximité géographique, est en contact direct avec l’armée israélienne. Jusqu’au début du conflit en juillet 2006, les affrontements sont épisodiques tant les deux ennemis se redoutent.

Les raisons d’une « victoire divine »

Un commando du Hezbollah enlève deux soldats israéliens à la frontière en juillet 2006 dans le but d’obtenir un échange avec plusieurs prisonniers libanais et palestiniens. Israël a enfin son prétexte officiel pour lancer son opération punitive et destructrice du mouvement libanais.

Initialement, le Premier ministre israélien, Ehoud Olmert, est contre une opération terrestre. Ainsi, l’aviation israélienne et les frégates pilonnent et bombardent toutes les infrastructures du pays. Le but est de détruire l’appareil militaire du Hezbollah et d’anéantir tout désir de vengeance au sein de la résistance libanaise. En effet, les premières frappes ciblent l’organe de presse du mouvement, Al Manar, chaîne qui diffuse en temps et en heure des séquences compromettantes pour l’image d’Israël. De plus, les régions où le Hezbollah est présent sont durement touchées (Beyrouth, Tyr, la Bekaa …). Tel-Aviv tient pour responsable le gouvernement libanais pour la non application de la résolution 1559 du Conseil de sécurité des Nations unies. Cette dernière prévoit la démilitarisation de la branche militaire du Hezbollah[3].

Or, devant la résilience du Hezbollah qui continue sa salve de roquettes sur les villes frontalières israéliennes, Tel-Aviv décide de manière précipitée l’envoi de troupes au sol. Rapidement, l’armée israélienne s’enlise et prend conscience de cette erreur tactique et stratégique. En effet, les soldats hébreux font face à des combattants invisibles qui connaissent les moindres recoins et les moindres ruelles. De surcroît, compte tenu de l’encrage populaire du mouvement libanais, la population civile facilite l’opacité et la cohésion au sein même des villages qui sont sous la menace israélienne. C’est un véritable bourbier pour les Israéliens. Leur incapacité à contrer la stratégie militaire du Hezbollah est manifeste.

Avec l’aide logistique et matérielle de l’Iran et de la Syrie, le Hezbollah s’est perfectionné en matière de combats urbains. Les cadres du parti connaissent la géographie et la topographie, ils se sont servis de bergers arabes à la frontière israélienne pour avoir des informations précises. Contrairement à Israël, le Hezbollah était préparé à un tel conflit[4]. Les roquettes Katioucha utilisées par la milice chiite, ont constamment harcelé le Nord d’Israël pendant les 33 jours de guerre.

Le 11 août 2006, le Conseil de sécurité des Nation unies demande la cessation totale des hostilités. En dépit des nombreuses pertes civiles et des dégâts majeurs subis par le Liban, cette agression se solde par une défaite d’ordre psychologique, politique et militaire pour Israël. De son côté, le Hezbollah sort grand vainqueur de cette guerre, malgré l’apathie consternante des dirigeants arabes.

Hassan Nasrallah : le nouveau Nasser ?

50 ans après la nationalisation du canal de Suez en juillet 1956 par Gamal Abdel Nasser, le Moyen-Orient est de nouveau en effervescence. La victoire du Hezbollah contre l’armée israélienne en 2006 et la confirmation d’Hassan Nasrallah comme leader du mouvement transcendent les foules arabes. Enfin, un succès retentissant dans la conscience collective trouve écho à l’échelle de toute la région. Les discours du secrétaire général du parti sur la « victoire divine » sont écoutés et réécoutés dans toutes les rues arabes.

Affiliés aux Etats-Unis, les dirigeants arabes ne soutiennent pas la résistance libanaise[5]. Le soutien provient de la rue arabe. Une rue qui affirme son soutien dès le début des hostilités. Des portraits d’Hassan Nasrallah sont présents dans toutes les villes du Proche-Orient. Il représente ce que le monde arabe attend : un chef charismatique opposé à toute concession avec l’ennemi. La sémantique du parti est reprise à l’échelle de la région, les expressions « entité sioniste » et « l’ennemi sioniste » sont scandées dans toutes les capitales. Cette victoire du Hezbollah insuffle un espoir généralisé au Moyen-Orient. La défaite de Tsahal est vécue comme une victoire dans toutes les villes arabes. De surcroît, des manifestations sont organisées du Maroc au Golfe, aussi bien par des nationalistes arabes que par les islamistes des Frères musulmans. À Tripoli en Libye, les habitants descendent dans les rues pour exprimer leur soutien à Hassan Nasrallah et inciter le mouvement chiite à attaquer Tel-Aviv[6]!!

Au Levant, la culture politique mélange populisme, culte de la personnalité et expression d’une résistance face à l’ennemi israélien. Cet événement résonne dans les cœurs et les consciences de chaque Arabe. Ce n’est pas uniquement l’expression d’une ferveur populaire, elle touche toutes les couches sociales réunies. La lutte contre Israël est encrée dans l’esprit de la majorité des habitants de la région. Israël représente le miroir du néocolonialisme. Quant à lui, le leader du Hezbollah fait l’objet d’une vénération. L’adoration collective qui a suivi cette victoire supplante de loin l’attache nationale. Des produits dérivés sont vendus à l’échelle de toute la région. Ses discours sont enregistrés sur des cassettes puis réécoutés dans les taxis du Caire ou de Damas. Somme toute, un mouvement chiite a été adulé par une foule majoritairement sunnite. Le dénominateur commun est la lutte contre Israël.

En 1956, il y a eu un effet Nasser. En 2006, il y a eu l’effet Nasrallah. Cependant, celui-ci est de courte durée, tant les régimes du Golfe et leurs alliés occidentaux ont investi massivement les organes de presse pour diaboliser le Hezbollah et confessionnaliser les tensions au Proche-Orient entre sunnites et chiites.


[1] Sami Makki, « Une guerre asymétrique », in Franck Mermier et al., Liban, une guerre de 33 jours, La Découverte « Cahiers libres », 2007, p-213-218

[2] Julie Chapuis, « Saper la reconstruction du Hezbollah : la diplomatie publique américaine au Liban depuis 2006 », Politique américaine 2017/2 (n°30), p 11-29

[3] Michel Goya et Marc-Antoine Brillant, « Israël contre le Hezbollah : Chronique d’une défaite annoncée 12 juillet- 14 août 2006 », éditions du Rocher, 2013

[4] Pierre Prier, « Le Hezbollah contre Israël : les leçons d’une victoire, naissance d’une guérilla plus-plus », Orient XXI, février 2014

[5] Franck Mermier et Elisabeth Picard, « Liban, Une guerre de 33 jours », La Découverte, 2007

[6] Tareq Arar, « L’ « effet Nasrallah » : les conséquences de la guerre israélo-libanaise au Proche-Orient », Hérodote 2007/1 (n°124), p 24-38

Yasser Arafat : symbole de la résistance palestinienne

Suite à la déclaration Balfour en 1917, qui organise méthodiquement l’immigration des Juifs en Palestine, les Arabes de la région se sentent délaissés, si ce n’est abandonnés. La création de l’État hébreu en 1948 enflamme tout le Moyen-Orient. La dépossession et l’accaparement des terres palestiniennes ainsi que ses conséquences plongent la région dans un cycle infernal de conflits et de tensions territoriales.

La figure emblématique de Yasser Arafat est le miroir de la longue et lente errance palestinienne durant la seconde moitié du XXème siècle. Un temps activiste, fedayin puis diplomate, le parcours du résistant de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) se fait l’écho d’une cause consensuelle et fédératrice, mais tronquée au gré des bouleversements de l’Histoire régionale.

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Une enfance au cœur des vicissitudes du Moyen-Orient 

Né en 1929 au Caire, il est le fils d’un commerçant originaire de Gaza et d’une mère originaire de Jérusalem. Yasser Arafat affirme être né à Jérusalem. Ceci a pour but de légitimer encore un peu plus son combat pour la cause palestinienne.

Il passe les premières années de sa vie au Caire, puis il est envoyé à Jérusalem en 1936 chez l’un de ses oncles maternels. C’est à cette époque, qu’il constate l’injustice latente dont fait l’objet le peuple palestinien. En effet dans les années 30, l’immigration juive se fait au détriment des autochtones palestiniens qui doivent souvent délaisser leurs terres d’origine. Devant ces vexations et exactions de plus en plus régulières, Yasser Arafat assiste impuissant à plusieurs révoltes palestiniennes. Très tôt, ces évènements nourrissent en lui un sentiment d’humiliation et un désir de revanche.

Après avoir passé 4 ans dans la ville Sainte, il rentre au Caire où il continue ses études et entame parallèlement sa formation politique. Le jeune Yasser se passionne rapidement pour la Palestine, il étudie les penseurs panarabes ainsi que le théoricien du sionisme Theodor Herzl. Initialement proche des Frères musulmans égyptiens, il s’en écarte par la suite. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, en raison des crimes nazis, les puissances occidentales de l’époque reconnaissent l’obligation et l’importance de la création d’un État juif en Palestine. Dès lors, désabusé devant l’iniquité d’une décision unilatérale, l’ambition de Yasser Arafat est d’œuvrer à la libération totale de la Palestine.

Du militantisme au leadership palestinien

Mohamad Abd-al Rauf Arafat, dit Yasser Arafat participe à la première guerre israélo-arabe en 1948. Cette cuisante défaite représente une catastrophe (Al-Nakba en arabe) pour toute la région. Ce premier opprobre est le prélude à la longue agonie du peuple palestinien.

 De retour au Caire, Le jeune Yasser obtient son diplôme d’ingénieur civil en 1956. Dans les années 50, il devient président d’un groupe d’étudiants palestiniens exilés au sein duquel émerge la conscience et la vision d’un nationalisme palestinien. Il sert tout de même l’armée égyptienne lors de la crise du canal de Suez en 1956 contre l’agression tripartite française, anglaise et israélienne.

Peu à peu, le jeune militant palestinien prend ses distances vis-à-vis des gouvernements arabes, qu’il juge incapables de délivrer la Palestine. Selon lui, la solution doit provenir de l’intérieur et non d’un pays arabe à l’instar de l’Égypte ou de la Syrie. Yasser s’installe finalement au Koweït en tant que chef d’entreprise. C’est dans ce pays qu’il fonde le mouvement de libération de la Palestine, parti rapidement renommé le Fatah (La conquête en Arabe). L’objectif principal est l’établissement d’un État palestinien faisant fi de la reconnaissance de l’État israélien. Son positionnement et sa volonté d’utiliser l’action militaire l’écartent encore un peu plus des dirigeants arabes. Il réfute catégoriquement que la cause palestinienne soit utilisée à des fins de propagande démagogue. Ainsi, il crée en 1959 un journal intitulé Filistinuna (Notre Palestine) qui parachève la rupture entre sa vision et celle du panarabisme.

Dans ce journal, Yasser Arafat théorise son idéologie et explique l’importance de la lutte armée pour les réfugiés palestiniens (en Jordanie, au Liban, en Syrie et en Égypte). En effet, il conceptualise l’idée du fedayin palestinien (notion qui signifie littéralement le fait de se sacrifier pour une cause). Devant l’atonie des gouvernements arabes et l’accaparement des terres par les Israéliens, Yasser Arafat veut agir seul, pour mobiliser et former des groupes de commandos. 

Une lutte armée qui ne fait pas consensus

Au lendemain de la défaite de la guerre des six jours contre Israël en 1967, Yasser Arafat est conforté dans son idée que le salut de la Palestine ne peut  venir d’un pays arabe (en l’occurrence la Syrie et l’Égypte). Lors du congrès du Fatah à Damas en juin 1967, Yasser Arafat prône des actions armées en Cisjordanie, territoire conquis par Israël la même année. Il devient la tête pensante et agissante des fedayins. Les attaques ciblent les intérêts israéliens par l’entremise de sabotages et d’attentas. Yasser Arafat se lance dans une guerre d’usure contre « l’ennemi sioniste ». Or, Israël réplique avec force et démesure, obligeant les Palestiniens à établir leurs locaux en Jordanie. Ceci alimente les tensions entre le royaume hachémite jordanien et les combattants palestiniens.

Pour autant, les fedayins obtiennent leur premier succès en mars 1968 à Karameh en Jordanie. Après avoir assiégé et bombardé le camp de réfugiés, les Israéliens font face à une résistance surprenante de la part de 300 palestiniens. La base de Karameh est finalement rasée mais l’armée israélienne est obligée de quitter les lieux. Auréolé de cette victoire, Yasser Arafat assoit encore un peu plus sa légitimité et préconise une rupture totale avec les gouvernements arabes. De surcroît, quittant la clandestinité, il est nommé Président du comité exécutif de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) en février 1969. La charte de l’organisation nie l’existence de l’État hébreu.

Cependant cette consécration est de courte durée tant les luttes intestines et inter-arabes prennent le dessus sur la lutte contre Israël. En effet, les commandos palestiniens indisciplinés se heurtent régulièrement à l’armée jordanienne. Très vite, ils constituent « un État dans l’État » et outrepassent de loin les fonctions régaliennes de l’État jordanien. Finalement, le roi Hussein de Jordanie ordonne le massacre de plusieurs milliers de Palestiniens, civils et militaires en septembre 1970. Cet épisode dramatique dans l’histoire de la cause palestinienne est connu sous le nom de Septembre noir

En raison du durcissement de la politique jordanienne à l’égard des Palestiniens, Yasser Arafat et l’OLP s’établissent à Beyrouth en 1970.

Un délaissement progressif

Faute de reconnaissance internationale de l’OLP comme unique représentant du peuple palestinien, Yasser Arafat veut faire du Liban un territoire acquis à sa cause. Lors du sommet arabe de Rabat en octobre 1974, l’OLP est reconnu comme seul représentant légitime du peuple palestinien.

Les Palestiniens sont présents au Liban depuis 1948 et la première défaite arabe contre Israël. À l’arrivée de l’OLP, Yasser Arafat organise et lance avec l’aide des populations locales des actions militaires contre les villes israéliennes depuis le Sud-Liban. Ses actions s’inscrivent dans la légalité depuis les accords du Caire en 1969. Ces derniers autorisent les mouvements palestiniens à utiliser le Liban comme base arrière dans sa lutte contre « l’ennemi sioniste ». Or, les représailles israéliennes détruisent méthodiquement les structures économiques (port, aéroport, centrales électriques, ponts…) du pays afin que la population libanaise se retourne contre la présence palestinienne. Une fois de plus, les commandos de Yasser Arafat enveniment la situation dans le pays d’accueil.

Le Liban sombre en 1975 dans une guerre dévastatrice. Au fil des années, le pays devient une mosaïque d’alliances complexes et hétérogènes. Les Palestiniens affrontent essentiellement les milices chrétiennes puis les forces pro-syriennes. Des atrocités sont commises dans les deux camps. De surcroît, Yasser Arafat échoue à faire reconnaître la Palestine comme État indépendant lors des accords de camp David en 1979. Devant l’incapacité du gouvernement libanais à contenir les opérations palestiniennes, Israël intervient militairement et tente d’éliminer l’OLP en 1978 puis en 1982 en envahissant le Liban.

Frôlant la mort lors d’un bombardement israélien sur Beyrouth, l’OLP et Yasser Arafat sont expulsés vers Tunis en 1982. Face à cet échec cuisant les fedayins sont contraints de se disperser en Algérie, en Irak et au Yémen. Exilé, Yasser Arafat ne verra pas son peuple se soulever lors de la première intifada en 1987.

Yasser Arafat a eu plusieurs vies en une. Surnommé « le Che du Moyen-Orient », vêtu d’un treillis, d’un keffieh et d’une barbe de trois jours, il intrigue et fascine. Dans son rôle de résistant et de tacticien, il prêche consciencieusement la guérilla armée contre l’ennemi israélien. Cependant, il n’a pas les moyens de ses ambitions et s’enferme dans sa propre logique nationaliste, refusant tout parrainage arabe. À défaut d’avoir libéré la Palestine par les armes, il est contraint de trouver un compromis par la diplomatie avec Israël lors des accords d’Oslo en 1993. Suite à ces accords, il obtient le prix Nobel de la paix avec Yitzhak Rabin et Shimon Pérès en 1994. Prélude, d’un lent et progressif isolement sur la scène internationale et arabe au profit du mouvement islamique Hamas, partisan d’une lutte totale contre Israël.

Bibliographie :

  • Éric Roulleau, « Yasser Arafat à travers l’Histoire », Manière de voir Le Monde Diplomatique, Mars 2018, p47-51
  • Georges Corm, « Pensée et politique dans le monde arabe », La Découverte, 2015
  • Christophe Boltanski et Jihan El-Tahri, « Les sept vies de Yasser Arafat », Grasset, 1997
  • Alain Gresh, « De quoi la Palestine est-elle le nom ? », Actes Sud, 2012

Hafez al-Assad : père de la Syrie moderne

Au XXe siècle, la Syrie est au cœur des soubresauts de l’histoire régionale. La déliquescence de l’Empire ottoman pousse les populations locales à réclamer leur indépendance et à embrasser le rêve d’une nation arabe unie. Or très vite, les espoirs sont déchus sous la tutelle mandataire française entre 1920 et 1946. En plus d’amputer la Syrie avec la création du Liban, les autorités françaises régionalisent consciencieusement et méthodiquement les différentes communautés religieuses. En effet, le pays est composé de minorités kurdes, arméniennes, chrétiennes, chiites et d’une majorité sunnite.

À l’indépendance du pays en 1946, la Syrie et l’Égypte sont les fers de lance de la lutte contre l’État d’Israël. Cependant, l’instabilité politique prédomine en interne et 18 gouvernements se succèdent jusqu’à l’accession au pouvoir d’Hafez al-Assad en mars 1971. Stratège et militaire, il va faire de la Syrie un acteur incontournable du Moyen-Orient.

De sa formation militaire à sa formation politique :

Né en 1930 au sein d’une famille de 11 enfants, Hafez al-Assad appartient à la communauté alaouite, branche dissidente du chiisme. Il est scolarisé à l’âge de 9ans dans la grande ville côtière de Lattaquié. Assoiffé de connaissance, il choisit l’Académie militaire syrienne, seul moyen pour lui d’accéder à des études supérieures. En parallèle, il se passionne pour la politique et l’histoire de la région. Il est très tôt influencé par les penseurs du parti Baath, le chrétien orthodoxe Michel Aflak et le musulman sunnite Salah al-Din al-Bitar. D’obédience socialiste et nationaliste, ce parti prône une indépendance économique et politique vis-à-vis des puissances étrangères.

De surcroît, à l’instar de tous les Arabes de la région, il sacralise Gamal Abdel Nasser. Cependant, il entend ce battre pour le nationalisme syrien et espère refonder la Grande Syrie (Souria el Koubra en arabe), démembrée par les Occidentaux en 1920. Il s’imprègne également des textes du philosophe syrien Zaki al-Arzouzi, apôtre de l’arabisme, proclamant la régénération de l’identité syrienne.

Choisissant la carrière militaire, il excelle dans cette voie et se révèle être un officier brillant. Il intègre l’école militaire d’Homs, l’école militaire de l’air d’Alep puis le jeune Hafez part se perfectionner en Union soviétique pour suivre une formation de pilote de chasse pendant 11 mois.

À cette époque, le Moyen-Orient est en effervescence. La Syrie et l’Égypte s’unissent et forment la République arabe unie (cf article sur la République arabe unie). Hafez-al Assad est envoyé en tant qu’officier au Caire. Initialement partisan, il est très vite méfiant à l’égard du projet nassérien, il se sent humilié par l’arrogance des Égyptiens. Clandestinement avec plusieurs officiers, ils veulent mettre un terme à l’union entre les deux pays. Lors de l’éclatement de la RAU, il est brièvement emprisonné au Caire.

De retour en Syrie en 1961, aidé par son comité militaire d’officiers baathistes, Hafez al-Assad se mue en un fin stratège pour asseoir son autorité, stabiliser politiquement le pays et jeter les bases d’un État indépendant et puissant sur la scène régionale.

Son ascension au pouvoir : une méticuleuse éviction de ses opposants

Dans une Syrie instable, les gouvernements se succèdent au gré de plusieurs coups d’États. De surcroît, la question palestinienne et la lutte contre Israël cristallisent toutes les craintes et toutes les attentes.

Dès 1963, le Baath arrive au pouvoir et se rapproche du bloc soviétique en nationalisant des pans entiers de l’économie syrienne et en adoptant des politiques sociales. Hafez al-Assad est nommé chef d’état-major de l’armée de l’air en 1964. L’aile gauche du Baath fomente un coup d’État en 1966 et écarte tous les autres partis. Hafez al-Assad devient ministre de la Défense et en profite pour évincer de l’intérieur la vieille garde et ses opposants politiques.

Les tensions extérieures avec la guerre des six jours en 1967 contre Israël et le problème des réfugiés palestiniens accentuent la crise politique. Deux visions se font face. D’un côté les radicaux qui prônent l’action militaire, de l’autre les pragmatiques sous la houlette de Hafez al-Assad qui préconisent une retenue. Petit à petit, il tisse un réseau au sein même de l’armée. Il noyaute le baath et devient l’homme fort du parti. En novembre 1970, fort du soutien de l’armée, Hafez al-Assad se saisit du pouvoir et emprisonne le Président Noureddine al-Atassi ainsi que l’influent général Salah Jedid.

Hafez impose sa vision au sein du parti et son attachement au projet de la « Grande Syrie ». Son autorité et sa légitimité reposent sur le soutien indéfectible de son clan alaouite.

Un autoritarisme au service de son clan et de la stabilité du pays

Dans un pays multiconfessionnel comme la Syrie, Hafez al-Assad entend privilégier sa communauté alaouite. Représentant environ 10% de la population, cette minorité chiite a longtemps vécu marginalisée. Persécutés sous les Mamelouks du XIIIe au XVIe siècle, relégués au second plan sous l’Empire ottoman et abusés sexuellement jusque dans les années 1960, les Alaouites ne sont officiellement reconnus comme musulmans qu’en 1936. Ils sont méprisés par une partie des sunnites qui les assimilent à des mécréants. En effet, la réincarnation, la croyance en une trinité, la non interdiction de l’alcool et les célébrations de certaines fêtes chrétiennes attisent une certaine méfiance de la majorité sunnite. Le rite alaouite est apparu au XIe en Irak, il se concentre majoritairement sur le littoral syrien et s’étend jusqu’à Tripoli au Liban. De ce fait, l’ascension d’Hafez al-Assad à la tête de la Syrie est en quelque sorte la revanche de l’histoire de toute une communauté trop longtemps opprimée et délaissée.

Pour asseoir son autorité, il s’appuie sur l’armée, sur des groupes paramilitaires ainsi que sur un réseau de service de renseignement hautement hiérarchisé (moukhabarat en arabe). Pour étendre son pouvoir, il place des alaouites et des membres des minorités religieuses (chrétiens et ismaéliens notamment) à des postes clés. Hafez al-Assad continue méthodiquement les politiques de nationalisations et évince les libéraux qui sont obligés de fuir au Liban ou en Occident.

Or, sa légitimité est confrontée à la méfiance et à l’insubordination d’une partie des musulmans sunnites. Malgré quelques postes importants dans l’armée ou dans l’industrie, la majorité sunnite vit mal l’accaparement du pouvoir par les Alaouites. Pourtant, pour acheter la paix sociale Hafez al-Assad a fait construire des dizaines de mosquées, en prenant bien soin de contrôler les prêches des imams pour satisfaire la communauté sunnite. Cependant, les Frères musulmans, partisans d’un Islam radical et opposés à l’idée de nation, refusent l’autorité d’Hafez al-Assad. Cette opposition, alimentée par les monarchies du Golfe, entrave la stabilité politique du pays. Dès 1976, les Frères musulmans commanditent plusieurs attentats contre des casernes militaires et contre des personnalités politiques alaouites. Le Président Hafez al-Assad échappe à une tentative d’assassinat en 1980. En février 1982, Hafez al-Assad répond fermement et violement au danger de « cette gangrène islamiste » en bombardant scrupuleusement la ville d’Hama, principal foyer des Frères musulmans en Syrie.

Fermeté et stratégie du gouvernement Assad à l’étranger

Ayant stabilisé le pays à travers un vaste appareil d’État policier, Hafez al-Assad veut réhabiliter la Syrie sur la scène régionale. Ennemi invétéré d’Israël, il se lance dans la guerre du Kippour avec l’Égypte en octobre 1973 pour récupérer les territoires perdues lors de la guerre des six jours en 1967. Depuis cette humiliante défaite Israël occupe militairement le Golan syrien et le Sinaï égyptien. Simultanément les deux armées percent les défenses israéliennes en 48h. La contre offensive de l’armée israélienne est dévastatrice. Malgré leur supériorité en nombre, Égyptiens et Syriens sont défaits face à la supériorité tactique et technologique israélienne. Dès lors, les territoires occupés servent de chantage pour une normalisation des relations. En 1979, l’Égypte d’Anouar al-Sadate cède et signe un accord de paix avec Israël au sommet de Camp David en échange du Sinaï.

Malgré les nombreuses pressions américaines, Hafez al-Assad refuse catégoriquement de signer un accord de paix avec Israël en échange de la restitution du plateau du Golan. Compte tenu de ses richesses hydrauliques, ce territoire est l’une des priorités du gouvernement Assad.

De plus, Apôtre de la Grande Syrie, le Liban doit revenir dans le giron syrien. Selon sa fameuse formule « un seul peuple dans deux États », Hafez al-Assad profite de la guerre civile au Liban en 1975 pour avancer ses pions. Suite à une demande du gouvernement libanais, il intervient légalement dans le conflit à partir de 1976. Tantôt aux côtés des conservateurs chrétiens, Tantôt aux côtés des progressistes pro-palestiniens, Hafez al-Assad veille soigneusement qu’aucun des deux camps ne l’emporte. Le chaos libanais permet ainsi à l’armée syrienne d’installer un quasi-protectorat sur le pays du Cèdre.

Henry Kissinger, homme politique et diplomate américain, surnomma Hafez al-Assad le « Bismarck du Moyen-Orient ». Stratège et fin connaisseur des rouages de la vie politique internationale, Hafez al-Assad a su hisser la Syrie au statut de nation forte et indépendante malgré les convoitises et les nombreuses ingérences extérieures. Pragmatique et partisan de la Realpolitik, pour lui, seul le compromis avec « l’ennemi sioniste » était inenvisageable.

Bibliographie :

  • Pierre-Emmanuel Barral et Olivier Hanne, « La Grande Syrie », Éditions du Grenadier, 2016
  • Georges Corm, « Pensée et politique dans le monde arabe », La Découverte, 2015
  • Richard Labévière et Talal al-Atrache, « Quand la Syrie s’éveillera », Perrin, 2011
  • Patrick Seale, « Assad, the struggle for the Middle East », University of California Press, 2016
  • Fabrice Balanche, « Le cadre alaouite I. Alaouites : une secte au pouvoir », Outre-Terre, 2006/1 (n°14), p. 73-96

Saddam Hussein : la longue marche vers le pouvoir

Indépendant officiellement en 1932, l’Irak reste soumis aux ingérences britanniques. Londres établit plusieurs bases militaires et autorise les compagnies pétrolières à forer et à pomper l’or noir du pays. De surcroît, ce pays tribal sans aucune centralisation du pouvoir subit une forte régionalisation des différentes communautés. Les Kurdes vivent au Nord-Est dans la région d’Erbil, les Chrétiens sont installés depuis des siècles dans la plaine de Ninive, les Sunnites sont présents à l’Ouest et la majorité chiite à Bagdad et dans le Sud-Est du pays.

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, la nation irakienne vacille d’une influence à une autre. Pro-américaine dans les années 50, elle est assujettie au joug communiste la décennie suivante. Morcelé, divisé et en proie à des agitations internes, l’Irak doit attendre l’arrivée de Saddam Hussein à la tête du pays pour connaître une stabilité politique et un réel développement économique.

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D’une jeunesse instable à ses premiers pas en politique

Né en 1937 à Tikrit au nord de Bagdad, le jeune Saddam Hussein grandit au sein d’une famille paysanne sunnite, dépourvue de ressources. Orphelin, il est élevé par l’un de ses oncles maternels. Son enfance est à l’image de millions d’Arabes qui vivent loin des métropoles. Pauvre, il travaille et cultive les champs. Sa famille ne pouvant le scolariser, il décide donc de fuir à l’âge de 10 ans vers Bagdad. Au cours de sa fugue, il est accueilli par un membre de sa famille. Ce dernier l’emmène jusqu’à la capitale ou il finance ses études. En parallèle, Saddam exerce différents métiers. Tour à tour, il est chauffeur de taxi puis vendeur de cigarettes. De tradition sunnite, il n’est cependant pas pratiquant.

À 19 ans, en raison de la nationalisation du canal de Suez en 1956, il est témoin oculaire du bouleversement des équilibres préétablis dans la région. Cet évènement pousse tous les citoyens à embrasser le rêve d’une grande nation arabe indépendante. Saddam sacralise l’action de Gamal Abdel Nasser. C’est à cette époque, qu’il commence à entreprendre sa longue marche vers le pouvoir irakien. Il entre en contact avec les milieux nationalistes et milite clandestinement pour le parti Baath. Il étudie et s’imprègne des textes du chrétien orthodoxe Michel Aflak et du musulman sunnite Salah al-Din al-Bitar, fondateurs de ce parti socialiste arabe.

Or, les communistes du général Kassem prennent le pouvoir en 1958. Les nationalistes et les baathistes subissent des purges de la part des autorités irakiennes. Le pays est fragmenté. Il regorge une multitude de partis aux obédiences et aux influences extérieures antinomiques. En 1959, Saddam Hussein participe à la tentative d’assassinat du général Abdel Karim Kassem. Cette entreprise échoue. Blessé à la jambe, il fuit et se réfugie à Damas en traversant l’Euphrate à la nage.

L’influence idéologique du parti Baath :

Arrivé en Syrie en 1959, Saddam Hussein découvre avec satisfaction le succès de l’arabisme. En effet à cette période, la Syrie et l’Égypte ne forment qu’un seul pays (Cf article sur la République arabe unie). Il constate l’effervescence des foules face aux attentes d’une idéologie régionale ambitieuse. C’est au cours de son séjour à Damas qu’il rencontre le fondateur du parti Baath Michel Aflak. Tout au long de son parcours politique, il sera influencé par sa vision.

Le parti Baath (renaissance en arabe) a été fondé en 1944. D’obédience nationaliste et socialiste, il prône une indépendance politique et économique vis-à-vis des puissances étrangères. Fer de lance de l’arabisme, il entend placer l’arabité au dessus des appartenances religieuses en promouvant une laïcité à l’orientale. Néanmoins, selon ses fondateurs l’Islam « demeure l’âme de la nation arabe ». Le slogan du parti est « Unité, liberté, socialisme » (Wahdah, Hurriyah, Ishtirakiyah en arabe). Le jeune Saddam Hussein s’imprègne de ses principes et les érige en fondement même de sa future politique.

En 1960, il continue ses études de droit au Caire. Apprenant la réussite du coup d’État de février 1963 contre le général Kassem, il rentre au pays. Or très vite, il déchante devant l’amateurisme du nouveau général Aref. Ce dernier se retourne contre ses anciens partisans et instaure une dictature en chassant tous les membres du parti Baath irakien.

Clandestinement, Saddam Hussein organise et étend son influence sur le parti. Il s’attache à structurer un parti puissant fondé sur ses principes initiaux. Entre 1963 et 1968, il devient la tête pensante et agissante du parti. Civil, Saddam n’hésite pas à donner des conseils militaires aux soldats chevronnés. Dérangeant et perturbateur politique, il est emprisonné par les autorités centrales en 1964.

2 ans plus tard, il s’évade et décide de prendre le pouvoir. Il fomente avec ses partisans un coup d’État le 17 juillet 1968. Enfonçant la grille du palais présidentiel avec un char et vêtu d’un uniforme de lieutenant d’infanterie, à 30 ans le jeune Saddam Hussein scelle son destin à celui de l’Irak en renversant le gouvernement d’Abdel Salam Aref.

1968-1979 : Premier ministre réformateur

Ahmad Hassan al-Bakr s’empare du pouvoir suite au coup d’État de 1968. Saddam Hussein devient l’homme clé du gouvernement irakien. En tant que Premier ministre et vice président du conseil de commandement de la révolution (CCR), il s’empresse de créer une réelle structure d’État pour développer des pans entiers de la société. Saddam s’érige en bâtisseur et réformateur de la nation irakienne. Il met en place une révolution économique constructive et progressiste. N’étant pas un idéologue, il veut néanmoins façonner l’homme arabe en le faisant prendre consciences de ses atouts. Sa mission est de créer l’émergence d’une conscience nationale, patriotique et panarabiste au sein de chaque citoyen.

L’Irak est doté d’un sous-sol riche en hydrocarbures. Le gouvernement irakien nationalise le pétrole en juin 1972 et ordonne le retrait des compagnies étrangères. Les revenus pétroliers permettent ainsi aux autorités d’investir massivement dans l’agriculture, l’éducation mais surtout l’armée. Saddam Hussein modernise également l’industrie et fait de l’Irak l’étendard du renouveau arabe. Cependant, ce développement impressionnant inquiète les autorités israéliennes en raison de ses discours belliqueux pour la défense de la Palestine.

L’armée devient l’atout indispensable de Saddam Hussein, elle lui permet d’asseoir sa légitimité et d’accroître son influence. Il entend ainsi fédérer toutes les régions irakiennes sous le prisme de l’adhésion au parti Baath. Il veut faire de l’Irak tribal, un pays unifié et soudé sous l’emprise de son parti. Pour mater les volontés autonomistes kurdes au Nord-Est et les revendications politiques chiites, l’armée s’avère être un gage de stabilité dans un pays instable.

Chef de fil d’un nouveau panarabisme et ennemi invétéré du sionisme, Saddam Hussein soutient activement la Syrie dans la guerre du Kippour contre Israël en Octobre 1973. Il y envoie plus de 30 000 soldats et environ 300 véhicules blindés. Sans surprise, lorsqu’Ahmad Hassan al-Bakr se retire de la vie politique malade, Saddam Hussein lui succède en juillet 1979 et devient Président de la République d’Irak, Prédisent du commandement de la révolution et commandant en chef des armées.

L’affirmation de son pouvoir contre vents et marées

De vendeur de cigarettes dans les rues de Bagdad à la présidence de la République, Saddam Hussein est devenu l’homme fort de tout un pays. Il assoit son autorité en s’appuyant sur un régime autoritaire et policier. Toutefois, il redresse l’économie et modernise les infrastructures du pays. Cet incroyable essor alarme les autorités israéliennes et américaines sur ses desseins régionaux. Indépendant, le Président irakien est un électron libre sur la scène régionale et internationale.

Cependant en 1979, un cataclysme ébranle le Moyen-Orient. La révolution islamique d’Iran change la donne régionale. Esseulé, l’Iran chiite tente d’imposer les principes mêmes de sa révolution aux pays voisins, notamment à l’Irak qui est peuplé d’une majorité de chiites (55-60%). L’Occident finance, arme et pousse Saddam Hussein à se lancer dans une guerre pour stopper la contagion révolutionnaire iranienne. Dans ses discours, Saddam Hussein s’érige en défenseur de l’arabité contre l’Iran perse et essaye de former un front commun arabe. Les monarchies du Golfe entretiennent l’effort de guerre irakien. Or, ce conflit dure 8 ans (1980-1988) et se solde par statu quo qui laisse exsangue les deux pays avec d’innombrables pertes humaines. Au lendemain de la guerre, Saddam ordonne des purges et des massacres de Kurdes irakiens qui ont pactisé avec l’ennemi iranien.

D’une poigne de fer, Saddam Hussein a stabilisé et hissé l’Irak au statut de puissance arabe respectée et indépendante. Sa politique fédératrice et unioniste à l’échelle régionale sera confrontée aux soubresauts de l’Histoire. Instrument et vassal de l’Occident dans le dossier iranien, l’Irak deviendra peu à peu la cible de toutes sortes d’ingérences qui finiront par découdre méthodiquement le tissu social et détruire l’appareil étatique du pays.

Bibliographie :

  • Saïd-K Aburish, « Le vrai Saddam Hussein », Editions Saint-Simon, 2002
  • Georges Corm, « Pensée et politique dans le monde arabe », La Découverte, 2016
  • Charles Saint-Prot, « Saddam Hussein, un gaulliste arabe ? », Albin Michel, 1987
  • Elisabeth Picard, « L’Iraq de Saddam Hussein : de l’ambition modernisatrice à la logique sécuritaire », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 1991

1 septembre 1969 : le révolutionnaire libyen Mouammar Kadhafi entre dans l’Histoire

Malgré son indépendance en 1951, la Libye demeure un pays qui attise les convoitises. En un siècle, ce territoire quasi-désertique est passé sous le joug de l’Empire ottoman, de l’Italie de Mussolini puis de la Grande-Bretagne. Le pétrole, sa superficie et son identité africaine et arabe intéressent les puissances néocoloniales.

Le roi libyen de l’époque, Idriss Ier, n’est pas en mesure de s’opposer aux desseins des Britanniques et des Américains. Sa posture conciliante et passive à l’égard des compagnies pétrolières et la présence de bases militaires étrangères provoque un sentiment d’humiliation au sein d’une frange de la population libyenne. Influencé et marqué par l’aura et le charisme de Gamal Abdel Nasser en Égypte, un petit groupe d’officiers sous la houlette de Mouammar Kadhafi va chambouler le cours de l’Histoire régionale.

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L’ascension d’un jeune bédouin :

Né en 1942 et issu d’une famille bédouine de la Tripolitaine (l’ouest de la Libye), Mouammar Kadhafi hérite d’une culture rudimentaire et tribale. Il commence sa scolarité à l’âge de 9 ans en quittant le foyer familial. Pauvre, il dort et étudie la majorité du temps dans l’une des mosquée de la ville de Syrte. Fidèle au dogme musulman, il apprend le Coran. Féru d’histoire et de lecture, il admire le Général de Gaulle et Mao Zedong mais il se passionne et se fascine pour les actions de Gamal Abdel Nasser. Le Raïs égyptien est son guide spirituel. Il étudie son livre « La philosophie de la Révolution » rédigé en 1952 et voit en lui l’incarnation d’un modèle, d’un exemple à suivre pour chaque habitant de la région. Sans même le connaître il marche sur ses pas.

Comme Nasser, il intègre une école militaire en 1963. Petit à petit, le jeune Mouammar Kadhafi s’engage dans des actions politiques. Il distribue des brochures nassériennes et créé une cellule clandestine pour organiser des opérations révolutionnaires contre le pouvoir monarchique du roi Idriss Ier. Malgré l’indépendance du pays en 1951, la Libye reste soumise aux intérêts des puissances étrangères. La Grande-Bretagne lorgne sur les richesses pétrolières du pays et les Américains installent une base militaire « Wheelus Field » pour contenir l’influence de l’Égypte dans la région.

Très vite, il cherche à rassembler un noyau dur de révolutionnaires en vue de renverser le régime pro-occidental. Il scrute les moindres faits et gestes de ses collaborateurs afin de jauger leur fidélité et leur loyauté. Compte tenu de la présence étrangère en Libye à cette époque, le pays est un nid d’espions. Mouammar Kadhafi s’inspire du coup d’État de 1952, lorsque les Officiers libres égyptiens déposent le roi Farouk.

Coup d’État et panarabisme

Le refus d’Idriss Ier de soutenir militairement l’Égypte et la Syrie dans le conflit contre Israël en 1967 conforte Mouammar Kadhafi dans sa volonté de prise du pouvoir. Initialement adepte d’une révolution populaire globale, il en est dissuadé par la présence militaire étrangère. Avec son groupe des Officiers unionistes libres, il fomente et choisit  méticuleusement le jour du coup d’État.

Dans la nuit du 31 août au 1 septembre 1969, Mouammar Kadhafi et ses hommes investissent plusieurs lieux stratégiques du pouvoir à Tripoli et à Benghazi. Le prince héritier et les principaux chefs du gouvernement sont arrêtés et ce, sans effusion de sang. À 27ans seulement, Mouammar Kadhafi annonce la fin de la monarchie et proclame l’avènement de la République arabe libyenne.

De manière précoce, le jeune colonel libyen a déposé le régime pro occidental. Il s’empresse d’aligner sa politique sur celle de Gamal Abdel Nasser. Le nouvel homme fort de la Libye s’érige en porte parole du panarabisme. Lors de tous ses discours, il vante les mérites d’une union des peuples arabes pour faire poids contre le sionisme et les politiques néocoloniales. Ses gesticulations juvéniles, son insouciance politique lui valent la sympathie des nationalistes arabes et inquiètent les monarchies régionales (les pays du Golfe et le Maroc). Chantre d’un renouveau, il souhaite régénérer et dynamiser la nation arabe après les échecs du nassérisme. Il reprend les rênes d’une idéologie chancelante en tentant d’y apporter une nouvelle conception.

Gamal Abdel Nasser dira avant de mourir en 1970 : « Je vais vous quitter demain… Je sens en moi une force nouvelle, un sang nouveau… Je sens que la nation arabe se reconnaît en vous et qu’elle a retrouvé sa détermination. Je vous quitte en disant : Mon frère Mouammar Kadhafi est le dépositaire du nationalisme arabe, de la révolution arabe et de l’unité arabe ».[1]

Nationalisation et expulsion des forces étrangères

Dès sa prise de fonction, Mouammar Kadhafi fait de la nationalisation des richesses pétrolières un impératif. En septembre 1973, le pétrole libyen est nationalisé et les compagnies étrangères doivent quitter le territoire. Cette action coup de poing parachève un peu plus la mise en place de son idéologie panarabe. Il considère le pétrole comme une arme économique au service du politique contre les gouvernements occidentaux qui soutiennent l’État d’Israël.

De surcroît, il exige le départ des troupes américaines en Libye. En effet depuis 1943, l’administration américaine a installé une base militaire en Libye pour contenir dans un premier temps les avancées de l’armée allemande en Afrique du Nord. Cette base, abritant 4000 soldats ainsi que 6000 fonctionnaires et leurs familles, est devenue ultérieurement un centre de renseignement ultra-moderne pour endiguer l’influence de Nasser dans les pays arabes. En 1970, les forces américaines quittent le pays, suivi des 20 000 expatriés italiens qui géraient plusieurs commerces sur le littoral.

Le renvoi des étrangers est consubstantiel avec l’idée que Kadhafi se fait d’une nation. Il embrasse la volonté d’épurer la société arabe de toute influence étrangère. Par ses actions, il entend montrer l’exemple à toute la nation arabe.

Une politique étrangère révolutionnaire

Avec l’avènement de la République arabe libyenne en 1969, Mouammar Kadhafi mène une politique étrangère active. Il est sur tous les fronts. Rêvant d’unir une grande nation arabe, le jeune colonel entreprend un projet d’unification en 1973 avec l’Égypte puis avec la Tunisie. Pourtant, les deux projets ne voient pas le jour. En effet, Boumediene en Tunisie et Sadate en Égypte refusent l’union avec la Libye. Son rêve échoue en raison de sa propre logique. Sa politique brouillonne et précipitée inquiète ses voisins. Les contentieux sont d’ordre idéologique. Kadhafi veut imposer un Islam pur et originel donc divergeant du panarabisme des premières heures de Gamal Abdel Nasser, qui faisait de l’arabité le seul facteur commun.

Il théorise son idéologie dans son « Livre vert », publié en 1975 en s’inspirant du « Petit livre rouge » de Mao Zedong. Kadhafi veut créer ce qu’il appelle une « troisième théorie » indépendante des influences communistes et capitalistes. Il ambitionne de mettre l’Islam au centre de la nation arabe et de « réislamiser » les musulmans. Cette théorie est décriée dans le monde arabe pour sa radicalité et ses incohérences.

Pour autant, il ne s’éloigne pas de l’héritage nassérien, il reprend la politique « des trois cercles » : le monde musulman, l’Afrique et le monde arabe. Il entend nouer des relations avec les pays africains pour les éloigner d’Israël. C’est une réussite, plusieurs États africains rompent leurs relations diplomatiques avec Tel-Aviv. En 1973, lors de la guerre du Kippour entre l’Égypte, la Syrie et Israël, il envoie plusieurs régiments suppléer les armées égyptiennes et syriennes. De surcroît dans sa logique révolutionnaire, il aide tous les mouvements opposés à l’impérialisme occidental. En effet, fort de sa manne pétrolière, Kadhafi soutient l’armée républicaine irlandaise (l’IRA) dans sa lutte contre la Grande-Bretagne. C’est une réponse directe aux ingérences anglaises dans le monde arabe.

Perturbateur international, mégalomane, provocateur ou visionnaire, Mouammar Kadhafi endosse plusieurs rôles en un. Il aspire à devenir le digne successeur de Gamal Abdel Nasser et d’étendre son influence au sein du monde arabe. Or, il sera vite confronté au poids encombrant de ses ambitions, à la méfiance des chancelleries arabes et aux intérêts antinomiques de l’Occident.

Bibliographie :

  • Mirella Bianco, « Kadhafi, le messager du désert : biographie et entretiens », Broché, 1974
  • Mouammar Kadhafi, « Le Livre vert », Broché 2015
  • Olivier Carré, « Le Nationalisme arabe », Fayard, 2014
  • Georges Corm, « Pensée et politique dans le monde arabe », La Découverte, 2016

[1] Discours de Gamal Abdel Nasser à Benghazi en juin 1970.

Le Moyen-Orient à l’heure du coronavirus

À l’instar des séries dramatiques orientales, ce virus monopolise les débats dans toutes les familles. Le Covid-19 alimente toutes les craintes et toutes les peurs et fait l’objet d’une prolifération de théories plus ou moins douteuses. Friands et amateurs de complots, certains habitants et même analystes de la région y voient la main invisible « américano-sioniste » pour semer le chaos au Moyen-Orient. Les réseaux sociaux locaux sont un bon baromètre d’étude des tensions sociales et économiques.

Une chose est sûre, l’indifférence initiale laisse place à une psychose généralisée de la société qui inquiète au plus haut point les autorités locales. Entre la chute des prix du pétrole, la crise sanitaire et la fermeture des frontières et des lieux de culte, le Moyen-Orient passe d’une crise à une autre.

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L’Iran acculé

La République islamique d’Iran est le troisième pays le plus touché par l’épidémie après la Chine et l’Italie. On déplore environ 15 000 patients contaminés[1] et plus de 1000 décès à ce jour. Le taux de létalité est le plus élevé du monde. Certains observateurs mettent en doute la véracité des chiffres officiels[2]. Le gouvernement de Téhéran aurait dissimulé l’impact de ce fléau afin de ne pas paraître dépassé et de ne pas subir les critiques de sa propre population.

De surcroît, l’Iran subit de plein fouet les sanctions économiques occidentales qui aggravent la situation sanitaire. En effet, le secteur hospitalier iranien est débordé et obsolète pour gérer une telle crise. Téhéran dénonce l’inaction de la communauté internationale. Ces sanctions américaines portent atteintes aux droits des Iraniens à la santé. Les autorités du pays demandent l’aide de l’organisation mondiale de la santé (OMS), l’arrêt immédiat des sanctions ainsi qu’un prêt de 5 milliards de dollars au Fonds monétaire international (FMI). Selon le ministre iranien des Affaires étrangères Javad Zarif « Les virus ne font pas de discrimination. L’Humanité ne devrait pas non plus »[3].

Certains pays ne sont pas restés insensibles à ce scénario. La Chine et la Russie exhortent les Etats-Unis à lever les sanctions contre l’Iran afin de contenir et de lutter efficacement contre la propagation du virus covid-19. Les deux pays mettent en exergue les conséquences humanitaires sur l’ensemble de la population mondiale[4]. Pékin s’engage également à envoyer du personnel et du matériel médical.

Or, il est très peu envisageable que l’administration américaine décide d’alléger le régime des sanctions. Dans sa posture anti-iranienne, Donald Trump souhaite voire céder Téhéran. De façon surprenante, l’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne annoncent une aide financière à l’OMS à destination de l’Iran. Les Iraniens peuvent également compter sur l’aide des Emirats arabes unis. En effet, ils ont récemment décidé d’envoyer 32 tonnes de fournitures médicales à l’Iran malgré les contentieux géopolitiques dans la région[5].

Un confinement à la carte :

À peine sorti d’un soulèvement populaire majeur et englué dans une crise économique sans précédent, le Liban se coupe peu à peu du reste monde. Des mesures strictes de confinement ont été adoptées avec la fermeture des institutions et des frontières (aéroports et ports[6] seront fermés à partir du 29 mars). À ce jour une centaine de cas sont déclarés et 3 décès sont dénombrés. La majorité des premiers cas provenait d’Iran. Le système de santé, impacté par la crise économique, a réussi à contenir la propagation du virus, mais s’attend à une explosion des cas. Certaines voix s’élèvent pour dénoncer la corruption de la classe politique et l’accusent de vouloir asseoir son autorité et sa légitimité à travers ces mesures.

Le reste du Moyen-Orient est touché de manière contrastée. Tous les pays ont depuis fermé les établissements scolaires. Certains d’entre eux redoutent les conséquences catastrophiques pour l’économie de leur pays. En effet, les pays touristiques comme la Jordanie mais surtout l’Égypte pâtissent déjà des mesures restrictives prises par leurs gouvernements respectifs. Les autorités du Caire ont longtemps cherché à minimiser les dangers du Covid-19 et à rassurer la population. Ils suspendent ses vols internationaux et rapatrient les touristes pour endiguer l’épidémie du coronavirus. L’Égypte interdit à sa main d’œuvre de se rendre dans les pays du Golfe sans avoir procédé au test de dépistage.

Après 10 ans de guerre en Syrie et la dureté des sanctions occidentales sur son économie, le gouvernement de Damas a décidé de prendre des mesures pour lutter contre la propagation du virus. Les salles de prières sont momentanément fermées et les places publiques à l’instar des bars de chichas sont interdits[7]. Sur les réseaux sociaux syriens, une campagne de soutien populaire (ana fi khadmt souria/ je suis au service de la Syrie) a vu le jour pour aider Damas dans sa lutte contre l’épidémie.

La bande de Gaza est une bombe à retardement. Les principaux experts s’alarment sur les conséquences d’une propagation exponentielle du Covid-19 dans cette région à forte densité démographique. Plus de 2 millions d’habitants sur 360km2 vivent dans cette prison à ciel ouvert. Compte tenu du blocus israélien, les infrastructures hospitalières sont désuètes et le matériel médical pour lutter contre l’épidémie est pratiquement inexistant.

À l’échelle de tout le Moyen-Orient, toutes les autorités ont pris des mesures d’isolement  en fermant les lieux de culte églises et mosquées. Les prières sont strictement individuelles. L’Arabie saoudite qui a annoncé son premier cas début mars, suspend le Hajj et le Omra (le pèlerinage à la Mecque) à tous les pèlerins.  

Les conséquences du Coronavirus sur le secteur pétrolier

Premier producteur de l’or noir, l’Arabie saoudite subit les contrecoups de la propagation du virus à l’échelle de la planète. Durant plusieurs mois, la Chine, premier consommateur de pétrole au monde, a dû s’adapter à la nouvelle conjoncture. L’interdiction de déplacement des citoyens au sein même du pays, couplée à l’arrêt des voyages vers la Chine a impacté les cours du baril.

Sur fond de pandémie et d’une forte baisse de la demande mondiale, l’organisation des pays exportateurs de pétrole (l’OPEP) ainsi que les autres pays producteurs comme la Russie se sont réunis pour solutionner le problème. N’ayant pas réussi à obtenir de Moscou une baisse de la production, Riyad a unilatéralement décidé de baisser les prix du baril. En raison de l’importance de l’or noir pour son économie et pour satisfaire la demande intérieure et extérieure, la Russie ne pouvait y répondre favorablement.

De ce fait, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis se livrent à une guerre économique contre la Russie en augmentant et en inondant conjointement le marché de l’or noir. Les prix ont depuis chuté et atteints 30 dollars le baril[8]. C’est la plus forte baisse depuis 20 ans. Aujourd’hui, les indicateurs prouvent que la stratégie saoudienne se révèle dangereuse pour sa propre économie. En plus de la fermeture des hôtels luxueux, des malls et du pèlerinage à la Mecque, le coronavirus ébranle l’ensemble de l’économie saoudienne. Cette dernière reste dépendante à 90% de l’or noir.

Afin de rassurer les places boursières internationales, la présidence saoudienne du G20 veut rassembler les membres de ce comité lors d’une conférence exceptionnelle, qui se tiendra par vidéo-conférence[9]. Cette rencontre virtuelle sera l’occasion pour les principales puissances de tenter de trouver une solution pour empêcher le krach boursier qui se profile.


[1] https://www.middleeasteye.net/news/coronavirus-iran-death-toll-surpasses-1000-hundreds-new-cases-discovered

[2] https://www.oeil-maisondesjournalistes.fr/2020/03/12/coronvirus-iran-chiffre-morts-propagande/

[3] https://www.la-croix.com/Monde/Moyen-Orient/Face-coronavirus-lIran-demande-levee-sanctions-2020-03-14-1201084052

[4] https://www.middleeasteye.net/news/coronavirus-china-and-russia-call-us-lift-iran-sanctions

[5] https://www.lefigaro.fr/international/quand-le-virus-rapprochent-les-ennemisdes-emirats-arabes-unis-et-de-l-iran-20200317

[6] http://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20200316-face-coronavirus-le-liban-sonne-la-mobilisation-g%C3%A9n%C3%A9rale-et-entre-en-confineme

[7] https://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-moyen-orient/la-syrie-en-guerre-prend-a-son-tour-des-mesures-de-precaution-face-au-coronavirus_2120872.html

[8] https://www.france24.com/fr/20200309-coronavirus-pourquoi-l-arabie-saoudite-a-d%C3%A9clench%C3%A9-une-nouvelle-guerre-des-prix-du-p%C3%A9trole

[9] https://www.ouest-france.fr/sante/virus/coronavirus/coronavirus-l-arabie-saoudite-tente-d-organiser-un-sommet-du-g20-virtuel-6784783

Ibn Battûta : « le voyageur de l’Islam »

Ibn Battûta est méconnu en Occident. Or, il s’agit bien du voyageur, de l’explorateur le plus connu du monde arabe. Il a consacré toute sa vie aux voyages. Il a voulu démontrer l’unicité du monde musulman en arpentant méthodiquement chacune de ses provinces de l’Afrique du Nord, au Moyen-Orient en passant par l’Afrique Australe et l’Extrême Orient entre 1325 et 1355. Ses récits ont donné naissance à une littérature d’un genre nouveau, le Rihla (le voyage en arabe).

À l’instar de Marco Polo, la figure d’Ibn Battûta cristallise toutes les légendes et les controverses autour de la véracité des informations sur ses prétendues pérégrinations.

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Le Voyageur :

Né en 1304 à Tanger, Ibn Battûta fait des études de droit coranique et décide de faire son premier pèlerinage à la Mecque (le Hajj) en 1325 à 21 ans. Il longe la mer Méditerranée en passant par Alger et Alexandrie. Il compte rejoindre la Mecque par la mer Rouge, mais en raison des instabilités politiques de l’époque, il décide de remonter le Nil et de séjourner en Palestine et en Syrie. Finalement, il rejoint une caravane de pèlerins à Damas qui le conduit vers les villes saintes de l’Islam, Médine et la Mecque.

Une fois son pèlerinage effectué en 1326, il remonte vers l’Irak et la Perse, puis il retourne à la Mecque pour y résider 2 ans. En 1330, il entreprend son second voyage à destination du golfe d’Aden et des côtes de l’actuelle Tanzanie. Il passe par Mogadiscio, Mombasa avant de contourner le Golfe persique pour revenir séjourner à la Mecque. Il entreprend son troisième voyage en 1332, au cours duquel il repasse par la Syrie et la Palestine, avant de remonter vers l’Anatolie et la ville de Constantinople. Il décide d’aller vers l’Inde en arpentant les routes d’Asie centrale du Turkestan et d’Afghanistan. Il arrive à Dehli en 1334. Il y réside 8 ans et est employé par le Sultan de la ville comme qadi (juge). Il est ensuite missionné par son supérieur pour se rendre en Chine. Or, le navire s’échoue au cours de la traversée au Sud-Ouest de l’Inde, il en profite pour voyager entre les Maldives et le Sri Lanka (Ceylan).

Puis, il reprend la mer en 1345 par ses propres moyens pour atteindre la Birmanie et le Sud-Est de la Chine. Il prétend être allé jusqu’à Pékin, cependant cette information est contestée par ses contemporains. Ibn Battûta décide de retourner une dernière fois à la Mecque avant de rentrer dans son pays natal, le Maroc. Sur la route, il est confronté à des tensions entre bédouins en Tunisie, ce qui l’oblige à accoster en Sardaigne pour une courte durée.

Il rentre finalement à Fès en 1349, 24 ans après son départ. Mais, il décide tout de même de remonter vers l’Espagne pour explorer la ville de Grenade. Il s’engage dans son dernier voyage en parcourant le Soudan et le Mali avant de revenir dans sa ville natale de Tanger. Au total, Ibn Battûta a couvert près de 120 000km en moins de 30 ans. En 1356, sur ordre du souverain du Maroc, un jeune érudit andalou Ibn Juzzay, retranscrit toutes les aventures d’Ibn Battûta. Ses récits sont traduits en français, en anglais et en allemand à partir de du XIXe siècle, soit 5 siècles après son incroyable épopée.

Fort de sa connaissance de la langue arabe, de la religion musulmane et doté d’une surprenante capacité d’adaptation, Ibn Battûta noue facilement des liens avec les gouverneurs locaux. De surcroît, il rencontre au cours de ses nombreuses expéditions des caravanes ou des navires marchands qui lui facilitent ses déplacements.

Le Musulman : 

L’Islam occupe une place primordiale dans son ouvrage. Ses nombreux périples dans le monde islamique (dar al-islam en arabe) convergent vers un seul but : malgré les nombreuses divisions théologiques au gré des époques et des conflits fraternels, Ibn Battûta veut prouver que la religion musulmane reste une et indivisible sous le prisme de ses valeurs.

En raison de ses connaissances théologiques et juridiques de l’Islam, Ibn Battûta est toujours reçu comme un invité prestigieux. Il est tour à tour employé comme conteur, qadi, conseiller et même ambassadeur auprès des gouvernants locaux.

Ses nombreux voyages loin de son pays natal confirment la centralité et l’omniprésence de l’Islam. Il n’est jamais considéré comme étranger. D’ailleurs, il est reconnu comme un connaisseur de l’Islam ce qui lui permet de voyager librement. Il est uniquement confronté à des populations chrétiennes en Palestine et en Syrie, mais ces dernières sont gouvernées par un pouvoir musulman. Il rencontre également des populations non-musulmanes en Chine.

Issu d’un rite musulman malékite (rite originel de l’Islam), il est très vite attiré par l’apprentissage du soufisme en contact avec les populations de Perse, d’Asie centrale mais surtout d’Inde. Le soufisme regroupe des pratiques mystiques de l’Islam, par le biais de rites d’initiation ou d’élévation spirituelle en petit groupe. Ce penchant pour cette branche déviante de l’Islam ne l’empêche pas de faire à plusieurs reprises son pèlerinage à la Mecque.

Une description fastidieuse des palais, des sanctuaires et des lieux de culte nous aide à nous familiariser avec le contexte politico-religieux du monde musulman du XIVème siècle. Or, compte tenu de la richesse des informations fournies, la lecture de ses récits peut sembler inintelligible pour le lecteur ordinaire.

Le géographe et l’anthropologue  

Plus qu’un aventurier, Ibn Battûta est un sociologue. Il décrit tout ce qu’il voit et enregistre tout ce qu’il entend. Il s’intéresse particulièrement à l’étude des comportements et aux différents modes de gouvernance.

Ses récits sont une mine d’informations pour l’époque du XIVe siècle. Il détaille le commerce des pierres précieuses et des peaux sauvages en Asie centrale, l’esclavage dans les pays arabes, les échanges des épices en Inde. Il dépeint les coutumes du chiisme notamment en Syrie avec les pratiques mortuaires, les rites du soufisme en Perse. Il affectionne particulièrement l’étude des sociétés avec la place de la femme. En effet, il est outré de constater le rôle principal joué par la femme aux Maldives. Il nous apprend également sur l’utilisation des pigeons voyageurs en Orient, les chiens de traîneaux en Asie centrale.

Il dépeint et analyse les us et coutumes des sociétés tribales. Plus qu’un témoin oculaire de l’époque, ses récits nous informent sur la grandeur et la décadence des royaumes visités, sur les fastes et l’hospitalité de ces contrées lointaines. Par ailleurs, au cours de ses voyages, il vante ses mérites auprès de la gente féminine. Il épouse autant de femmes qu’il en répudie. Nous n’avons que très peu de détails sur sa vie privée.

Cependant, nombre d’historiens doutent de la véracité de ses descriptions et de ses voyages. En effet, quand il rentre de son épopée en 1356, il retranscrit de mémoire ses récits avec une incroyable et surprenante précision. Les descriptions méticuleuses de la Syrie, de la Palestine ou des lieux saints sont similaires à celles faites par Ibn Jubair, voyageur du XIIe siècle. De surcroît, son récit en Chine fait plus que jamais l’objet d’une controverse sur l’authenticité de cette expédition. Il s’est sans doute basé sur les écrits des voyageurs du siècle précèdent.

Il n’en demeure pas moins qu’Ibn Battûta, à l’instar de Marco Polo en Occident, fascine et alimente tous les mythes du voyageur et de l’explorateur. Ses récits nous font voyager dans le monde musulman complexe du XIVème siècle.

Bibliographie :

  • Ibn Battûta, « Voyages, I- De l’Afrique du Nord à la Mecque », La Découverte, 2012
  • Ibn Battûta, « Voyages, II- De la Mecque aux steppes russes et à l’Inde », La Découverte, 2012
  • Ibn Battûta, « Voyages, III- Inde, Extrême-Orient, Espagne et Soudan », La Découverte, 2012
  • Gabriel Martinez-Gros, « Ibn Battûta ou le goût du voyage », l’Histoire 2009/12 (n°348)

Le Soft-Power saoudien : le mirage d’une ouverture

Depuis 2015 et la nomination de Mohammed Bin Salman en tant que prince héritier du royaume d’Arabie saoudite, le pays connaît une ouverture tout azimut. Apôtre d’un renouveau et d’une ouverture de son pays, le jeune prince entreprend des réformes surprenantes dans un pays hostile au changement.

Il utilise la rente pétrolière pour investir dans un soft power, radicalement opposé aux principes du wahhabisme. Ce changement de stratégie dénote. Cette nouvelle image, les investissements massifs dans les évènements sportifs et culturels font basculer l’Arabie saoudite dans le XXIème siècle. Or, ce grand écart ne saurait éclipser l’affreuse guerre au Yémen, les récentes arrestations des opposants à la famille régnante et le financement d’une nébuleuse djihadiste.

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Mohammed Bin Salman et le boxeur Anthony Joshua

Mohammed Bin Salman : l’homme du changement ?

Depuis sa prise de fonction en 2015, il montre un nouveau visage de l’Arabie saoudite. Il séduit l’étranger par sa jeunesse et son modernisme. Âgé de 34 ans, bon connaisseur des technologies et usant à bon escient des moyens de promotion, il a su séduire ses interlocuteurs étrangers. Sa stratégie de transformation se base sur une diversification de l’économie, qui à ce jour est largement dépendante de la rente pétrolière. Il se lance dans des projets et veut changer l’image du pays en l’ouvrant au monde.

Dès 2016, le jeune prince héritier lance le projet «Vision 2030 ». Il ambitionne de transformer littéralement la pétromonarchie en une économie moderne. Ce projet comporte un pilier économique, social et politique pour tenter de transformer plusieurs pans de la société saoudienne. Il doit permettre à l’Arabie saoudite de développer des partenariats à l’international et de promouvoir son rayonnement à l’étranger. De ce fait, le pays investit dans des entreprises de luxe, dans des clubs de football, il rachète des parts de marché et inaugure même la promotion du secteur touristique. Récemment, le pays octroie des visas aux ressortissants étrangers. Auparavant, l’Arabie saoudite interdisait l’entrée sur son territoire sans une invitation officielle. De plus, un autre projet « pharaonique » baptisé « NEOM »[1] doit voir le jour en 2025 le long de la mer Rouge, en partenariat avec la Jordanie, l’Égypte et Israël.

Cette ouverture à 180° est la résultante d’un changement de pouvoir. Issu de la génération milléniale (génération Y), ayant grandi avec les nouvelles technologies et féru des jeux vidéos, Mohammed Bin Salman est un « geek » qui s’assume. En témoigne, la création de sa propre fondation MISK[2] afin d’aider la jeunesse saoudienne et l’inciter à intégrer les grandes écoles américaines… pour ensuite revenir au pays. Cette multiplication de réformes vise à embellir l’image de son pays à l’étranger. En effet, l’Arabie saoudite est méconnue du grand public et est assimilée à un pays fermé, où l’Islam radical (le wahhabisme) y est imposé.

 Les arrestations arbitraires des opposants, les exécutions sommaires restent monnaie courante. L’image du royaume s’est détériorée avec la séquestration de l’ex Premier ministre libanais Saad Hariri en 2017, puis avec l’assassinat commandité à Istanbul du journaliste Jamal Khashoggi en octobre 2018. De plus, malgré la faible médiatisation du conflit, l’opinion internationale s’émut de la guerre au Yémen. Les nombreux bombardements de la coalition menée par l’Arabie saoudite engendrent un désastre humanitaire.

Les crimes de guerre et les exactions au sein même de son propre pays, ravivent les doutes sur ses bonnes intentions. 

Le soft power : cache misère de l’Arabie saoudite

Le soft power est un concept popularisé par le géopolitologue américain Joseph Nye en 1990. Il théorise la capacité d’un pays à séduire et à attirer[3]. Cette notion s’oppose au hard power qui représente la force armée et coercitive d’un État. Le soft power est généralement assimilé à l’American way of life et tout ce qui en découle au niveau culturel, vestimentaire et culinaire.

Ce paramètre politique permet à une nation d’avoir la sympathie des autres pays, c’est en quelque sorte le revêtement, le maquillage d’un État. L’Arabie saoudite, sous la houlette du jeune prince héritier, l’a récemment adopté.

Le royaume saoudien a longtemps misé sur un soft power religieux, destiné uniquement aux musulmans du monde entier. De l’Afrique à l’Asie en passant par l’Europe[4], Riyad a financé de nombreuses écoles coraniques, des associations communautaires et des agences de voyage pour faciliter le pèlerinage des croyants à la Mecque (le Hajj). De surcroît, les connivences avérées avec certains groupes djihadistes attisent les critiques à l’égard de la politique saoudienne. La guerre au Yémen, menée par Riyad, ternit encore un peu plus l’image du pays[5].

À la surprise générale, Mohammed Bin Salman soucieux de gommer la mauvaise réputation de son pays, se lance sur la voie de la rédemption. D’un pays ultra-sectaire, il veut le hisser en havre de modernité. En s’attirant les louanges de l’opinion internationale, il peut avoir une influence sur le jeu diplomatique. La jeune société civile saoudienne est avide de progrès et d’ouverture. Le prince héritier l’a bien compris et met l’accent sur des thèmes consensuels. À l’instar du voisin qatari, il veut faire de l’Arabie saoudite un pays hôte pour les évènements sportifs internationaux.

La ruée vers le sport : écran de fumée de l’autoritarisme de MBS

Malgré sa faible démographie et son emplacement au carrefour des tensions régionales, le petit émirat du Qatar séduit. Il séduit par ses investissements dans le sport et notamment dans le football. Il dirige le club du Paris Saint Germain depuis 2011, il organise la prochaine coupe du monde de football en 2022 et la chaîne BeIN a su s’imposer tant en Occident qu’en Orient[6].

L’Arabie saoudite jalouse la réussite de son rival qatari. Dès lors, le royaume veut devenir une plaque tournante pour la réalisation d’évènements sportifs et ainsi s’acheter une image. L’ouverture se fait tout azimut. Après avoir organisé plusieurs concerts, Riyad accueille la revanche de boxe entre Anthony Joshua et Andy Ruiz le 7 décembre 2020. Evénement planétaire et suivi par des millions de téléspectateurs, c’est la réussite pour le soft power saoudien[7]. Dans la foulée, l’Arabie saoudite accueille la finale de la coupe d’Italie opposant la Lazio de Rome à la Juventus de Turin. Elle s’est également payée le luxe de délocaliser sur son sol les trois prochaines éditions de la supercoupe d’Espagne. Dans une société passionnée de foot, la jeune population saoudienne est conquise par cette ouverture. C’est un vecteur de stabilité politique.

Riyad accueille également la 42ème édition du Rallye Dakar 2020 et s’octroie l’organisation des 5 prochaines éditions. C’est une aubaine qui permet de valoriser le patrimoine local et de développer le tourisme inexistant à ce jour. En investissant massivement dans le sport grâce à sa manne pétrolière, l’Arabie saoudite parachève ainsi sa volonté d’ouverture et capitalise sur son soft power.

Or, cette stratégie de transformation et la ruée vers le sport ne peuvent faire oublier la triste réputation de la monarchie en matière des droits de l’Homme. Elle masque assurément les desseins autoritaires et hégémoniques du jeune prince héritier. Les récentes arrestations de 3 princes saoudiens issus de la famille royale par Mohammed Bin Salman[8] confirment un peu plus que cette ouverture n’est qu’un trompe l’œil. Du pain et des jeux pour l’opinion internationale…


[1] https://www.lemonde.fr/smart-cities/video/2017/11/17/neom-la-megalopole-du-futur-dont-reve-l-arabie-saoudite_5216675_4811534.html

[2] https://misk.org.sa/en/

[3] https://www-cairn-info.ezpaarse.univ-paris1.fr/revue-geoeconomie-2013-2-page-19.htm

[4] https://www-cairn-info.ezpaarse.univ-paris1.fr/revue-pouvoirs-2015-1-page-121.htm

[5] https://www.franceculture.fr/emissions/soft-power/soft-power-le-magazine-des-internets-du-dimanche-20-mai-2018

[6] https://weeplay.media/supercoupe-despagne-le-soft-power-de-larabie-saoudite/

[7] https://www.middleeasteye.net/news/anthony-joshua-defends-saudi-arabia-ahead-fight-against-ruiz

[8] https://www.lefigaro.fr/international/mohammed-ben-salman-assure-par-la-force-son-accession-au-trone-20200308

La Turquie: allié indispensable de l’OTAN ?

La Turquie du Président Receip Tayyip Erdogan est au cœur des tensions régionales. Pourtant au début de la décennie 2010, l’ancien ministre des Affaires étrangères turc Ahmet Davutoglu avait théorisé la doctrine de « zéro problème avec les voisins ». Aujourd’hui, la Turquie est sur tous les fronts. De la Libye à la Syrie, en passant par l’Asie centrale et les Balkans, sa politique étrangère est tentaculaire. Nostalgique de la gloire de l’Empire ottoman, le Président turc avance ses pions et intervient illégalement dans plusieurs pays souverains.

Membre de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) depuis 1952, la Turquie n’est pas isolée. Ses gesticulations guerrières et ses discours menaçants servent les intérêts des puissances occidentales. La Turquie n’est ni plus ni moins que le cheval de Troie de l’Otan au Moyen-Orient.

Chars turcs dans la province d’Idlib

La Turquie à la conquête de l’Islam politique

Dans une région majoritairement musulmane, la Turquie cherche des alliés de poids.

Au Moyen-Orient, l’idéologie et la religion sont les deux composantes qui outrepassent de loin l’appartenance nationale et l’ethnicité. La Turquie n’est pas un pays arabe, mais elle peut compter sur l’influence des Frères musulmans pour se constituer un réseau d’alliance qui supplante l’arabité. Avec le Qatar, Erdogan adopte une posture conciliante à l’égard des « printemps arabes » en Égypte, en Tunisie, en Libye et surtout en Syrie. Ils savent que l’idéologie « frériste » fourmille dans les franges populaires de la communauté musulmane sunnite.

Par l’entremise des mosquées, des écoles coraniques et de nombreuses associations caritatives et éducatives, les Frères musulmanes tissent leurs réseaux. Le Qatar en est le principal bailleur alors que la Turquie constitue le chaînon militaire de cette alliance. Le territoire turc est devenu le pays hôte de tous les Frères musulmans condamnés et rejetés dans leur pays d’origine[1].

Cette idéologie ressemble au panislamisme de la fin du XIXe siècle. En effet, l’Empire ottoman avait adopté cette doctrine pour conquérir et attirer tous les musulmans de l’Empire. Aujourd’hui, la doctrine des Frères musulmans est plus qu’une idéologie, c’est un moyen de s’immiscer durablement dans les affaires des pays arabes, comme au temps de l’Empire ottoman avec le panislamisme.

Le prosélytisme turc s’enracine dans plusieurs villes du Moyen-Orient. Dernièrement, en raison de l’intensité des combats à Idlib, la ville de Tripoli au Liban arborait en masse le drapeau turc. Sous couvert de doctrine religieuse, cette idéologie des Frères musulmans permet assurément à la Turquie d’étendre ses desseins de politique étrangère, notamment en Syrie. Cette ingérence politique se couple avec une intervention militaire de moins en moins officieuse qui alimente la nébuleuse djihadiste anti-Assad.

Une aide aux djihadistes d’Idlib

Depuis les accords d’Adana en 1998 entre le Syrie et la Turquie, Istanbul peut pénétrer à 5 km à l’intérieur du territoire syrien pour lutter contre toute menace « terroriste »[2]. Ce texte permet aujourd’hui à Erdogan de justifier ses interventions en Syrie, notamment contre les groupuscules kurdes dans le Nord-Est syrien.

Dès le début du conflit en Syrie en 2011, la Turquie et le Qatar ont fortement contribué à la formation de l’Armée syrienne libre (ASL), principale force d’opposition à Damas. En rendant la frontière syrienne poreuse, la Turquie a permis à des milliers de djihadistes étrangers en provenance du Caucase, d’Asie centrale et d’Europe de pénétrer en Syrie pour gonfler les rangs de l’ASL et de Daesh. Cette politique d’affaiblissement du pouvoir syrien, avec le consentement et l’appui des chancelleries occidentales, sert les intérêts d’Istanbul. En soutenant logistiquement et militairement les groupes djihadistes, la Turquie devient le parrain officiel de la rébellion syrienne.

Depuis 2018, Idlib est le dernier bastion djihadiste en Syrie. La Turquie quadrille la ville avec une douzaine de postes d’observations. Suite à la reprise de nombreuses localités autour d’Idlib par l’armée gouvernementale syrienne avec l’appui de l’aviation russe, la Turquie riposte en envoyant des troupes terrestres pour appuyer les djihadistes issus de la mouvance salafiste à l’instar de Hayat Tahrir Al-Cham[3]. Depuis, les affrontements se sont intensifiés entre la Turquie et la Syrie. Tour à tour, les deux pays revendiquent la récupération d’une parcelle de terrain ou l’abattement d’un avion ou d’un drone ennemi.

Cet appui avéré aux différents groupes djihadistes aggrave encore un peu plus la guerre en Syrie. Son intervention n’a fait l’objet d’aucune critique de la part des chancelleries occidentales. Au contraire, leur silence peut être interprété comme un feu vert accordé à la Turquie. Avec le retrait progressif et en ordre dispersé des Américains, Washington a permis à la Turquie de déloger les Kurdes et de s’enraciner dans le Nord-Est de la Syrie. La bataille d’Idlib est vitale pour le régime syrien. La récupération de cette ville est cruciale pour la stabilité des provinces voisines de Lattaquié et d’Alep. L’aide turque aux djihadistes prolongera la guerre mais n’en changera pas le résultat[4], tant que la Russie se porte garante de Bachar Al-Assad. En raison de l’escalade militaire, Ankara s’efforce d’obtenir un soutien occidental et menace l’Europe d’ouvrir ses frontières aux réfugiés.

Le cessez le feu obtenu à Moscou qui est entré en vigueur dans la nuit du 5 au 6 mars éternise une nouvelle fois le conflit.

Les réfugiés : le chantage d’Erdogan

En 2016, Ankara avait négocié avec l’Union européenne un pacte migratoire. En contrepartie d’une aide de 6 milliards d’euros, la Turquie devait contenir l’arrivée de réfugiés vers l’Europe.

De nouveau, la Turquie exige de l’Union européenne et de l’Otan une compensation financière pour accueillir les réfugiés et la soutenir dans sa nouvelle guerre. Sa revendication doit être prise en considération. En effet, l’afflux massif des réfugiés déstabilise l’économie turque et créé des tensions au sein même de la société. Devant les atermoiements des pays européens, Erdogan a mis sa menace à exécution en ouvrant sa frontière avec la Grèce. Athènes, exsangue économiquement, ne peut accueillir ce flux massif. L’Union européenne veut aider le gouvernement grec en lui octroyant une aide de 700 millions d’euros, et ne cède pas à ce chantage[5].

Les chancelleries occidentales se lamentent d’être prises en otage. Or, en soutenant systématiquement militairement et logistiquement l’opposition à Bachar Al-Assad, l’Union européenne est en partie responsable de la catastrophe migratoire en cours.

La Turquie endosse le rôle de victime tout en étant la principale fautive de la situation dans laquelle elle se trouve. Sans son intervention en Syrie et son soutien aux djihadistes, Bachar Al-Assad aurait pu récupérer l’intégralité de son territoire et éviter cette crise migratoire qui hante les Européens. Malgré les récentes rencontres bilatérales entre la Russie et la Turquie le 5 mars[6], la solution réside dans le positionnement de l’OTAN.

La Turquie : perturbateur utile de l’Otan

 La Turquie est membre de l’Organisation du traité Atlantique Nord depuis 1952. Cette intégration surprenante de la Turquie dans un axe regroupant les puissances occidentales s’explique par l’obligation de lutter contre l’expansion du communisme au lendemain de la seconde guerre mondiale. La Turquie devenait de facto, le cheval de Troie de la politique américaine en Orient. Dès 1955, Ankara permet à l’Otan d’installer une base aérienne à Incirlik pour ses opérations extérieures.

En 1991, en raison de la dislocation de l’Union soviétique, l’Otan n’a plus vocation à exister. Dès lors, l’organisation est repensée, restructurée à l’aune des nouvelles menaces du XXIe siècle. En effet, la lutte contre le terrorisme sert de tremplin à l’alliance qui va pouvoir intervenir au Moyen-Orient. La Turquie devient de fait, un élément central. Depuis 2011, le gouvernement turc est actif sur le terrain syrien avec le consentement et l’appui des forces de l’Otan.

Beaucoup de journalistes et d’experts prétendent à tord que la Turquie est isolée. Or selon l’article 5 de l’Otan, il est stipulé que : « Les parties conviennent qu’une attaque armée contre l’une ou plusieurs d’entre elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties, et en conséquence elles conviennent que, si une telle attaque se produit, chacune d’elles, dans l’exercice du droit de légitime défense, individuelle ou collective, reconnu par l’article 51 de la Charte des Nations Unies, assistera la partie ou les parties ainsi attaquées en prenant aussitôt, individuellement et d’accord avec les autres parties, telle action qu’elle jugera nécessaire, y compris l’emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité dans la région de l’Atlantique Nord. »[7]

Finalement, Erdogan est conscient des avantages que lui octroie l’Otan. En agitant la menace de la question migratoire, il veut former une communauté de destin avec les chancelleries occidentales. De surcroît, le Président turc répond à leurs attentes : empêcher la Syrie de récupérer la totalité de son territoire et contenir l’influence russe dans la région[8].


[1] http://fmes-france.org/linfluence-des-freres-musulmans-sur-la-politique-regionale-de-la-turquie-pana-pouvreau/

[2] https://www.lesclesdumoyenorient.com/Historique-des-relations-entre-la-Turquie-et-la-Syrie-depuis-la-fin-de-la

[3] https://twitter.com/syriaintel/status/1235323665622994945

[4] https://www.deep-news.media/2020/02/28/idleb-solutions/

[5] https://www.ifri.org/fr/espace-media/lifri-medias/dorothee-schmid-refugies-une-arme-de-dissuasion-erdogan

[6] http://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20200305-sommet-vladimir-poutine-recep-tayyip-erdogan-russie-turquie-syrie-apaiser-idle

[7] https://www.nato.int/cps/fr/natohq/official_texts_17120.htm

[8] https://www.lemonde.fr/syrie/article/2018/04/14/syrie-l-otan-defend-une-operation-ciblee-et-proportionnee_5285625_1618247.html