Lendemain de soirée pour le Liban ?

Depuis mi-octobre 2019, le Liban est secoué par un soulèvement sans précédent. Face à l’aporie du système, à la lenteur des réformes politiques et surtout face à une classe politique vieillissante et corrompue, un peuple hétérogène s’est réveillé. Enfin, les Libanais avaient trouvé un sujet consensuel. Un nouvel espoir pouvait les fédérer au delà de leurs appartenances confessionnelles et politiques.

Les prémisses d’une insurrection …

En Avril 2018, malgré les 11 milliards de prêts et de dons lors de la conférence du Cèdre à Paris pour aider l’économie libanaise, rien n’a vu le jour. Dépités, les Libanais cachaient difficilement leur désespoir « chou hal balad » (c’est quoi ce pays). Pourtant, le Liban faisait office d’exemple dans le monde arabe, stable dans son instabilité et instable dans sa stabilité. Le souvenir douloureux d’une guerre civile permettait tant bien que mal un relatif équilibre des forces politiques. Pourtant, le pays du Cèdre sombrait petit à petit dans un chaos qui ne disait pas son nom. Oui, le pays n’avait pas chaviré dans les affres d’un « printemps arabe » aux conséquences douteuses, mais, s’engluait dans une crise économique sans précédent.

L’arrivée massive de réfugiés syriens allait faire imploser un peu plus la caste dirigeante libanaise. Comment un petit pays de 5 millions d’habitants allait gérer l’afflux d’un million 500 mille réfugiés syriens ? Pays refuge, mais jusqu’à quand ? Une fois de plus la neutralité initiale laissa place à un manichéisme. L’instrumentalisation à des fins politiques était de mise. Pro ou anti Damas, telle était la question !

La nouvelle génération en fait les frais. Impossible d’être absorbés sur le marché du travail. Le chômage est galopant chez les jeunes diplômés. Pour la plupart d’entre eux, ils veulent tenter leur chance à l’étranger, notamment dans les pays du Golfe.

Sans oublier, l’accumulation des déchets au sein même de Beyrouth et des grands axes autoroutiers du pays. La Suisse du Moyen-Orient, « ce pays message » comme disait Jean Paul II, se muait bon an mal an en un parangon de précarités.

Précarité politique, gangrénée par un confessionnalisme omnipotent, le pays du Cèdre a quasiment autant de partis politiques que de confessions. Tous les partis sont présents dans le gouvernement. À vouloir plaire à tout le monde, on finit par ne plaire à personne…  

De surcroît, la vie au Liban n’est pas un long fleuve tranquille. Le folklore de la vie locale, ce bordel organisé, ces sourires, ces saveurs aux multiples odeurs laissent  place à des plaintes quotidiennes qui demeurent sans réponse. « On veut copier Paris ou Londres, mais on n’a ni eau ni électricité comme au Bengladesh ». Cette minorité visible qui festoie dans les lieux coûteux de la capitale ne saurait cacher cette majorité muette. Cette dernière a le mal des élites, elle meurt à petit feu mais se cache derrière ses leaders respectifs.

La vie est chère au Liban, tout se paye. Les premières commodités ne sont même pas assurées par l’État libanais. Le sentiment d’abattement est palpable. Ce Liban est un pays aux multiples fractures, où les inégalités sont abyssales.  

De plus, le Liban a toujours été la caisse de résonance du Moyen-Orient. Aujourd’hui plus que jamais, le Hezbollah est sorti grand vainqueur de la guerre en Syrie contre l’hydre djihadiste. Omnipotent et omniprésent au Liban, ce mouvement n’est pas vraiment en odeur de sainteté chez l’administration américaine et leurs supplétifs saoudiens et israéliens. Le parti chiite encaisse depuis plusieurs mois les contrecoups des sanctions économiques et c’est tout le pays qui en pâtit.

Spontanée …

Début Octobre 2019, le pays est ravagé par de nombreux incendies. Or, aucun canadair n’est opérationnel. Le pays est en ébullition. Il est sur le point de craquer et de se fissurer de toute part.

La taxe Whatsapp a fait déborder le vase. Le 17 octobre, suite à une loi controversée et injuste qui devait rentrer en vigueur à partir de 2020, le pays du Cèdre « s’est soulevé ». Des centaines de milliers de citoyens sont descendus dans les rues pour protester, pour libérer cette colère enfouie depuis de nombreuses années. L’instant d’une manifestation, d’une marche, le Libanais lambda revivait, renouait contact avec ses concitoyens. L’instant d’une soirée, le Libanais oubliait son appartenance religieuse. Aucun drapeau partisan, simplement le drapeau libanais accompagné de l’hymne nationale « koulouna llwatan » (nous sommes tous pour la nation). Cette colère soudaine a surpris tout le monde. Les Libanais, toutes confessions confondues, étaient dans la rue.

Des airs d’indépendance, un peuple retrouvant sa dignité, s’auto-régénérant face à l’atonie des élites. À croire qu’ils attendaient un prétexte pour se retrouver, pour réapprendre à se connaître, pour enfin faire poids ensemble contre la corruption et le mutisme des dirigeants. Sur les nombreuses pancartes, la sémantique est claire et précise : la fin du sectarisme politique, une volonté de laïcité « à l’orientale » et surtout la fin des partis traditionnels « kilon i3ani kilon » (tous ça veut dire tous).

Les Libanais l’ont une fois de plus montré, ils aiment se rassembler et surtout festoyer. Dans les rues, c’est un mélange de revendications erratiques, de danses et de chants. On pouvait entrevoir des dabkés géants, des scènes de liesse de Beyrouth à Tripoli en passant par Tyr et Nabatieh. Mais finalement, d’une région à une autre, les slogans divergent quelque peu de la demande initiale.

Récupérée de l’intérieur :

La récupération par des partis politiques n’aura pas tardé. Les 4 ministres des Forces libanaises ont démissionné dès le début des manifestations, pour finalement instrumentaliser une partie des revendications contre le Président Aoun et son parti le Courant patriotique libre (CPL). Dans certains fiefs chrétiens, les slogans invectivent uniquement Gebran Bassil (gendre du général Aoun et ministre des affaires étrangères). Certains de leurs partisans décident même de bloquer les principales routes du pays à l’aide de leurs voitures ou de plusieurs sit-in géants. L’économie du pays tourne au ralenti.

Somme toute, cette période de troubles accentue un peu plus les dissensions au sein de la classe politique libanaise. Les ex-partis du 14 mars (les Forces libanaises, le courant du futur et le parti socialiste progressiste) font corps avec les manifestants en essayant coûte que coûte de récupérer la grogne populaire. Alors que les partisans du 8 mars (le Hezbollah, le Courant patriotique libre et Amal) comprennent la colère tout en essayant de se poser en garant de la stabilité du pays.

Le 29 octobre dernier, l’ancien Premier ministre, Saad Hariri, a présenté sa démission. Pour les manifestants, il faut faire tomber le reste du système et former un gouvernement « d’experts et de technocrates ». Or, la formation du nouveau gouvernement par le Premier ministre Hassan Diab le 21 janvier 2020 ne satisfait pas toutes les parties prenantes. En effet pour les opposants, ce gouvernement est sous tutelle iranienne et syrienne. Dès lors, le pacifisme des premières heures laisse place à une grogne plus vindicative. Des affrontements éclatent avec les forces de l’ordre. Le nouveau gouvernement est d’emblée face à une impasse si l’opposition traditionnelle politique et les manifestants empêchent toute prise d’initiative de ce dernier.

Instrumentalisée de l’extérieur ?

Comme des airs de déjà vu ! Ceci rappelle grandement les débuts des « printemps arabes » en Égypte ou en Tunisie. Les tags sont similaires, le poing serré avec les mêmes pancartes et les mêmes inscriptions « thawra » (révolution)  et « horia » (liberté). À n’en pas douter, ce sont les mêmes techniques et méthodes employées durant la révolution du Cèdre en 2005, qui mit fin à l’occupation syrienne au Liban. La similitude ne trompe personne. Ils reprennent avec brio les codes de la révolution non violente et pacifique, théorisés par l’américain Gene Sharp. La fleur du manifestant contre le fusil du soldat, la symbolique est forte et touche profondément l’émotionnel. L’opinion internationale est sous le charme. Un peuple main dans la main pour s’affranchir d’un système à l’agonie.

Il est vain de penser qu’un soulèvement au Moyen-Orient ne sera récupéré de l’extérieur. Plusieurs puissances lorgnent sur le sort du Liban. Cette région est un immense noeud gordien dans laquelle tous les évènements de l’Irak, à l’Iran en passant par le Liban sont liés . Compte tenu des desseins de l’administration américaine, tous les moyens sont bons pour saper l’influence iranienne dans le monde arabe. Tout ce qui peut fragiliser le Hezbollah plaira automatiquement à l’axe Washington-Tel-Aviv-Riyad. Comme le signale au diapason la presse occidentale, les manifestants veulent en finir avec le système politique libanais et avec tous les partis que le composent. C’est donc, une aubaine pour les ennemis du Hezbollah, de voir le puissant parti chiite tiraillé au sein même de son propre pays. Aujourd’hui, les revendications légitimes initiales semblent être récupérées et instrumentalisées à des fins incertaines.

Bien malin, l’expert qui prophétisera l’avenir du Liban. Tous les scénarios, sont malheureusement envisageables au pays du Cèdre…

La Russie: Maître du jeu au Moyen-Orient ?

Au cours de la guerre froide, l’Union soviétique avait une politique arabe active. Après avoir reconnu l’État d’Israël en 1948, elle se rapproche des régimes nationalistes égyptien de Nasser puis syrien d’Hafez-al Assad. Sa politique était principalement basée sur la formation militaire et la vente d’armes pour contrebalancer la suprématie israélienne, elle-même soutenue par les Américains.

Depuis la chute du bloc communiste en 1991, la Russie se tient à l’écart des affaires orientales. Elle reste cantonnée à une neutralité de façade. Elle n’a ni les moyens, ni l’envie de s’ingérer dans une région à risque.

Il faut attendre l’arrivée de Vladimir Poutine au Kremlin en 2000 pour voir les prémisses d’une réelle stratégie régionale.  

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L’intervention en Syrie : Résurgence de la puissance russe

Depuis la fin du XVIIIème siècle, la Russie de l’impératrice Catherine II cherche un accès « aux mers chaudes ». C’est un impératif d’ordre militaire et commercial. En 1971, l’Union soviétique signe un accord avec la Syrie pour l’installation d’une base navale russe dans le port de Tartous. Cet accord parachève une politique longue de deux siècles.

L’intérêt pour la Syrie ne date donc pas des « printemps arabes ». Au temps de la guerre froide, Moscou fournissait matériels et formations à l’armée syrienne. De plus,la Russie était le premier partenaire commercial de Damas.

Avec l’arrivée de l’État islamique en Syrie en 2014 et la dislocation du pays, la Russie sort peu à peu de son silence. Vladimir Poutine décide finalement d’intervenir en Syrie en septembre 2015 pour lutter contre le terrorisme, éviter sa propagation à ses pays voisins (Caucase et Asie centrale), aider Bachar Al-Assad à reconquérir son territoire et sécuriser les installations portuaires russes à Tartous ainsi que la base aérienne de Hmeimim.  

L’intervention russe a permis à Bachar Al-Assad d’éliminer les différents bastions terroristes présents dans le pays. L’opération militaire a réduit une par une les poches « rebelles », afin de les regrouper dans une seule et même localité. Aujourd’hui, la majorité des terroristes se concentrent dans la ville d’Idlib.

Cette action militaire a remis la Russie sur le devant de la scène et a empêché le changement de régime en Syrie. En aidant son allié historique dans la région, Moscou a déjoué les plans des administrations occidentales à l’égard de Bachar Al-Assad. En effet, Vladimir Poutine est partisan d’un multilatéralisme et d’une entente plurielle pour faire contrepoids à l’unilatéralisme américain.

De surcroît en combattant l’hydre djihadiste, la Russie a été un acteur incontournable dans la défaite de Daesh et dans la protection des Chrétiens d’Orient en Syrie. Moscou est devenu l’élément majeur dans le règlement du conflit. Il est l’instigateur principal avec la Turquie et l’Iran des réunions politiques de Sotchi et d’Astana. De fait, la Russie endosse à la fois le rôle d’acteur, d’arbitre mais également celui de médiateur entre les différents partis. Son action s’inscrit dans la durée.

La Realpolitik russe : dialoguer avec tous les acteurs régionaux

La Russie entretient des contacts avec tous les pays de la région nonobstant les tensions politico-militaires. Vladimir Poutine est en lien permanent avec le président turc Recep Tayyip Erdogan pour le règlement du conflit en Syrie. Pourtant les deux pays s’opposent frontalement sur le terrain par milices interposées dans la ville d’Idlib. La Turquie finance et arme les terroristes de Hayat Tahrir Al-Cham alors que la Russie soutient militairement l’armée syrienne dans sa reconquête du territoire. De plus, une délégation kurde du Rojava est présente à Moscou tandis que la Turquie est intervenue militairement en Syrie pour combattre l’irrédentisme kurde.

Vladimir Poutine joue le rôle de médiateur dans cette zone géographique particulièrement stratégique. Il noue des relations cordiales avec l’Iran. Les deux pays sont alliés de circonstance dans la lutte contre la mouvance djihadiste en Syrie. Néanmoins, la Russie ne souhaite pas que l’Iran devienne une puissance régionale, ce qui pourrait la concurrencer. Ils ont des intérêts communs limités dans le temps. Cependant, l’antiaméricanisme des Iraniens est apprécié par Moscou, car il contribue à instaurer un multilatéralisme régional sous tutelle russe.

Proche de l’Iran sur le dossier syrien, la Russie entretient d’excellentes relations avec Israël dont le 1/7ème de la population est russophone. De plus, Israël vend ses drones à la Russie. Or, Tel-Aviv s’inquiète de la présence iranienne et du Hezbollah libanais en Syrie. Ainsi, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu multiplie les rencontres avec Vladimir Poutine. Il compte sur la Russie pour empêcher les Iraniens d’installer leurs bases près de la frontière israélienne. Ceci se traduit par la non-intervention de la Russie (accord tacite ?) quand l’aviation de l’État hébreu bombarde des sites iraniens et le Hezbollah en Syrie. Cet échange de bons « procédés » satisfait pleinement les deux pays. Israël en agissant impunément et en sapant l’influence iranienne fait le jeu du Kremlin.

Bien qu’opposée à l’islam politique des Frères musulmans et au wahhabisme saoudien (courant rigoriste de l’islam), la Russie s’est imposée comme un interlocuteur de première importance. Son succès militaire en Syrie a obligé les monarchies du Golfe à opérer un rapprochement avec Moscou. Cette collaboration permet à Vladimir Poutine de sécuriser, de sceller une entente pétrolière (production et prix du baril) et de tenter de réduire l’influence américaine dans la région.

La Russie est devenu l’acteur phare au Moyen-Orient depuis une décennie. Chef d’orchestre, Vladimir Poutine joue de sa puissance pour contenir les tensions régionales et renforcer ses intérêts économiques et stratégiques.

L’antiaméricanisme : une aubaine pour la Russie

Depuis les attentats du World Trade Center en 2001, le Moyen-Orient a été un laboratoire d’interventions américaines. Or, les conséquences désastreuses de ses dernières (intervention militaire en Afghanistan en 2001, en Irak en 2003, sanctions économiques contre l’Iran et la Syrie, financement de groupes terroristes lors des Printemps arabes…) poussent les pays arabes à chercher d’autres partenaires-protecteurs.

La Russie fait aujourd’hui office de pays pivot dans une logique de non-alignement à l’égard de Washington. De nombreux dirigeants de la région veulent nouer des relations commerciales avec Moscou, qui use de sa diplomatie active pour offrir une alternative au modèle américain.

Les autorités russes profitent des tensions récurrentes dans la région pour proposer des contrats d’armement sophistiqué. Il s’agit de concurrencer les Etats-Unis, largement en tête dans ce domaine. Cependant, la Turquie, bien que pays allié des Etats-Unis dans le cadre de l’Otan, a récemment acheté les missiles de défense antiaériens (S-400). Le Qatar, l’Égypte et l’Iran sont également intéressés.

Dernièrement, en raison de l’assassinat du général iranien Qassem Souleimani en Irak par un drone américain, les autorités irakiennes envisagent de passer sous protection russe. Or, le désengagement américain n’est à ce jour pas envisageable par Washington.

Partisane d’une lutte contre les djihadistes, la Russie a de bonnes relations avec ses principaux bailleurs (Arabie saoudite et Qatar). La diplomatie russe plaît. Elle séduit par son pragmatisme, son opportunisme et son intelligence face aux troubles régionaux. Certains experts jugent bon de parler de « pax russica » qui supplante la « pax americana ». Or peu probable, que Moscou en ait l’envie et les moyens sur la durée.

Bibliographie :

La chute de Mossadegh en 1953: Acte fondateur du nationalisme contemporain iranien

En 2013, après avoir déclassifié des documents, la CIA a reconnu son rôle dans le coup d’Etat ayant renversé Mohammad Mossadegh le 18 aout 1953. Récemment, suite à la sortie du film du réalisateur iranien Taghi Amirani, le rôle des services secrets britanniques, le MI6, est mis en exergue dans l’intervention « Ajax ». Réelle humiliation pour le peuple iranien, qui s’en nourrit encore aujourd’hui pour forger un nationalisme méfiant à l’égard de l’Occident.

Véritable cas d’école en relations internationales, cet événement stipule bien que les grandes puissances agissent à leur guise quand leurs intérêts économiques sont en jeu.

Le contexte d’une ingérence :

Lors de la période du « Grand Jeu » au XIXème siècle, le territoire iranien était convoité. Tour à tour, Russes puis Britanniques tentèrent de s’imposer par la force militaire ou par le biais de contrats commerciaux avec des sociétés locales. Vieillissant et chancelant, l’Empire des Tsars se focalise sur ses dissensions internes. Soucieux de faire le rapprochement avec l’Inde, Londres noue des relations commerciales de plus en plus régulières avec les autorités iraniennes. En effet, les industriels anglais s’intéressent au pétrole de cette région.

En 1908, suite à la découverte d’énormes réserves, l’Anglo Persian Oil Company (la future British Petrolium- BP) est créée. Devenant le principal actionnaire de la compagnie pétrolière, Londres tempère les troubles internes et désigne des dirigeants iraniens dociles et peu encombrants pour leurs desseins économico-politiques dans la région.

Durant l’entre deux guerres, Londres se méfie de la volonté expansionniste soviétique. Elle place alors à la tête de l’État iranien Reza Chah Pahlavi. Ce dernier modernise la société et les institutions. Il adopte les codes occidentaux (bannissement du voile et tenue occidentale pour les hommes). Cependant pour les Anglais, il tente de supprimer les concessions faites aux compagnies anglaises. Embrassant une neutralité pendant la seconde guerre mondiale, Reza Chah Pahlavi se rapproche de l’Allemagne nazi. Le 3ème Reich devient à cette époque le premier partenaire économique de l’Iran. De fait, Anglais et Soviétiques décident de déposer le souverain iranien lors de l’opération Countenance en 1941.

Mohammad Reza Pahlavi succède à son père en 1941. Au lendemain de la guerre, l’Iran est englué dans les divisions parlementaires. Communistes, nationalistes et religieux revendiquent une souveraineté totale sur l’ensemble du territoire, et en premier lieu sur le pétrole. Les discussions au sein du Majlis (parlement iranien) veulent redéfinir les contrats avec les compagnies britanniques. Certains souhaitent que 50% des bénéfices soient reversés à l’Iran, d’autres veulent renégocier la durée du bail.

Mais le Front national de Mohammad Mossadegh n’entend pas faire de concession. Foncièrement anti-britannique, il adopte un discours radical. Il fait du pétrole, la question centrale pour mettre fin aux décennies d’humiliation.

L’heure de Mossadegh :

Il cristallise toutes les attentes d’un peuple déchu et trop souvent délaissé pour des intérêts de politique extérieure. Avec son parti le Front national, il fait pression sur le nouveau premier ministre Hossein Ala’, pour voter une loi sur la nationalisation de l’industrie pétrolière. Chose faite, la National Iranian Oil Campany est créée en 1951. Elle reprend les projets de production de l’Anglo Iranian Oil Company sur le site d’Abadan.

Dans le contexte de la guerre froide, s’ensuit une période de tensions et de dissuasions entre les différentes puissances. Washington s’inquiète vivement du poids grandissant du parti communiste iranien (le Toudeh) dans les plans de nationalisation de l’économie iranienne. L’administration londonienne, quant à elle, s’alarme à l’idée de perdre le marché pétrolier iranien.

Le centre de gravité des tensions se déplace peu à peu vers la rue. Les partis politiques et leurs parrains organisent des manifestations dans plusieurs villes du pays. L’économie est paralysée et le souffle de la guerre civile lorgne autour de la Perse. Malgré la loi martiale, rien n’y fait, le premier ministre démissionne.

Mohammad Mossadegh est nommé à la tête du gouvernement en Mai 1951. Tous les principaux partis lui assurent un soutien de poids dans sa politique de nationalisation. Les mois qui suivent sont conflictuels. Londres exige de Téhéran la fin de la nationalisation et y voit « un vol ». L’administration britannique envoie des troupes à Chypre et au large d’Abadan, proche du littoral iranien. Les Etats-Unis cherchent à jouer le rôle de modérateur, mais le Toudeh (parti communiste iranien) y voit un prétexte fallacieux pour s’immiscer durablement dans les affaires du pays. Les tensions montent d’un cran.

Mossadegh se rapproche de l’Union soviétique. Dans une logique d’émancipation des peuples, Moscou supporte les différents mouvements nationalistes au sein du Tiers monde.

Après l’échec des négociations à la Haye entre les différents partis, les Britanniques imposent une série de sanctions économiques contre l’Iran en 1951. La même année, tout le personnel de l’Anglo Iranian Oil Company est contraint de quitter le territoire. Mossadegh adopte peu à peu une posture anti-britannique. Londres réplique et ordonne un blocus sur les pétroliers iraniens et exige de ses partenaires européens d’empêcher leurs ressortissants de travailler avec l’Iran. De son côté, Mossadegh souhaite les pleins pouvoir au parlement. Chose qui lui est refusé, il démissionne. Il est remplacé pour une courte durée, par Ghavam os-Saltaneh, un homme apprécié par les Britanniques. Succombant à la pression de la rue, le Shah rappelle Mossadegh en Juillet 1952.

La fin de l’ère Mossadegh :

Mossadegh incarne l’espoir de tout un peuple. Or, par le jeu des sanctions, l’économie iranienne est exsangue. Subissant l’embargo, le secteur pétrolier iranien est plus coûteux que rentable. De fait, l’opposition entre le Shah et Mossadegh s’accentue. Face à l’inertie des réformes, l’opposition politique se durcit contre le premier ministre. Au sein même de son propre parti, plusieurs députés s’affrontent. Sans nul doute, Londres finance l’opposition. Pourtant, Mossadegh n’abandonne pas face aux critiques et aux tentatives d’assassinats. Tous les moyens coercitifs sont utilisés pour le contraindre à une démission définitive. Malgré les pressions, il dissout le parlement en aout 1953. Mais en raison des vives frictions qui demeurent entre Mossadegh et le Shah, le premier ministre est démis de ses fonctions le 15 août 1953.

Depuis le début des années 50, le Shah entretient des relations plus que cordiales avec l’Occident. Washington lui fait part de sa crainte de voir Mossadegh se rapprocher de plus en plus officiellement de l’Union soviétique par le biais du parti communiste iranien, le Toudeh. Dès lors, la CIA et le MI6 organisent secrètement, avec l’accord des gouvernements Eisenhower et Churchill, un coup d’État pour renverser Mossadegh. À partir d’avril 1953, Allen W.Dulles, directeur de la CIA, fournit 1 million de dollars pour y parvenir. Le but de cette opération est de remplacer le premier ministre par un gouvernement pro-occidental, afin de préserver ses intérêts dans l’exploitation des gisements de pétrole.

Compte tenu du rapprochement entre Mossadegh et l’Union soviétique, la Grande-Bretagne mais surtout les États-Unis fomentent un coup d’État. Ils investissent les organes de presse, plusieurs partis politiques ainsi que les hauts gradés de l’armée. Américains et Britanniques poussent la rue iranienne à destituer Mossadegh. Durant l’opération « AJAX », qui vise à éjecter le premier ministre, le Shah fuit à l’étranger, ce qui envenime la situation. Plusieurs heurts sur les places publiques et dans les principales villes ébranlent le pays. Par factions interposées, Londres et New-York financent l’opposition contre Mossadegh. Le pays est au bord d’une guerre civile. Un nouveau premier ministre docile, Fazlollah Zahedi, est choisi par le Shah pour satisfaire les exigences anglo-saxonnes.

Fuyant ses assaillants pendant plusieurs jours, Mossadegh décide finalement de se rendre. Il est jugé pour trahison à la tête de l’État. Son procès dure plus de deux mois. Il est condamné à mort le 22 décembre 1953, mais il est gracié par le Shah. Finalement, Mohammad Mossadegh est assigné à résidence dans son village natal d’Ahmadabad jusqu’à la fin de sa vie.

Un évènement qui s’inscrit dans la durée de l’idéologie iranienne

Comme le rappellera la révolution iranienne de 1979, le thème fédérateur n’était pas dans un premier temps la religion, mais bel et bien le patriotisme de tout un peuple et sa volonté d’indépendance politique face aux ingérences occidentales. La chute de Mossadegh est perçue à juste titre comme l’événement fondateur du nationalisme contemporain iranien.

À l’instar de la nationalisation du Canal de Suez en 1956 par Nasser, le coup d’État ourdi par la CIA et le MI6 a eu une résonnance régionale. Des portraits de Mossadegh étaient brandis dans les rues du Caire, de Damas et de Bagdad.

Véritable héros national, Mohammad Mossadegh a forgé l’identité du peuple iranien. Il a galvanisé la rue iranienne et popularisé un discours sur l’indépendance économique. En ce début de décennie 50, il était devenu le héraut de tous les «damnés de la terre».

Encore aujourd’hui, la jeune génération iranienne étudie et s’imprègne de cet héritage politique pour façonner et structurer un discours réaliste face aux intérêts occidentaux dans la région.

Bibliographie :

  • John Limbert, « Les Etats-Unis et l’Iran : de l’amitié à la rancœur », 2018/N°169, p67-82, Hérodote
  • Hamid Algar, « Sources et figures de la révolution islamique en Iran », 1981/7 N°4, p54-76, Cairn
  • Julien Saada, « La stratégie politique iranienne : idéologie ou pragmatisme ? », 2008/1 N°69, p55-68, Armand Colin
  • Elmira Dadvar, « La poésie symbolique des années 1950-1960 en Iran », 2002/2 N°19, p143-157, Cairn

Fauda: Une série israélienne sur Netflix à la gloire du Mossad ?

Conçue initialement pour une audience israélienne, cette série a rapidement conquis le géant américain de l’industrie audiovisuelle. Réalisé par Lior Raz et Avi Issacharoff, ce programme a pour but de montrer au plus grand nombre de téléspectateurs la lutte anti-terroriste dans les territoires palestiniens occupés. Véritable outil du Soft power israélien, cette série commerciale permet à Tel-Aviv de donner une vision tronquée de la réalité sur place. De ce fait, le mouvement BDS (Boycott, désinvestissement et sanctions) ainsi que plusieurs personnalités du monde arabe demandent à Netflix de supprimer la série.

« Par la ruse, nous vaincrons »

Cette devise du Mossad est bien appliquée dans la série. Tous les moyens sont bons pour arriver à leurs fins. En effet, les agents israéliens infiltrés sur le terrain (moustaaribiin en arabe) connaissent tous les us et coutumes de la vie palestinienne. Ils maitrisent parfaitement le dialecte local. Avant leurs opérations, ils choisissent méticuleusement les vêtements et le maquillage à mettre (fausse moustache et teinte des cheveux en noir pour les hommes et hijab pour les femmes).

Dans la première saison, le personnage principal Doron Kabilio infiltre une cellule du Hamas afin d’en savoir plus sur les desseins politiques et militaires du mouvement. Parlant un arabe parfait et obtenant rapidement la confiance des chefs du parti, il est lui même choisi pour commettre le prochain attentat sur Tel-Aviv. Démasqué, il est finalement sauvé par son équipe qui se tenait prête à agir en cas d’échec de la mission. 

Au cours de la deuxième saison, l’intrigue est plus complexe. Le Mossad doit faire face à la naissance d’une cellule de l’État islamique dans les territoires occupés. Le spectateur lambda qui n’est pas familier avec la géopolitique régionale, adhérera à ce scénario. Dans les faits, c’est une toute autre réalité. Il n’y a jamais eu de cellule de Daech (acronyme de l’État islamique) en Israël. Au contraire, peu connu du grand public, Israël a entretenu des relations avec plusieurs groupuscules terroristes en Syrie (notamment Al-Nosra dans les environs du Golan), afin de glaner des informations sur la présence des bases iraniennes et du Hezbollah en Syrie.

Tout au long des deux premières saisons, les infiltrés israéliens sont aidés par des équipes de renseignements. Ils sont équipés d’oreillettes qui leur transmettent des informations en temps et en heure sur la circulation, sur le nombre de personnes présentes sur place, si oui ou non le suspect est visible, s’il est armé ou seul etc. De plus, de nombreux drones survolent la zone d’intervention pour quadriller l’opération. Ils sont à la pointe de la technologie. Ils peuvent traquer et retrouver la trace d’un membre du Hamas rapidement. À l’aide des satellites, ils interceptent les conversations téléphoniques, brouillent les radars, saturent les réseaux. La supériorité technologique est écrasante voire humiliante.

Représentation des Palestiniens dans une série israélienne

De leur côté, les Palestiniens usent d’une technologie rudimentaire, téléphones portables sans connexion internet, des hangars et des parkings d’hôpitaux comme quartiers généraux. Les chefs des différents partis palestiniens se réunissent dans les églises. Tous leurs agissements sont faits en pleine clandestinité. De surcroît, quand ils parlent l’hébreu, ils sont hésitants. Dans son ensemble, la série décrit les prouesses et le courage des services de renseignements israéliens et met en exergue l’amateurisme des Arabes.

Mais ce qui semble être le plus choquant à travers cette série est cette dichotomie des personnages. L’Israélien est, ici, représenté comme un homme aux mœurs occidentales, buvant, fumant, il profite pleinement de la vie. Il est dépeint sous les traits d’un homme rusé, courageux et épris d’éthique et de conscience nationale. S’il doit tuer, c’est pour le bien d’Israël. 

Malgré le point de vue biaisé, la série permet de voir sous quel prisme les Arabes sont perçus. Le Palestinien est directement assimilé à l’ennemi, au méchant. Il est caractérisé par le jeune palestinien Walid Al Abed. Il porte une barbe bien garnie mais mal taillée, de comportement sanguin il agit souvent par irrationalité. La haine du juif est omniprésente dans son discours. D’ailleurs, l’homme décrit est violent, s’il agit c’est uniquement par représailles et par aversion du peuple juif.

La série caricature le Palestinien en un homme prévisible, corrompu, corruptible et même aux mœurs douteuses (l’un des personnages force sa cousine à se marier avec lui). Somme toute, l’Israélien est vu comme un homme courageux et défenseur de sa patrie et le Palestinien comme potentiel tueur d’Israéliens, sans revendication nationale ou historique.

« Diviser pour mieux régner »

Cette maxime corrobore précisément les desseins politiques de l’administration israélienne. Depuis l’émergence de l’islamisme politique et le déclin du nationalisme arabe, Tel-Aviv n’a cessé d’opposer les deux idéologies. En effet, depuis le crépuscule de l’OLP (organisation de libération de la Palestine), le vide politique palestinien a été comblé par l’arrivée des islamistes du Hamas. Les deux principaux partis palestiniens n’arrivent pas à s’entendre. Ils s’opposent régulièrement sur l’attitude à adopter à l’égard des Israéliens. Les politiques israéliens ont favorisé la naissance du Hamas en 1987 pour finalement mieux le combattre. Il est plus facile de convaincre l’opinion internationale sur la nécessité de lutter contre des islamistes enturbannés (le Hamas) que de lutter contre des socialistes arborant le keffieh (OLP). En effet, le Hamas est généralement assimilé à un groupe terroriste, ce qui place automatiquement Israël dans un statut de victime.

Ceci est bien visible dans la série. Les services de renseignements israéliens entretiennent des relations plus que cordiales avec les autorités palestiniennes du Fatah (anciennement l’OLP) en Cisjordanie. Ils vont jusqu’à collaborer ensemble pour capturer les différents suspects. Le Hamas les accuse de traitrise et d’être des fossoyeurs de la cause palestinienne. Cette division alimentée et souhaitée, fait finalement le jeu des Israéliens.

Lors d’une scène dans la saison 2, un dirigeant du Hamas est interrogé par les services de renseignements israéliens. Ayant des informations sur ses relations extra-conjugales, ils arrivent facilement à le faire parler. De plus, dans la série la cause palestinienne est rendue monnayable au prix d’un passeport européen et d’un appartement en Allemagne ou en France. Plusieurs femmes palestiniennes sont prêtes à fournir des informations cruciales pour quitter définitivement la Palestine.

Le point de vue des autorités israéliennes

Cette série épouse pleinement le point de vue israélien sur le conflit. Maquillant la réalité du fait palestinien, Fauda n’évoque jamais les exactions et vexations commises par l’armée israélienne, les nombreuses heures d’attentes aux checkpoints, les expulsions forcées etc.

Le but recherché est simple. À travers cette série, Israël apparaît comme l’agressé et les Palestiniens comme agresseurs.

En définitive, ce programme tente tant bien que mal d’altérer le jugement de l’opinion internationale à l’égard d’Israël. Au vu du très large succès de la série, une troisième saison est en cours de tournage. Elle relatera la traque d’un terroriste à Gaza. Israël use donc de son soft power (capacité à convaincre) pour propager sa version du conflit.

Israël-Palestine: le conflit oublié

Cette guerre asymétrique ne fait plus l’actualité. Auparavant, la région était perçue uniquement sous le prisme de l’affrontement israélo-arabe. L’État hébreu cristallisait toutes les craintes régionales. Aujourd’hui, malgré la colonisation systématique, les exactions quotidiennes et le blocus humanitaire de la bande de Gaza, le conflit est de moins en moins médiatisé, et ce au détriment de la cause palestinienne. Le rapprochement de certains États arabes avec Israël et la lutte commune contre l’influence iranienne marginalisent le sort des Palestiniens.

Pourtant, dès la création de l’État hébreu en 1948, la Palestine représentait cet idéal à défendre pour tous les habitants de la région. Retour, sur la déliquescence d’une cause fédératrice.

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« Une nation a solennellement promis à une seconde le territoire d’une troisième »

Cette phrase du journaliste hongrois, Arthur Koestler, résume à elle seule la création du futur État hébreu.

Le 2 novembre 1917, Lord Arthur James Balfour, ministre britannique des affaires étrangères écrit une lettre à Lord Walter Rothschild, porte parole des Juifs britanniques, dans laquelle il annonce que « Le gouvernement de sa Majesté envisage favorablement l’Établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif ». C’est une victoire pour l’enracinement du sionisme et une défaite pour les aspirations nationales arabes. Le sionisme est un mouvement fondé à la fin du XIXème siècle, prônant l’immigration des Juifs en Palestine. Or, à cette époque la Palestine est un territoire où vivait une population arabe musulmane et chrétienne. Cette fameuse déclaration Balfour de 1917, s’est faite sans le consentement des populations locales présentes sur place. Ce texte, est le prélude à de futures tensions ethnico-confessionnelles dans la région.

En effet, dès les années 1920, avec le démembrement de l’Empire ottoman (traité Sykes-Picot) par la France et la Grande Bretagne, des Juifs d’Europe commencent à immigrer en Palestine. Plusieurs révoltes arabes ont lieu à partir de 1935 pour dénoncer le rachat et la spoliation des terres agricoles par des colons juifs (communément appelé le kibboutz).

Jusque là minoritaires, les sionistes évoquent l’Holocauste (le génocide des Juifs durant la seconde guerre mondiale) à des fins politiques. Avec la création de l’État d’Israël en 1948, les Arabes de la région se voient contraints de subir les conséquences des actes qu’ils n’ont pas commis.

La Palestine : cause fédératrice du monde arabe

Dès la promulgation de l’indépendance de l’État hébreu le 15 mai 1948, les armées syrienne, égyptienne, irakienne, jordanienne et libanaise déclarent la guerre au nouvel État. Pour les habitants de la région, la création d’un État juif en terre de Palestine est perçue comme une humiliation. Dès lors, la solidarité à l’égard du peuple palestinien devient viscérale.

Cette guerre se solde par une débâcle militaire des armées arabes, pourtant supérieures en nombre mais désunies face aux Israéliens, aidés et financés par l’Occident. Ainsi, est né le concept arabe de Nakba (catastrophe), représentant l’exode de toute une population. 700 000 Palestiniens fuient vers les pays voisins (Liban, Jordanie et Syrie).

Cette défaite ne sonne pas le glas de la cause palestinienne, un désir de revanche anime les gouvernements de la région. Dans les années 60, un optimisme gagne le monde arabe sous la houlette de Gamal Abdel Nasser. Or, en juin 1967, l’armée israélienne lance une guerre éclair (guerre des six jours), entraînant l’occupation du Golan syrien, du Sinaï égyptien et de la Cisjordanie. C’est une nouvelle humiliation qui cause une nouvelle vague d’immigration palestinienne vers les pays limitrophes. Cette défaite de 1967 met en exergue le retard technologique et l’amateurisme des armées arabes.

Petit à petit, les réfugiés palestiniens reprennent le flambeau de la lutte contre Israël, et ce à l’intérieur des pays d’accueil. En proie à des difficultés internes, ces pays n’épousent pas totalement les revendications palestiniennes. Dès lors, en raison des activités politico-militaires palestiniennes en Jordanie, au Liban et en Syrie, ces pays subissent dans les années 70-80 des bombardements israéliens. Conscients de leurs retards économiques et surtout militaires, le soutien officiel se cantonne de plus en plus à des discours symboliques.

Les nationalistes arabes, de Nasser à Hafez-al Assad en passant par Saddam Hussein, veulent reprendre le flambeau de la lutte contre Israël. Tous n’ont pas les moyens de leurs ambitions. La Palestine devient de plus en plus un fardeau pour les gouvernements, et ce malgré sa grande popularité auprès de la rue arabe.

D’un conflit régional à un conflit local :

On ne parle plus de conflit israélo-arabe, notion qui englobe par essence même tous les pays arabes, mais de conflit israélo-palestinien. En effet, au fil du temps, le problème est devenu encombrant pour les États de la région. Certains ont fait le choix de signer des accords de paix avec Israël (Égypte et Jordanie). D’autres ont décidé de délaisser la cause palestinienne au profit d’un rapprochement de circonstance avec l’État hébreu (l’Arabie saoudite, le Koweït, les Émirats arabes unis, le Bahreïn et le Qatar). Alliance de circonstance qui est dictée par un impératif, celui de s’opposer à l’Iran. L’ennemi de mon ennemi est mon allié.

Les autres États de la région (Liban, Irak, Syrie) soutiennent la cause palestinienne mais n’ont aucun poids politico-militaire pour s’opposer aux desseins israéliens.  

Depuis la révolution islamique d’Iran en 1979, le prisme confessionnel sunnite-chiite ou l’opposition Arabie saoudite contre l’Iran a supplanté le prisme traditionnel israélo-arabe. En effet, les principaux médias n’ont de cesse d’analyser et d’étudier la région sous cette grille de lecture, tout en minorant les particularismes locaux.

Ainsi, Israël avec le soutien inconditionnel des États-Unis a réussi à pacifier une partie de son voisinage avec plusieurs États arabes. De surcroît, l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche a précipité le déclin de la cause palestinienne, en reconnaissant Jérusalem comme capitale de l’État hébreu et en considérant légale la colonisation en Cisjordanie. Les Palestiniens esseulés et fatalistes, sombrent petit à petit dans l’oubli en dépit de quelques escarmouches lancées depuis Gaza.

Aujourd’hui, La colonisation accélérée et illégale des territoires occupés, les exactions et spoliations quotidiennes ne font l’objet que de critiques de « circonstance ». La cause palestinienne est à l’agonie. Cependant, en raison de sa popularité, elle demeure un thème utilisé et instrumentalisé à des fins électorales.

La solution à deux États semble bien loin…

Bibliographie:

– Alain Gresh, « Israël, Palestine: vérités sur un conflit », Poche, 2010

– Noam Chomsky, Ilan Pappé, « Palestine », Broché, 2016

– Ilan Pappé, « Le nettoyage ethnique de la Palestine », Broché, 2008

« L’axe de la résistance »: atout numéro 1 de l’Iran

Depuis la révolution islamique d’Iran en 1979, Téhéran cherche à étendre son influence au Moyen-Orient. Minoritaire dans une région majoritairement sunnite, Téhéran propose un discours aconfessionnel avec une rhétorique anti-américaine et anti-israélienne pour créer un réseau d’alliances hétérogènes.

Aujourd’hui plus que jamais, au lendemain de l’assassinat de Qassem Souleimani, véritable homme fort de la politique étrangère iranienne, l’Iran fédère un véritable axe déjouant les objectifs de Washington, de Tel-Aviv et de Riyad.

Changement de régime pour un changement de paradigme à l’échelle régionale :

Avant 1979, l’Iran était le principal allié des Etats-Unis et d’Israël dans la région, son armée était financée par Washington.

Au lendemain de la révolution iranienne, les nouveaux dirigeants iraniens ont épousé une logique tiers-mondiste et pro-palestinienne. En raison de son isolement politique, l’Iran a tenté de propager sa révolution à l’échelle de la région. Pour Téhéran, il fallait renverser les gouvernements alliés des occidentaux. Ce revirement spectaculaire a changé la donne régionale. Conduite, qui allait inévitablement être le prélude à de nouveaux affrontements dans la région. En effet, l’Irak de Saddam Hussein financé et armé par les monarchies du Golfe et par l’Occident entra en guerre contre l’Iran. Cette guerre dura 8 ans (1980-1988), se solda par un statu quo et engendra plusieurs centaines de milliers de morts dans les deux camps.

La Syrie d’Hafez Al-Assad est le premier soutien étatique de la nouvelle République islamique d’Iran. Téhéran s’appuie également sur les communautés chiites présentes dans la région (Irak, Bahreïn, Liban). Il s’agit donc pour l’Iran révolutionnaire, de créer un cadre politique et sécuritaire à l’ensemble de la communauté. 

Pour contrer cette aspiration, l’Arabie saoudite et ses alliés régionaux accusent l’Iran de vouloir constituer un croissant chiite pour dominer la région. Ainsi, ils tentent de confesionnaliser les tensions régionales pour faire de l’Iran chiite un ennemi héréditaire.

Le Hezbollah : véritable succès de la politique étrangère iranienne

La communauté chiite libanaise est marginalisée économiquement et politiquement. L’émergence de la révolution islamique d’Iran insuffle un espoir à toute une population. De plus, englué dans une guerre civile depuis 1975, le Liban n’arrive pas à s’opposer aux exactions israéliennes dans le Sud du pays. Dès lors, au début des années 80, l’Iran envoie des forces spéciales pour former les futurs cadres du Hezbollah et structurer militairement la communauté chiite.

Ceci se matérialise en 2006 par la défaite de Tsahal au Sud Liban. C’est une victoire à la fois militaire et psychologique contre une armée nettement mieux équipée. C’est un succès écrasant de l’Iran et du Hezbollah sur Israël.

Ce puissant groupe chiite s’est mué en une force politique majeure au Liban et en une milice redoutable dans tout le Proche-Orient. En effet, depuis le début de la guerre en Syrie en 2011, le Hezbollah apporte un soutien militaire conséquent au Président Bachar Al-Assad. Plusieurs cadres du Hezbollah forment et entrainent différentes milices multiconfessionnelles en Syrie et en Irak pour lutter contre les différents mouvements djihadistes.

Il a également contribué à la libération de nombreux villages chrétiens situés à la frontière syro-libanaise, le rendant populaire auprès de cette communauté.

Le mouvement chiite est la pièce maitresse de la politique étrangère de l’Iran. Il fait le lien entre Téhéran et Beyrouth en passant par Damas et Bagdad. Le secrétaire général du parti, Hassan Nasrallah, adopte une posture aconfessionnelle et une sémantique fédératrice. En réaction à l’assassinat de Qassem Souleimani, le chef du Hezbollah appelle à chasser l’armée américaine du Moyen-Orient.

Aujourd’hui, le Hezbollah sort aguerri de ses opérations au Moyen-Orient. Il a une capacité de nuisance qui déstabilise les objectifs israéliens. De plus, le poids politique du parti empêche les Etats-Unis d’arrimer le Liban sous sa tutelle, et ce malgré les diverses tentatives.

Présence iranienne en Irak et en Syrie :

Depuis l’arrivée de l’État islamique en Irak et en Syrie en 2014, « l’axe de la résistance » a été fragilisé. En effet, les voies terrestres reliant Téhéran à Beyrouth ont été coupées. De ce fait, les forces iraniennes d’Al Qods (unité d’élite des Gardiens de la révolution iranienne), menées par Qassem Souleimani et le Hezbollah ont entrepris une série d’opérations visant à lutter contre Daesh et à sanctuariser les territoires repris. L’Iran a formé de nombreuses milices majoritairement chiites en Irak. Ces milices (Hachd al-Chaabi) sont aujourd’hui redoutables et contrôlent plusieurs parties du territoire irakien.

Au lendemain de l’assassinat de Qassem Souleimani et d’Abu Mahdi al-Muhandes (leader d’une milice irakienne), toutes les forces chiites du pays se sont soulevées contre les ingérences américaines. Le parlement irakien a même demandé le retrait des troupes américaines de son territoire. Demande qui ne sera probablement pas satisfaite, les Américains ne veulent pas laisser l’Irak sous influence iranienne.

En Syrie, les forces iraniennes, le Hezbollah avec l’appui de la Russie et l’armée régulière de Bachar Al-Assad ont libéré plusieurs grandes villes du pays (Homs et Alep). Le maintien du Président syrien au pouvoir, est une condition sine qua non de la survie de « l’axe de la résistance », afin qu’il puisse s’inscrire dans la durée. De surcroît, avec le soutien de plusieurs milices chrétiennes, voire sunnites, l’Iran veut faire la jonction entre un chiisme politique et la défense du nationalisme arabe.

Hamas : l’influence iranienne en Palestine

La présence d’Ismaël Hanniyeh, chef du Hamas, aux obsèques de Qassem Souleimani à Téhéran démontre les bonnes relations entre les deux entités. La résistance islamique à Gaza est en partie financée par l’Iran.

Dans la rhétorique iranienne, l’objectif final est la libération de la Palestine. De plus, en appuyant et en finançant le Hamas, l’Iran nuit aux intérêts israéliens et gagne la sympathie de la rue arabe. En effet, la Palestine reste une cause fédératrice pour la majorité des habitants de la région.

Les Houthis : force de déstabilisation des monarchies du Golfe

Depuis 2015, le Yémen est en proie à une guerre abominable. Elle oppose une coalition arabe menée par les monarchies du Golfe et le pouvoir central yéménite aux Houthis, groupe rebelle aidé financièrement et logistiquement par l’Iran

Les Houthis, et ce malgré l’important dispositif militaire mobilisé par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, infligent plusieurs pertes à cette coalition. En septembre dernier, l’attaque contre deux sites pétroliers de la compagnie ARAMCO a paralysé en partie l’économie saoudienne et entraîné la hausse du prix du baril de pétrole.

Bien qu’inférieurs aux Américains, les Iraniens disposent d’un réseau d’alliances protéiformes dans toute la région. Les différentes milices constituent donc une force de dissuasion et de renseignement non négligeable pour la politique étrangère iranienne. Cet « axe de la résistance » nuit aux intérêts américains, saoudiens et israéliens au Moyen-Orient.

L’élimination préméditée de Qassem Souleimani est un véritable acte de guerre contre l’Iran. Compte tenu de la posture martiale et anti-iranienne de la Maison Blanche, tous les scénarios sont envisageables. Pourtant, le 7 janvier 2020, des missiles iraniens ont étonnamment frappé deux bases américaines en Irak, sans la moindre réaction américaine. Jeu de dupes ou manque de stratégie à long terme de la part du Pentagone ?

Bibliographie :

  • Laurence Louër, « Chiisme et politique au Moyen-Orient », Tempus, 2009
  • Robert Baer, « Iran : l’irrésistible ascension », Folio, 2009
  • Mohammad-Reza Djalili, Thierry Kellner, « L’Iran en 100 questions », Tallandier, 2016

Que veulent les Américains au Moyen-Orient ?

Le récent assassinat, le 3 janvier 2020, du chef des forces iraniennes d’Al Qods, Qassem Suleimani, corrobore l’omnipotence des Etats-Unis au Moyen-Orient. Quand leurs intérêts sont en danger, ils agissent à leur guise, faisant fi du droit international. Les pays de la région n’ont pas attendu l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche pour subir les ingérences américaines.

Depuis un siècle, les Etats-Unis s’immiscent régulièrement dans la région pour diverses raisons. Initialement économiques, les desseins du Pentagone évoluent à l’aune de la conjoncture. Gendarmes du monde pour les uns, fossoyeurs des nations indépendantes pour les autres, aujourd’hui le rôle de la première puissance militaire mondiale est plus que jamais contesté. L’unilatéralisme américain sème le désordre et pousse la région vers des conséquences ravageuses. Il est impératif de revenir sur les déboires de la politique américaine au Moyen-Orient.  

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L’or noir comme prétexte d’ingérence :

Dès les années 30, les Américains s’intéressent à la région. Ils nouent des relations commerciales avec le jeune royaume saoudien pour le forage et l’extraction du pétrole dans l’est du pays. Le pétrole étant un commerce juteux, les Etats-Unis investissent durablement en Arabie Saoudite, au point de signer un consortium avec la première compagnie du pays ARAMCO (Arabian American Oil Company) en 1944. Dès lors, le régime saoudien est devenu le premier partenaire des Etats-Unis dans la région. Bien que diamétralement opposés, ces deux pays partagent les mêmes objectifs: la lutte contre le nationalisme arabe inféodé à l’Union soviétique.

Depuis la chute du bloc communiste en 1989, les Etats-Unis règnent sur l’échiquier mondial. Cette domination se traduit par l’intervention militaire unilatérale en Irak en 2003. Intervention injustifiée pour des raisons erronées, ayant conduit à la destruction de tout un pays. En effet, l’Irak de Saddam Hussein ne détenait pas des armes de destruction massive et ne finançait pas la mouvance terroriste d’Al Qaeda. Officieusement, les Américains sont intervenus pour évincer le Président irakien, vassaliser le pays et profiter de ses ressources pétrolières.

Aujourd’hui encore, le pays est ruiné, l’anarchie et le confessionnalisme ont supplanté le rôle de l’État. Les Etats-Unis entretiennent ce chaos pour s’implanter durablement dans la région. En effet, après avoir retiré ses soldats d’Irak en 2011, ils sont de nouveau renvoyés en 2014 pour contrer l’avancée de Daesh. Cette entité terroriste, profite et prospère suite aux conséquences de l’intervention américaine de 2003.

La logique américaine est d’imposer une « pax americana » à l’ensemble de la région. Tout pays qui s’y oppose est sujet aux pressions militaro-économiques.

Depuis 2011, la Syrie, alliée indéfectible de l’Iran, et riche en hydrocarbures à l’est du pays subit de nombreuses ingérences. En effet, l’opération de la CIA « Timber Sycamore » a financé des milliers de « rebelles » pour chasser Bachar Al-Assad et fragiliser « l’axe de la résistance ». Axe qui relie Téhéran à Beyrouth en passant par Damas.

Récemment, Donald Trump, dans son style transparent et erratique, a précisé que les troupes présentes en Syrie étaient là uniquement pour sécuriser les puits de pétrole.

Un soutien inconditionnel à Israël :

Depuis la création de l’État d’Israël en 1948, les Etats-Unis se posent en protecteur de la nouvelle nation. La sécurité de l’État hébreu est une question de politique intérieure américaine. En effet, le puissant lobby sioniste AIPAC (Amercain Israel Public Affairs Committee) oriente la stratégie américaine au Moyen-Orient. Même l’ancien Président Barack Obama, n’étant pas considéré comme « ami » d’Israël, a octroyé avant son départ une aide de 38 milliards de dollars sur 10 ans. Cette aide sert notamment à la modernisation de Tsahal (armée israélienne) et de ses services de renseignements.

L’administration américaine épouse la logique « schmitienne » : l’ennemi de mon allié est mon ennemi. L’exemple égyptien en est symptomatique. Dans les années 50, l’Égypte de Gamal Abdel Nasser était le principal ennemi d’Israël. Après la signature des accords de paix de Camp David en 1978-1979 entre les deux pays, le Caire passe sous protection américaine. À ce jour, l’armée égyptienne est financée en grande partie par les Etats-Unis.

Dès que les pays arabes signent la paix avec Israël, ils bénéficient de l’aide américaine.

C’est également le cas de la Jordanie à partir de 1994. Le cas des monarchies du Golfe est plus complexe. L’entente avec Israël n’a pas encore donné lieu à une signature officielle. Néanmoins, les relations et collaborations sont de plus en plus fréquentes entre les pays du Golfe et l’État hébreu. Alliance, qui se fait au détriment de la cause palestinienne et ce malgré les discours en apparence unitaire et solidaire. Les pays alliés aux Etats-Unis abandonnent donc toute velléité à l’égard d’Israël.

Aujourd’hui, l’axe de Téhéran à Beyrouth devient la seule véritable opposition contre les intérêts américains et israéliens dans la région.

La lutte contre l’Iran :

La République islamique d’Iran est devenu depuis 1979 le meilleur ennemi du Pentagone. Cette rivalité est un prétexte à encore plus de surenchères guerrières, à une militarisation accrue de la région et donc, à un commerce très rentable pour le premier pays exportateur d’armes au monde. À lui seul, l’Iran et ses relais locaux déjouent les plans de Washington. Aujourd’hui, deux axes bien distincts s’opposent dans la région ; un axe pro-américain qui regroupe les pays du Golfe et Israël et l’axe iranien qui est un ensemble d’alliances hétéroclites présent en Syrie, en Irak, au Liban, au Yémen et en Palestine.

Tant que l’Iran ne se soumettra pas aux intérêts américains, le pays des mollahs subira des pressions militaro-économiques.

Le mauvais élève de la région contrarie les plans américains. Pourtant, en Syrie et en Irak, l’Iran a combattu Daesh et tous les groupuscules terroristes. Contrairement à ce qui est évoqué dans les médias traditionnels, la politique iranienne n’est pas uniquement basée sur une logique d’expansion pan-chiite. Ils ont libéré de nombreuses zones chrétiennes dans la plaine de Ninive en Irak, et dans les régions d’Alep et de Homs en Syrie.

L’Iran étend ses capacités de nuisances au Moyen-Orient. En finançant le Hezbollah libanais et le Hamas, l’Iran devient le principal ennemi d’Israël.  

De surcroît, cette tension permanente avec l’Iran est à replacer à l’échelle mondiale, celle de la guerre commerciale américano-chinoise. En effet, l’Iran souhaite contourner les sanctions économiques imposées par Washington en se rapprochant de la Chine. La Chine est le premier partenaire commercial de la République islamique d’Iran. Dans une nécessité de « dédollarisation », l’Iran vend son pétrole et son gaz en yuan et non en dollar.

En assassinant le numéro 2 iranien, les Américains veulent savoir jusqu’où l’Iran est prêt à aller dans l’escalade des tensions. Cette élimination, à l’instar de celle de Ben Laden en 2011, répond à une logique électorale. En tuant, l’homme de main de la politique étrangère iranienne, Donald Trump sait pertinemment qu’il vient de lancer sa campagne présidentielle.

Au lendemain de la mort de Qassem Souleimani, les principaux dignitaires iraniens promettent une vengeance sanglante. Pour l’image d’un Iran résistant et opposé aux intérêts américains dans la région, il faut une réponse, aussi symbolique soit-elle.

Dès lors, tous les regards sont tournés vers l’Iran. Washington attend et place Téhéran en porte-à-faux. Tout agissement mal intentionné aura de très graves répercussions sur l’ensemble de la région.

Bibliographie :

  • https://www.monde-diplomatique.fr/1989/08/HALIMI/9427
  • Maxime Chaix, « La guerre de l’ombre en Syrie », Erick Bonnier, 2019
  • Ahmed Bensaada, « Arabesque$ », Investig’Action, 2015
  • John Mearsheimer, Stephen M. Walt, « Le lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine », Broché, 2009

Le retour en grâce de Bachar Al-Assad ?

Malgré les huit années de guerres, le maintien d’une poche djihadiste dans la région d’Idlib et le durcissement des sanctions occidentales, le régime de Bachar Al-Assad semble renaître de ses cendres. De plus en plus fréquentable aux yeux de ses voisins arabes, Damas sort peu à peu de son inertie diplomatique.

I- Une longue mise à l’écart

Dès novembre 2011, sous la pression des Etats-Unis et de l’Union européenne, la Syrie avait été suspendue de la Ligue arabe. En parallèle, la majeure partie des voisins arabes avait fermé leurs ambassades en raison de leur soutien officiel à la rébellion syrienne. Le Qatar et l’Arabie Saoudite étaient les principaux bailleurs des différentes mouvances djihadistes en Syrie. Seul le Liban avait maintenu ses frontières ouvertes avec la Syrie, nonobstant l’afflux massif de réfugiés dès 2012. L’Irak, embourbée dans la lutte contre l’État islamique, avait tant bien que mal conservé des relations avec son voisin baathiste[1].

Depuis la libération d’Alep en novembre 2016, des pourparlers au sein des chancelleries arabes avaient laissé sous-entendre un possible dégel des relations avec Damas. Après la reprise de la quasi-totalité du pays par l’armée syrienne et ses alliés, les régimes du Golfe savaient qu’ils avaient perdu le pari du « regime change »

II- Renforcement des alliances préexistantes

Pour autant, c’était une victoire à la Pyrrhus pour le pouvoir syrien. Il a, certes, consolidé les alliances d’hier, mais il était englué dans un isolement diplomatique. C’est l’ancien Président soudanais, Omar el Béchir, qui brisa cette apathie arabe envers Damas. Ce dernier s’est rendu en Syrie en décembre 2018. Il devait être suivi le mois suivant par le Président mauritanien, Mohamed Ould Abdel Aziz, mais en raison des pressions américaines, la visite a été ajournée[2]. En février dernier, le chef de la sécurité nationale syrienne s’est rendu au Caire. Quant à lui, le Président du parlement était en voyage à Amman en Jordanie pour un congrès panarabe. D’ailleurs, Damas a reçu les chefs d’états-majors iraniens et irakiens pour consolider « l’axe de la résistance » face au terrorisme. La réunion a été suivie de très près par les Israéliens et les Américains.

De surcroît, le voyage de Bachar Al-Assad à Téhéran en avril 2019 a sanctuarisé un peu plus cette alliance protéiforme. Les deux pays ont signé une série de 11 accords, dont un sur la future gestion du port de Lattaquié au profit de l’Iran[3]. Cet accord vient parachever la réussite de la politique perse au Levant. Le port de Lattaquié est une aubaine pour l’Iran qui doit faire face aux embargos occidentaux. En effet, des marchandises iraniennes pourront être acheminées en mer Méditerranée.

Compte tenu de l’influence grandissante iranienne au Levant, les pays du Golfe s’activent pour renouer des relations avec Damas. La réouverture de la frontière jordanienne en octobre 2018 et les récentes réouvertures des ambassades émiratis et bahreïnis en janvier 2019 s’inscrivent dans cette logique. Le Président libanais, Michel Aoun a proposé de créer un fond d’investissement arabe pour la reconstruction de la Syrie[4]. Il a milité avec l’Irak pour un retour de Damas au sein de la Ligue arabe. En raison des nombreuses tensions qui planent sur le monde arabo-musulman, ces appels sont restés sans suite.

III- Une opposition occidentale qui perdure

L’Occident reste en retrait en dépit des déboires d’une politique jusqu’au boutiste. Non seulement, les Etats-Unis et l’Europe ont fait le choix d’une politique sunnite au détriment d’une indépendance et d’une neutralité souhaitable. Mais aujourd’hui, le renforcement des sanctions est là pour rappeler que leurs objectifs ne sont pas atteints. Les aides occidentales imparties à la Syrie concernent uniquement les régions non contrôlées par Damas[5].

Deux blocs bien distincts se sont formés suite au conflit syrien. La fracture s’est accentuée. Le monde dominé par Washington et ses différents relais locaux s’oppose à une vision multilatérale. Même la Chine, très discrète jusque là, a réaffirmé son intention de participer à la reconstruction de la Syrie, en s’abstenant d’ingérences politiques. Bien qu’ayant des objectifs parfois opposés (Russes et Iraniens notamment), les alliés du gouvernement syrien scellent un axe « anti impérialiste ».

Quant au voisin turc, il ne nie aucunement ses intentions et ses desseins panturquistes. La lutte contre le YPG kurde dans le Nord de la Syrie n’est qu’un prétexte pour s’ingérer dans les affaires syriennes. Le lent départ des forces américaines du Nord-Est de l’Euphrate laisse les Turcs seuls face aux milices arabo-kurdes. Intrinsèquement divisés, ces milices doivent faire un choix ; soit elles doivent retourner dans le giron de l’armée gouvernementale syrienne et délaisser leur volonté indépendantiste, soit, elles risquent d’être occupées par l’armée turque. Participant respectivement aux sommets d’Astana en novembre 2018 et de Sotchi en février 2019 pour le règlement politique et militaire en Syrie, la Turquie n’entend pas faire de concession à Damas.

IV- Vers un retour progressif de la diplomatie syrienne au Moyen-Orient ?

Forcées d’admettre la victoire militaire du régime syrien, les chancelleries arabes ont débattu le 31 mars dernier à Tunis, lors du 30ème sommet de la Ligue arabe, sur le potentiel retour de la Syrie comme membre de l’organisation. Le Président tunisien, Beji Cadi el Sebsi, a déclaré : « les chefs d’États meurent, les nations restent »[6]. Malgré son absence, la Syrie a été au cœur des discussions. L’annonce programmée et non fortuite de Donald Trump en avril dernier sur la souveraineté israélienne du Golan, a ravivé un discours d’appartenance panarabe. La condamnation est catégorique et officiellement non négociable selon les différentes chancelleries.

La conjoncture régionale rappelle tant bien que mal le bien fondé de la Ligue arabe. Initialement cette organisation devait faire bloc contre toutes formes d’ingérences d’un pays tiers. Les exactions israéliennes en Palestine et les violations territoriales sur l’un des pays membre font l’objet de discours en apparence unitaire. En raison de l’annonce hasardeuse de l’administration américaine sur le Golan, Damas redevenait « fréquentable » pour ses voisins arabes. À ce sujet, la presse libanaise avait évoqué la possibilité d’une visite présidentielle de Michel Aoun à Damas dans les prochains mois. Pour autant, ce retour diplomatique, source de nombreuses tensions régionales, n’est qu’à une phase embryonnaire.

Aujourd’hui, asphyxiée par les sanctions, l’économie syrienne est littéralement exsangue. Or, Bachar Al-Assad, conscient des difficultés internes, tente de sortir son pays de l’autarcie diplomatique et économique avant les prochaines échéances politiques, prévues à la fin de son troisième mandat en 2021.


[1] Il s’agit du parti Baath, créé par Michel Aflak en 1947 en Syrie. Le slogan du parti est « unité, liberté, socialisme », il reprend soigneusement les thèmes du panarabisme du siècle dernier. Ce parti arrive au pouvoir en 1963 en Syrie sous la houlette de la famille Assad et en 1968 en Irak avec le règne de Saddam Hussein. Le parti Baath fera l’objet d’un article détaillé prochainement.

[2] http://www.lefigaro.fr/international/2019/02/26/01003-20190226ARTFIG00257-l-amerique-et-l-europe-frappent-la-syrie-au-portefeuille.php?fbclid=IwAR3iHy9NmqtOEvc0kgpnwHCmiBfslAZCxh48eOAO8x12Qg6EuTWP59zJj60

[3] https://www.lorientlejour.com/article/1162866/liran-sinstalle-a-lattaquie-la-russie-voit-rouge.html?fbclid=IwAR2BeEUUmKyYPR_Cmau83XKsAiyA9gXDnjGBgweRNfWFbO98_OHC9csFdEY

[4] https://www.lorientlejour.com/article/1153468/sommet-economique-aoun-propose-une-strategie-de-reconstruction-pour-le-developpement-des-pays-arabes.html

[5] https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/syrie/soutien-au-peuple-syrien-dans-le-nord-est-de-la-syrie-la-contribution-de-la/

[6] https://arabic.sputniknews.com/arab_world/201903281040087439-الرئيس-تونس-عودة-سوريا-الجامعة-العربية/

Non, en Syrie, la guerre n’est pas finie !

Après huit années de conflits aux multiples facettes, le redressement de la Syrie est encore lointain. Les ingérences perdurent, les poches de djihadistes sont encore présentes, et ce malgré le silence complice des médias occidentaux. Récemment, en raison de l’offensive sur Idlib, les États Unis accentuent et durcissent les pressions diplomatiques et sanctions économiques sur Damas et ses alliés.

Un quotidien ordinaire?

Il est vain de penser que la page de la guerre est tournée. L’illusion d’une vie normale n’est que le miroir des aspirations syriennes. Pourtant, il est vrai, la vie reprend son court dans une majeure partie de la Syrie. Les habitants, habitués à l’insécurité et aux bombardements, renouent tant bien que mal avec leur quotidien d’antan. Les bars et les restaurants réouvrent progressivement et la coexistence communautaire semble demeurer intacte. Leur hantise est de connaître le scénario libanais avec sa stricte division territoriale et religieuse. De nombreux habitants me témoignent avec fierté et attachement « avant la guerre, la Syrie était un paradis ». Enracinée dans un patriotisme viscéral, la population des villes veut faire fi des horreurs de la guerre. Aujourd’hui, force est d’admettre que la solidité du gouvernement syrien réside dans la nostalgie de son peuple. Nostalgie alimentée par un discours baathiste bien rodé sur l’unité arabe et contre l’impérialisme “americano-sioniste”. Damas manie à la perfection la démagogie orientale. La sémantique est précise et reprend soigneusement les problématiques fédératrices régionales.

Cependant, et c’est là que réside le cœur du problème, la guerre est loin d’être terminée. Les lois d’amnisties ne sont qu’un leurre. Les populations ayant résisté avec l’aide de l’armée syrienne se voient aujourd’hui contraintes de tendre la main à leurs ennemis d’hier. Pour la plupart d’entre elles, c’est un coup de couteau dans le dos. Mais le gouvernement peut il faire autrement, s’il souhaite sanctuariser son territoire au détriment de sa politique des minorités ?

Une résistance djihadiste entretenue

Aujourd’hui, la communauté internationale et ses relais locaux sont pointés du doigt par une population à bout de souffle dans les régions limitrophes d’Idlib. Le dernier bastion terroriste n’est pas tombé comme s’en vante la presse internationale. Il est encore massivement présent dans la banlieue et campagne d’Idlib, qui s’étend à l’est vers Alep, à l’ouest vers Lattaquié, au Sud vers Hama et au Nord sur la frontière turque. Selon les habitants environ 50 000 djihadistes résident encore dans cette région, majoritairement issus de la mouvance de Hayat Tahrir al-Sham (anciennement Al-Nosra). Ces derniers violent régulièrement les cessez-le-feu qu’ils ont eux-mêmes demandés par le biais de la Turquie. Cette zone est quadrillée par des postes d’observations, à l’intérieur du côté djihadiste par les Turcs et à l’extérieur par les Russes et ce à la demande du gouvernement syrien.

Depuis le lancement de l’offensive russo-syrienne sur la localité d’Idlib en avril dernier, de nombreux villages ont été repris par les forces armées syriennes. C’est le cas de plusieurs villages chrétiens de Mhardé et de Squellbiyé ainsi que des zones alaouites et ismaéliennes qui ont fait l’objet d’importantes pertes civils et matériels. Subissant les bombardements aléatoires depuis le début du conflit, ces zones ont formé différentes milices pour suppléer le rôle de l’armée afin de se défendre. « Les forces de défense patriotique », milice chrétienne, défendent héroïquement leur ville. Ils reçoivent officiellement l’aide russe et officieusement l’aide iranienne. À peine plus âgés que 20 ans, les miliciens ont du abandonner leurs études ou leurs travails pour prendre les armes. Durant 8 ans, ils ont empêché la jonction entre Idlib et la ville d’Hama, principal foyer des Frères musulmans en Syrie.

Certains civils regrettent le temps d’Hafez Al Assad, affirmant qu’avec lui, la guerre n’aurait duré qu’un mois. Certains me confirment avec véhémence « à cause des puissances occidentales, cette guerre dure depuis 8 ans, et elle a fait plus de 350 000 morts, en 1982 il y avait pas les droits de l’Homme pour s’ingérer dans notre pays ». En effet, dès que les djihadistes d’Idlib se sentent acculés, ils font pression sur leurs parrains turcs pour imposer un énième cessez le feu. Monsieur Simon, chef de guerre dans le village de Mhardé, déclare « depuis 2016, on peut les renvoyer jusqu’à la frontière turque ». Le dénouement du conflit dépend plus du bon-vouloir des grandes puissances que des forces en présence. Malheureusement pour les Syriens, certaines puissances ont intérêt à ce que le conflit s’éternise.

Dernièrement, le Président américain, Donald Trump a ordonné l’arrêt immédiat des combats à Idlib sous peine d’une réponse violente de la part du Pentagone. Pourtant, aujourd’hui, force est d’admettre que les affirmations des dirigeants occidentaux ne font pas preuve. Récemment, Wikileaks a révélé des documents qui démentent catégoriquement les mensonges sur l’attaque chimique de 2018 à Douma. Prétexte fallacieux qui avait donné lieu aux bombardements de la Syrie en avril 2018 par les États-Unis, la France et la Grande Bretagne.

La Syrie est l’exemple contemporain d’une guerre de l’informations. Par le biais des relais locaux et des réseaux sociaux, deux versions se font face. Deux grilles de lectures totalement opposées modèlent les relations internationales. D’un côté les médias occidentaux, dans une posture droit de l’hommiste et émotionnelle, montrent en boucle les nombreux habitants fuyant les bombardements d’Idlib pour incriminer Bachar al Assad et de ses alliés. De l’autre, les médias russes, iraniens et certaines chaînes arabes, dans une logique de pure realpolitik, stipulent que cette offensive russo-syrienne vise à annihiler la dernière menace terroriste présente en Syrie.

Des sanctions qui accentuent la crise.

La récente réouverture de l’ambassade Emiratis à Damas, suivie prochainement de celle du Bahreïn n’est qu’un nouveau repositionnement stratégique. La course aux investissements étrangers est lancée. Le Golfe ne veut pas rater une occasion de contrarier les intérêts iraniens au Levant.

L’histoire se répète. La stratégie néoconservatrice américaine refait des siennes avec le scénario syrien. Bachar Al Assad est toujours Président de la République arabe syrienne. Or l’administration de Donald Trump, sous la pression de l’AIPAC (American Israel Public Affairs Committee), suivie par les Européens et les principales monarchies du Golfe, veut asphyxier économiquement la Syrie par le jeu des sanctions. À l’instar des sanctions imposées à l’Iraq dans la décennie 90, ces dernières ont pour conséquence d’appauvrir le peuple à défaut de faire tomber son Président.

En plus de ne pas jouir pleinement de l’intégralité de ses zones pétrolières, la Syrie subit de plein fouet une augmentation des prix du pétrole et du gaz. Pourtant, le Nord-Est syrien est riche en or noir. Toutefois, cette région est toujours contrôlée par les milices arabo-kurdes et massivement soutenues par les Occidentaux qui y maintiennent des forces spéciales. Dès que l’armée gouvernementale syrienne tente de se rapprocher de la région au Nord-Est de l’Euphrate, elle subit des raids aériens sur ses positions.

Dans son style erratique, le Président américain, Donald Trump a le mérite de parler à visage découvert. Il a affirmé que la présence de troupes américaines en Syrie était principalement liée au contrôle des puits de pétrole.

Tout comme le dossier iranien, les sanctions occidentales n’ont pas l’effet escompté. Le peuple ne se retourne pas massivement contre son gouvernement. Conscients des difficultés sociales et économiques, les habitants connaissent les tenants et les aboutissants des sanctions. Dans une région aussi instable que le Moyen-Orient, les ingérences ont façonné le cours des deux derniers siècles. Cette sémantique anti-occidentale est reprise par les relais médiatiques locaux, à l’instar de l’agence de presse officielle du gouvernement syrien Sana ainsi qu’Al Manar et Al Mayadeen, respectivement proche politiquement de Téhéran et de Damas. C’est un sujet quasi-consensuel, les Syriens affirment que « Les États-Unis et leurs alliés veulent créer une deuxième révolution parce qu’ils n’ont pas réussi avec la première ».

Une chose est sûre, « l’axe de la résistance », de Téhéran à Beyrouth en passant par Damas, sape les objectifs de l’alliance Riyad- Washington- Tel-Aviv. Les sanctions sont là pour rappeler que l’administration américaine agit à sa guise quand ses intérêts sont en danger, quitte à étouffer les populations locales…

Les Kurdes: Une histoire mouvementée entre vassalisation, désaccords et volonté d’autonomie (2/2)

Le XXème siècle kurde fut le siècle de toutes les attentes, de tous les rêves mais surtout de toutes les désillusions. Population médiatisée depuis l’avènement de l’État islamique en 2014, il n’en demeure pas moins que les Kurdes sont fortement méconnus. Sa médiatisation est intrinsèquement liée à son instrumentalisation par certaines puissances. En effet, les territoires kurdes se situent sur des zones pétrolifères, enjeux de toutes les convoitises …

Aujourd’hui, selon les dernières estimations, les Kurdes sont environ 40 millions, répartis majoritairement dans 4 pays : la Turquie (43%), l’Iran (27%), l’Irak (18%) et la Syrie (8%), à cela s’ajoute les 4% de la diaspora principalement présente en Europe, dans le Caucase et en Asie centrale.

Cette deuxième et dernière partie revient sur le siècle de tous les changements pour une communauté kurde toujours en quête d’unité et d’autonomie.

L’espoir éphémère d’une nation

Au début du XXème siècle, l’Empire ottoman se veut exclusivement turc. Pour endiguer toutes tentatives de cessations au sein même de l’Empire, plusieurs milices dont des kurdes participent à des déportations et des massacres de minorités chrétiennes, majoritairement arméniennes. C’est dans ce contexte de divisions et de frictions, que certains kurdes nourrissent l’idée d’un rêve d’État, contrairement à une bourgeoisie très proche du pouvoir stambouliote. Les premiers intellectuels s’insurgent, les premiers journaux clandestins en langue kurde apparaissent. Mais, les prémisses de l’émergence d’une réelle conscience nationale sont rapidement matées par le pouvoir central.

Avec la fin de la première guerre mondiale et le dépècement de l’Empire ottoman par les puissances occidentales (accords de Sykes-Picot en 1916 puis traité de Moudros en 1918), la résonnance du discours nationaliste kurde prend de l’ampleur. Le rêve d’une nation tutoie la réalité lors du traité de Sèvres le 10 aout 1920. En effet, ce traité prévoit le démantèlement de l’Empire ottoman et la création d’un Kurdistan indépendant. Cependant, ce projet ne verra jamais le jour. Mustapha Kemal Atatürk, premier Président de la Turquie moderne, arrive au pouvoir avec des desseins panturquistes. Il chasse les occupants de l’Anatolie et met fin aux espérances kurdes avec la signature du traité de Lausanne le 24 juin 1923. Ce dernier reconnaît la souveraineté turque sur l’ensemble du territoire. S’ensuit une véritable politique de turquisation avec un rejet de l’existence kurde. Au sein des villages kurdes, les noms des villages sont turquifiés. À partir de 1932, il est interdit de parler le dialecte kurde. Dans l’entre deux guerres, les nombreux mouvements contestataires sont muselés. La Turquie kémaliste entreprend une réelle politique de négation des particularismes locaux dans le but d’homogénéiser l’ensemble de la Turquie.

De la négation systématique aux persécutions

La réfutation du fait kurde touche également les autres parties du Kurdistan. Sous la dynastie des Pahlavi, l’Iran applique des politiques comparables à celles utilisées en Turquie, malgré la parenthèse de la République de Mahabad (région au Nord-Ouest de l’Iran) qui ne dura pas moins d’un an en 1946. En Irak et en Syrie, les Kurdes sont rapidement intégrés aux jeunes nations car ils sont présents sur des territoires riches en hydrocarbures. De plus, la logique panarabe à Damas et à Bagdad gomme toutes les différences au profit de la seule arabité. De fait, le nationalisme kurde si embryonnaire soit-il se délite en une multitude de nationalismes au gré des réalités locales dans les différents pays.

Le cas irakien :

C’est en Irak particulièrement que la situation se complique pour les Kurdes. Lors de la guerre Iran-Irak entre 1980 et 1988, les deux belligérants se servent des communautés kurdes pour avoir des renseignements sur l’ennemi. En effet, la communauté kurde d’Irak fournit des informations sur les troupes irakiennes à l’Iran. À la fin de la guerre, ceci a pour conséquence de nombreuses purges de la part d’Ali Hassan al-Majid, cousin de Saddam Hussein, notamment lors des opérations « Anfal » en 1988. Cette campagne de représailles tue plus de 100 000 Kurdes. Ali Hassan al-Majid ordonne les nombreux massacres avec utilisation de bombardements sommaires et d’armes chimiques, ce qui lui vaut le surnom tristement célèbre « d’Ali le chimiste ».

Avec le déclenchement de la première guerre du Golfe en 1991, les Américains incitent les Kurdes et les Chiites à se soulever contre Bagdad. Profitant du chaos latent en Irak, le territoire kurde gagne en autonomie mais pas en unité. Une guerre fratricide oppose les partisans du PDK de Barzani (parti plus traditionnel et rural) aux forces du UPK de Talabani (parti progressiste et urbain) entre 1993 et 1997.

Le cas turc :

De son côté en Turquie, la communauté kurde s’organise politiquement avec la création du PKK (parti des travailleurs du Kurdistan) en 1978, d’allégeance marxiste-léniniste. Dans un pays qui nie catégoriquement l’existence du fait kurde, cette organisation emploie la violence à des fins politiques. De fait, c’est une guerre hybride qui ne dit pas son nom entre un pouvoir central et une organisation kurde qui reçoit officieusement un soutien de la part de la Syrie. Damas accepte, dans les années 90, que des Kurdes syriens aillent grossir les rangs du PKK turc à condition qu’ils cessent toute activité politique en Syrie.

Le PKK, est dirigé par un chef emblématique, Abdullah Öcalan. Ce dernier est emprisonné depuis 1999. En raison, des nombreux affrontements avec le pouvoir central turc et des méthodes utilisées, l’Union européenne, les États-Unis, la Turquie et plusieurs autres pays ont classé le mouvement kurde dans la liste des organisations terroristes.

Vers un avenir incertain ?

De périodes quiétistes aux périodes contestataires, l’histoire des Kurdes oscille entre autonomie, vassalisation et tensions fratricides. Au cours des siècles, cette communauté formait un groupe homogène sous le prisme de la langue et de l’héritage, mais aucunement par le biais des revendications politiques.

Aujourd’hui, plus que jamais, le chaos et le morcellement régional causés par l’intervention américaine en Irak en 2003 et par la balkanisation de la Syrie depuis 2012, ont profité aux Kurdes. L’implosion du système central irakien a permis aux territoires kurdes d’asseoir leur autonomie, tout en profitant des revenus pétroliers et de l’aide occidentale.

De leur côté les Kurdes syriens ont habilement exploité l’arrivée de l’État islamique en 2014. Malgré de nombreux combats dans le Nord-Est du pays, ils ont su s’imposer dans le Rojava, au détriment des autres minorités. Cette région est très riche en hydrocarbures et sert de bases avancées aux forces spéciales occidentales en Syrie. Les Kurdes contrôlent donc une bonne partie de la frontière avec la Turquie.

Quant à elles, les interventions turques en Syrie « Bouclier de l’Euphrate » en 2016 et « Rameau d’olivier » en 2018 avaient pour objectif de neutraliser le problème kurde à la frontière et de s’immiscer dans les affaires syriennes. En Octobre dernier, le Président turc, Recep Tayyip Erdogan, profite du repli militaire « partiel » américain pour lancer une énième opération armée. Intitulée « source de paix », cette dernière doit annihiler l’irrédentisme kurde et empêcher toute jonction avec le PKK. L’intervention en Syrie assombrit un peu plus le destin des Kurdes turcs et syriens.

Compte tenu des divergences et des atermoiements politiques consécutifs, il n’y a donc pas un mais des Kurdistans.

Bibliographie :

  • Elisabeth Picard, « La question kurde », 1991, Éditions complexe
  • Hamit Bozarslan, « Conflit kurde : Le brasier oublié du Moyen-Orient », 2009, Autrement
  • https://www.cairn.inforevue-maghreb-machrek-2018-1-page-45.htm