La Cisjordanie : de la colonisation à l’annexion ?

Le 1er juillet 2020, le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, devait dévoiler  le détail de son projet d’annexion des territoires occupés. Annonce remise à plus tard, en raison paraît-il de la pandémie du Covid-19. De la théorie à la pratique, ce projet est prévisible depuis l’annonce de « l’accord du siècle », officialisé par Donald Trump en janvier dernier. Ainsi, le gouvernement israélien, avec l’appui des Etats-Unis, continue en toute impunité sa logique de dépècement de la Palestine. Tel-Aviv s’apprête à annexer illégalement 30% de la Cisjordanie (Judée-Samarie), dont la majeure partie de la vallée du Jourdain. Une fois de plus, le sort des Palestiniens ne fait l’objet d’aucune réaction. Israël profite donc de la faiblesse de la Ligue arabe, de la mésentente au sein l’Union européenne et du silence de la communauté internationale pour poursuivre ses desseins expansionnistes.

Esseulés et désabusés, les Palestiniens sont renvoyés à leur propre et triste sort.

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Les prémices d’une annexion

Changement d’époque, changement de paradigme[1]. Lors de la création de l’État d’Israël en 1947, les pays arabes prônent une guerre totale pour récupérer l’intégralité du territoire palestinien. Au fur et à mesure des défaites arabes (1948, 1956, 1967 et 1973) leurs gouvernements rétropédalent et admettent les frontières de 1967, donc de facto ils sont prêts à reconnaître l’État hébreu.

Or, compte tenu de la supériorité militaire israélienne et de l’appui inconditionnel américain, les Arabes ne sont pas en mesure de négocier la restitution des terres. De surcroît, le sionisme de gauche est évincé au profit d’un courant politique de droite, plus intransigeant et partisan d’un durcissement de la politique de colonisation dans les territoires occupés[2].

Ainsi, la colonisation débute après la guerre des Six Jours en 1967. En plus d’avoir conquis la Cisjordanie, l’armée israélienne occupe le Sinaï égyptien et le Golan syrien. Cette victoire écrasante de 1967 permet à Tel-Aviv de négocier la paix en échange des territoires occupés. C’est le cas de l’Égypte en 1979 avec la signature des accords de Camp David. En échange de la rétrocession du Sinaï, Anouar Al-Sadate signe la paix avec Israël. Malgré les nombreuses négociations et pressions diplomatiques, la Syrie de Hafez Al-Assad refuse tout accord de paix.

La colonisation devient petit à petit un fait accompli de la politique israélienne. Dès 1967, les premiers colons s’installent à Jérusalem Est et en Cisjordanie. Au gré des gouvernements de droite ou de gauche, la colonisation s’intensifie[3]. En 1989, 200 000 colons israéliens sont présents dans les territoires occupés. Malgré les accords d’Oslo en 1993 qui prévoyaient entre autre le « gel de la colonisation », l’implantation des colons s’accentue.

En dépit des promesses de décolonisation du Premier ministre israélien Ehud Olmert dans les années 2000, l’arrivée de Benyamin Netanyahu au pouvoir en 2009 change la donne. Partisan de la légalisation de la colonisation, il s’appuie notamment sur le puissant lobby américain pro-israélien (AIPAC) pour asseoir sa politique. En 2019, ce sont 630 000 colons qui résident en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Après sa victoire aux élections législatives en septembre 2019, Benyamin Netanyahu, chef du Likoud, annonce sa volonté d’annexer une partie de la Cisjordanie.

Le plan de paix américain pour la résolution du conflit israélo-palestinien intitulé « accord du siècle », dévoilé officiellement en janvier dernier, prévoit la légalisation de la colonisation et l’annexion par Israël de la vallée du Jourdain en Cisjordanie. Quant à eux, les Palestiniens hériteraient d’un État morcelé et démilitarisé.

Le « fardeau » palestinien des pays arabes

L’effritement du soutien arabe à la cause palestinienne est consubstantiel à la dépendance financière et militaire vis-à-vis de Washington. Aujourd’hui, la logique schmitienne prédomine en Orient. L’ennemi de mon ennemi est mon allié. Les chancelleries arabes délaissent petit à petit la cause palestinienne en s’alignant sur la politique israélienne afin de contrer l’influence iranienne dans la région.

Malgré les discours de façade pour rassurer une rue foncièrement pro-palestinienne, les dirigeants peinent à s’opposer à ce projet d’annexion. Les Émirats arabes unis, par la voix de leur ambassadeur aux Etats-Unis ont fait part de leur inquiétude et ont prévenu « qu’une annexion risque d’entraver le processus de normalisation entre Israël et le monde arabe »[4]. L’Égypte, absorbée par le dossier libyen et éthiopien, est restée discrète sur le sujet. La Syrie et le Liban, englués dans une crise économique sans précédent, ne peuvent réagir. La Jordanie, seul pays arabe avec l’Égypte ayant conclu un accord de paix avec l’État hébreu en 1994, a menacé de repenser ses relations bilatérales avec Tel-Aviv. Selon Amman, l’annexion est un danger. Le roi Abdallah II craint l’afflux massif de réfugiés palestiniens dans son pays[5].

Auparavant fédératrice, aujourd’hui la cause palestinienne divise. Récemment, les Émirats arabes unis ont signé un accord de coopération avec l’État hébreu pour lutter contre la pandémie du coronavirus. Ainsi, les pétromonarchies du Golfe cachent de moins en moins leurs intentions de se rapprocher d’Israël. Profitant de la position de l’Union européenne et de l’ONU qui s’opposent à cette annexion, l’Iran se pose en champion de la défense de la cause palestinienne. Son discours embrasse une sémantique fédératrice et consensuelle à l’échelle de la région. L’Iran sait que la Palestine monopolise les débats. En soutenant cette cause, Téhéran cherche à étendre sa zone d’influence idéologique en Orient[6]. De plus, la Turquie de Recep Tayyip Erdogan menace Israël et clame qu’Ankara « ne permettra pas l’annexion de la Cisjordanie »[7].

Si ce projet d’annexion voit le jour, il est fort à parier que le peuple palestinien rentrera dans une désobéissance généralisée contre l’occupant israélien.

Vers une nouvelle Intifada ?

Si exécutée, cette annexion constitue une grave violation du droit international et réduit les possibilités de reprise des négociations. Le danger pour Israël ne provient pas de l’extérieur. Ses principaux ennemis subissent de plein fouet le poids des sanctions américaines. Le Hezbollah, l’Iran et la Syrie sont durement impactés par les pressions économiques et financières. Le danger est en interne, incarné par la rue palestinienne. Au gré des divers rebondissements, les Palestiniens descendent dans la rue pour réclamer le respect de leur droit. En Cisjordanie, ce soulèvement populaire se cantonne souvent à une rébellion sociale. Or, compte tenu de l’humiliation, le spectre de la radicalisation n’est jamais bien loin, prémices notamment à une explosion de la rue arabe[8].  

De plus, le Hamas, mouvement islamiste de la bande de Gaza, a menacé le 25 juin dernier les autorités israéliennes qu’une annexion de pans de la Cisjordanie constituerait « une déclaration de guerre ». Habitué à une sémantique guerrière, le Hamas surfe sur l’intransigeance de la politique israélienne. En intensifiant la colonisation, Israël procure une légitimité supplémentaire au mouvement islamiste dans sa résistance et accroît de fait sa popularité[9].

De façon surprenante,  une partie de la société civile israélienne ne soutient pas ce projet. Plusieurs personnalités publiques de gauche craignent qu’Israël dérive vers un État d’Apartheid. L’ONU exhorte l’État hébreu d’abandonner l’annexion. L’échec de la diplomatie et des négociations font redouter une recrudescence des tensions israélo-palestiniennes. L’administration israélienne minore ce risque. Or désespérés et esseulés, les Palestiniens se tourneront vers les partis radicaux.

L’annonce prévisible de l’annexion de la vallée du Jourdain ranime les débats et replace le conflit israélo-palestinien au centre de l’actualité. Benyamin Netanyahu profite des divisions régionales et internationales pour avancer ses pions, au détriment d’une population palestinienne lésée par des décennies d’humiliations.


[1] https://www.lorientlejour.com/article/1223989/cisjordanie-pourquoi-lannexion-refermerait-la-parenthese-de-1967.html

[2] https://www.monde-diplomatique.fr/cartes/annexionisraelienne95

[3] Dominique Vidal, « L’annexion de la Cisjordanie est en marche », Le Monde diplomatique, manière de voir Février-Mars 2018

[4] https://www.lemonde.fr/international/article/2020/06/13/les-emirats-arabes-unis-mettent-en-garde-israel-sur-l-annexion_6042746_3210.html

[5] https://www.lemonde.fr/international/article/2020/06/26/embarras-arabe-sur-le-projet-d-annexion-en-cisjordanie_6044265_3210.html

[6] https://www.atlantico.fr/decryptage/3590737/l-annexion-de-la-cisjordanie-par-israel-ou-le-retour-de-l-iran-comme-champion-de-la-cause-palestinienne-ardavan-amir-aslani

[7] https://fr.timesofisrael.com/la-turquie-ne-permettra-pas-lannexion-en-cisjordanie-previent-erdogan/

[8] https://www.la-croix.com/Debats/Forum-et-debats/pays-arabes-ont-ils-abandonne-cause-palestinienne-2020-06-30-1201102657

[9] https://www.lefigaro.fr/international/le-hamas-avertit-que-toute-annexion-de-pans-de-la-cisjordanie-equivaudrait-a-une-declaration-de-guerre-20200628

Les visées néo-ottomanes de Recep Tayyip Erdogan

Les récents accrochages entre la France et la Turquie survenus au large de la Libye rappellent les intentions politiques d’Ankara. Les dirigeants turcs ne s’en cachent pas. La mer méditerranée représente « la fenêtre de la Turquie sur le monde ». Cette réappropriation du passé par le Président turc, Recep Tayyip Erdogan, entérine ses desseins néo-ottomans. En effet, les interventions militaires en Syrie, en Libye, en Irak et au Yémen stipulent que la Turquie envisage d’étendre sa zone d’influence. Membre de l’organisation du traité nord Atlantique (OTAN) depuis 1952, la Turquie s’impose comme une puissance active et dissuasive. Au travers de ses discours patriotiques et clivants et par l’accaparement de l’idéologie des Frères musulmans, Ankara entend rabattre les cartes en Méditerranée orientale. Or, la refonte de son ancien pré-carré constitue une menace existentielle pour plusieurs pays souverains ainsi que pour ses propres alliés.

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Le retour de l’Histoire

Dans la sémantique turque, la Méditerranée orientale est nommée « la mer blanche » (Akdeniz). C’est une région mouvante sans frontières fixes. Dans l’imaginaire ottoman, cette zone géographique représente un espace naturel d’expansion et de conquête.

Pour les souverains d’Istanbul, cette « mer blanche » était un « lac ottoman ». En effet à partir du XVIe siècle, l’Empire ottoman conquiert la Syrie et l’Algérie (1516), l’Égypte (1517), le littoral libyen (1551) ainsi que Chypre (1571). Il s’impose comme la puissance orientale de l’époque. Au XVIe siècle, on évoque la Pax Ottomana dans la région. Durant environ 4 siècles, le Proche-Orient et une partie de l’Afrique du Nord se retrouvent sous la domination ottomane. Au gré des époques, les populations conquises obtiennent plus d’autonomie mais restent soumises à l’autorité centrale.

Tout au long de cette période, l’Empire ottoman s’oppose à l’Empire des tsars de Russie. Moscou lorgne sur certains territoires européens et entend s’imposer en mer Noire[1]. Une série de conflits entre les deux puissances au XVIIIe siècle affaiblit durablement Istanbul.

De surcroît, au XIXe siècle, Istanbul est en proie à des troubles internes, entretenus et accentués par les puissances occidentales. De ce fait, l’Empire se disloque. Il perd successivement la Grèce (1821), Chypre (1878), l’Égypte (1882), la Libye (1911), la Syrie et la Palestine (1916). Les Européens imposent leurs revendications sur la Méditerranée orientale et la Turquie se recentre sur son territoire après la chute de l’Empire ottoman en 1923.

Ainsi dans l’inconscient turc, la Méditerranée orientale évoque un passé glorieux, fait de domination et d’expansion. Cependant, elle symbolise également un traumatisme. Traumatisme dû à la fin d’une apogée. Son déclin et son démembrement constituent les plaies historiques non refermées de la nation turque.

Dans une logique expansionniste et de retour de l’Histoire, le Président turc veut replacer la Turquie au centre de l’échiquier du Levant. Comme à l’époque ottomane, Ankara et Moscou s’affrontent et profitent du désengagement des occidentaux pour étendre leurs zones d’influences respectives[2].

Imposer ses vues sur la Méditerranée orientale

Depuis la décennie 2000, la Turquie souhaite construire une politique arabe basée sur des échanges commerciaux. Après avoir vainement tenté de créer en 2010 une zone de libre échange « Shamgen » avec les pays du Levant (Jordanie, Syrie et Liban), Receip Tayyip Erdogan profite des « Printemps arabes » pour s’immiscer davantage dans les affaires de la région. Le Président turc se pose en héraut du monde sunnite et n’hésite pas à apporter une aide logistique et militaire à certaines mouvances djihadistes.

Ce faisant, la Turquie entreprend de renouer avec son passé glorieux. Elle veut reformer son glacis protecteur en territoire arabe. Les nombreuses interventions militaires en Syrie et en Irak confirment ses desseins néo-ottomans. En Syrie, Ankara est engagé dans la localité d’Idlib (au Nord Ouest du pays) et apporte un soutien sans faille au dernier bastion djihadiste. La Turquie est également intervenue à maintes reprises contre l’irrédentisme kurde à la frontière syro-turque. Tout récemment, l’armée turque a lancé une opération terrestre contre les autonomistes kurdes irakiens du parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Cette ingérence est une violation de la souveraineté irakienne[3].

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La Libye est un autre champ de bataille pour la politique interventionniste d’Erdogan. Après la signature d’une série  d’accords entre les deux pays, prévoyant l’exploitation de gisements d’hydrocarbures offshore, la Turquie décide de soutenir militairement le gouvernement libyen d’accord national (GNA), reconnu par la communauté internationale[4] et dirigé depuis Tripoli par Faïez Al-Sarraj. Grâce à l’aide turque, les forces du GNA ont stoppé les troupes du maréchal dissident Khalifa Haftar dans sa tentative de conquête de la capitale libyenne. De surcroît, la contre-offensive du GNA se rapproche de la ville de Syrte, fief du maréchal Haftar. Ce dernier est financé par les Émirats arabes unis, l’Arabie Saoudite et l’Égypte. Il reçoit également un soutien des mercenaires russes du groupe Wagner. Cette opération militaire participe encore un peu plus à la « miliciarisation » du territoire libyen. La présence turque pourrait devenir permanente. En effet, Ankara envisage d’établir deux bases sur le littoral libyen[5].

La militarisation accrue et les ambitions turques inquiètent la France et l’Otan, qui prônent une désescalade du conflit. Le dernier incident franco-turc au large de la Libye le 17 juin dernier confirme la divergence des intérêts. Des frégates turques ont illuminé à trois reprises avec leur radar un navire français[6]. En mission pour l’Otan, ce dernier cherchait à contrôler un cargo, suspecté de transporter des armes vers la Libye. Cet événement n’est pas anodin et renforce considérablement l’image de la Turquie comme puissance incontournable. Cette dissuasion parachève la volonté d’Erdogan de s’imposer en Méditerranée.  Malgré sa présence dans l’Otan, Ankara souhaite influer le positionnement de l’organisation selon ses propres intérêts. Cette politique aventureuse est un pari risqué, car les efforts de guerre coûtent cher à une économie turque déjà fragilisée.

 Les Frères musulmans : une idéologie au service de l’expansionnisme turc

Les drapeaux turcs brandis à Tripoli en Libye, à Tripoli au Liban et dans plusieurs régions syriennes attestent de l’influence d’Ankara dans son ancien pré-carré. Les interventions ne se limitent pas uniquement à des intérêts territoriaux et énergétiques. Les desseins néo-ottomans participent activement à l’expansion de l’idéologie des Frères musulmans.

Au Moyen-Orient, l’idéologie et la religion sont les deux composantes qui outrepassent de loin l’appartenance nationale et l’ethnicité. La Turquie n’est pas un pays arabe, mais elle peut compter sur l’influence des Frères musulmans pour se constituer un réseau d’alliance qui supplante l’arabité. Avec le Qatar, Erdogan adopte une posture conciliante à l’égard des« printemps arabes ». Ils savent que l’idéologie « frériste » fourmille dans les franges populaires de la communauté musulmane sunnite.

Par l’entremise des mosquées, des écoles coraniques et de nombreuses associations caritatives et éducatives, les Frères musulmans tissent leurs réseaux. Le Qatar en est le principal bailleur alors que la Turquie constitue le chaînon militaire de cette alliance. Le territoire turc est devenu le pays hôte de tous les Frères musulmans condamnés et expulsés de leur pays d’origine[7].

Néanmoins, cette confrérie se heurte à l’opposition de plus en plus vive de la part des Saoudiens et des Émiratis. En effet, Riyad et Abu Dhabi veulent annihiler l’influence des Frères musulmans au Moyen-Orient. Cette lutte contre le Qatar et la Turquie se matérialise par des affrontements entre factions opposées en Syrie et en Libye. Dernièrement, l’Égypte d’Abdel Fatah Al-Sissi a menacé la Turquie d’une intervention militaire en Libye, si la ville de Syrte venait à tomber. Ce contentieux entre les deux pays remonte au coup d’État militaire en 2013 contre le Président Mohamed Morsi, membre des Frères musulmans[8]. Ainsi, on assiste donc à une guerre par procuration de deux visions différentes de l‘Islam.

Durant la décennie 2010, la Turquie avait fait le choix d’une politique de « zéro problème avec les voisins ». Aujourd’hui, Ankara est au centre des bouleversements régionaux. En nostalgique de la gloire d’un Empire déchu, Erdogan n’hésite pas à utiliser la force militaire pour assoir ses visées hégémoniques sur la Méditerranée orientale.


[1] https://www.monorient.fr/index.php/2020/06/03/partie-ii-lempire-ottoman-lhomme-malade-de-leurope/

[2] https://www.lemonde.fr/international/article/2020/06/18/de-la-syrie-a-la-libye-le-projet-neo-ottoman-d-erdogan_6043286_3210.html

[3] https://www.lemonde.fr/international/article/2020/06/17/la-turquie-lance-une-operation-terrestre-contre-le-pkk-dans-le-nord-de-l-irak_6043159_3210.html

[4] https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/06/05/le-gaz-au-centre-de-l-engagement-militaire-turc-en-libye_6041879_3212.html

[5] http://www.opex360.com/2020/06/12/la-turquie-fait-une-demonstration-de-force-en-mediterranee-et-envisage-detablir-deux-bases-permanentes-en-libye/

[6] https://www.lemonde.fr/international/article/2020/06/17/paris-denonce-une-man-uvre-turque-recente-extremement-agressive-en-mediterranee_6043175_3210.html

[7] http://fmes-france.org/linfluence-des-freres-musulmans-sur-la-politique-regionale-de-la-turquie-par-ana-pouvreau/

[8] https://www.lefigaro.fr/international/l-egypte-se-dit-prete-a-intervenir-directement-en-libye-20200621

Le Liban et la Syrie au bord du chaos ?

Ces deux pays voisins, historiquement liés par un destin commun et mouvementé, sont en proie à une crise économique et sociale sans précédent, qui résulte d’une interdépendance des deux systèmes. Un événement à Damas entraîne automatiquement des répercussions à Beyrouth. La corruption endémique d’une classe politique libanaise vieillissante, les nouvelles sanctions américaines (loi César) contre le régime syrien et la dépréciation des deux monnaies raniment la grogne populaire. Au gré de l’histoire, les relations syro-libanaises s’apparentent à des « intimes étrangers ». Plus que de simples voisins, ils partagent un dialecte, une culture multiconfessionnelle mais s’entredéchirent à l’aune des bouleversements régionaux[1]. La récente actualité met une fois de plus en exergue l’imbrication des deux appareils étatiques pour le meilleur et pour le pire.

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Frontière syro-libanaise

La reprise des contestations

Il est bien loin le temps du confinement. La pandémie du Covid-19 n’aura octroyé qu’une courte période de répit pour le nouveau gouvernement du Premier ministre libanais Hassan Diab. Malgré la bonne gestion de la crise sanitaire, les manifestations ont repris depuis avril 2020.

Ce mouvement de contestation sociale a débuté en octobre 2019 suite à une taxe controversée sur l’application téléphonique WhatsApp. Très vite, le spectre des revendications s’est élargi. La foule des manifestants de tout bord réclame « la tête » des responsables libanais, accusés d’avoir pillé les ressources du pays. Progressivement, les clivages politiques ressurgissent et certains essayent de se réapproprier ce soulèvement spontané. D’un côté, on retrouve les forces du 14 mars (bloc politique constitué du Courant du futur, des Forces libanaises et du Parti socialiste progressiste), qui apportent un soutien inconditionnel à la « Thawra » (Révolution) et souhaitent la chute du gouvernement. De l’autre, le bloc du 8 mars (Hezbollah, CPL et Amal) se mue en garant de la stabilité du pays, tout en appuyant les revendications légitimes de la rue. Ainsi, le pays du Cèdre sombre une fois de plus dans un manichéisme politique. Révolution ou anti-révolution, telle est la question !

Or, les raisons semblent plus profondes et la teneur des propos initialement tenue par les manifestants se radicalise. Récemment, des heurts entre partisans chiites du Hezbollah et sunnites du Courant du futur ont eu lieu à Beyrouth, ainsi que des affrontements avec les forces de l’ordre[2]. Le Hezbollah devient la cible principale. Une frange des manifestants demande l’application de la résolution 1559 du Conseil de sécurité des Nations unies sur les armes du parti chiite. Ce faisant, les récriminations pointent ouvertement l’influence grandissante du Hezbollah sur le Liban. Le Parti de Dieu encaisse conjointement la vindicte populaire et les pressions financières américaines. L’hypothèse d’une marginalisation sur la scène politique libanaise est envisageable.

De son côté, la Syrie de Bachar Al-Assad n’arrive pas à convertir ses succès militaires en succès politique. Engluées dans une crise économique sans précédent, plusieurs régions du pays ont manifesté contre la hausse des prix des produits de première nécessité[3]. Dans les villes du Sud de la Syrie, à Sweida et à Deraa, les manifestants protestent contre la pauvreté, sans mettre en cause le pouvoir central de Damas. Parallèlement, les partisans du régime sont descendus dans les rues pour réaffirmer leur soutien au clan Al-Assad.

Esseulé, Bachar Al-Assad peine à proposer un plan de sortie de crise. Son allié russe s’impatiente et réclame des réformes politiques et économiques pour procéder à un règlement du conflit. Cependant, l’inflation galopante des monnaies syriennes et libanaises entrave fortement tout processus de développement.

Les rouages de la crise économique

Connu et apprécié pour son système bancaire au mécanisme opaque, le Liban sombre dans une crise financière sans précédent, dont les conséquences aggravent la situation syrienne. En défaut de paiement depuis mars 2020, le nouveau gouvernement libanais tente tant bien que mal d’imposer des réformes de fond contre la corruption pour relancer l’économie du pays. Or, la précarité gagne du terrain, 1 habitant sur 2 vit sous le seuil de pauvreté. La monnaie libanaise est dépréciée et connaît son plus bas niveau historique. Son cours par rapport au dollar plonge. Le taux actuel de change avoisine les 5 000 livres libanaises (LL)[4]. À la fin de la guerre civile en 1990, la LL était un garant de stabilité avec une indexation au dollar qui équivalait à 1 500 LL. Cette crise financière nécessite un plan d’urgence.

Certains partis sollicitent l’aide du Fonds monétaire international (FMI) pour débloquer la situation financière. Or, cette aide est conditionnée avec l’adoption de mesures d’austérité. Le Hezbollah s’alarme sur une potentielle mise sous tutelle du Liban par le FMI, faisant le jeu de ses détracteurs. Ainsi, le pays est plongé dans les affres d’une crise économique et financière dont les conséquences sociales sont déjà visibles.

Les manifestations de la faim s’enveniment. En marge des rassemblements, certains s’en prennent aux banques, symbole de la corruption, et pillent également plusieurs magasins. Auparavant considéré comme « la Suisse du Moyen-Orient », le Liban est aujourd’hui gangréné par l’absence de changement.

Acculé par 9 années de guerre, le voisin syrien subit les contrecoups de la crise économique au Liban. Beaucoup de riches syriens avaient placé leur argent dans les banques libanaises. Le gel des avoirs, la pénurie du dollar et la limitation des importations font plonger la livre syrienne (LS) à un niveau record, aggravant le quotidien de toute une population. Avant la guerre civile syrienne, un dollar valait 50 LS. Durant le conflit, le coût de la vie a été multiplié par 10, la LS oscillait entre  500 et 1000 pour un dollar au gré des spéculations. Aujourd’hui, avec les répercussions de la crise libanaise, couplée à la fermeture des frontières en raison du Covid-19, le dollar a franchi le seuil des 2000 LS.

Cette hausse des prix accentue encore un peu plus la misère sociale de toute une population. Les habitants ont dû mal à se nourrir. Dans la banlieue de Homs, les habitants masquent difficilement leur désespoir « Aujourd’hui, on ne se nourrit plus que de pain et d’oignon ». D’autres plus véhéments, pointent du doigt les sanctions américaines qui empêchent le redressement du pays « Tant que les Américains n’auront pas eu ce qu’ils souhaitaient en Syrie, ils continueront à nous harceler ». Néanmoins, cette crise est pluridimensionnelle.

La famille Assad entend sanctuariser ses acquis en promouvant une « réconciliation nationale », quitte à s’opposer à ses proches. En effet, dernièrement un contentieux familial a opposé Rami Makhlouf (cousin germain du Président syrien et principal fortune du pays) à Bachar Al-Assad. Cette secousse au sommet de l’État, suivi du limogeage du Premier ministre Imad Khamis a aggravé la situation politique[5]. Pour calmer les esprits et dans une logique de refonte de la société et de légitimation du pouvoir, Damas souhaite lutter contre la corruption. Cependant, le processus de reconstruction se retrouve paralysé par le durcissement des nouvelles sanctions américaines.

Loi « César » (Caesar Syria Civilian Protection Act): nouvelles sanctions américaines

Depuis 1979, les Etats-Unis ont placé la Syrie sur la liste des pays soutenant le terrorisme. Parallèlement, au gré des rebondissements régionaux, Washington impose des sanctions financières à des hommes d’affaires syriens. Barack Obama avait justifié l’emploi des sanctions « silver bullet » par la nécessité d’un changement sans l’utilisation de la force armée. Ainsi, les sanctions doivent contraindre un pays donné à entreprendre des réformes allant dans le sens des intérêts américains.

Depuis le début du conflit, l’administration américaine fait pression afin que Bachar Al-soit évincé du pouvoir et ainsi, casser « l’axe de la résistance » allant de Téhéran à Beyrouth. Cette alliance hétérogène entrave les plans de Washington et de ses alliés saoudiens et israéliens. De surcroît, dans un agenda politique bien précis, les pressions américaines visent également à enclencher le début des négociations de paix entre la Syrie et Israël. Ces sanctions sont là pour rappeler à l’administration syrienne le poids omnipotent des Etats-Unis.

Dans les faits, cette nouvelle série de sanctions doit entrer en vigueur le 17 juin 2020, après avoir été adoptée par le Sénat et le Congrès[6]. Elle vise à empêcher drastiquement les investissements étrangers en Syrie. Tous les pays qui entretiennent des relations commerciales seront pénalisés. Ceci aura un impact sur les entreprises libanaises, rendant le Liban davantage vulnérable économiquement. Cette loi, qui touche à tous les domaines, va asphyxier l’économie syrienne. Or une fois de plus, c’est le peuple syrien qui va en faire les frais. De ce fait, l’ambassadeur syrien à l’ONU Bachar Jaafari accuse l’Occident de « terrorisme économique »[7].

Le Proche-Orient constitue un immense nœud gordien. Tous les évènements sont liés. La situation au Liban et en Syrie doit être étudiée et comprise dans un ensemble plus large. Les contestations sociales sont la conséquence d’une crise économique, elle-même entretenue et accentuée par le régime des sanctions. Ces dernières répondent à une logique de sape de l’influence iranienne au Levant… au détriment des simples citoyens.


[1] Elisabeth Picard, « Liban-Syrie intimes étrangers : un siècle d’interactions sociopolitiques », Actes Sud, 2016

[2] http://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20200607-liban-d%C3%A9bordements-beyrouth-manifestation-anti-syst%C3%A8me

[3] https://www.lefigaro.fr/international/syrie-la-fronde-druze-repart-dans-le-sud-20200611

[4] https://www.france24.com/fr/20200613-liban-manifestation-naufrage-economique-gouvernement-promesse-enrayer-depreciation

[5] https://www.lefigaro.fr/flash-actu/en-syrie-assad-change-de-premier-ministre-20200611

[6] https://orientxxi.info/magazine/loi-cesar-les-dilemmes-des-sanctions-contre-la-syrie,3961

[7] https://lemonde-arabe.fr/01/05/2019/pour-lambassadeur-de-syrie-a-lonu-loccident-pratique-un-terrorisme-economique/

Et si le Coronavirus était un facteur de paix et de stabilité au Moyen-Orient ?

La pandémie du Covid-19 plonge notre monde dans une instabilité et un chaos colossal. Partout, les systèmes de santé sont soumis à rude épreuve et les prévisions désastreuses pour l’économie mondiale font craindre un krach boursier et une baisse de la croissance généralisée.

Pourtant au Moyen-Orient, du Yémen à la Syrie en passant par l’Irak, le coronavirus semble favoriser la paix. Un peu partout dans la région, des cessez-le-feu sont signés entre les différents belligérants, les troubles sociaux peinent à fédérer face à la panique globalisée et certaines troupes étrangères annoncent un retrait partiel de leurs forces. Est-ce le prélude d’une nouvelle ère ou une simple accalmie temporaire ?

Soldat syrien en période de coronavirus

Un répit pour le Yémen ?

Depuis 2015, la coalition arabe menée par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis s’est lancée dans une guerre dévastatrice au Yémen contre la milice des houthis soutenue par l’Iran, qui a renversé le pouvoir central de Sanaa. Dès lors, on assiste à une guerre de positions pour le contrôle des lieux stratégiques.

Cette intervention déclenchée en 2015 est désastreuse. Elle a fait plus de 100 000 morts et la situation humanitaire est catastrophique. Cependant, les Houthis en sont les grands vainqueurs au détriment d’une coalition de plus en plus critiquée par l’opinion internationale. En effet, Ansar Allah (autre nom des Houthis) contrôle un quart du pays, et à peu près les deux tiers du « Yémen utile ». Devant l’enlisement de la situation, des pourparlers ont été menés pour négocier un arrêt des combats.

Après le retrait des forces émiratis du pays en février 2020, l’Arabie saoudite engluée dans le bourbier yéménite, souhaite en sortir et ce en pleine pandémie du coronavirus. Sous la pression des organisations internationales et préoccupées à contenir la prolifération du virus dans le royaume, Riyad a décrété un cessez-le-feu unilatéral en début avril[1]. De leur côté les rebelles Houthis, en position de force et voulant consolider leurs acquis, ont refusé la proposition saoudienne[2].

À ce jour, l’Arabie saoudite compte 12 072 cas confirmés de Covid-19 et 114 décès alors que le Yémen vient de déclarer son premier cas.

En Syrie : le calme avant la tempête ?

Depuis le 5 mars 2020, la Russie et la Turquie ont signé un énième cessez-le-feu mettant fin à l’offensive russo-syrienne sur la localité d’Idlib. Damas et Moscou veulent sanctuariser l’intégralité du territoire syrien et cela passe automatiquement par la reprise du dernier bastion djihadiste d’Idlib. Compte tenu de la propagation de l’épidémie dans la région, les combats ont baissé en intensité et les différents belligérants campent sur leurs positions respectives. Nul doute, que les hostilités reprendront une fois que la contagion liée au virus sera jugulée. De surcroît, les Américains et les Européens ont réitéré leur soutien à leur allié turc membre de l’Otan, en vue d’endiguer l’influence russe[3]. En effet, Moscou n’entend pas lâcher Damas et veut faire de la Syrie le Kaliningrad du Moyen-Orient.

Après avoir soutenu massivement l’opposition anti-Assad, les Émirats arabes unis opèrent un changement radical. Ce rapprochement se traduit par la réouverture de l’ambassade émiratie à Damas en décembre 2018. Récemment, le prince héritier d’Abou Dhabi Mohammed Bin Zayed s’est entretenu avec Bachar al-Assad pour soutenir son offensive contre les djihadistes. Ces derniers sont en partie financés par le Qatar et la Turquie dans une logique d’expansion de l’idéologie des Frères musulmans. Or, ce courant est diamétralement opposé au wahhabisme de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis. Donc, cet entretien diplomatique parachève la logique émiratie de contenir l’idéologie frériste au Moyen-Orient. Mohammed Bin Zayed pousse même Bachar al-Assad à briser le cessez-le-feu d’Idlib[4].

Profitant de la crise sanitaire et du retrait partiel des forces occidentales, des djihadistes de Daesh se sont échappés d’une prison gardée par une milice kurde syrienne. Des attentas perpétrés par ces terroristes sont à craindre.

Pandémie ou pas, Israël veut neutraliser l’appareil militaire iranien présent en Syrie. Dernièrement, l’aviation de Tsahal a survolé illégalement et ce à plusieurs reprises l’espace aérien libanais pour bombarder des cibles proches de la ville de Palmyre[5].

À ce jour, 42 cas de Covid-19 sont répertoriés en Syrie pour 3 décès.

Des troubles sociaux mis entre parenthèses ?

Du Liban à l’Irak en passant par l’Iran, de nombreuses manifestations ont secoué les classes dirigeantes à partir d’Octobre 2019. La colère de la rue ciblait le confessionnalisme, la corruption ou tout simplement la tutelle militaire iranienne au Levant. L’expression du mécontentement est rapidement devenu un déversoir contre la politique de Téhéran au Moyen-Orient. En effet, l’Iran tente de former « un axe de la résistance » jusqu’à la Méditerranée s’opposant aux intérêts américains, saoudiens et israéliens dans la région. Les chancelleries de Tel-Aviv, Riyad et Washington apportent un soutien officiel et officieux aux manifestations pour neutraliser et limiter l’influence iranienne.

La récupération de la grogne populaire ne doit pas minorer la situation économique désastreuse de ces pays. Les manifestations sont légitimes et justifiées. Le chômage est endémique, la pauvreté s’accroît et la violence est structurelle. Tous ces éléments font craindre à un embrasement, notamment en Irak. En dépit des promesses de réformes, la classe politique est prise en étau tant à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur.

Au Liban:

La pandémie du coronavirus offre un répit pour les dirigeants. Le pouvoir libanais contesté lors de la Thawra (révolution) cherche tant bien que mal une sortie de crise. En défaut de paiement, le Liban risque de sombrer dans une crise économique et sociale sans précédent. La gestion de la crise sanitaire par le nouveau gouvernement libanais semble porter ses fruits et est louée par les citoyens. D’ailleurs, le Hezbollah participe également à cet effort de lutte contre cette épidémie en offrant ses services, même en dehors de ses bastions. Au lendemain de cette crise, nul doute, que le pays du Cèdre affrontera de nouveau la grogne populaire tant les indicateurs économiques sont au rouge[6]. Déjà, malgré un confinement imposé, des manifestations ont lieu à Tripoli, berceau de la Thawra d’Octobre 2019.

À ce jour, le Liban compte 682 cas confirmés de Covid-19 pour 22 décès.

En Irak:

L’Irak, quant à lui est devenu un État déliquescent où plane le spectre d’une énième guerre civile. La menace du coronavirus a redistribué les cartes. En fermant ses frontières avec l’Iran, la colère anti-iranienne portée par une partie de la population retombe. La présence militaire occidentale tant décriée depuis l’assassinat de Qassem Souleimani en Janvier 2020 se réduit de peur d’être contaminée par le virus. En effet, En raison de plusieurs cas recensés au sein des troupes françaises en Irak, le gouvernement français a également ordonné le retrait de ses troupes en mars dernier[7].

L’épidémie du Covid-19 paralyse la situation et apaise temporairement les tensions entre l’Iran et les Etats-Unis. Et si on assistait à une résurgence de Daesh dans le pays ?

À ce jour, l’Irak comptabilise 1602 cas de Covid-19 pour 83 décès.

Malgré l’épidémie, le maintien des sanctions :

Indépendamment du coronavirus, la Syrie et l’Iran restent soumis à la dureté des sanctions occidentales. La pauvreté rend la population plus vulnérable face au virus. Ce risque humanitaire ne change pas pour autant la position américaine qui maintient les sanctions et ce, en dépit des demandes internationales.

Avec un bilan de 85 996 cas confirmés et 5 391 décès, l’Iran est de loin le pays le plus affecté du Moyen-Orient. Le régime fragilisé, risque gros si l’épidémie se propage davantage. Le pays n’est pas confiné à ce jour, par crainte d’un désastre économique.

En visite à Damas, le ministre des Affaires étrangères iranien Mohammed Zarif et le Président syrien Bachar Al-Assad ont rappelé conjointement dans un communiqué officiel les conséquences destructrices des sanctions sur les deux pays. Damas dénonce également l’iniquité des sanctions et pointe du doigt l’immoralité des pays occidentaux[8].

On pourrait croire, que le coronavirus est capable de rabattre les cartes au Moyen-Orient. Cependant, il est fort à parier, qu’une fois la pandémie disparue, les tensions habituelles reprendront de plus belle…


[1]https://www.lemonde.fr/international/article/2020/04/10/l-arabie-saoudite-annonce-un-cessez-le-feu-au-yemen_6036163_3210.html

[2] https://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-moyen-orient/une-manoeuvre-au-yemen-les-rebelles-rejettent-le-cessez-le-feu-de-la-coalition_2123430.html

[3] https://theconversation.com/idlib-vers-un-rapprochement-entre-la-turquie-et-les-etats-unis-136148

[4] https://www.middleeasteye.net/news/abu-dhabi-crown-prince-mbz-assad-break-idlib-turkey-ceasefire

[5] https://www.lefigaro.fr/international/syrie-9-combattants-proregime-tues-dans-une-frappe-nocturne-menee-par-israel-20200421

[6] https://orientxxi.info/magazine/le-liban-au-bord-du-gouffre,3816

[7] https://www.lemonde.fr/international/article/2020/03/25/coronavirus-la-france-retire-ses-troupes-

d-irak_6034441_3210.html

[8] https://www.lepoint.fr/monde/syrie-rencontre-entre-bachar-al-assad-et-le-chef-de-la-diplomatie-iranienne-20-04-2020-2372164_24.php

Le Moyen-Orient à l’heure du coronavirus

À l’instar des séries dramatiques orientales, ce virus monopolise les débats dans toutes les familles. Le Covid-19 alimente toutes les craintes et toutes les peurs et fait l’objet d’une prolifération de théories plus ou moins douteuses. Friands et amateurs de complots, certains habitants et même analystes de la région y voient la main invisible « américano-sioniste » pour semer le chaos au Moyen-Orient. Les réseaux sociaux locaux sont un bon baromètre d’étude des tensions sociales et économiques.

Une chose est sûre, l’indifférence initiale laisse place à une psychose généralisée de la société qui inquiète au plus haut point les autorités locales. Entre la chute des prix du pétrole, la crise sanitaire et la fermeture des frontières et des lieux de culte, le Moyen-Orient passe d’une crise à une autre.

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L’Iran acculé

La République islamique d’Iran est le troisième pays le plus touché par l’épidémie après la Chine et l’Italie. On déplore environ 15 000 patients contaminés[1] et plus de 1000 décès à ce jour. Le taux de létalité est le plus élevé du monde. Certains observateurs mettent en doute la véracité des chiffres officiels[2]. Le gouvernement de Téhéran aurait dissimulé l’impact de ce fléau afin de ne pas paraître dépassé et de ne pas subir les critiques de sa propre population.

De surcroît, l’Iran subit de plein fouet les sanctions économiques occidentales qui aggravent la situation sanitaire. En effet, le secteur hospitalier iranien est débordé et obsolète pour gérer une telle crise. Téhéran dénonce l’inaction de la communauté internationale. Ces sanctions américaines portent atteintes aux droits des Iraniens à la santé. Les autorités du pays demandent l’aide de l’organisation mondiale de la santé (OMS), l’arrêt immédiat des sanctions ainsi qu’un prêt de 5 milliards de dollars au Fonds monétaire international (FMI). Selon le ministre iranien des Affaires étrangères Javad Zarif « Les virus ne font pas de discrimination. L’Humanité ne devrait pas non plus »[3].

Certains pays ne sont pas restés insensibles à ce scénario. La Chine et la Russie exhortent les Etats-Unis à lever les sanctions contre l’Iran afin de contenir et de lutter efficacement contre la propagation du virus covid-19. Les deux pays mettent en exergue les conséquences humanitaires sur l’ensemble de la population mondiale[4]. Pékin s’engage également à envoyer du personnel et du matériel médical.

Or, il est très peu envisageable que l’administration américaine décide d’alléger le régime des sanctions. Dans sa posture anti-iranienne, Donald Trump souhaite voire céder Téhéran. De façon surprenante, l’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne annoncent une aide financière à l’OMS à destination de l’Iran. Les Iraniens peuvent également compter sur l’aide des Emirats arabes unis. En effet, ils ont récemment décidé d’envoyer 32 tonnes de fournitures médicales à l’Iran malgré les contentieux géopolitiques dans la région[5].

Un confinement à la carte :

À peine sorti d’un soulèvement populaire majeur et englué dans une crise économique sans précédent, le Liban se coupe peu à peu du reste monde. Des mesures strictes de confinement ont été adoptées avec la fermeture des institutions et des frontières (aéroports et ports[6] seront fermés à partir du 29 mars). À ce jour une centaine de cas sont déclarés et 3 décès sont dénombrés. La majorité des premiers cas provenait d’Iran. Le système de santé, impacté par la crise économique, a réussi à contenir la propagation du virus, mais s’attend à une explosion des cas. Certaines voix s’élèvent pour dénoncer la corruption de la classe politique et l’accusent de vouloir asseoir son autorité et sa légitimité à travers ces mesures.

Le reste du Moyen-Orient est touché de manière contrastée. Tous les pays ont depuis fermé les établissements scolaires. Certains d’entre eux redoutent les conséquences catastrophiques pour l’économie de leur pays. En effet, les pays touristiques comme la Jordanie mais surtout l’Égypte pâtissent déjà des mesures restrictives prises par leurs gouvernements respectifs. Les autorités du Caire ont longtemps cherché à minimiser les dangers du Covid-19 et à rassurer la population. Ils suspendent ses vols internationaux et rapatrient les touristes pour endiguer l’épidémie du coronavirus. L’Égypte interdit à sa main d’œuvre de se rendre dans les pays du Golfe sans avoir procédé au test de dépistage.

Après 10 ans de guerre en Syrie et la dureté des sanctions occidentales sur son économie, le gouvernement de Damas a décidé de prendre des mesures pour lutter contre la propagation du virus. Les salles de prières sont momentanément fermées et les places publiques à l’instar des bars de chichas sont interdits[7]. Sur les réseaux sociaux syriens, une campagne de soutien populaire (ana fi khadmt souria/ je suis au service de la Syrie) a vu le jour pour aider Damas dans sa lutte contre l’épidémie.

La bande de Gaza est une bombe à retardement. Les principaux experts s’alarment sur les conséquences d’une propagation exponentielle du Covid-19 dans cette région à forte densité démographique. Plus de 2 millions d’habitants sur 360km2 vivent dans cette prison à ciel ouvert. Compte tenu du blocus israélien, les infrastructures hospitalières sont désuètes et le matériel médical pour lutter contre l’épidémie est pratiquement inexistant.

À l’échelle de tout le Moyen-Orient, toutes les autorités ont pris des mesures d’isolement  en fermant les lieux de culte églises et mosquées. Les prières sont strictement individuelles. L’Arabie saoudite qui a annoncé son premier cas début mars, suspend le Hajj et le Omra (le pèlerinage à la Mecque) à tous les pèlerins.  

Les conséquences du Coronavirus sur le secteur pétrolier

Premier producteur de l’or noir, l’Arabie saoudite subit les contrecoups de la propagation du virus à l’échelle de la planète. Durant plusieurs mois, la Chine, premier consommateur de pétrole au monde, a dû s’adapter à la nouvelle conjoncture. L’interdiction de déplacement des citoyens au sein même du pays, couplée à l’arrêt des voyages vers la Chine a impacté les cours du baril.

Sur fond de pandémie et d’une forte baisse de la demande mondiale, l’organisation des pays exportateurs de pétrole (l’OPEP) ainsi que les autres pays producteurs comme la Russie se sont réunis pour solutionner le problème. N’ayant pas réussi à obtenir de Moscou une baisse de la production, Riyad a unilatéralement décidé de baisser les prix du baril. En raison de l’importance de l’or noir pour son économie et pour satisfaire la demande intérieure et extérieure, la Russie ne pouvait y répondre favorablement.

De ce fait, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis se livrent à une guerre économique contre la Russie en augmentant et en inondant conjointement le marché de l’or noir. Les prix ont depuis chuté et atteints 30 dollars le baril[8]. C’est la plus forte baisse depuis 20 ans. Aujourd’hui, les indicateurs prouvent que la stratégie saoudienne se révèle dangereuse pour sa propre économie. En plus de la fermeture des hôtels luxueux, des malls et du pèlerinage à la Mecque, le coronavirus ébranle l’ensemble de l’économie saoudienne. Cette dernière reste dépendante à 90% de l’or noir.

Afin de rassurer les places boursières internationales, la présidence saoudienne du G20 veut rassembler les membres de ce comité lors d’une conférence exceptionnelle, qui se tiendra par vidéo-conférence[9]. Cette rencontre virtuelle sera l’occasion pour les principales puissances de tenter de trouver une solution pour empêcher le krach boursier qui se profile.


[1] https://www.middleeasteye.net/news/coronavirus-iran-death-toll-surpasses-1000-hundreds-new-cases-discovered

[2] https://www.oeil-maisondesjournalistes.fr/2020/03/12/coronvirus-iran-chiffre-morts-propagande/

[3] https://www.la-croix.com/Monde/Moyen-Orient/Face-coronavirus-lIran-demande-levee-sanctions-2020-03-14-1201084052

[4] https://www.middleeasteye.net/news/coronavirus-china-and-russia-call-us-lift-iran-sanctions

[5] https://www.lefigaro.fr/international/quand-le-virus-rapprochent-les-ennemisdes-emirats-arabes-unis-et-de-l-iran-20200317

[6] http://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20200316-face-coronavirus-le-liban-sonne-la-mobilisation-g%C3%A9n%C3%A9rale-et-entre-en-confineme

[7] https://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-moyen-orient/la-syrie-en-guerre-prend-a-son-tour-des-mesures-de-precaution-face-au-coronavirus_2120872.html

[8] https://www.france24.com/fr/20200309-coronavirus-pourquoi-l-arabie-saoudite-a-d%C3%A9clench%C3%A9-une-nouvelle-guerre-des-prix-du-p%C3%A9trole

[9] https://www.ouest-france.fr/sante/virus/coronavirus/coronavirus-l-arabie-saoudite-tente-d-organiser-un-sommet-du-g20-virtuel-6784783

Le Soft-Power saoudien : le mirage d’une ouverture

Depuis 2015 et la nomination de Mohammed Bin Salman en tant que prince héritier du royaume d’Arabie saoudite, le pays connaît une ouverture tout azimut. Apôtre d’un renouveau et d’une ouverture de son pays, le jeune prince entreprend des réformes surprenantes dans un pays hostile au changement.

Il utilise la rente pétrolière pour investir dans un soft power, radicalement opposé aux principes du wahhabisme. Ce changement de stratégie dénote. Cette nouvelle image, les investissements massifs dans les évènements sportifs et culturels font basculer l’Arabie saoudite dans le XXIème siècle. Or, ce grand écart ne saurait éclipser l’affreuse guerre au Yémen, les récentes arrestations des opposants à la famille régnante et le financement d’une nébuleuse djihadiste.

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Mohammed Bin Salman et le boxeur Anthony Joshua

Mohammed Bin Salman : l’homme du changement ?

Depuis sa prise de fonction en 2015, il montre un nouveau visage de l’Arabie saoudite. Il séduit l’étranger par sa jeunesse et son modernisme. Âgé de 34 ans, bon connaisseur des technologies et usant à bon escient des moyens de promotion, il a su séduire ses interlocuteurs étrangers. Sa stratégie de transformation se base sur une diversification de l’économie, qui à ce jour est largement dépendante de la rente pétrolière. Il se lance dans des projets et veut changer l’image du pays en l’ouvrant au monde.

Dès 2016, le jeune prince héritier lance le projet «Vision 2030 ». Il ambitionne de transformer littéralement la pétromonarchie en une économie moderne. Ce projet comporte un pilier économique, social et politique pour tenter de transformer plusieurs pans de la société saoudienne. Il doit permettre à l’Arabie saoudite de développer des partenariats à l’international et de promouvoir son rayonnement à l’étranger. De ce fait, le pays investit dans des entreprises de luxe, dans des clubs de football, il rachète des parts de marché et inaugure même la promotion du secteur touristique. Récemment, le pays octroie des visas aux ressortissants étrangers. Auparavant, l’Arabie saoudite interdisait l’entrée sur son territoire sans une invitation officielle. De plus, un autre projet « pharaonique » baptisé « NEOM »[1] doit voir le jour en 2025 le long de la mer Rouge, en partenariat avec la Jordanie, l’Égypte et Israël.

Cette ouverture à 180° est la résultante d’un changement de pouvoir. Issu de la génération milléniale (génération Y), ayant grandi avec les nouvelles technologies et féru des jeux vidéos, Mohammed Bin Salman est un « geek » qui s’assume. En témoigne, la création de sa propre fondation MISK[2] afin d’aider la jeunesse saoudienne et l’inciter à intégrer les grandes écoles américaines… pour ensuite revenir au pays. Cette multiplication de réformes vise à embellir l’image de son pays à l’étranger. En effet, l’Arabie saoudite est méconnue du grand public et est assimilée à un pays fermé, où l’Islam radical (le wahhabisme) y est imposé.

 Les arrestations arbitraires des opposants, les exécutions sommaires restent monnaie courante. L’image du royaume s’est détériorée avec la séquestration de l’ex Premier ministre libanais Saad Hariri en 2017, puis avec l’assassinat commandité à Istanbul du journaliste Jamal Khashoggi en octobre 2018. De plus, malgré la faible médiatisation du conflit, l’opinion internationale s’émut de la guerre au Yémen. Les nombreux bombardements de la coalition menée par l’Arabie saoudite engendrent un désastre humanitaire.

Les crimes de guerre et les exactions au sein même de son propre pays, ravivent les doutes sur ses bonnes intentions. 

Le soft power : cache misère de l’Arabie saoudite

Le soft power est un concept popularisé par le géopolitologue américain Joseph Nye en 1990. Il théorise la capacité d’un pays à séduire et à attirer[3]. Cette notion s’oppose au hard power qui représente la force armée et coercitive d’un État. Le soft power est généralement assimilé à l’American way of life et tout ce qui en découle au niveau culturel, vestimentaire et culinaire.

Ce paramètre politique permet à une nation d’avoir la sympathie des autres pays, c’est en quelque sorte le revêtement, le maquillage d’un État. L’Arabie saoudite, sous la houlette du jeune prince héritier, l’a récemment adopté.

Le royaume saoudien a longtemps misé sur un soft power religieux, destiné uniquement aux musulmans du monde entier. De l’Afrique à l’Asie en passant par l’Europe[4], Riyad a financé de nombreuses écoles coraniques, des associations communautaires et des agences de voyage pour faciliter le pèlerinage des croyants à la Mecque (le Hajj). De surcroît, les connivences avérées avec certains groupes djihadistes attisent les critiques à l’égard de la politique saoudienne. La guerre au Yémen, menée par Riyad, ternit encore un peu plus l’image du pays[5].

À la surprise générale, Mohammed Bin Salman soucieux de gommer la mauvaise réputation de son pays, se lance sur la voie de la rédemption. D’un pays ultra-sectaire, il veut le hisser en havre de modernité. En s’attirant les louanges de l’opinion internationale, il peut avoir une influence sur le jeu diplomatique. La jeune société civile saoudienne est avide de progrès et d’ouverture. Le prince héritier l’a bien compris et met l’accent sur des thèmes consensuels. À l’instar du voisin qatari, il veut faire de l’Arabie saoudite un pays hôte pour les évènements sportifs internationaux.

La ruée vers le sport : écran de fumée de l’autoritarisme de MBS

Malgré sa faible démographie et son emplacement au carrefour des tensions régionales, le petit émirat du Qatar séduit. Il séduit par ses investissements dans le sport et notamment dans le football. Il dirige le club du Paris Saint Germain depuis 2011, il organise la prochaine coupe du monde de football en 2022 et la chaîne BeIN a su s’imposer tant en Occident qu’en Orient[6].

L’Arabie saoudite jalouse la réussite de son rival qatari. Dès lors, le royaume veut devenir une plaque tournante pour la réalisation d’évènements sportifs et ainsi s’acheter une image. L’ouverture se fait tout azimut. Après avoir organisé plusieurs concerts, Riyad accueille la revanche de boxe entre Anthony Joshua et Andy Ruiz le 7 décembre 2020. Evénement planétaire et suivi par des millions de téléspectateurs, c’est la réussite pour le soft power saoudien[7]. Dans la foulée, l’Arabie saoudite accueille la finale de la coupe d’Italie opposant la Lazio de Rome à la Juventus de Turin. Elle s’est également payée le luxe de délocaliser sur son sol les trois prochaines éditions de la supercoupe d’Espagne. Dans une société passionnée de foot, la jeune population saoudienne est conquise par cette ouverture. C’est un vecteur de stabilité politique.

Riyad accueille également la 42ème édition du Rallye Dakar 2020 et s’octroie l’organisation des 5 prochaines éditions. C’est une aubaine qui permet de valoriser le patrimoine local et de développer le tourisme inexistant à ce jour. En investissant massivement dans le sport grâce à sa manne pétrolière, l’Arabie saoudite parachève ainsi sa volonté d’ouverture et capitalise sur son soft power.

Or, cette stratégie de transformation et la ruée vers le sport ne peuvent faire oublier la triste réputation de la monarchie en matière des droits de l’Homme. Elle masque assurément les desseins autoritaires et hégémoniques du jeune prince héritier. Les récentes arrestations de 3 princes saoudiens issus de la famille royale par Mohammed Bin Salman[8] confirment un peu plus que cette ouverture n’est qu’un trompe l’œil. Du pain et des jeux pour l’opinion internationale…


[1] https://www.lemonde.fr/smart-cities/video/2017/11/17/neom-la-megalopole-du-futur-dont-reve-l-arabie-saoudite_5216675_4811534.html

[2] https://misk.org.sa/en/

[3] https://www-cairn-info.ezpaarse.univ-paris1.fr/revue-geoeconomie-2013-2-page-19.htm

[4] https://www-cairn-info.ezpaarse.univ-paris1.fr/revue-pouvoirs-2015-1-page-121.htm

[5] https://www.franceculture.fr/emissions/soft-power/soft-power-le-magazine-des-internets-du-dimanche-20-mai-2018

[6] https://weeplay.media/supercoupe-despagne-le-soft-power-de-larabie-saoudite/

[7] https://www.middleeasteye.net/news/anthony-joshua-defends-saudi-arabia-ahead-fight-against-ruiz

[8] https://www.lefigaro.fr/international/mohammed-ben-salman-assure-par-la-force-son-accession-au-trone-20200308

La Turquie: allié indispensable de l’OTAN ?

La Turquie du Président Receip Tayyip Erdogan est au cœur des tensions régionales. Pourtant au début de la décennie 2010, l’ancien ministre des Affaires étrangères turc Ahmet Davutoglu avait théorisé la doctrine de « zéro problème avec les voisins ». Aujourd’hui, la Turquie est sur tous les fronts. De la Libye à la Syrie, en passant par l’Asie centrale et les Balkans, sa politique étrangère est tentaculaire. Nostalgique de la gloire de l’Empire ottoman, le Président turc avance ses pions et intervient illégalement dans plusieurs pays souverains.

Membre de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) depuis 1952, la Turquie n’est pas isolée. Ses gesticulations guerrières et ses discours menaçants servent les intérêts des puissances occidentales. La Turquie n’est ni plus ni moins que le cheval de Troie de l’Otan au Moyen-Orient.

Chars turcs dans la province d’Idlib

La Turquie à la conquête de l’Islam politique

Dans une région majoritairement musulmane, la Turquie cherche des alliés de poids.

Au Moyen-Orient, l’idéologie et la religion sont les deux composantes qui outrepassent de loin l’appartenance nationale et l’ethnicité. La Turquie n’est pas un pays arabe, mais elle peut compter sur l’influence des Frères musulmans pour se constituer un réseau d’alliance qui supplante l’arabité. Avec le Qatar, Erdogan adopte une posture conciliante à l’égard des « printemps arabes » en Égypte, en Tunisie, en Libye et surtout en Syrie. Ils savent que l’idéologie « frériste » fourmille dans les franges populaires de la communauté musulmane sunnite.

Par l’entremise des mosquées, des écoles coraniques et de nombreuses associations caritatives et éducatives, les Frères musulmanes tissent leurs réseaux. Le Qatar en est le principal bailleur alors que la Turquie constitue le chaînon militaire de cette alliance. Le territoire turc est devenu le pays hôte de tous les Frères musulmans condamnés et rejetés dans leur pays d’origine[1].

Cette idéologie ressemble au panislamisme de la fin du XIXe siècle. En effet, l’Empire ottoman avait adopté cette doctrine pour conquérir et attirer tous les musulmans de l’Empire. Aujourd’hui, la doctrine des Frères musulmans est plus qu’une idéologie, c’est un moyen de s’immiscer durablement dans les affaires des pays arabes, comme au temps de l’Empire ottoman avec le panislamisme.

Le prosélytisme turc s’enracine dans plusieurs villes du Moyen-Orient. Dernièrement, en raison de l’intensité des combats à Idlib, la ville de Tripoli au Liban arborait en masse le drapeau turc. Sous couvert de doctrine religieuse, cette idéologie des Frères musulmans permet assurément à la Turquie d’étendre ses desseins de politique étrangère, notamment en Syrie. Cette ingérence politique se couple avec une intervention militaire de moins en moins officieuse qui alimente la nébuleuse djihadiste anti-Assad.

Une aide aux djihadistes d’Idlib

Depuis les accords d’Adana en 1998 entre le Syrie et la Turquie, Istanbul peut pénétrer à 5 km à l’intérieur du territoire syrien pour lutter contre toute menace « terroriste »[2]. Ce texte permet aujourd’hui à Erdogan de justifier ses interventions en Syrie, notamment contre les groupuscules kurdes dans le Nord-Est syrien.

Dès le début du conflit en Syrie en 2011, la Turquie et le Qatar ont fortement contribué à la formation de l’Armée syrienne libre (ASL), principale force d’opposition à Damas. En rendant la frontière syrienne poreuse, la Turquie a permis à des milliers de djihadistes étrangers en provenance du Caucase, d’Asie centrale et d’Europe de pénétrer en Syrie pour gonfler les rangs de l’ASL et de Daesh. Cette politique d’affaiblissement du pouvoir syrien, avec le consentement et l’appui des chancelleries occidentales, sert les intérêts d’Istanbul. En soutenant logistiquement et militairement les groupes djihadistes, la Turquie devient le parrain officiel de la rébellion syrienne.

Depuis 2018, Idlib est le dernier bastion djihadiste en Syrie. La Turquie quadrille la ville avec une douzaine de postes d’observations. Suite à la reprise de nombreuses localités autour d’Idlib par l’armée gouvernementale syrienne avec l’appui de l’aviation russe, la Turquie riposte en envoyant des troupes terrestres pour appuyer les djihadistes issus de la mouvance salafiste à l’instar de Hayat Tahrir Al-Cham[3]. Depuis, les affrontements se sont intensifiés entre la Turquie et la Syrie. Tour à tour, les deux pays revendiquent la récupération d’une parcelle de terrain ou l’abattement d’un avion ou d’un drone ennemi.

Cet appui avéré aux différents groupes djihadistes aggrave encore un peu plus la guerre en Syrie. Son intervention n’a fait l’objet d’aucune critique de la part des chancelleries occidentales. Au contraire, leur silence peut être interprété comme un feu vert accordé à la Turquie. Avec le retrait progressif et en ordre dispersé des Américains, Washington a permis à la Turquie de déloger les Kurdes et de s’enraciner dans le Nord-Est de la Syrie. La bataille d’Idlib est vitale pour le régime syrien. La récupération de cette ville est cruciale pour la stabilité des provinces voisines de Lattaquié et d’Alep. L’aide turque aux djihadistes prolongera la guerre mais n’en changera pas le résultat[4], tant que la Russie se porte garante de Bachar Al-Assad. En raison de l’escalade militaire, Ankara s’efforce d’obtenir un soutien occidental et menace l’Europe d’ouvrir ses frontières aux réfugiés.

Le cessez le feu obtenu à Moscou qui est entré en vigueur dans la nuit du 5 au 6 mars éternise une nouvelle fois le conflit.

Les réfugiés : le chantage d’Erdogan

En 2016, Ankara avait négocié avec l’Union européenne un pacte migratoire. En contrepartie d’une aide de 6 milliards d’euros, la Turquie devait contenir l’arrivée de réfugiés vers l’Europe.

De nouveau, la Turquie exige de l’Union européenne et de l’Otan une compensation financière pour accueillir les réfugiés et la soutenir dans sa nouvelle guerre. Sa revendication doit être prise en considération. En effet, l’afflux massif des réfugiés déstabilise l’économie turque et créé des tensions au sein même de la société. Devant les atermoiements des pays européens, Erdogan a mis sa menace à exécution en ouvrant sa frontière avec la Grèce. Athènes, exsangue économiquement, ne peut accueillir ce flux massif. L’Union européenne veut aider le gouvernement grec en lui octroyant une aide de 700 millions d’euros, et ne cède pas à ce chantage[5].

Les chancelleries occidentales se lamentent d’être prises en otage. Or, en soutenant systématiquement militairement et logistiquement l’opposition à Bachar Al-Assad, l’Union européenne est en partie responsable de la catastrophe migratoire en cours.

La Turquie endosse le rôle de victime tout en étant la principale fautive de la situation dans laquelle elle se trouve. Sans son intervention en Syrie et son soutien aux djihadistes, Bachar Al-Assad aurait pu récupérer l’intégralité de son territoire et éviter cette crise migratoire qui hante les Européens. Malgré les récentes rencontres bilatérales entre la Russie et la Turquie le 5 mars[6], la solution réside dans le positionnement de l’OTAN.

La Turquie : perturbateur utile de l’Otan

 La Turquie est membre de l’Organisation du traité Atlantique Nord depuis 1952. Cette intégration surprenante de la Turquie dans un axe regroupant les puissances occidentales s’explique par l’obligation de lutter contre l’expansion du communisme au lendemain de la seconde guerre mondiale. La Turquie devenait de facto, le cheval de Troie de la politique américaine en Orient. Dès 1955, Ankara permet à l’Otan d’installer une base aérienne à Incirlik pour ses opérations extérieures.

En 1991, en raison de la dislocation de l’Union soviétique, l’Otan n’a plus vocation à exister. Dès lors, l’organisation est repensée, restructurée à l’aune des nouvelles menaces du XXIe siècle. En effet, la lutte contre le terrorisme sert de tremplin à l’alliance qui va pouvoir intervenir au Moyen-Orient. La Turquie devient de fait, un élément central. Depuis 2011, le gouvernement turc est actif sur le terrain syrien avec le consentement et l’appui des forces de l’Otan.

Beaucoup de journalistes et d’experts prétendent à tord que la Turquie est isolée. Or selon l’article 5 de l’Otan, il est stipulé que : « Les parties conviennent qu’une attaque armée contre l’une ou plusieurs d’entre elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties, et en conséquence elles conviennent que, si une telle attaque se produit, chacune d’elles, dans l’exercice du droit de légitime défense, individuelle ou collective, reconnu par l’article 51 de la Charte des Nations Unies, assistera la partie ou les parties ainsi attaquées en prenant aussitôt, individuellement et d’accord avec les autres parties, telle action qu’elle jugera nécessaire, y compris l’emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité dans la région de l’Atlantique Nord. »[7]

Finalement, Erdogan est conscient des avantages que lui octroie l’Otan. En agitant la menace de la question migratoire, il veut former une communauté de destin avec les chancelleries occidentales. De surcroît, le Président turc répond à leurs attentes : empêcher la Syrie de récupérer la totalité de son territoire et contenir l’influence russe dans la région[8].


[1] http://fmes-france.org/linfluence-des-freres-musulmans-sur-la-politique-regionale-de-la-turquie-pana-pouvreau/

[2] https://www.lesclesdumoyenorient.com/Historique-des-relations-entre-la-Turquie-et-la-Syrie-depuis-la-fin-de-la

[3] https://twitter.com/syriaintel/status/1235323665622994945

[4] https://www.deep-news.media/2020/02/28/idleb-solutions/

[5] https://www.ifri.org/fr/espace-media/lifri-medias/dorothee-schmid-refugies-une-arme-de-dissuasion-erdogan

[6] http://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20200305-sommet-vladimir-poutine-recep-tayyip-erdogan-russie-turquie-syrie-apaiser-idle

[7] https://www.nato.int/cps/fr/natohq/official_texts_17120.htm

[8] https://www.lemonde.fr/syrie/article/2018/04/14/syrie-l-otan-defend-une-operation-ciblee-et-proportionnee_5285625_1618247.html

Les « alliés » arabes d’Israël

Esseulé à sa création en 1948, l’État d’Israël a depuis réussi à briser son isolement au prix de nombreuses tentatives de rapprochement et de négociations avec certains gouvernements arabes. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, la Palestine représentait la cause fédératrice pour le monde arabe. Or, aujourd’hui cette cause est devenue secondaire si ce n’est encombrante pour les dirigeants de la région. L’abandon de cette lutte fait les beaux jours d’Israël.

La politique de l’État hébreu consiste à étendre la pacification de son entourage en accentuant la menace iranienne. Aidée et soutenue systématiquement par l’administration américaine, Israël a réussi à rendre possible ce qui ne l’était pas : la paix avec ses voisins arabes.

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Une normalisation officielle :

L’incapacité militaire des États arabes à vaincre Israël lors des différentes guerres poussa certains pays acculés à signer des accords de paix.

En effet, les nombreux conflits opposant l’État hébreu à l’Égypte (1948, 1956, 1967 et 1973) ont mis en exergue l’infériorité chronique des armées arabes face à la supériorité israélienne, aidée par l’Occident. Le secteur économique égyptien n’arrivait plus à pallier le déficit des dépenses militaires. Après la mort de Gamal Abdel Nasser, leader arabe charismatique et fer de lance de la lutte contre Israël, l’Égypte se rapproche d’Israël en contrepartie d’une aide économique américaine. Les accords de paix sont signés à Camp David en 1979 par le Général Anouar Al Sadate. Conspué par la rue arabe, le Président égyptien est assassiné en 1981.

Suite à la pacification des relations avec l’État d’Israël, l’Égypte est mise au ban de la Ligue arabe pour trahison envers la cause palestinienne jusqu’en 1990.

La Jordanie est le second État à signer la paix avec l’État d’Israël en 1994. Pourtant, plus de la moitié de la population jordanienne est d’origine palestinienne. Les nombreux conflits avec Israël ont fait fuir des centaines de milliers de familles vers la Jordanie, le Liban et la Syrie. Or, engluée dans une crise économique et ne pouvant faire face à la puissance israélienne, le roi de Jordanie Hussein signe un accord de paix avec Israël en échange d’une aide économique américaine. À l’instar de l’Égypte, le pays est suspendu de la Ligue arabe.

Ignorée du grand public, la Mauritanie a reconnu Israël en 1999. Les Etats-Unis ont accéléré ce processus par le biais de pressions économiques. Néanmoins, les relations avec Israël demeurent compliquées et irrégulières en raison de la question palestinienne.

La pacification avec l’État hébreu ne se fait jamais sans contrepartie. Les Etats-Unis usent de la « diplomatie du chéquier » pour convaincre les chancelleries arabes d’abandonner la lutte contre Israël et pour acquérir une stabilité économique. Aujourd’hui, cette pacification se mue en un partenariat stratégique, notamment pour l’achat de gaz israélien. Cependant, l’abandon de la cause palestinienne par les chancelleries arabes n’est pas au goût de la rue qui elle, continue de clamer son attachement pour la Palestine.

De moins en moins officieuse :

« L’ennemi de mon ennemi est mon ami », cette théorie schmitienne résume à elle seule la politique des monarchies du Golfe qui n’hésitent pas à se rapprocher de plus en plus ouvertement d’Israël pour s’opposer à l’Iran et ses alliés dans la région.

En effet, les monarchies sunnites du Golfe se focalisent sur l’ennemi iranien au détriment de la cause palestinienne. Cette division au sein du monde musulman fait le jeu d’Israël. L’Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis, le Koweït et Bahreïn font front commun avec Israël pour stopper l’influence iranienne au Moyen-Orient. De fait, les rencontres entre dirigeants politiques et militaires sont de plus en plus régulières. Une collaboration étroite s’instaure dans la lutte contre le cyber-terrorisme, dans la formation des services de renseignement et d’espionnage ainsi que la fourniture par Israël d’une aide logistique à l’Arabie saoudite dans sa guerre contre le Yémen.

Dernièrement, un haut dignitaire religieux saoudien s’est rendu au camp d’Auschwitz. Visite hautement symbolique qui assoit davantage le rapprochement entre les deux pays[1]. Enfin, l’Arabie saoudite est sur le point d’accepter des ressortissants israéliens sur son territoire.

Cette alliance de circonstance est finalement une alliance qui s’inscrit dans la durée. Ce rapprochement avec l’État hébreu se fait au détriment de la cause palestinienne et ce, en dépit des discours des dirigeants arabes en faveur de la Palestine.

En devenir :

Le sultanat d’Oman a toujours été apprécié pour sa neutralité diplomatique et pour son rôle de médiateur dans la résolution des conflits régionaux. En octobre 2018, le sultan Qabus Ibn Saïd reçoit en grande pompe le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu, prélude à une normalisation des relations bilatérales. La vision israélienne du Moyen-Orient trouve de plus en plus d’écho même au delà des chancelleries arabes qui ne considèrent pas l’Iran comme un ennemi héréditaire. De plus, les partenariats dans les secteurs des hautes technologies des renseignements, du traitement de l’eau, de la sécurité, de l’énergie solaire voire de la santé rendent la diplomatie de Tel-Aviv attractives et efficaces auprès des gouvernements arabes.

Dernièrement le chef d’État soudanais, Abdel Fattah al-Burhane a rencontré Benyamin Netanyahu en Ouganda[2]. Conscient des difficultés économiques internes, le Président soudanais tente un rapprochement avec Israël afin d’avoir les bonnes grâces des Etats-Unis. En effet par le jeu des sanctions économiques, Washington peut plonger un pays dans une crise économique et sociale, cause d’une colère populaire contre ses propres dirigeants. De ce fait, l’administration américaine use de cette « silver bullet » (nom donné par l’administration Obama pour l’usage des sanctions) comme levier diplomatique. En se rapprochant d’Israël, le Soudan espère mettre fin aux sanctions économiques américaines et sortir de la liste des États terroristes.

De son côté, le Maroc entretient de très bonnes relations avec les Etats-Unis, ce qui ne l’empêche pas de ne pas reconnaître (encore) officiellement l’État d’Israël. Or, depuis plusieurs années des rencontres secrètes ont lieu entre les chefs de la diplomatie marocaine et israélienne. Récemment selon Middle East Eye[3], un accord tripartite est sur le point de voir le jour. En faisant pression au sein des cercles de pouvoir et de décision américains, Israël souhaite que le Sahara occidental soit reconnu par les Etats-Unis comme une province marocaine et non comme une région quasi-autonome. En contrepartie de quoi, le Maroc devra normaliser ses relations avec Israël. Toujours selon Middle East Eye, le ministre des affaires étrangères du Maroc a rappelé en ces termes : « Le Sahara reste la première cause du Maroc et non la Palestine ».

La normalisation des relations avec l’État hébreu fait l’objet d’un chantage diplomatique, économique voire territorial.

Impensable :

Malgré les tentatives américano-israéliennes de dislocation du Moyen-Orient  par l’entremise de stratégie de tensions, d’opérations clandestines, de guerres de changement de régime et de prédations économiques, plusieurs États arabes bannissent tout rapprochement avec l’État hébreu.

L’administration israélienne a en effet planifié la refonte du Moyen-Orient par le biais du « Plan Yinon »[4]. Datant de 1982, ce plan prévoyait le remodelage du Moyen-Orient en plusieurs mini-États antagonistes. Tour à tour, le Liban, l’Irak puis la Syrie subissaient ce projet de division interne de la société. Durant la guerre civile libanaise de 1975 à 1990, Israël a tenté d’influer sur le cours des évènements en semant la division communautaire au Liban. Malgré les contacts secrets avec certains partis libanais, un rapprochement avec l’État hébreu est impensable tant l’influence du Hezbollah, parti pro-iranien et ardent défenseur de l’identité libanaise, est omniprésente.

L’Irak et la Syrie, deux États profondément attachés au nationalisme arabe, ont subi plusieurs ingérences israéliennes et interventions militaires américaines visant à fragiliser l’économie et à diviser la société. Aujourd’hui, force est d’admettre que le Moyen-Orient est plongé dans un manichéisme. D’un côté, il y a les pays s’alignant sur la politique israélienne, de l’autre il y a les pays proches de l’Iran, à l’instar de la Syrie, de l’Irak et du Liban par le biais du Hezbollah.

Au Maghreb, l’Algérie et la Tunisie refusent catégoriquement tout rapprochement avec l’État d’Israël. Or, il semble bien que la stratégie israélienne porte ses fruits à long terme. Les pressions américaines économiques, diplomatiques voire militaires obligent les États ennemis d’Israël à revoir leurs agendas politiques quitte à abandonner leur idéal panarabe.

Sur 22 pays arabes, Israël entretient aujourd’hui des relations plus ou moins officielles avec 11 d’entre eux. La moitié restante est composée d’États déliquescents et exsangues économiquement en raison des conflits régionaux, des crises économiques et de l’immobilisme de leurs dirigeants.


[1] https://fr.timesofisrael.com/un-haut-dignitaire-religieux-saoudien-se-rend-a-auschwitz/

[2] https://www.jeuneafrique.com/mag/893434/politique/les-dessous-du-rapprochement-entre-israel-et-le-soudan/

[3] https://www.middleeasteye.net/fr/en-bref/comment-netanyahou-pousse-trump-reconnaitre-la-souverainete-du-maroc-sur-le-sahara   

[4] https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2007-2-page-149.htm

Idlib: la poudrière syrienne

Engluée dans une grave crise économique en raison des sanctions occidentales, la Syrie doit faire face à une recrudescence des tensions dans la province d’Idlib. La guerre est loin d’être terminée et ce à cause des intérêts contradictoires des différents belligérants.

Dans un jeu complexe de billard à 3 bandes, Syriens, Russes et Turques s’opposent, s’affrontent militairement et parfois délibèrent pour imposer un cessez le feu, au détriment une fois de plus de la situation humanitaire.

Dernièrement, des combats ont eu lieu dans la province d’Idlib entre forces syriennes et forces turques, risquant de dégénérer en un conflit entre les deux pays. Fidèle à sa stratégie, Vladimir Poutine tempère et se pose en médiateur.

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La reconquête totale du territoire par l’armée syrienne

Acculée et cantonnée aux environs de Damas et au littoral syrien en 2014-2015, l’armée syrienne et ses alliées russes et iraniens ont depuis repris et sanctuarisé les ¾ du territoire syrien. Reprenant parcelle de terrain par parcelle de terrain, les troupes de Bachar Al-Assad aidées par l’aviation russe et l’appui des milices iraniennes ont libéré les principales villes du pays de l’emprise djihadiste (Homs en 2014, Alep en 2016). Permettant de désenclaver la province d’Alep, la libération de la ville d’Idlib est stratégique pour Damas. De plus, la récente reprise de la localité de Saraqeb permet de rejoindre Alep par l’axe autoroutier M5[1].

Dans son allocution à la chaîne nationale syrienne Sana, Bachar Al-Assad a rappelé et martelé que la reconquête totale du territoire syrien était une condition sine qua none pour la fin du conflit. De ce fait, la récupération de la province d’Idlib est un leitmotiv pour l’armée gouvernementale syrienne. Dernier bastion djihadiste présent en Syrie, Idlib regroupe un ensemble de mouvances terroristes affiliées à différents groupes (Hayat Tahrir Al Cham, parti islamique du Turkestan, Front national de libération…).

Comme le précise Fabrice Balanche, géographe et spécialiste de la Syrie, il ne faut pas minorer le fait djihadiste à Idlib. En effet, les principaux médias occidentaux omettent délibérément et consciencieusement de mentionner qu’à Idlib se trouve les anciens djihadistes de Daesh et d’Al-Qaeda, financés par les monarchies du Golfe, armés par l’Occident et aidés par la Turquie. Le traitement de l’information est focalisé sur la crise humanitaire afin d’incriminer une fois de plus Damas et Moscou.

Aujourd’hui deux visions des relations internationales s’opposent. D’un côté, la realpolitik russo-syrienne qui consiste à éliminer entièrement la menace terroriste. De l’autre, la logique néoconservatrice occidentale qui se traduit par un alignement quasi-systématique sur la politique américaine, visant à évincer Bachar Al-Assad, quitte à aider financièrement et logistiquement les groupes djihadistes.

La politique néo-ottomane d’Erdogan

Après avoir dominé le Moyen-Orient pendant 4 siècles, la Turquie est aujourd’hui soucieuse de renouer avec son passé glorieux. La politique panturquiste (rassembler toutes les populations d’origine turque au sein même de la Turquie) est aujourd’hui visible. Les nombreuses incursions militaires turques depuis 2016 en Syrie et en Irak sans l’aval des gouvernements concernés consistent à contrôler des territoires stratégiques. Alep, Raqqa et Idlib en Syrie ou encore Mossoul en Irak représentaient les joyaux culturels de l’Empire ottoman et formaient un glacis protecteur en territoire arabe. Ainsi pour Erdogan, plus qu’une volonté d’ingérence politique, il s’agit de reformer et de récupérer des anciennes villes clés de l’Empire déchu.

En effet depuis la décennie 2010, la Turquie souhaite construire une politique arabe basée sur les échanges commerciaux. Après avoir vainement tenté de créer en 2010 une zone de libre échange « Shamgen » avec les pays du Levant (Jordanie, Syrie, Liban), le Président turc, Recep Tayyip Erdogan se pose en héraut du monde sunnite. Il utilise l’islam politique à des fins de politique régionale. De fait, dès 2011, il défend les « printemps arabes » et  n’hésite pas à se rapprocher des milieux djihadistes en ouvrant ses frontières avec la Syrie et en les soutenant militairement.

Les interventions turques en Syrie sont dictées par diverses motivations politico-idéologiques. Dans un premier temps, il s’agit de contenir et d’annihiler les forces kurdes présentes à la frontière turque. Le sempiternel problème kurde sert de prétexte à la logique néo-ottomane d’Erdogan pour s’immiscer durablement dans le règlement du conflit en Syrie. De surcroît, la Turquie se dresse en défenseuse de la cause des réfugiés auprès d’un Occident impuissant. Suivant sa vision, la chute d’Idlib entraînerait un afflux massif supplémentaire de réfugiés syriens en Turquie et en Europe.

La présence avérée des forces turques dans la province d’Idlib résulte des pourparlers de Sotchi et d’Astana. En effet, une douzaine de postes d’observations turcs quadrillent la région d’Idlib et de fait, protège la présence djihadiste en Syrie. En raison de leurs intérêts contradictoires, des accrochages ont fait plusieurs morts au sein des armées syriennes et turques non loin de la localité de Saraqeb. Dernièrement, Erdogan a envoyé des troupes et des véhicules blindés supplémentaires, tout en menaçant ouvertement Damas de guerre frontale et ordonnant à la Russie de se tenir à l’écart des récents affrontements[2].

La Russie : arbitre et médiateur des affrontements

Partisane d’une entente avec toutes les parties prenantes, la Russie de Vladimir Poutine entretient des relations aussi bien avec la Syrie de Bachar Al-Assad qu’avec la Turquie de Recep Tayyip Erdogan.

Depuis septembre 2015, Moscou est le premier soutien de Damas. L’aviation russe et les forces spéciales au sol ont aidé les troupes syriennes à récupérer plusieurs villes. Sans l’aide russe en 2015, la Syrie et le Liban seraient tombés sous le joug de l’État islamique. La reprise d’Idlib répond à un impératif russo-syrien, à savoir l’annihilation de toute menace djihadiste.

La bataille d’Idlib oppose donc l’armée de Bachar Al-Assad aidée par la Russie aux djihadistes soutenues et armées par la Turquie. Pour autant, ni la Russie ni la Turquie n’ont intérêt à rompre leurs liens diplomatiques. Les deux pays collaborent et commercent dans de nombreux domaines. Le montant des échanges bilatéraux s’élève à 25 milliards de dollars. Moscou et Ankara nouent également des relations dans le secteur gazier. Dernier grand événement en date, l’inauguration à Istanbul du gazoduc turco-russe « Turkish Stream », alimentant en gaz l’Europe via la mer noire.

La Russie est maître de la situation en Syrie. Elle orchestre les discussions politiques, dialogue avec tous les acteurs, arbitre les contentieux, bombarde quand nécessaire les positions djihadistes, tempère les ardeurs occidentales et impose sa vision et logique du conflit. La question qui se pose après les récents accrochages entre Ankara et Damas, est de savoir si ceci restera sans conséquences ou s’avèrera être un dangereux tournant ? Moscou doit user de son « savoir-faire » diplomatique pour mettre fin à cette escalade[3].

Quant à eux, la Turquie et les occidentaux doivent renoncer à leurs ingérences. En faisant le choix d’armer et de soutenir les djihadistes, ils ont d’ores et déjà perdu toute crédibilité politique. Tôt ou tard, la ville d’Idlib sera reprise par les forces armées syriennes et leurs alliées. La Turquie devra renoncer à sa politique expansionniste et interventionniste.


[1] https://www.lemonde.fr/international/article/2020/02/11/le-regime-syrien-reprend-le-dernier-troncon-d-une-autoroute-cruciale-dans-le-nord-ouest_6029169_3210.html

[2] https://fr.sputniknews.com/international/202002111043044023-erdogan-menace-de-faire-payer-le-prix-fort-a-la-syrie-en-cas-dattaque/

[3] https://www.lemonde.fr/international/article/2020/02/11/l-escalade-meurtriere-entre-soldats-turcs-et-syriens-se-poursuit-a-idlib_6029174_3210.html

Disparition de 3 humanitaires français et de leur collaborateur irakien à Bagdad.

Depuis maintenant plus de 2 semaines, l’association SOS Chrétiens d’Orient n’a aucune nouvelle de ses 3 chefs de missions et de leur collaborateur irakien disparus à Bagdad. Créée en 2013 suite au dépècement des populations chrétiennes d’Irak et de Syrie, cet organisme fournit une aide matérielle, médicale, éducative et psychologique aux Chrétiens opprimés, meurtris et souvent délaissés par les autorités locales.

Ignorée du grand public et plus ou moins abandonnée par la communauté internationale, la communauté chrétienne orientale n’a de cesse de subir les affres d’une radicalisation islamiste sur place. Face à cette menace, la plupart fuit vers l’Europe, l’Amérique voire l’Australie. Quant aux autres, désemparés et persécutés pour leur foi, faute de moyens ou animés par une farouche conviction, ils continuent de vouloir vivre sur la terre de leurs ancêtres.

L’association tente d’apporter un soutien moral et matériel aux populations restantes afin qu’elles redeviennent autonomes économiquement. Or, les équipes humanitaires dans les zones à risque sont souvent la cible de plusieurs groupes armés. Les enlèvements sont souvent suivis d’une demande de rançon pour faire pression sur les autorités occidentales, jugées responsables du chaos régional.

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Contexte d’un probable enlèvement :

« La disparition » des membres de l’association a eu lieu à Bagdad le lundi 20 janvier 2020 non loin de l’ambassade de France. Normalement, l’organisme travaille uniquement avec les autorités du Kurdistan à Erbil. Les minorités chrétiennes ont en effet trouvé refuge en territoire kurde. Cependant, leur présence à Bagdad était uniquement d’ordre administratif. Il fallait s’enregistrer auprès des autorités irakiennes de Bagdad afin de débuter un projet financé par l’association.

L’Irak n’a jamais été un pays sûr pour un occidental. Depuis les années 80, le pays est en guerre. Pour l’Irakien, l’occidental est perçu automatiquement comme un potentiel ennemi, allié d’Israël et des États-Unis. L’Occident est de fait assimilé à un ensemble politique homogène.

Depuis l’assassinat du général iranien Qassem Souleimani le 3 janvier 2020 par un drone américain, la région est en ébullition. Les partisans de ce dernier promettent des représailles contre les intérêts occidentaux dans la région. Il est fort probable que les équipes de SOS Chrétiens d’Orient aient été enlevées par une milice chiite. L’éventuel enlèvement serait dicté par une volonté de pression sur les autorités occidentales pour cesser leurs ingérences en Irak. Dans le cas échéant, ceci serait plus souhaitable que si celui-ci avait été perpétré par Daesh, organisation terroriste pratiquant des exécutions sommaires. Dernièrement, des foules monstres se sont réunies à Bagdad pour demander le départ des forces américaines du pays.

En s’alignant automatiquement sur la politique américaine, la France met en péril son indépendance diplomatique et la sécurité de ses concitoyens travaillant sur place.

Pourquoi un tel silence ?

Depuis le 24 janvier 2020, date du communiqué officiel de l’association, aucune information supplémentaire n’a été dévoilée.

Selon le Quai d’Orsay, les membres de l’association ont disparu et n’ont pas été officiellement enlevés. Il est vrai qu’à ce jour, aucun groupe armé n’ait revendiqué l’enlèvement. Le directeur général de l’organisation, Benjamin Blanchard, indique cependant que « les autorités françaises et irakiennes se coordonnent pour retrouver leurs traces ».

Lors des prises d’otages, le gouvernement français utilise différents leviers afin de négocier avec les ravisseurs. Il est donc très probable que les renseignements français soient en étroite collaboration avec les renseignements irakiens pour mener à bien l’enquête et retrouver les ressortissants français. Dans certains cas, il est préférable que le gouvernement ne communique pas sur l’évolution des négociations. Cela se déroule discrètement afin d’éviter une médiatisation des groupes terroristes et pour préserver la sécurité des humanitaires.

De son côté, la presse n’a que faiblement relayé l’information. Elle a profité de cet évènement pour reprocher à l’association ses soutiens politiques et non pour relater la disparition tragique de 3 humanitaires français et de leur collègue irakien. En effet, les principaux médias mettent en avant les liens de l’organisation avec des milieux « d’extrême droite » et sa soi-disant lecture confessionnelle du conflit au Proche-Orient, visant à opposer Chrétiens et Musulmans.

Force est de constater que la défense de la cause chrétienne est principalement l’apanage d’un électorat de droite. On se rappelle en 2014, lors de la chute de la ville irakienne de Mossoul et de l’exil de milliers de famille chrétienne, les sympathisants de droite arboraient fièrement le ن sur les réseaux sociaux (les djihadistes utilisaient ن=noun, 25ème lettre de l’alphabet arabe, signifiant nazaréen pour persécuter les Chrétiens)

Mettre en exergue les affinités politiques, comme le font les journalistes, revient à politiser ce problème et à rendre dérisoire le sort des communautés chrétiennes auprès d’une partie de la société. Tout commentaire concernant le positionnement de l’association est hors-sujet et aberrant à l’heure actuelle.

Questionnement sur l’humanitaire en zone à risque :

Au Moyen-Orient, l’aide humanitaire est souvent perçue comme le bras social des interventions militaires. Les organisations internationales, sous couvert de démocratisation de la société, servent souvent les intérêts des puissances occidentales. En effet, l’interventionnisme humanitaire se pare de toutes les vertus sociales et humaines. Des bombes et des ONG simultanément pour remettre un pays « déviant » dans le droit chemin. Plus il y a d’interventions militaires, plus les organisations non gouvernementales prolifèrent. Ne sont-ils pas finalement les maillons d’une seule et même chaîne ?

Les réseaux humanitaires américains à l’instar des réseaux Soros ou Canvas, n’ont de non gouvernementales que le nom. Ils participent activement à la mise en place d’un agenda bien précis. Ils forment et imposent des politiques sociales en connivence avec leurs bailleurs institutionnels. Ces multinationales de l’humanitaire s’arrogent le droit d’ingérence et jouissent de tous les avantages que leur statut leur confère.

L’association SOS Chrétiens d’Orient n’est pas un mastodonte de l’humanitaire. Cette structure tente tant bien que mal de former un pont entre Orient et Occident sous le prisme de la religion. Au Moyen-Orient, la religion est omniprésente et représente un marqueur communautaire fort. De fait, chefs de missions et bénévoles présents sur le terrain participent activement à la liturgie locale.

 Elle apporte une aide aux populations majoritairement chrétiennes sans ingérence dans la politique du pays hôte. Les chefs de missions sont préalablement formés aux nombreux risques qu’ils encourent dans des pays tels que l’Irak ou la Syrie. De plus, ils connaissent parfaitement la géopolitique régionale. Dans les pays du Proche et Moyen-Orient, il est souhaitable d’épouser les coutumes locales (codes vestimentaires et linguistiques) pour éviter tout soupçon d’espionnage.

En effet, dans une région en guerre, tout occidental sera perçu comme un éventuel ennemi.

Aujourd’hui, l’aide humanitaire, justement décriée et calomniée pour ses connivences politiques est en pleine mutation pour faire respecter ses principes initiaux : humanité, neutralité, impartialité et indépendance.   

Bibliographie :