Partie 1 : le Sultanat Mamelouk, un puissant empire dirigé par d’anciens esclaves

Souvent reconnus uniquement pour leurs qualités guerrières, les Mamelouks ont pourtant dirigé un sultanat de 1250 à 1517. Nommés d’après le mot arabe « mamlûk » qui signifie littéralement « la chose possédée », les Mamelouks sont des esclaves affranchis à la fin de leur formation. Ce sont donc des allochtones ayant réussi à se hisser à la tête d’un État. À partir de 1250, date à laquelle le dernier sultan Ayyubide est assassiné, le sultanat Mamelouk s’est affirmé comme une véritable puissance.

Sur un territoire s’étendant de l’Egypte à la Syrie, en passant par le Hedjaz, ils parviennent à repousser de puissantes armées comme celle des Francs, ou encore celle des Mongols. Cependant ils ne parviennent pas à contrer les incursions ottomanes au XVIe siècle. Outre l’aspect militaire, de par sa géographie, le sultanat devient également un acteur commercial incontournable sur le pourtour méditerranéen.

Source: https://www.lhistoire.fr/les-mamelouks-des-esclaves-sur-le-tr%C3%B4ne

Qui sont les Mamelouks ?

Dès le califat abbasside (750 – 1517), les Mamelouks sont les cavaliers d’élites de différentes armées à l’exemple du sultanat ayyubide. Si les Mamelouks viennent initialement de tribus turques Qipchaq, ils sont essentiellement issus du Caucase à partir de 1382. C’est pour cette raison que les historiens retiennent traditionnellement un découpage en deux parties du sultanat Mamelouk avec une période « turque » ou « bahride » de 1250 à 1382, puis une période « circassienne » de 1382 à 1517.

Les Mamelouks sont achetés généralement à leur 7 ans. Les sultans ont la priorité de l’approvisionnement sur les marchés d’esclaves, mais ils ne sont pas les seuls acquéreurs: par exemple, les émirs achètent également ces esclaves. En raison de la formation rigoureuse qu’ils suivent, les Mamelouks ont un statut spécial. Ils sont formés dans les casernes (tibaq) de la citadelle du Caire. Leur éducation est un sujet surveillé par les sultans.Durant cette formation, ils sont convertis à l’islam, apprennent l’arabe et le Coran, ont une initiation au fiqh (la jurisprudence) et, à partir de 15 ans, apprennent les « arts de la guerre » (funun al-furusiyya).

La furusiyya, codifiée depuis le califat abbasside, doit « discipliner la violence des « gens du sabre » pour mieux en faire des ardents défenseurs de l’islam »[i]. Les Mamelouks acquièrent des compétences équestres, apprennent le maniement d’armes et des jeux comme le polo[ii].

Bien qu’affranchis, ils gardent un fort lien avec leur dernier maître puisque selon le droit islamique le maître et son ancien esclave sont liés par un lien de clientèle (wala’).

L’accession au trône, et les premières années au pouvoir :

Lors de la bataille de la Forbie en 1244 au Nord de Gaza, le Mamelouk Baybars parvient à battre les Francs, menant ainsi à la victoire du sultan Malik al Salih et du sultanat Ayyubide. Les conflits contre les Francs se multiplient, et l’Egypte apparait aux Francs comme un territoire stratégique pour récupérer les anciens États latins[iii].

En 1248, Louis IX à la tête de la septième croisade se dirige vers l’Egypte. Alors qu’il prend la ville de Damiette en juin 1249, le sultan Malik al Salih meurt peu après. Sa favorite Shajar al-Durr garde cette mort secrète en attendant l’arrivée de son fils Turan Châh. La bataille de la Mansourah en 1250 voit la capture du roi de France Louis IX.

Peu après, le dernier sultan ayyubide, Turan Châh, est assassiné par les Mamelouks de son père[iv]. N’ayant pas de descendant mâle, les Mamelouks décident de mettre sur le trône Shajar al-Durr (aussi appelée Walidat al-Khalil). Cependant, son règne s’avère assez court puisqu’il dure du 2 mai au 1250 au 30 juillet 1250, date à laquelle le calife abbaside al-Musta’sim refuse de la reconnaître. Les Mamelouks trouvent alors une autre solution : le 31 juillet 1250, l’émir al-Mu’izz Aybak se marie avec Shajar al-Durr, et devient sultan. Débute alors le Sultanat mamelouk.

Après les Francs, ce sont les Mongols qui sont redoutés dans le Monde musulman. Les Mamelouks parviennent à les battre lors de la bataille de Ayn Jalut le 3 septembre 1260, assurant une grande gloire au sultanat. Les sultans Aybak, puis Qutuz se succèdent sans parvenir à effacer l’influence de Baybars dans les plus hautes sphères de l’État. Ainsi, celui-ci, après avoir assassiné Qutuz, devient sultan.

L’arrivée de Baybars au pouvoir signe le début de l’organisation du Sultanat mamelouk. Sous son règne de 1260 à 1277, s’opère un véritable « virage politique inattendu »[v]. Dès 1261, Baybars s’assure de la légitimité du Sultanat en recevant du calife abbasside al Mustansir le titre de sultan universel. Il consolide les citadelles dévastées par les Mongols et crée un système de poste régulier lui permettant un contrôle plus efficace sur ses provinces et les émirs. Baybars termine la conquête de la Syrie et s’assure de son véritable contrôle sur cette nouvelle province au moyen d’inspections surprises. Enfin, il parvient à repousser durablement les Francs au cours de grandes offensives entre 1265 et 1271, qui se soldent par le siège de Tripoli au Liban.

Durant son règne, Baybars assure ainsi la protection des frontières, renforce l’État et achève la conquête de la Syrie. En jetant les bases de la pérennisation de l’État Mamelouk, Baybars s’assure une gloire au-delà de son sultanat.

Le sultanat Mamelouk : une politique entre intérêt personnel du sultan et intérêt collectif mamelouk 

Les Mamelouks ont un fort besoin de légitimité. C’est donc une réussite lorsque le calife abbasside reconnaît Baybars comme sultan universel en 1262. La même année, Baybars s’installe au Caire ce qui signe le début de la lignée des califes abbassides du Caire. Les Mamelouks s’octroient un autre levier important de légitimation en régnant aussi sur le Hedjaz et les lieux saints de Médine et de La Mecque.

Le sociologue Ibn Khaldoun, contemporain de l’époque des Mamelouks, voit dans ce sultanat les sauveurs de l’Islam et le considère comme l’État musulman le plus accompli de son époque[vi]. Les historiens du XIXème et XXème l’ont souvent décrit comme un lieu anarchique, régi par une violence structurelle. Les nombreux assassinats du pouvoir central auraient entraîné une hypothétique « Loi des Turcs » (âsat al-turk)[vii] justifiant les sanglants changements de sultan. Aujourd’hui, cette vision est largement remise en question par la majorité des historiens. S’il existe effectivement une certaine violence étatique (sur les cinquante sultans mamelouks ayant régné trente-six sont renversés ou assassinés), il ne faut cependant pas omettre que quinze sultans ont régné plus de dix ans, ainsi que la dynastie des Qalawunides de 1279 à 1382.

Les Mamelouks sont des allochtones, ils ne sont pas nés en Egypte ou en Syrie, mais réussissent pourtant à s’imposer au sommet de l’État. Ils ont développé une conception du sultanat propre. Celle-ci tient en son centre la tension entre volonté du sultan de transmettre le trône à sa descendance et le refus collectif des Mamelouks de transmettre leurs honneurs à des hommes n’ayant pas suivi leur formation[viii].

De surcroît, les émirs ont une place prépondérante dans l’État. Ils font parti de l’élite des Mamelouks. Ces derniers participent à l’organisation hiérarchisée et pyramidale voulue par le sultanat[ix]. Ainsi, ils ont un rôle de premier plan dans les provinces syriennes d’Alep et de Damas, mais également auprès du sultan.

Le sultanat Mamelouk oscille donc entre ambitions personnelles et défense d’une légitimité et d’un honneur primordial et non héréditaire. Ces deux volontés créent une expérience politique hybride qui voit s’enchaîner différents modes de succession. Stable dans un premier temps, le sultanat doit rapidement faire face à des troubles internes et des menaces extérieures et ce, dès le XIVe siècle.


[i] Loiseau Julien, Les Mamelouks, XIIIe-XVIe siècle : une expérience du pouvoir dans l’islam médiéval. Paris : Editions du Seuil, 2014, page 85.

[ii]Zouache Abbès, « Une culture en partage : la furûsiyya à l’épreuve du temps », Médiévales 64 [en ligne], printemps 2013, mis en ligne le 30 septembre 2013, consulté le 19 juillet 2020. URL :http://journal.openedition.org/medievale/6953

[iii] Ayalon David, Le phénomène mamlouk dans l’Orient islamique. Paris : Presses universitaires de France, 1996, page 68.

[iv] al-Dîn Ibn Wasil Jamal, Mufarrij al-Kurûb fî Akhbâr Bani Ayyûb (Le dissipateur des incertitudes autour de l’histoire des Ayyubides), éd. et trad. Francesco Gabrieli, Chroniques arabes des croisades, Paris, Sindbad, 1996 (première éd. 1963), p. 322-325

[v] Wiet, G., “Baybars”, in: Encyclopedia of Islam.

[vi] Ibn Khaldoun, Kitâb al-‘Ibar, V, Le Caire, 1867, page 371 I. 4-27 cité par Ayalon David, Le phénomène mamlouk dans l’Orient islamique. Paris : Presses universitaires de France, 1996, page 104.

[vii] Aillet Cyrille, Tixier Emmanuelle, Vallet Eric (dirs), Gouverner en Islam Xème- XVème siècle. Neuilly-sur-Seine : Atlante, 2014, page 261.

[viii] Jean-Léon l’Africain, Description de l’Afrique, vol. 2, p.253 cité par Loiseau Julien, Les Mamelouks, XIIIe-XVIe siècle : une expérience du pouvoir dans l’islam médiéval. Paris : Editions du Seuil, 2014 page 142.

[ix] Aillet Cyrille, Tixier Emmanuelle, Vallet Eric (dirs), Gouverner en Islam Xème- XVème siècle. Neuilly-sur-Seine : Atlante, 2014, page 267.

Partie II : Les Croisades (1095-1291) : le choc des civilisations ?

L’arrivée des croisés en Orient à la fin du XIe siècle chamboule les équilibres préétablis. La création des États latins au Levant et les exactions commises poussent les musulmans à se restructurer militairement. Initialement désunis, ils se rassemblent et se fédèrent sous la houlette des figures telles que Salah Al-Din, d’Al-Âdil, d’Al-Kâmil ou encore de Baybars. Par l’entremise de négociations, de sièges et de batailles, les troupes musulmanes reprennent peu à peu les territoires conquis. De leur côté, les croisés n’ont pas les moyens de leurs ambitions. Ils s’enlisent dans une entreprise coûteuse et périlleuse.

Cette période de chamboulement recèle d’interactions culturelles, religieuses et économiques. En dépit des antagonismes et des affrontements, l’Occident chrétien et l’Orient musulman se « découvrent ». À ce jour, les Croisades constituent le maillon initial d’une histoire tumultueuse entre les deux rives de la Méditerranée.

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La riposte musulmane 

Après l’humiliation de la première croisade et l’établissement des 4 États latins au Levant, le monde arabo-musulman renoue avec la notion de Djihad (guerre sainte) contre l’occupant. Dès 1144, le comté d’Édesse tombe entre les mains de l’émir Zanki, de la dynastie Seldjoukides. Cette perte importante fragilise l’économie et la cohésion des différents États chrétiens en Orient. Elle entraîne le déclenchement de la deuxième croisade, prêchée notamment par le moine Bernard de Clairvaux.

Cette seconde croisade est conduite par le roi de France Louis VII et l’empereur germanique Conrad III. Ils empruntent la même route terrestre que lors de la première croisade. L’objectif est de reprendre le comté d’Édesse aux Seldjoukides. Mais face à la résistance musulmane, les croisés décident de faire le siège de Damas, cité très riche et d’une importance stratégique. La ville est dirigée par la dynastie turque des Bourides, qui avait initialement refusé de s’opposer aux croisés. Malgré la dureté du siège, les habitants damascènes résistent et obligent les troupes franques à rebrousser chemin en 1148. Cette tentative se solde par un échec cuisant.

Auréolé de cette victoire, le monde musulman se fédère peu à peu et veut récupérer Jérusalem, troisième ville sainte de l’Islam. Néanmoins, l’Orient reste divisé. Sous la houlette de Noureddine, fils de l’émir Zanki, la Syrie est unifiée. Il envoie le jeune Salah Al-Din (connu en Occident sous le nom de Saladin) mettre fin à la dynastie fatimide en Égypte. Cette dynastie disparaît en 1171. Suite à la mort de Noureddine en 1174, Saladin s’autoproclame sultan et entend devenir le maître incontesté de l’Orient musulman. D’origine kurde d’Irak, il devient le fondateur de la dynastie des Ayyoubides.

Saladin se lance à l’assaut de la ville de Tibériade pour mettre fin aux exactions du baron Renaud de Châtillon. Ce dernier prévoyait même une expédition à la Mecque. Face à la débâcle des croisés, Guy de Lusignan, roi de Jérusalem, décide de venir en aide aux Francs. Conséquemment, Jérusalem se retrouve sans défense. Les troupes croisés et musulmanes se rencontrent à Hittîn. Les troupes franques sont encerclées et massacrées. Ainsi, Saladin entre victorieux à Jérusalem le 2 octobre 1187. Les chroniqueurs de l’époque mentionnent le comportement chevaleresque du souverain musulman ainsi que sa bonhommie[1]. En effet, il aurait laissé la vie sauve aux habitants chrétiens de la ville sainte. Il rétablit le culte musulman tout en conservant le culte chrétien. La reconquête de Jérusalem par les troupes musulmanes justifie l’appel à la troisième croisade.

Le sursaut des croisés

À l’annonce de la chute de Jérusalem en 1187, l’Angleterre, l’Allemagne et la France participent à une nouvelle expédition au Levant. Au cours de la traversée, l’empereur germanique Frédéric Ier Barberousse se noie dans les eaux d’un fleuve de Cilicie (Asie mineure), entraînant la dispersion de ses troupes.

Contrairement aux précédentes, la troisième croisade (croisade des rois) emprunte la voie maritime. Les navires italiens transportent les troupes et les cargaisons vers l’Orient[2]. Sous le commandement du roi d’Angleterre Richard Cœur de Lion et du roi de France Philippe Auguste, les troupes franques se dirigent vers Saint Jean d’Acre. Faisant le siège, les croisés finissent par s’emparer de la ville. S’ensuivent plusieurs négociations pour la libération des prisonniers musulmans en échange d’une forte rançon et de la rétrocession de la relique de la Vraie Croix. Essayant de gagner du temps pour rassembler le butin, Saladin impatiente Richard Cœur de Lion qui finit par massacrer les prisonniers. Quant à lui, le roi de France décide de retourner en Occident, laissant sur place 10 000 chevaliers[3].

Désormais seul, le roi d’Angleterre se lance à la conquête de Jérusalem. Or, Saladin entrave fortement sa progression avec la technique de la terre brûlée, obligeant ainsi Richard Cœur de Lion à négocier avec son frère Al-Âdil. Selon les chroniqueurs arabes, ces négociations voient naître une amitié entre les deux protagonistes. Les longues discussions aboutissent à une trêve militaire. Celle-ci stipule que la ville sainte reste aux mains des musulmans, qui s’engagent à garantir la liberté de pèlerinage. Quant à eux, les croisés contrôlent un territoire allant de Tyr à Jaffa. À la mort de Saladin en 1193, son frère Al-Âdil prend le pouvoir et instaure des relations plus ou moins pacifiques avec les États latins. Son fils Al-Kâmil épouse la même politique jusqu’en 1238.

La parenthèse de la quatrième croisade

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Cette croisade confirme les antagonismes et les contentieux entre les chrétiens d’Occident et les chrétiens d’Orient. Depuis plusieurs décennies, Venise s’impose comme une ville commerçante et entend accroître ses prérogatives sur la côte adriatique. Malgré l’objectif initial d’atteindre le Levant et de libérer le Saint Sépulcre, la quatrième croisade s’adonne au sac de Constantinople en 1204 et s’empare de la ville. De fait, les Byzantins sont chassés et se replient vers Nicée et Trébizonde.

Cette quatrième expédition parachève la division entre les deux églises. Elle ternit également l’image pieuse et intègre du chevalier croisé.

Le grand chamboulement

Lancée en 1215 par le pape Innocent III, cette cinquième croisade rassemble le duc d’Autriche et le roi de Hongrie. Ils décident d’attaquer Damiette, située à l’embouchure est du Nil. Les croisés veulent affaiblir l’Égypte avant de récupérer Jérusalem. La ville de Damiette tombe aux mains des croisés. Face à cette débâcle, le souverain Malik Al-Kâmil propose de restituer aux Latins l’ancien royaume de Jérusalem à l’exception de la Transjordanie. Forts de leur victoire, les croisés refusent et décident de marcher vers le Caire. Piégés par la crue du Nil, ils sont finalement contraints de rendre Damiette aux Ayyoubides.  

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La sixième croisade est le fait d’arme de l’empereur germanique Frédéric II en 1228. Après plusieurs négociations et contacts diplomatiques avec Al-Kâmil, il obtient la ville de Jérusalem, de Bethléem et de Nazareth sans avoir versé une goutte de sang. Jérusalem est reconnue ville sainte pour les deux religions. Néanmoins, ce succès n’est pas reconnu en Occident pour cause d’excommunication de l’empereur par le pape. À cette époque naît un contentieux avec le groupe des Templiers. Initialement ce groupe de moines combattants, fondé en 1118, devait défendre les pèlerins allant à Jérusalem. Peu à peu, ils constituent un contre pouvoir en s’arrogeant des fonctions financières et commerciales.

En 1244, la ville de Jérusalem est finalement reprise par les Khwarezmiens, tribu d’Asie centrale. La perte de la ville sainte déclenche la septième croisade en 1248. Sous le commandement du roi de France Louis IX, les troupes croisées tentent d’assiéger une seconde fois Damiette en Égypte. La ville se rend finalement le 6 juin 1248. Or atteint du typhus, le roi défait est contraint d’abandonner la ville et fut prisonnier. Il est libéré contre une importante rançon. À défaut d’avoir pu reconquérir Jérusalem, il se dirige à Saint Jean D’acre en 1250 où il réorganise les défenses de la ville avant de repartir en France, suite au décès de sa mère Blanche de Castille en 1254.

Les résidus des États latins sont peu à peu pris en étau par l’arrivée des hordes mongoles d’Hulagu (petit fils de Gengis Khan) qui pillent tout sur leur passage (sac de Bagdad en 1258) et par l’avènement de la nouvelle dynastie musulmane des Mamelouks. Le souverain mamelouk Baybars fait preuve d’intransigeance vis-à-vis des États latins qui l’ont pourtant aidé à repousser les Mongols lors de la bataille d’Aïn Jalout en Galilée en 1260. Le sultan Baybars reconquiert petit à petit toutes les possessions croisés. Nazareth, Bethléem, Césarée puis la place des Templiers à Beaufort tombent une à une.

La huitième et dernière croisade n’y change rien. Louis IX repart en expédition en 1270 et s’arrête à Tunis, où il compte christianiser le territoire et se servir de cette base arrière pour attaquer l’Égypte. Mais victime de la peste ou dysenterie (selon différentes sources), le roi de France meurt en 1270 à Tunis. Le souverain Baybars reprend son entreprise de dépossession des places croisés. Il conquiert la forteresse du Krac des Chevaliers. De plus, son successeur rase et massacre la ville de Tripoli. Le territoire croisé ne se limite plus qu’à la ville de Saint Jean D’acre. La dernière expédition militaire italienne rompt la trêve négociée avec les musulmans en 1272. Elle s’adonne aux massacres et rappelle les exactions et les crimes commis lors de la première croisade. Les croisés italiens tuent toutes les personnes portant une barbe, musulmans et chrétiens orientaux confondus.

Ce faisant, le sultan mamelouk Al-Achraf Al-Khalil fait le siège de Saint Jean D’Acre, poussant les derniers templiers et les derniers croisés à quitter la ville le 18 mai 1291. Dans l’empressement, ils se ruent sur les embarcations vénitiennes. Pleines, elles s’échouent sur les rivages. C’est ainsi, que se clôture l’épopée des croisades.

Cette rencontre, cette confrontation entre deux mondes demeure un souvenir douloureux pour l’Orient. L’image d’un Occident agresseur est entretenue au gré des époques. Les croisades nourrissent ainsi un sentiment de défiance entre les deux rives de la Méditerranée. Malgré les antagonismes et les affrontements, cette période constitue tout de même un enrichissement mutuel dans le commerce, les sciences et en théologie.

Bibliographie :

  • Michel Balard, « Croisades et Orient latin, XI- XIV siècle, Armand Colin, 2001
  • Anne-Marie Edde et Françoise Micheau, « L’Orient au temps des croisades », Flammarion, 2002
  • Amine Maalouf, « Les Croisades vues par les Arabes », J’ai lu, 1983

[1] https://www.lesclesdumoyenorient.com/Les-Croisades-1096-1291-le-choc-de-la-rencontre-entre-deux-mondes-2-3.html

[2] https://www.persee.fr/doc/ccmed_0007-9731_1967_num_10_39_1418?q=croisades

[3] https://www.lesclesdumoyenorient.com/Les-Croisades-1096-1291-le-choc-de-la-rencontre-entre-deux-mondes-3-3.html

Partie I : Les Croisades (1096-1291) : le choc des civilisations ?

Même si les Croisades datent du XIe siècle, elles demeurent un sujet de discordes et de controverses. Cette rencontre entre deux mondes, deux religions et deux cultures, ceux de l’Occident chrétien et de l’Orient musulman, continue d’attiser les passions et de susciter les craintes. Cette période constitue un bouleversement dans les consciences. En Orient, le souvenir des Croisades perpétue l’image d’un Occident agresseur. En Occident, ces expéditions guerrières répondent à une menace et sont justifiées et motivées officiellement pour la reconquête de Jérusalem et la protection des pèlerins.

Au Moyen-Orient, ce souvenir douloureux est actualisé au gré des interventions occidentales. On se souvient tous de Georges W. Bush  invoquant une croisade contre le terrorisme, au lendemain des attentas du 11 septembre 2001. Néanmoins, en dépit des actions militaires qui ont secoué le bassin oriental de la Méditerranée pendant deux siècles, cette période a vu naître des interactions culturelles et économiques.

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À la veille des Croisades :

À la veille des Croisades, le pourtour méditerranéen est divisé en 3 régions distinctes et subdivisées : l’Empire byzantin, l’Occident et le monde arabo-musulman.

L’Empire byzantin constitue la partie orientale de l’ancien Empire romain, déchu en 476. Depuis l’avènement de la nouvelle religion musulmane au VIIe siècle, l’Empire byzantin perd peu à peu les territoires orientaux. Affaibli, il se recentre sur l’Anatolie et la mer Égée. La défaite de Mantzikert en 1071, aux confins de la Turquie actuelle, parachève l’expansion des Turcs Seldjoukides en Orient et confirme le repli et l’affaiblissement des Byzantins[1]. De surcroît, la chrétienté ne forme pas un bloc homogène. En Orient, plusieurs églises répondent à une liturgie et une théologie différentes en s’interrogeant sur la nature divine. Or, la division est consumée avec l’Occident en 1054 suite au Grand schisme. Le contentieux sur la primauté du pape rompt l’unité de l’Église. Ainsi, deux groupes distincts s’opposent : les Orthodoxes d’Orient et les Catholiques d’Occident.

De son côté, l’Occident se compose d’une multitude de seigneuries et royaumes à superficie variable au gré des conquêtes. Après la chute de l’Empire romain en 476, les différents seigneurs se tissent des fiefs. Ils s’enorgueillissent tous d’être sous la protection de l’Église, qui incarne le pouvoir centralisateur et omnipotent de l’époque. À la veille des Croisades, la peur de l’An Mil s’empare de l’Occident. Il représente le millénaire de la mort du Christ (1033), censé punir le monde chrétien pour ses pêchés. Cette lecture exagérée fédère la chrétienté contre un potentiel ennemi commun.

Pour sa part, le monde arabo-musulman est en pleine expansion depuis l’avènement de la nouvelle religion. Après avoir conquis la péninsule arabique à la mort de Mahomet en 632, les troupes musulmanes s’emparent de la Syrie, de la Palestine et de l’Égypte. Jérusalem est conquise en 638. Ces conquêtes territoriales s’accompagnent généralement d’une islamisation des populations autochtones. Néanmoins, plusieurs minorités chrétiennes demeurent sur place. C’est le cas des maronites, des melkites, des syriaques, des chaldéens et des coptes. L’expansion territoriale est fulgurante. En l’espace d’un siècle, les musulmans sont aux portes de l’Occident chrétien à Poitiers en 732. Après l’apogée des premières dynasties Omeyades et Abbassides, le monde musulman est en proie à des divisions internes. À partir de 969, un califat fatimide, de confession chiite, voit le jour en Égypte et en Syrie. Ailleurs, les territoires sont morcelés en diverses entités politico-territoriales[2]. De plus, l’arrivée de populations nomades turcophones chamboule l’équilibre préétabli. Ces derniers embrassent le sunnisme et deviennent de redoutables adversaires de l’Empire byzantin. Ils forment la dynastie des Seldjoukides. Ainsi à la veille des croisades, une fracture très nette s’installe dans le monde musulman. Le pouvoir religieux est aux mains du Calife arabe de Bagdad, quant au pouvoir militaire, il est l’apanage du Sultan Seldjoukides.    

Les raisons officielles et officieuses des Croisades :

Pour justifier une telle entreprise, il est courant de citer l’appel à la Croisade du pape Urbain II en 1095 lors du concile de Clermont Ferrand. En analysant ce texte, on se rend compte que la partie dédiée à la lutte contre « l’infidèle » (le musulman) ne représente qu’une infime partie. En effet lors de ce concile, le pape met l’accent sur le respect du dogme, sur la conduite des prêtres et l’obligation du jeûne. Néanmoins, cet événement demeure le prétexte officiel et direct au début des Croisades[3].

Or, les raisons sont plus profondes. Depuis l’avènement de la nouvelle religion musulmane et sa fulgurante expansion vers l’Europe, l’Islam est un sujet de préoccupation pour l’Occident chrétien. Ce dernier entend défendre les frontières naturelles de la chrétienté. Les troupes musulmanes sont présentes en Corse, en Sicile, dans les Baléares et dans la péninsule ibérique où ils commettent plusieurs razzias[4]. De surcroît, l’empereur byzantin Alexis Comnène alerte l’Occident sur les dangers des troupes turques et arabes. En effet, depuis la défaite de Mantzikert en 1071, les pèlerins chrétiens ne peuvent plus se rendre dans la ville sainte de Jérusalem. Il informe également l’Occident sur le pillage et la destruction de l’Église du Saint-Sépulcre en 1009 par le calife fatimide Al-Hakim[5].

Face à cette menace existentielle, le pape Urbain II promet à ceux qui porteront la croix et qui participeront à ce pèlerinage armé l’absolution de leurs pêchés. La raison première invoquée est sans nul doute le recouvrement des droits pour le pèlerinage à Jérusalem. Or, la défense de la ville Sainte sert également de prétexte à une entreprise plus large, celle de lutter et de stopper l’expansion musulmane. De ce fait, prédicateurs et prêtres prêchent la guerre sainte dans les villages européens pour grossir les armées.

Cette notion de « croisade » n’est connue qu’à partir du XIIIe siècle. À l’époque, on parle de « voyage à Jérusalem » ou de « pèlerinage » en reprenant une sémantique guerrière et de conquête contre un ennemi (l’infidèle). À cheval et surtout à pied, l’aventure s’avère périlleuse. Par amateurisme et par excès de zèle, bon nombre de croisés perd la vie sur le chemin de l’Orient.

La création des États latins d’Orient :

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Très vite, l’annonce d’un pèlerinage en terre Sainte prend de l’ampleur en Occident. De nombreuses familles pauvres délaissent leurs conditions miséreuses et espèrent un avenir meilleur en Orient. Guidée par le prédicateur Pierre l’Ermite, la croisade des pauvres commet des massacres sur les populations juives en Europe centrale. Une fois arrivée en Anatolie, ils sont massacrés par les troupes turques[6].

La première croisade débute réellement en 1096 avec la participation de barons et chevaliers de renoms, à l’instar de Godefroy de Bouillon, de Baudoin de Boulogne ou encore de Raymond de Saint Gilles. Ils font une halte à Constantinople auprès de l’empereur byzantin, en lui promettant que les futurs territoires conquis seront sous son autorité. La croisade se transforme en une réelle entreprise de conquête. Une fois sur place, ils ne tiennent pas compte des accords passés avec l’empereur. En effet, ils se créent des États indépendants en Orient. Le comté d’Édesse est administré par Baudoin de Boulogne et la principauté d’Antioche est fondée par Bohémond de Tarente[7].

La ville de Jérusalem tombe aux mains des croisés le 15 juillet 1099. Selon les chroniqueurs de l’époque, les chevaliers chrétiens s’adonnent à des massacres, ne faisant aucune distinction entre les chrétiens orientaux et les musulmans. Godefroy de Bouillon s’empare du royaume de Jérusalem. Le dernier État latin à être fondé est le comté de Tripoli sur la côte libanaise. Aidé par des chrétiens maronites, Raymond de Saint Gilles érige une citadelle au cœur de la ville.

Ce faisant, la première croisade est une réussite politique et territoriale pour les croisés. En repoussant les musulmans dans les terres, ils se sont accaparés une bande littorale allant de l’Anatolie à Gaza. La survie de ces micros États dépend de l’aide matérielle et humaine envoyée par l’Occident. Ainsi plusieurs générations naissent en Orient, ils s’imprègnent de la culture locale, on les nomme les « Poulains ». Par méconnaissance de la région et de la culture, les nouveaux arrivants commettent plusieurs exactions qui dissuadent la majorité de leurs coreligionnaires orientaux de les rejoindre.

De leur côté, les troupes musulmanes, surprises par la première croisade, se sentent humiliées par un ennemi extérieur[8]. Depuis l’avènement de l’Islam, les musulmans n’avaient pas connu semblable défaite sur leur terre. C’est ainsi que la notion de Djihad refait surface. En opposition aux croisades, une lutte armée contre l’infidèle (le chrétien) est prônée. Conséquemment, deux mondes ultra-confessionnalisés se font face. L’un et l’autre se considèrent et se perçoivent comme des ennemis naturels. La période des croisades voit naître et se consolider des antagonismes politiques, territoriaux et religieux.


[1] Vincent Déroche, Vincent Puech, « Le monde byzantin 750-1204 », Atlande, 2007

[2] https://www.cairn.info/croisades-et-orient-latin–9782200264987-page-171.htm

[3] https://www.persee.fr/doc/efr_0223-5099_1997_act_236_1_6047

[4] https://www.persee.fr/doc/efr_0223-5099_1997_act_236_1_6067

[5] https://www.lesclesdumoyenorient.com/Les-Croisades-1096-1291-le-choc-de-la-rencontre-entre-deux-mondes-1-3.html

[6] https://www.persee.fr/doc/efr_0223-5099_1997_act_236_1_6067

[7] https://www.lesclesdumoyenorient.com/Les-Croisades-1096-1291-le-choc-de-la-rencontre-entre-deux-mondes-2-3.html

[8] Amin Maalouf, « Les croisades vues par les Arabes », J’ai lu, 1983