« L’axe de la résistance »: atout numéro 1 de l’Iran

Depuis la révolution islamique d’Iran en 1979, Téhéran cherche à étendre son influence au Moyen-Orient. Minoritaire dans une région majoritairement sunnite, Téhéran propose un discours aconfessionnel avec une rhétorique anti-américaine et anti-israélienne pour créer un réseau d’alliances hétérogènes.

Aujourd’hui plus que jamais, au lendemain de l’assassinat de Qassem Souleimani, véritable homme fort de la politique étrangère iranienne, l’Iran fédère un véritable axe déjouant les objectifs de Washington, de Tel-Aviv et de Riyad.

Changement de régime pour un changement de paradigme à l’échelle régionale :

Avant 1979, l’Iran était le principal allié des Etats-Unis et d’Israël dans la région, son armée était financée par Washington.

Au lendemain de la révolution iranienne, les nouveaux dirigeants iraniens ont épousé une logique tiers-mondiste et pro-palestinienne. En raison de son isolement politique, l’Iran a tenté de propager sa révolution à l’échelle de la région. Pour Téhéran, il fallait renverser les gouvernements alliés des occidentaux. Ce revirement spectaculaire a changé la donne régionale. Conduite, qui allait inévitablement être le prélude à de nouveaux affrontements dans la région. En effet, l’Irak de Saddam Hussein financé et armé par les monarchies du Golfe et par l’Occident entra en guerre contre l’Iran. Cette guerre dura 8 ans (1980-1988), se solda par un statu quo et engendra plusieurs centaines de milliers de morts dans les deux camps.

La Syrie d’Hafez Al-Assad est le premier soutien étatique de la nouvelle République islamique d’Iran. Téhéran s’appuie également sur les communautés chiites présentes dans la région (Irak, Bahreïn, Liban). Il s’agit donc pour l’Iran révolutionnaire, de créer un cadre politique et sécuritaire à l’ensemble de la communauté. 

Pour contrer cette aspiration, l’Arabie saoudite et ses alliés régionaux accusent l’Iran de vouloir constituer un croissant chiite pour dominer la région. Ainsi, ils tentent de confesionnaliser les tensions régionales pour faire de l’Iran chiite un ennemi héréditaire.

Le Hezbollah : véritable succès de la politique étrangère iranienne

La communauté chiite libanaise est marginalisée économiquement et politiquement. L’émergence de la révolution islamique d’Iran insuffle un espoir à toute une population. De plus, englué dans une guerre civile depuis 1975, le Liban n’arrive pas à s’opposer aux exactions israéliennes dans le Sud du pays. Dès lors, au début des années 80, l’Iran envoie des forces spéciales pour former les futurs cadres du Hezbollah et structurer militairement la communauté chiite.

Ceci se matérialise en 2006 par la défaite de Tsahal au Sud Liban. C’est une victoire à la fois militaire et psychologique contre une armée nettement mieux équipée. C’est un succès écrasant de l’Iran et du Hezbollah sur Israël.

Ce puissant groupe chiite s’est mué en une force politique majeure au Liban et en une milice redoutable dans tout le Proche-Orient. En effet, depuis le début de la guerre en Syrie en 2011, le Hezbollah apporte un soutien militaire conséquent au Président Bachar Al-Assad. Plusieurs cadres du Hezbollah forment et entrainent différentes milices multiconfessionnelles en Syrie et en Irak pour lutter contre les différents mouvements djihadistes.

Il a également contribué à la libération de nombreux villages chrétiens situés à la frontière syro-libanaise, le rendant populaire auprès de cette communauté.

Le mouvement chiite est la pièce maitresse de la politique étrangère de l’Iran. Il fait le lien entre Téhéran et Beyrouth en passant par Damas et Bagdad. Le secrétaire général du parti, Hassan Nasrallah, adopte une posture aconfessionnelle et une sémantique fédératrice. En réaction à l’assassinat de Qassem Souleimani, le chef du Hezbollah appelle à chasser l’armée américaine du Moyen-Orient.

Aujourd’hui, le Hezbollah sort aguerri de ses opérations au Moyen-Orient. Il a une capacité de nuisance qui déstabilise les objectifs israéliens. De plus, le poids politique du parti empêche les Etats-Unis d’arrimer le Liban sous sa tutelle, et ce malgré les diverses tentatives.

Présence iranienne en Irak et en Syrie :

Depuis l’arrivée de l’État islamique en Irak et en Syrie en 2014, « l’axe de la résistance » a été fragilisé. En effet, les voies terrestres reliant Téhéran à Beyrouth ont été coupées. De ce fait, les forces iraniennes d’Al Qods (unité d’élite des Gardiens de la révolution iranienne), menées par Qassem Souleimani et le Hezbollah ont entrepris une série d’opérations visant à lutter contre Daesh et à sanctuariser les territoires repris. L’Iran a formé de nombreuses milices majoritairement chiites en Irak. Ces milices (Hachd al-Chaabi) sont aujourd’hui redoutables et contrôlent plusieurs parties du territoire irakien.

Au lendemain de l’assassinat de Qassem Souleimani et d’Abu Mahdi al-Muhandes (leader d’une milice irakienne), toutes les forces chiites du pays se sont soulevées contre les ingérences américaines. Le parlement irakien a même demandé le retrait des troupes américaines de son territoire. Demande qui ne sera probablement pas satisfaite, les Américains ne veulent pas laisser l’Irak sous influence iranienne.

En Syrie, les forces iraniennes, le Hezbollah avec l’appui de la Russie et l’armée régulière de Bachar Al-Assad ont libéré plusieurs grandes villes du pays (Homs et Alep). Le maintien du Président syrien au pouvoir, est une condition sine qua non de la survie de « l’axe de la résistance », afin qu’il puisse s’inscrire dans la durée. De surcroît, avec le soutien de plusieurs milices chrétiennes, voire sunnites, l’Iran veut faire la jonction entre un chiisme politique et la défense du nationalisme arabe.

Hamas : l’influence iranienne en Palestine

La présence d’Ismaël Hanniyeh, chef du Hamas, aux obsèques de Qassem Souleimani à Téhéran démontre les bonnes relations entre les deux entités. La résistance islamique à Gaza est en partie financée par l’Iran.

Dans la rhétorique iranienne, l’objectif final est la libération de la Palestine. De plus, en appuyant et en finançant le Hamas, l’Iran nuit aux intérêts israéliens et gagne la sympathie de la rue arabe. En effet, la Palestine reste une cause fédératrice pour la majorité des habitants de la région.

Les Houthis : force de déstabilisation des monarchies du Golfe

Depuis 2015, le Yémen est en proie à une guerre abominable. Elle oppose une coalition arabe menée par les monarchies du Golfe et le pouvoir central yéménite aux Houthis, groupe rebelle aidé financièrement et logistiquement par l’Iran

Les Houthis, et ce malgré l’important dispositif militaire mobilisé par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, infligent plusieurs pertes à cette coalition. En septembre dernier, l’attaque contre deux sites pétroliers de la compagnie ARAMCO a paralysé en partie l’économie saoudienne et entraîné la hausse du prix du baril de pétrole.

Bien qu’inférieurs aux Américains, les Iraniens disposent d’un réseau d’alliances protéiformes dans toute la région. Les différentes milices constituent donc une force de dissuasion et de renseignement non négligeable pour la politique étrangère iranienne. Cet « axe de la résistance » nuit aux intérêts américains, saoudiens et israéliens au Moyen-Orient.

L’élimination préméditée de Qassem Souleimani est un véritable acte de guerre contre l’Iran. Compte tenu de la posture martiale et anti-iranienne de la Maison Blanche, tous les scénarios sont envisageables. Pourtant, le 7 janvier 2020, des missiles iraniens ont étonnamment frappé deux bases américaines en Irak, sans la moindre réaction américaine. Jeu de dupes ou manque de stratégie à long terme de la part du Pentagone ?

Bibliographie :

  • Laurence Louër, « Chiisme et politique au Moyen-Orient », Tempus, 2009
  • Robert Baer, « Iran : l’irrésistible ascension », Folio, 2009
  • Mohammad-Reza Djalili, Thierry Kellner, « L’Iran en 100 questions », Tallandier, 2016

Que veulent les Américains au Moyen-Orient ?

Le récent assassinat, le 3 janvier 2020, du chef des forces iraniennes d’Al Qods, Qassem Suleimani, corrobore l’omnipotence des Etats-Unis au Moyen-Orient. Quand leurs intérêts sont en danger, ils agissent à leur guise, faisant fi du droit international. Les pays de la région n’ont pas attendu l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche pour subir les ingérences américaines.

Depuis un siècle, les Etats-Unis s’immiscent régulièrement dans la région pour diverses raisons. Initialement économiques, les desseins du Pentagone évoluent à l’aune de la conjoncture. Gendarmes du monde pour les uns, fossoyeurs des nations indépendantes pour les autres, aujourd’hui le rôle de la première puissance militaire mondiale est plus que jamais contesté. L’unilatéralisme américain sème le désordre et pousse la région vers des conséquences ravageuses. Il est impératif de revenir sur les déboires de la politique américaine au Moyen-Orient.  

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L’or noir comme prétexte d’ingérence :

Dès les années 30, les Américains s’intéressent à la région. Ils nouent des relations commerciales avec le jeune royaume saoudien pour le forage et l’extraction du pétrole dans l’est du pays. Le pétrole étant un commerce juteux, les Etats-Unis investissent durablement en Arabie Saoudite, au point de signer un consortium avec la première compagnie du pays ARAMCO (Arabian American Oil Company) en 1944. Dès lors, le régime saoudien est devenu le premier partenaire des Etats-Unis dans la région. Bien que diamétralement opposés, ces deux pays partagent les mêmes objectifs: la lutte contre le nationalisme arabe inféodé à l’Union soviétique.

Depuis la chute du bloc communiste en 1989, les Etats-Unis règnent sur l’échiquier mondial. Cette domination se traduit par l’intervention militaire unilatérale en Irak en 2003. Intervention injustifiée pour des raisons erronées, ayant conduit à la destruction de tout un pays. En effet, l’Irak de Saddam Hussein ne détenait pas des armes de destruction massive et ne finançait pas la mouvance terroriste d’Al Qaeda. Officieusement, les Américains sont intervenus pour évincer le Président irakien, vassaliser le pays et profiter de ses ressources pétrolières.

Aujourd’hui encore, le pays est ruiné, l’anarchie et le confessionnalisme ont supplanté le rôle de l’État. Les Etats-Unis entretiennent ce chaos pour s’implanter durablement dans la région. En effet, après avoir retiré ses soldats d’Irak en 2011, ils sont de nouveau renvoyés en 2014 pour contrer l’avancée de Daesh. Cette entité terroriste, profite et prospère suite aux conséquences de l’intervention américaine de 2003.

La logique américaine est d’imposer une « pax americana » à l’ensemble de la région. Tout pays qui s’y oppose est sujet aux pressions militaro-économiques.

Depuis 2011, la Syrie, alliée indéfectible de l’Iran, et riche en hydrocarbures à l’est du pays subit de nombreuses ingérences. En effet, l’opération de la CIA « Timber Sycamore » a financé des milliers de « rebelles » pour chasser Bachar Al-Assad et fragiliser « l’axe de la résistance ». Axe qui relie Téhéran à Beyrouth en passant par Damas.

Récemment, Donald Trump, dans son style transparent et erratique, a précisé que les troupes présentes en Syrie étaient là uniquement pour sécuriser les puits de pétrole.

Un soutien inconditionnel à Israël :

Depuis la création de l’État d’Israël en 1948, les Etats-Unis se posent en protecteur de la nouvelle nation. La sécurité de l’État hébreu est une question de politique intérieure américaine. En effet, le puissant lobby sioniste AIPAC (Amercain Israel Public Affairs Committee) oriente la stratégie américaine au Moyen-Orient. Même l’ancien Président Barack Obama, n’étant pas considéré comme « ami » d’Israël, a octroyé avant son départ une aide de 38 milliards de dollars sur 10 ans. Cette aide sert notamment à la modernisation de Tsahal (armée israélienne) et de ses services de renseignements.

L’administration américaine épouse la logique « schmitienne » : l’ennemi de mon allié est mon ennemi. L’exemple égyptien en est symptomatique. Dans les années 50, l’Égypte de Gamal Abdel Nasser était le principal ennemi d’Israël. Après la signature des accords de paix de Camp David en 1978-1979 entre les deux pays, le Caire passe sous protection américaine. À ce jour, l’armée égyptienne est financée en grande partie par les Etats-Unis.

Dès que les pays arabes signent la paix avec Israël, ils bénéficient de l’aide américaine.

C’est également le cas de la Jordanie à partir de 1994. Le cas des monarchies du Golfe est plus complexe. L’entente avec Israël n’a pas encore donné lieu à une signature officielle. Néanmoins, les relations et collaborations sont de plus en plus fréquentes entre les pays du Golfe et l’État hébreu. Alliance, qui se fait au détriment de la cause palestinienne et ce malgré les discours en apparence unitaire et solidaire. Les pays alliés aux Etats-Unis abandonnent donc toute velléité à l’égard d’Israël.

Aujourd’hui, l’axe de Téhéran à Beyrouth devient la seule véritable opposition contre les intérêts américains et israéliens dans la région.

La lutte contre l’Iran :

La République islamique d’Iran est devenu depuis 1979 le meilleur ennemi du Pentagone. Cette rivalité est un prétexte à encore plus de surenchères guerrières, à une militarisation accrue de la région et donc, à un commerce très rentable pour le premier pays exportateur d’armes au monde. À lui seul, l’Iran et ses relais locaux déjouent les plans de Washington. Aujourd’hui, deux axes bien distincts s’opposent dans la région ; un axe pro-américain qui regroupe les pays du Golfe et Israël et l’axe iranien qui est un ensemble d’alliances hétéroclites présent en Syrie, en Irak, au Liban, au Yémen et en Palestine.

Tant que l’Iran ne se soumettra pas aux intérêts américains, le pays des mollahs subira des pressions militaro-économiques.

Le mauvais élève de la région contrarie les plans américains. Pourtant, en Syrie et en Irak, l’Iran a combattu Daesh et tous les groupuscules terroristes. Contrairement à ce qui est évoqué dans les médias traditionnels, la politique iranienne n’est pas uniquement basée sur une logique d’expansion pan-chiite. Ils ont libéré de nombreuses zones chrétiennes dans la plaine de Ninive en Irak, et dans les régions d’Alep et de Homs en Syrie.

L’Iran étend ses capacités de nuisances au Moyen-Orient. En finançant le Hezbollah libanais et le Hamas, l’Iran devient le principal ennemi d’Israël.  

De surcroît, cette tension permanente avec l’Iran est à replacer à l’échelle mondiale, celle de la guerre commerciale américano-chinoise. En effet, l’Iran souhaite contourner les sanctions économiques imposées par Washington en se rapprochant de la Chine. La Chine est le premier partenaire commercial de la République islamique d’Iran. Dans une nécessité de « dédollarisation », l’Iran vend son pétrole et son gaz en yuan et non en dollar.

En assassinant le numéro 2 iranien, les Américains veulent savoir jusqu’où l’Iran est prêt à aller dans l’escalade des tensions. Cette élimination, à l’instar de celle de Ben Laden en 2011, répond à une logique électorale. En tuant, l’homme de main de la politique étrangère iranienne, Donald Trump sait pertinemment qu’il vient de lancer sa campagne présidentielle.

Au lendemain de la mort de Qassem Souleimani, les principaux dignitaires iraniens promettent une vengeance sanglante. Pour l’image d’un Iran résistant et opposé aux intérêts américains dans la région, il faut une réponse, aussi symbolique soit-elle.

Dès lors, tous les regards sont tournés vers l’Iran. Washington attend et place Téhéran en porte-à-faux. Tout agissement mal intentionné aura de très graves répercussions sur l’ensemble de la région.

Bibliographie :

  • https://www.monde-diplomatique.fr/1989/08/HALIMI/9427
  • Maxime Chaix, « La guerre de l’ombre en Syrie », Erick Bonnier, 2019
  • Ahmed Bensaada, « Arabesque$ », Investig’Action, 2015
  • John Mearsheimer, Stephen M. Walt, « Le lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine », Broché, 2009

Le retour en grâce de Bachar Al-Assad ?

Malgré les huit années de guerres, le maintien d’une poche djihadiste dans la région d’Idlib et le durcissement des sanctions occidentales, le régime de Bachar Al-Assad semble renaître de ses cendres. De plus en plus fréquentable aux yeux de ses voisins arabes, Damas sort peu à peu de son inertie diplomatique.

I- Une longue mise à l’écart

Dès novembre 2011, sous la pression des Etats-Unis et de l’Union européenne, la Syrie avait été suspendue de la Ligue arabe. En parallèle, la majeure partie des voisins arabes avait fermé leurs ambassades en raison de leur soutien officiel à la rébellion syrienne. Le Qatar et l’Arabie Saoudite étaient les principaux bailleurs des différentes mouvances djihadistes en Syrie. Seul le Liban avait maintenu ses frontières ouvertes avec la Syrie, nonobstant l’afflux massif de réfugiés dès 2012. L’Irak, embourbée dans la lutte contre l’État islamique, avait tant bien que mal conservé des relations avec son voisin baathiste[1].

Depuis la libération d’Alep en novembre 2016, des pourparlers au sein des chancelleries arabes avaient laissé sous-entendre un possible dégel des relations avec Damas. Après la reprise de la quasi-totalité du pays par l’armée syrienne et ses alliés, les régimes du Golfe savaient qu’ils avaient perdu le pari du « regime change »

II- Renforcement des alliances préexistantes

Pour autant, c’était une victoire à la Pyrrhus pour le pouvoir syrien. Il a, certes, consolidé les alliances d’hier, mais il était englué dans un isolement diplomatique. C’est l’ancien Président soudanais, Omar el Béchir, qui brisa cette apathie arabe envers Damas. Ce dernier s’est rendu en Syrie en décembre 2018. Il devait être suivi le mois suivant par le Président mauritanien, Mohamed Ould Abdel Aziz, mais en raison des pressions américaines, la visite a été ajournée[2]. En février dernier, le chef de la sécurité nationale syrienne s’est rendu au Caire. Quant à lui, le Président du parlement était en voyage à Amman en Jordanie pour un congrès panarabe. D’ailleurs, Damas a reçu les chefs d’états-majors iraniens et irakiens pour consolider « l’axe de la résistance » face au terrorisme. La réunion a été suivie de très près par les Israéliens et les Américains.

De surcroît, le voyage de Bachar Al-Assad à Téhéran en avril 2019 a sanctuarisé un peu plus cette alliance protéiforme. Les deux pays ont signé une série de 11 accords, dont un sur la future gestion du port de Lattaquié au profit de l’Iran[3]. Cet accord vient parachever la réussite de la politique perse au Levant. Le port de Lattaquié est une aubaine pour l’Iran qui doit faire face aux embargos occidentaux. En effet, des marchandises iraniennes pourront être acheminées en mer Méditerranée.

Compte tenu de l’influence grandissante iranienne au Levant, les pays du Golfe s’activent pour renouer des relations avec Damas. La réouverture de la frontière jordanienne en octobre 2018 et les récentes réouvertures des ambassades émiratis et bahreïnis en janvier 2019 s’inscrivent dans cette logique. Le Président libanais, Michel Aoun a proposé de créer un fond d’investissement arabe pour la reconstruction de la Syrie[4]. Il a milité avec l’Irak pour un retour de Damas au sein de la Ligue arabe. En raison des nombreuses tensions qui planent sur le monde arabo-musulman, ces appels sont restés sans suite.

III- Une opposition occidentale qui perdure

L’Occident reste en retrait en dépit des déboires d’une politique jusqu’au boutiste. Non seulement, les Etats-Unis et l’Europe ont fait le choix d’une politique sunnite au détriment d’une indépendance et d’une neutralité souhaitable. Mais aujourd’hui, le renforcement des sanctions est là pour rappeler que leurs objectifs ne sont pas atteints. Les aides occidentales imparties à la Syrie concernent uniquement les régions non contrôlées par Damas[5].

Deux blocs bien distincts se sont formés suite au conflit syrien. La fracture s’est accentuée. Le monde dominé par Washington et ses différents relais locaux s’oppose à une vision multilatérale. Même la Chine, très discrète jusque là, a réaffirmé son intention de participer à la reconstruction de la Syrie, en s’abstenant d’ingérences politiques. Bien qu’ayant des objectifs parfois opposés (Russes et Iraniens notamment), les alliés du gouvernement syrien scellent un axe « anti impérialiste ».

Quant au voisin turc, il ne nie aucunement ses intentions et ses desseins panturquistes. La lutte contre le YPG kurde dans le Nord de la Syrie n’est qu’un prétexte pour s’ingérer dans les affaires syriennes. Le lent départ des forces américaines du Nord-Est de l’Euphrate laisse les Turcs seuls face aux milices arabo-kurdes. Intrinsèquement divisés, ces milices doivent faire un choix ; soit elles doivent retourner dans le giron de l’armée gouvernementale syrienne et délaisser leur volonté indépendantiste, soit, elles risquent d’être occupées par l’armée turque. Participant respectivement aux sommets d’Astana en novembre 2018 et de Sotchi en février 2019 pour le règlement politique et militaire en Syrie, la Turquie n’entend pas faire de concession à Damas.

IV- Vers un retour progressif de la diplomatie syrienne au Moyen-Orient ?

Forcées d’admettre la victoire militaire du régime syrien, les chancelleries arabes ont débattu le 31 mars dernier à Tunis, lors du 30ème sommet de la Ligue arabe, sur le potentiel retour de la Syrie comme membre de l’organisation. Le Président tunisien, Beji Cadi el Sebsi, a déclaré : « les chefs d’États meurent, les nations restent »[6]. Malgré son absence, la Syrie a été au cœur des discussions. L’annonce programmée et non fortuite de Donald Trump en avril dernier sur la souveraineté israélienne du Golan, a ravivé un discours d’appartenance panarabe. La condamnation est catégorique et officiellement non négociable selon les différentes chancelleries.

La conjoncture régionale rappelle tant bien que mal le bien fondé de la Ligue arabe. Initialement cette organisation devait faire bloc contre toutes formes d’ingérences d’un pays tiers. Les exactions israéliennes en Palestine et les violations territoriales sur l’un des pays membre font l’objet de discours en apparence unitaire. En raison de l’annonce hasardeuse de l’administration américaine sur le Golan, Damas redevenait « fréquentable » pour ses voisins arabes. À ce sujet, la presse libanaise avait évoqué la possibilité d’une visite présidentielle de Michel Aoun à Damas dans les prochains mois. Pour autant, ce retour diplomatique, source de nombreuses tensions régionales, n’est qu’à une phase embryonnaire.

Aujourd’hui, asphyxiée par les sanctions, l’économie syrienne est littéralement exsangue. Or, Bachar Al-Assad, conscient des difficultés internes, tente de sortir son pays de l’autarcie diplomatique et économique avant les prochaines échéances politiques, prévues à la fin de son troisième mandat en 2021.


[1] Il s’agit du parti Baath, créé par Michel Aflak en 1947 en Syrie. Le slogan du parti est « unité, liberté, socialisme », il reprend soigneusement les thèmes du panarabisme du siècle dernier. Ce parti arrive au pouvoir en 1963 en Syrie sous la houlette de la famille Assad et en 1968 en Irak avec le règne de Saddam Hussein. Le parti Baath fera l’objet d’un article détaillé prochainement.

[2] http://www.lefigaro.fr/international/2019/02/26/01003-20190226ARTFIG00257-l-amerique-et-l-europe-frappent-la-syrie-au-portefeuille.php?fbclid=IwAR3iHy9NmqtOEvc0kgpnwHCmiBfslAZCxh48eOAO8x12Qg6EuTWP59zJj60

[3] https://www.lorientlejour.com/article/1162866/liran-sinstalle-a-lattaquie-la-russie-voit-rouge.html?fbclid=IwAR2BeEUUmKyYPR_Cmau83XKsAiyA9gXDnjGBgweRNfWFbO98_OHC9csFdEY

[4] https://www.lorientlejour.com/article/1153468/sommet-economique-aoun-propose-une-strategie-de-reconstruction-pour-le-developpement-des-pays-arabes.html

[5] https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/syrie/soutien-au-peuple-syrien-dans-le-nord-est-de-la-syrie-la-contribution-de-la/

[6] https://arabic.sputniknews.com/arab_world/201903281040087439-الرئيس-تونس-عودة-سوريا-الجامعة-العربية/

Non, en Syrie, la guerre n’est pas finie !

Après huit années de conflits aux multiples facettes, le redressement de la Syrie est encore lointain. Les ingérences perdurent, les poches de djihadistes sont encore présentes, et ce malgré le silence complice des médias occidentaux. Récemment, en raison de l’offensive sur Idlib, les États Unis accentuent et durcissent les pressions diplomatiques et sanctions économiques sur Damas et ses alliés.

Un quotidien ordinaire?

Il est vain de penser que la page de la guerre est tournée. L’illusion d’une vie normale n’est que le miroir des aspirations syriennes. Pourtant, il est vrai, la vie reprend son court dans une majeure partie de la Syrie. Les habitants, habitués à l’insécurité et aux bombardements, renouent tant bien que mal avec leur quotidien d’antan. Les bars et les restaurants réouvrent progressivement et la coexistence communautaire semble demeurer intacte. Leur hantise est de connaître le scénario libanais avec sa stricte division territoriale et religieuse. De nombreux habitants me témoignent avec fierté et attachement « avant la guerre, la Syrie était un paradis ». Enracinée dans un patriotisme viscéral, la population des villes veut faire fi des horreurs de la guerre. Aujourd’hui, force est d’admettre que la solidité du gouvernement syrien réside dans la nostalgie de son peuple. Nostalgie alimentée par un discours baathiste bien rodé sur l’unité arabe et contre l’impérialisme “americano-sioniste”. Damas manie à la perfection la démagogie orientale. La sémantique est précise et reprend soigneusement les problématiques fédératrices régionales.

Cependant, et c’est là que réside le cœur du problème, la guerre est loin d’être terminée. Les lois d’amnisties ne sont qu’un leurre. Les populations ayant résisté avec l’aide de l’armée syrienne se voient aujourd’hui contraintes de tendre la main à leurs ennemis d’hier. Pour la plupart d’entre elles, c’est un coup de couteau dans le dos. Mais le gouvernement peut il faire autrement, s’il souhaite sanctuariser son territoire au détriment de sa politique des minorités ?

Une résistance djihadiste entretenue

Aujourd’hui, la communauté internationale et ses relais locaux sont pointés du doigt par une population à bout de souffle dans les régions limitrophes d’Idlib. Le dernier bastion terroriste n’est pas tombé comme s’en vante la presse internationale. Il est encore massivement présent dans la banlieue et campagne d’Idlib, qui s’étend à l’est vers Alep, à l’ouest vers Lattaquié, au Sud vers Hama et au Nord sur la frontière turque. Selon les habitants environ 50 000 djihadistes résident encore dans cette région, majoritairement issus de la mouvance de Hayat Tahrir al-Sham (anciennement Al-Nosra). Ces derniers violent régulièrement les cessez-le-feu qu’ils ont eux-mêmes demandés par le biais de la Turquie. Cette zone est quadrillée par des postes d’observations, à l’intérieur du côté djihadiste par les Turcs et à l’extérieur par les Russes et ce à la demande du gouvernement syrien.

Depuis le lancement de l’offensive russo-syrienne sur la localité d’Idlib en avril dernier, de nombreux villages ont été repris par les forces armées syriennes. C’est le cas de plusieurs villages chrétiens de Mhardé et de Squellbiyé ainsi que des zones alaouites et ismaéliennes qui ont fait l’objet d’importantes pertes civils et matériels. Subissant les bombardements aléatoires depuis le début du conflit, ces zones ont formé différentes milices pour suppléer le rôle de l’armée afin de se défendre. « Les forces de défense patriotique », milice chrétienne, défendent héroïquement leur ville. Ils reçoivent officiellement l’aide russe et officieusement l’aide iranienne. À peine plus âgés que 20 ans, les miliciens ont du abandonner leurs études ou leurs travails pour prendre les armes. Durant 8 ans, ils ont empêché la jonction entre Idlib et la ville d’Hama, principal foyer des Frères musulmans en Syrie.

Certains civils regrettent le temps d’Hafez Al Assad, affirmant qu’avec lui, la guerre n’aurait duré qu’un mois. Certains me confirment avec véhémence « à cause des puissances occidentales, cette guerre dure depuis 8 ans, et elle a fait plus de 350 000 morts, en 1982 il y avait pas les droits de l’Homme pour s’ingérer dans notre pays ». En effet, dès que les djihadistes d’Idlib se sentent acculés, ils font pression sur leurs parrains turcs pour imposer un énième cessez le feu. Monsieur Simon, chef de guerre dans le village de Mhardé, déclare « depuis 2016, on peut les renvoyer jusqu’à la frontière turque ». Le dénouement du conflit dépend plus du bon-vouloir des grandes puissances que des forces en présence. Malheureusement pour les Syriens, certaines puissances ont intérêt à ce que le conflit s’éternise.

Dernièrement, le Président américain, Donald Trump a ordonné l’arrêt immédiat des combats à Idlib sous peine d’une réponse violente de la part du Pentagone. Pourtant, aujourd’hui, force est d’admettre que les affirmations des dirigeants occidentaux ne font pas preuve. Récemment, Wikileaks a révélé des documents qui démentent catégoriquement les mensonges sur l’attaque chimique de 2018 à Douma. Prétexte fallacieux qui avait donné lieu aux bombardements de la Syrie en avril 2018 par les États-Unis, la France et la Grande Bretagne.

La Syrie est l’exemple contemporain d’une guerre de l’informations. Par le biais des relais locaux et des réseaux sociaux, deux versions se font face. Deux grilles de lectures totalement opposées modèlent les relations internationales. D’un côté les médias occidentaux, dans une posture droit de l’hommiste et émotionnelle, montrent en boucle les nombreux habitants fuyant les bombardements d’Idlib pour incriminer Bachar al Assad et de ses alliés. De l’autre, les médias russes, iraniens et certaines chaînes arabes, dans une logique de pure realpolitik, stipulent que cette offensive russo-syrienne vise à annihiler la dernière menace terroriste présente en Syrie.

Des sanctions qui accentuent la crise.

La récente réouverture de l’ambassade Emiratis à Damas, suivie prochainement de celle du Bahreïn n’est qu’un nouveau repositionnement stratégique. La course aux investissements étrangers est lancée. Le Golfe ne veut pas rater une occasion de contrarier les intérêts iraniens au Levant.

L’histoire se répète. La stratégie néoconservatrice américaine refait des siennes avec le scénario syrien. Bachar Al Assad est toujours Président de la République arabe syrienne. Or l’administration de Donald Trump, sous la pression de l’AIPAC (American Israel Public Affairs Committee), suivie par les Européens et les principales monarchies du Golfe, veut asphyxier économiquement la Syrie par le jeu des sanctions. À l’instar des sanctions imposées à l’Iraq dans la décennie 90, ces dernières ont pour conséquence d’appauvrir le peuple à défaut de faire tomber son Président.

En plus de ne pas jouir pleinement de l’intégralité de ses zones pétrolières, la Syrie subit de plein fouet une augmentation des prix du pétrole et du gaz. Pourtant, le Nord-Est syrien est riche en or noir. Toutefois, cette région est toujours contrôlée par les milices arabo-kurdes et massivement soutenues par les Occidentaux qui y maintiennent des forces spéciales. Dès que l’armée gouvernementale syrienne tente de se rapprocher de la région au Nord-Est de l’Euphrate, elle subit des raids aériens sur ses positions.

Dans son style erratique, le Président américain, Donald Trump a le mérite de parler à visage découvert. Il a affirmé que la présence de troupes américaines en Syrie était principalement liée au contrôle des puits de pétrole.

Tout comme le dossier iranien, les sanctions occidentales n’ont pas l’effet escompté. Le peuple ne se retourne pas massivement contre son gouvernement. Conscients des difficultés sociales et économiques, les habitants connaissent les tenants et les aboutissants des sanctions. Dans une région aussi instable que le Moyen-Orient, les ingérences ont façonné le cours des deux derniers siècles. Cette sémantique anti-occidentale est reprise par les relais médiatiques locaux, à l’instar de l’agence de presse officielle du gouvernement syrien Sana ainsi qu’Al Manar et Al Mayadeen, respectivement proche politiquement de Téhéran et de Damas. C’est un sujet quasi-consensuel, les Syriens affirment que « Les États-Unis et leurs alliés veulent créer une deuxième révolution parce qu’ils n’ont pas réussi avec la première ».

Une chose est sûre, « l’axe de la résistance », de Téhéran à Beyrouth en passant par Damas, sape les objectifs de l’alliance Riyad- Washington- Tel-Aviv. Les sanctions sont là pour rappeler que l’administration américaine agit à sa guise quand ses intérêts sont en danger, quitte à étouffer les populations locales…

Le pacte Quincy: L’ossature de la politique étrangère saoudienne depuis 1945 ?

Dans les faits, cette alliance contre nature est peu connue du grand public. Le 14 Février 1945, l’administration américaine parachève son entrée dans les affaires orientales par le biais d’un pacte tronqué par l’Histoire avec la monarchie saoudienne. Pied de nez à la couronne britannique, qui s’intéressait depuis plusieurs décennies aux gisements pétroliers, c’est l’acte fondateur de la politique arabe américaine.

Retour sur un pacte historique :

Au lendemain du démantèlement de l’Empire ottoman en 1918, les Britanniques dominent le Golfe arabo-persique. Les sociétés anglaises imposent aux différents émirats locaux de commercer uniquement avec Londres. Or, ces compagnies commerciales se désintéressent du désert saoudien. C’est dans les années 20 qu’une petite compagnie américaine débute l’exploitation des gisements pétroliers de Hasa.

Soucieux de leur approvisionnement en pétrole, les Américains nouent des relations de plus en plus régulières avec le régime saoudien. En 1933, l’Arabie saoudite accorde des concessions pétrolières à la Standard Oil Company of California. Dès 1944, ils signent un consortium pour l’exploitation exclusive de l’or noir du royaume, c’est la création de la fameuse Aramco (Arabian American Oil Company).

C’est au retour de la conférence de Yalta que le président Franklin Roosevelt décide de stationner en Égypte, au bord d’un navire militaire, le Quincy. Il y rencontre le 14 Février 1945 le roi d’Arabie Saoudite, Abdel Aziz Al-Saoud, au bord du lac Amer, au milieu du canal de Suez. L’Histoire n’aura retenu qu’une partie des discussions « pétrole contre sécurité ». Alors que selon les sources officielles, la centralité du débat tournait plus autour de la question palestinienne et de la fin du mandat français en Syrie et au Liban.

Le roi saoudien espérait influencer les Etats-Unis sur le dossier épineux de la Palestine. Il manifesta son opposition sur la venue massive des Juifs d’Europe de l’Est en territoire arabe. Somme toute, il a défendu le point de vue arabe sur la question palestinienne, mais il était vain de penser qu’un roi saoudien pouvait faire contrepoids aux différents lobbys sionistes en Europe et aux Etats-Unis. Le roi Abdel Aziz al-Saoud voulait surtout avoir l’assurance que le projet hachémite d’unité arabe ne verrait pas le jour au lendemain de la seconde guerre mondiale.

Le pacte de Quincy ne correspond donc pas à ce « présupposé » deal pétrole contre sécurité. La question du pétrole avait été réglée auparavant lors des nombreuses concessions aux différentes compagnies américaines. De fait, les discussions ne concernaient dans un premier temps que la question palestinienne et les questions relatives aux indépendances post mandat. Petit à petit cette alliance protéiforme au bord du Quincy s’est muée en un pacte sur le long terme, assurant la sécurité et la survie du royaume. Accord valable pour 60 ans, il a été prolongé en 2005 par l’administration Bush fils, et ce pour une durée identique.

En effet, Washington qui ne s’intéressait à cette région que sous le prisme de l’or noir, a vite compris qu’il pouvait se servir de l’Arabie saoudite comme base avancée au Moyen-Orient. Ignorant les problèmes internes de ce partenaire très peu démocratique, les Etats-Unis profitent de ce richissime royaume pour financer leurs intérêts régionaux tant militaires que politiques. Soucieuse de contrer l’influence communiste dans les pays arabe, l’Arabie saoudite devenait de fait un allié idéal pour l’administration américaine. Au lendemain des indépendances, le discours panarabe est populaire, il séduit les masses avec son tropisme national et socialiste. En faisant le jeu de l’islamisme contre les mouvements nassériens et baathistes, les Etats-Unis allaient bon an mal an sanctuariser les acquis du wahhabisme.

Gage de survie pour le royaume ?

Suivant la conjoncture, le régime saoudien a toujours un ennemi régional. Hier le nationalisme arabe de Nasser, aujourd’hui l’influence grandissante de l’Iran au Moyen-Orient. Malgré la différence des régimes politiques, ces deux ennemis de la monarchie wahhabite partagent les mêmes desseins à l’échelle régionale : la lutte contre Israël et l’endiguement de la menace islamiste sunnite.

Ayant la politique de sa géographie, l’Arabie saoudite use de la diplomatie du chéquier avec les industriels de l’armement américain. C’est une aubaine pour l’administration américaine. Après avoir faussement donné le feu vert à Saddam Hussein pour l’invasion du Koweït, Washington entreprit une vaste campagne militaire pour contrecarrer les desseins de Bagdad en 1991, avec comme base arrière l’Arabie saoudite. Plus qu’un partenaire économique, Riyad devenait avec Tel-Aviv le maillon de la politique impérialiste américaine au Moyen-Orient.

Même les attentas du World Trade center, le 11 septembre 2001, n’ont pas compromis les relations bilatérales. Pourtant 15 des 19 terroristes étaient de nationalité saoudienne. Par pure realpolitik, Washington a accusé fallacieusement l’Irak d’avoir commandité les attaques sur le sol américain. L’Histoire retiendra que ce mensonge est l’une des causes du chaos actuel en Orient.

Comme disait Nietzsche « qui vit de combattre un ennemi, a tout intérêt à le laisser en vie ». Aujourd’hui plus que jamais, les Etats-Unis soufflent sur les dissensions inter-musulmanes pour plonger la région dans un manichéisme confessionnel : l’axe chiite contre l’axe sunnite. Ce dernier se rapproche de plus en plus officiellement de Tel-Aviv au détriment de la cause palestinienne. L’ennemi de Riyad est l’Iran. En Arabie Saoudite, la peur d’une guerre face à l’ennemi perse est présente dans tous les milieux de la société. Washington alimente cette crainte par une propagande anti-iranienne omniprésente sur toutes les chaînes d’informations. Donald Trump, malgré ses discours erratiques, a très bien compris que la fabrication de l’ennemi chiite allait pousser ses alliés du Golfe à investir durablement dans un armement coûteux.

Troisième plus gros budget militaire au monde, l’Arabie saoudite dépense 8,8% de son PIB pour son armée. Un investissement consubstantiel à son embourbement au Yémen et surtout en raison de la menace supposée d’un encerclement des forces pro-iraniennes (Ansarallah au Yémen, les Hachds chaabi en Irak, les forces armées syriennes et le Hezbollah libanais).

Vers la fin du pacte ?

À peine arrivé au pouvoir, le jeune prince héritier Mohamed Ben Salman, lance en 2016 un programme économique intitulé « vision 2030 ». Le but est précis, développer et diversifier l’économie saoudienne, la rendre moins dépendante aux hydrocarbures. Le pays s’ouvre aux entreprises étrangères, aux évènements internationaux (concerts de stars américaines, combats de boxe ou de catch, le futur Dakar 2020). De plus les premières publicités pour visiter le royaume s’affichent dans les capitales occidentales et sur les réseaux sociaux. Le prince veut moderniser, occidentaliser son pays et en finir avec cette image de pays rentier.

Mais c’est une ouverture de façade, galvaudée par les crimes de guerre au Yémen et par l’assassinat prémédité du journaliste Jamal Khashoggi qui a offusqué l’opinion internationale. Même en interne, le jeune prince ne fait pas consensus.

De surcroît, les Etats-Unis en plus d’être devenus premier producteur mondial de pétrole, sont maintenant exportateurs brut. Ils ont diversifié leurs sources d’approvisionnements via l’Amérique du Sud et l’Afrique. Certains analystes pensent qu’ils pourront dans un avenir proche devenir exportateur net par le biais des hydrocarbures dits de « schistes ». En raison, des tensions permanentes au Moyen-Orient et des récentes attaques sur les sites pétroliers saoudiens, Washington a rappelé à ses partenaires européens qu’il serait préférable de trouver une alternative au pétrole du golfe.

Washington demeure l’allié de poids de la monarchie saoudienne.  Pour l’administration américaine, Riyad est de plus en plus un partenaire économique instable et peu fiable militairement. Cependant, tant qu’ils continueront d’être des acheteurs compulsifs, les Saoudiens auront l’assurance d’une aide américaine. Le récent envoi de 3000 soldats supplémentaires en Arabie saoudite confirme une fois de plus, le peu d’indépendance stratégique et militaire du royaume.

Business is Business. Donald Trump le rappelle sans le dire, mais l’économie dicte le politique.

Bibliographie :

  • Malise Ruthven, « Les milliards de l’Arabie saoudite », 2018/1 N°198, p80-92, Gallimard
  • David Rigoulet-Roze, « La fragilité d’un royaume dans une transition à haut risque », 2018/4 N°132, p77-122, Les cahiers de l’Orient
  • Louis Blin, « L’émancipation contrainte de la politique étrangère saoudienne », 2016/2, p49-61, Politique étrangère