Qu’est-ce-que le monde arabe ?

Le monde arabe est une aire géographique mal définie, aux contours souvent inexacts. Il ne constitue aucunement un ensemble homogène. Au gré de l’histoire, la notion même d’arabité évolue, s’agrandit, on y intègre les populations dites « arabisées » par les conquêtes musulmanes. Le monde arabe se définit et se structure dans le temps en opposition à d’autres civilisations. Néanmoins, cet ensemble de l’Atlantique à l’Euphrate représente un bloc hétéroclite, la langue arabe est elle-même subdivisée en plusieurs dialectes. Des traditions, des cultures et des pratiques religieuses divergent en fonction des zones géographiques. Le monde arabe est souvent assimilé à tort au monde musulman. De surcroît, on y englobe des pays qui ne sont pas arabes, à l’instar de l’Iran et de la Turquie.  Aujourd’hui encore, malgré l’appartenance de 22 pays au sein de la Ligue arabe, certaines populations se définissent à l’aune de leurs particularismes locaux.

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Une langue commune ?

La langue arabe est antérieure à l’avènement de l’Islam. Issue du nabatéen, celle-ci aurait été parlée pour la première fois par une communauté chrétienne du Yémen en 470 de notre ère. Or, l’expansion de l’arabe classique est consubstantielle avec les conquêtes musulmanes du VIIe et VIIIe siècle. Une fois les territoires conquis, les souverains musulmans se servaient de l’arabe pour mieux islamiser les populations locales. En effet, l’arabe est la langue du Coran.

L’arabe est considéré comme la langue officielle des 22 pays membres de la Ligue arabe. Néanmoins chaque pays, chaque région dispose de son propre dialecte plus ou moins éloigné de l’arabe littéraire. Ces dialectes sont le résultat d’interactions historiques et culturelles avec d’autres peuples. Ce faisant, d’un dialecte à un autre, il est possible de ne pas se comprendre. Un Syrien ne comprend pas le dialecte algérien, alors que l’inverse n’est pas exact.

L’arabe littéraire ou classique demeure la langue de la littérature, des médias, de la constitution et des discours officiels. Cependant, l’usage de l’arabe dialectal est employé au quotidien. Il est rare d’entendre deux personnes communiquer en littéraire. Compte tenu du fort taux d’analphabétisme, l’arabe littéraire lu et écrit n’est pas maîtrisé dans plusieurs régions.  

L’idée d’arabité basée sur le critère linguistique est problématique. Ce critère ne définit que partiellement l’identité arabe.

Une géographie bien définie ? 

Selon Edward Said, universitaire américain d’origine palestinienne, l’Occident a créé l’Orient. Le monde arabe est perçu comme un bloc homogène bien distinct, en opposition aux valeurs et traditions occidentales. Cette logique simpliste est durement critiquée par l’auteur de « L’orientalisme ». Il décrit ainsi un Orient figé dans l’espace et dans le temps, résultat d’une assimilation de la pensée occidentale.

Pourtant, le monde arabe ne constitue pas un ensemble géographique similaire du Maroc à l’Irak. On y distingue communément 4 parties majeures : le Maghreb (l’Afrique du Nord), la vallée du Nil, le Machrek (le Levant) et le Khalij (le Golfe). Ces zones sont elles-mêmes divisées en une multitude d’entités géographiques, fruit d’influences culturelles et historiques berbères, andalouses, ottomanes, arabes, perses et européennes. 

Au Maghreb, on ressent la prédominance des traditions berbères. En Libye, la faible centralisation du pouvoir central est due à la tribalisation de la société. En Égypte, le poids omnipotent du Nil influe et structure la vie des habitants. En Syrie et au Liban, la dichotomie est également géographique entre les habitants du littoral, tournés vers le commerce avec l’Occident et les habitants des montagnes majoritairement paysans. La péninsule arabique, auparavant dominée par des systèmes claniques, connaît une récente polarisation du pouvoir. Quant à l’Irak, il porte encore les traces de son histoire bédouine et de ses divisions religieuses.

À l’image de sa géographie et son histoire, le monde arabe est disparate. On peut disserter sur un ou plusieurs mondes arabes. Les éléments naturels, tels que le désert du Sahara, la Cyrénaïque ou le Golfe, les montagnes syro-libanaises, les fleuves du Nil et de l’Euphrate, les terres pétrolifères d’Algérie, d’Arabie saoudite et d’Irak façonnent la société et le mode de vie des habitants de la région.

Une région multiconfessionnelle

Le monde arabe ne constitue pas un ensemble religieux homogène. Contrairement à ce que l’on pense, tous les Arabes ne sont pas musulmans. Les Arabes peuvent être chrétiens et juifs. Des minorités chrétiennes sont présentes en Égypte, en Palestine, en Syrie, au Liban, en Jordanie et en Irak. Ils parlent et communient essentiellement en arabe. Berceau du christianisme, l’Orient était une terre chrétienne avant l’avènement de la religion musulmane au VIIe siècle.

Les musulmans du monde arabe sont en majorité sunnites. Néanmoins, des chiites sont présents en Irak et au Liban, des ibadites à Oman, des zaydites au Yémen, des druzes au Liban, en Syrie et en Palestine, voire des alaouites et des ismaéliens en Syrie. De son côté, le Maghreb connaît une relative homogénéité religieuse contrairement à l’Orient.

Le critère religieux demeure le marqueur principal dans une région ultra-confessionnalisée. Au gré de l’histoire, les puissances européennes ont exploité les failles religieuses pour s’immiscer dans les affaires internes. La Russie et la France ont soutenu les Chrétiens d’Orient alors que l’Empire britannique s’est appuyé sur la communauté sunnite. Aujourd’hui encore, les divisions sont visibles et constituent la principale grille de lecture de cette région. Le conflit inter-musulman oppose les chiites principalement affiliés à l’Iran aux sunnites majoritairement soutenus par les pays du Golfe. Cette dualité aggrave l’instabilité politique de la région.

Une entité politique ?

En dépit de la création de la Ligue arabe en 1945, l’unité politique du monde arabe semble irréalisable tant les conceptions idéologiques sont opposées d’une région à une autre[1]. D’un point de vue politique, le monde arabe est divisé. Les Arabes n’utilisent pas le terme de monde arabe (Al Alam Al Arabi) mais favorisent celui de nation arabe (Al-Watan Al-Arabi) pour laisser transparaître cette notion de solidarité et d’union entre les 22 pays membres.

Au lendemain de la période de décolonisation, le panarabisme de Gamal Abdel Nasser séduit les foules arabes. Sa politique socialisante et laïque outrepasse de loin les appartenances religieuses. Mais sa vision s’oppose au panislamisme des chancelleries du Golfe, qui prônent l’idée d’une unité au sein même de la  communauté musulmane, faisant fi des frontières nationales. De surcroît, chaque région a ses vues, sa propre définition du nationalisme avec l’influence d’un particularisme local. En effet, au Liban certains chrétiens font référence aux Phéniciens pour renier leur arabité. En Syrie, sous la houlette du Parti social nationaliste syrien, les partisans souhaitent la réunification du Bilad el Cham (Irak, Syrie, Liban, Jordanie et Palestine). Foncièrement nationalistes, Bagdad et Damas se sont disputées le leadership arabe. Au Maghreb, les jeunes nations s’affrontent pour des raisons territoriales (Sahara occidental).

Par ailleurs, chaque nation arabe entretient des rapports différents avec les grandes puissances. Dans cette logique d’alliance militaire et économique, toutes les nations arabes ne partagent pas les mêmes aspirations. On distingue deux axes bien distincts. D’un côté, des pays sunnites s’alignent sur la politique américaine et d’autres sont proches de la politique iranienne. Ces deux groupes sont eux-mêmes divisés selon des ramifications idéologiques, religieuses et géopolitiques.

Entité géographique complexe, le monde arabe n’est pas un et indivisible. De part son héritage historique, ses interactions culturelles et ses influences extérieures, chaque région s’harmonise et se singularise. À l’aune des tensions régionales, le monde arabe apparaît plus que jamais divisé.


[1] Égypte, Soudan, Algérie, Maroc, Tunisie, Mauritanie, Liban, Syrie, Irak, Jordanie, Palestine, Oman, Yémen, Libye, Somalie, Djibouti, Comores, Qatar, Koweït, Bahreïn, Émirats arabes unis, Arabie saoudite