L’Iran et le conflit syrien: réactivation d’un activisme politico-religieux

Le conflit syrien intervient dans une période où le discours révolutionnaire du régime iranien ne faisait plus écho auprès de l’opinion publique, que ce soit en Iran ou au Moyen-Orient. Ainsi, l’implication de Téhéran dans le conflit syrien permet la réactivation d’un activisme politico-religieux. En effet, la politique syrienne de l’Iran est sous la supervision des Gardiens de la Révolution et du Guide suprême.

Les Pasdarans sont présents en Syrie depuis le début du conflit où Téhéran justifiait leur présence dans le but de protéger les lieux saints chiites comme Sayyida Zaynab à Damas (Djalili, Kellner, 2018, p. 269) estimant que le régime syrien est incapable de protéger les lieux saints chiites (Luizard, 2017, p. 340). De ce fait, l’intervention des Pasdarans en Syrie s’inscrit dans la lutte contre Israël et les Occidentaux ainsi qu’au soutien au « front de la résistance » permettant de maintenir une pression constante sur ses rivaux (Israël notamment) depuis le territoire syrien.

Source : https://www.cassini-conseil.com/les-guerres-dans-le-monde-musulmans/

La Syrie : territoire stratégique du front de la résistance et de l’influence iranienne

En Syrie, les Pasdarans ont plusieurs objectifs allant de la protection des mausolées chiites, à la création et formation de milices paraétatiques. Ainsi, l’utilisation des milices par l’Iran a été importante dans la survie du régime de Bachar el-Assad. Cela a permis notamment de déléguer les opérations militaires de l’Iran, d’occuper le terrain après la conquête et de conserver une influence iranienne.

Cependant, l’utilisation de milices chiites par l’Iran a provoqué une sectarisation du conflit. Comme l’écrit le politologue Adam Baczko, « l’intervention du Hezbollah en 2013 au côté de supplétifs chiites de l’Iran renforça le caractère confessionnel du conflit syrien et provoqua une accélération de l’alignement des acteurs sur une base confessionnelle » (Baczko et alii, 2016, p. 193).

La sectarisation du conflit syrien permet aux Iraniens d’enrôler massivement des miliciens. En effet, les milices chiites combattantes pour l’Iran sont composées d’Afghans, d’Irakiens, de Pakistanais ou encore de Libanais. L’instrumentalisation du discours religieux permet d’enrôler massivement des milices chiites. D’après Clément Therme, « quand Téhéran mobilise des combattants chiites pakistanais ou afghans pour se battre en Syrie, cela se fait au nom de la défense d’une cause révolutionnaire et non de la défense de la nation iranienne » (2018, p. 79). Le conflit syrien a permis le relancement d’un activisme politico-religieux dans la vie politique iranienne.

Le soutien au Hezbollah, autre acteur majeur du « front de la résistance » demeure ainsi une priorité dans la politique syrienne de l’Iran. La Syrie est un territoire clé pour les Iraniens où l’ensemble du soutien militaire (notamment en armement) transite par l’aéroport de Damas avant d’être acheminé par camion au sud-Liban (Baczko et alii, 2016, p. 190), fief du Hezbollah.

Le Hezbollah, groupe faisant parti de l’axe de la résistance, est une organisation politico-militaire chiite vouée au Guide suprême Khamenei. C’est une pièce maîtresse de la politique étrangère de l’Iran, considérée comme sa plus grande réussite dans sa politique étrangère (Leroy, 2014, p. 109).

La perte de l’allié syrien provoquerait la perte du Hezbollah, scénario qui est envisageable pour les factions révolutionnaires du pouvoir iranien, d’autant que le Hezbollah fournit un soutien majeur au régime syrien en 2013 qui changera considérablement les rapports de force en leur faveur.

Vers un renforcement de l’arc chiite ?

La crise syrienne a permis le renforcement d’un arc chiite politico-militaire Téhéran-Bagdad-Damas-Beyrouth. Le terme d’arc chiite est apparu le 8 décembre 2004 dans le discours du roi Abdallah II de Jordanie, dans une période où un gouvernement chiite accède au pouvoir en Irak, désormais sous l’influence de l’Iran ou encore la chute des Talibans en Afghanistan.

Cet arc chiite se concrétise en 2006 avec la victoire du Hezbollah libanais sur l’armée israélienne lors de la guerre des 33 jours en juillet-août 2006. Comme l’écrit le géographe Bernard Hourcade, ce terme fait écho au sein du monde arabe soulignant « l’émergence sociale, culturelle et politique des chiites et de la nouvelle place géopolitique de l’Iran » (2016, p. 195). Cette analyse reste néanmoins discutable concernant les ambitions de l’impérialisme religieux contre le monde arabe et sunnite.

L’arc chiite traverse l’Iran, l’Irak, la Syrie et le Liban formant un axe Téhéran-Bagdad-Damas-Beyrouth. Ainsi, Téhéran a pu renforcer ses positions au Moyen-Orient grâce au conflit syrien en réaffirmant son soutien aux communautés chiites de la région. Cependant, la notion d’arc chiite, bien qu’il soit une réalité géopolitique, voire géostratégique (Thual, 2007, p. 108), est plus « une idée sunnite destinée à inviter les États arabes à resserrer leurs rangs face à l’Iran » comme le soulignent Mohammad-Reza Djalili et Thierry Kellner (2018, p. 273). L’intervention de l’Iran en Syrie permet un renforcement de l’archipel chiite mais certaines communautés chiites refusent d’être inféodées à l’Iran car elles rejettent l’autorité religieuse du Guide suprême Khamenei.

L’instrumentalisation de l’arc chiite est plus le fruit d’un discours cherchant à fédérer les État sunnites de la région contre l’Iran qu’une réalité concrète sur le terrain. Les chiites ne sont pas tous duodécimains (comme les Iraniens) et les acteurs locaux ont avant tout leurs propres intérêts qui ne convergent pas toujours avec ceux des Iraniens.

Entre volonté de stabilité régionale et capacité de nuisance

L’implication iranienne dans ce conflit syrien se fait dans des objectifs idéologiques. Par ces différentes actions, l’Iran renforce ses positions dans la région, tout en essayant d’affaiblir l’influence de ses rivaux. A l’heure actuelle, Téhéran est devenu un acteur incontournable de la crise syrienne à un moment où la révolution iranienne ne s’exportait plus (Hourcade, 2015). Cependant, même si certaines analyses mettent en avant les ambitions régionales de l’Iran, il semble exagérer d’affirmer qu’il ait une capacité d’hégémonie dans la région. La République islamique aurait plutôt une capacité de nuisance où elle est capable de s’attaquer aux intérêts de ses rivaux dans la région.

Ainsi, les Iraniens se perçoivent comme un rempart dans la lutte contre le terrorisme islamiste sunnite soutenu par l’Occident alors que les rivaux de Téhéran dénoncent une ambition d’hégémonie régionale. L’Iran ne peut donc avoir une hégémonie régionale mais applique des stratégies pour essayer de conserver son influence et ses intérêts dans la région, et ce, dans un contexte où l’influence iranienne est remise en cause dans certains pays comme l’ont démontré les manifestations de 2019 en Irak et au Liban. Un règlement du conflit syrien est nécessaire pour espérer une réinsertion de l’Iran sur la scène régionale et internationale.

Références

BACZKO A., DORONSORRO G., QUESNAY A., (2016), Syrie. Anatomie d’une guerre civile, Paris, CNRS Éditions, 416 p.

DJALILI M.-R., KELLNER T., (2018), L’Iran en 100 questions, Paris, Tallandier, 382 p.

HOURCADE B., (2015), « Les fondements de la politique iranienne en Syrie », Orient XXI, [en ligne]. URL : https://orientxxi.info/magazine/les-fondements-de-la-politique-iranienne-en-syrie,1042,1042

HOURCADE B., (2016), Géopolitique de l’Iran. Les défis d’une renaissance, Paris, Armand Colin, 336 p.

LEROY D., (2014), « L’« axe » de la résistance » dans le feu syrien : perspective du Hezbollah », Confluences Méditerranée, vol. 89, n° 2, pp. 105-118. URL : https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2014-2-page-105.htm?contenu=article

LUIZARD P.-J., (2017), Chiites et Sunnites. La grande discorde, Paris, Tallandier, 382 p.

THUAL F., (2007), « Le croissant chiite : slogan, mythe ou réalité ? », Hérodote, vol. 124, n° 1, pp. 107-117. URL : https://www.cairn.info/revue-herodote-2007-1-page-107.htm

La tournée de Mike Pompeo au Moyen-Orient : dernier coup de Trump contre l’Iran ?

L’administration américaine ne cache pas sa volonté d’isoler l’Iran et de l’asphyxier économiquement. Les Etats-Unis s’apprêtent à durcir encore un peu plus les sanctions contre Téhéran et ses alliés syriens et libanais[1]. Depuis l’arrivée de Donald Trump à la Maison blanche en janvier 2017, plusieurs mesures coercitives ont été prises. Dans une logique « d’endiguement » des intérêts iraniens au Proche et au Moyen-Orient, Washington a multiplié les sanctions et a rendu officiel ce qui était officieux. En effet, le rapprochement de plusieurs pays arabes avec Israël était le souhait de Donald Trump lui-même. Une pacification de la région selon les intérêts américains et israéliens pousse automatiquement l’Iran et ses principaux alliés à redouter la prochaine tournée du secrétaire d’État des Etats-Unis, Mike Pompeo au Moyen-Orient.

Alors que Donald Trump a admis pour la première fois sa défaite à l’élection présidentielle, cette visite de Mike Pompeo dans la région semble être la dernière avant l’investiture du nouveau Président Joe Biden. Serait-elle le prélude à une nouvelle montée des tensions avec l’Iran ?

https://fr.timesofisrael.com/netanyahu-va-rencontrer-pompeo-au-portugal/

Les accords Abraham : une pierre deux coups pour les Etats-Unis

Le 13 août 2020 un accord prévisible, première partie des accords dits d’Abraham, a été convenu entre Israël et les Émirats arabes unis. Cet accord, annoncé par Donald Trump, est le premier accord de normalisation entre Israël et un pays arabe depuis plus de 25 ans, et le troisième au total – après l’Égypte en 1979 puis la Jordanie en 1994. Celui-ci, signé le 15 septembre 2020, concerne plusieurs domaines dont le tourisme, l’établissement des vols directs et la sécurité.[1] L’importance de cet accord par rapport aux précédents est que les Émirats sont le premier pays du Golfe persique à normaliser ses relations avec l’État hébreu, ce qui risque de modifier définitivement le théâtre géopolitique de la région, notamment quant au rôle et à la présence de l’Iran – le principal ennemi d’Israël – dans cette zone. Un accord similaire a été conclu entre Israël et Bahreïn à la même date. Cette normalisation se concrétise alors que les tensions entre l’Iran et les Etats-Unis, Israël et certains pays arabes – notamment l’Arabie Saoudite – sont à leur paroxysme. Depuis l’assassinat du général iranien Qassem Souleimani le 3 janvier 2020, Washington a accentué la pression sur l’Iran, faisant craindre une énième guerre par procuration entre les deux belligérants.

De plus, le 24 octobre dernier, le Président américain Donald Trump annonce un accord de normalisation entre le Soudan et Israël. Ainsi, cette série d’accords permet aux Etats-Unis de sanctuariser encore un peu plus leurs intérêts dans la région.

Les accords de normalisation et l’Iran

Si l’accord de normalisation entre le Soudan et Israël n’a pas de réel impact sur l’économie iranienne, les accords avec les Émirats arabes unis sont quant à eux, problématiques pour la sécurité et l’économie de l’Iran.

En réaction aux accords d’Abraham – appelés une « paix historique » par Donald Trump – l’Iran a fortement réagi dans un communiqué du ministère des affaires étrangères. Celui-ci déclare que « la République islamique d’Iran considère la manœuvre honteuse d’Abu Dhabi de normalisation des relations avec le régime sioniste illégitime et anti-humain comme une mesure dangereuse, met en garde contre toute interférence du régime sioniste dans la région du Golfe persique, et déclare que le gouvernement émirati ainsi que les autres gouvernements qui prennent son parti doivent accepter la responsabilité de toute conséquence de cette manœuvre. ».[2] De plus, le Guide suprême a déclaré que « les EAU ont trahi à la fois le monde de l’islam, les nations arabes, les pays de la région, mais aussi, et surtout la Palestine. C’est une trahison qui ne durera pas longtemps bien que la stigmatisation en accompagne toujours les Émirats. » et il espère que « les Émiratis se réveilleront le plus tôt possible et compenseront ce qu’ils viennent de commettre ».[3]

Il convient de noter les raisons pour lesquelles cet accord, conclu sous l’égide des États-Unis, est si important pour la région. D’abord, l’Iran réalise que, cette fois-ci, c’est Israël qui s’approche de ses frontières. Compte tenu que le Golfe persique et surtout le détroit d’Ormuz est l’un des endroits les plus stratégiques pour l’Iran, la présence d’Israël – le principal ennemi de l’Iran – risque d’accentuer la tension dans cette zone, ce qui pourrait affecter le commerce international, particulièrement le prix du pétrole. En outre, malgré les sanctions imposées par les États-Unis, les Émirats entretiennent des échanges commerciaux avec l’Iran, mais ces échanges ont connu des hauts et des bas ces dernières années. Pour preuve, les Émirats arabes unis sont le deuxième partenaire commercial le plus important de l’Iran, avec 15,8 % du total des échanges. Donc l’apparition de tensions, ou la mise en place de limitations pour le commerce iranien par leur gouvernement du fait de la présence d’Israël risque d’affaiblir l’économie de la République islamique. Au demeurant, à cause des sanctions américaines, l’économie de l’Iran est en chute libre, donc ce dernier n’est pas en mesure de dépenser des masses d’argent afin de maintenir sa présence dans la région. Téhéran risque fortement de diminuer son investissement en Irak et en Syrie afin de pouvoir protéger ce nouveau front.

Si les accords entre Israël et les pays arabes – déjà signés avec Bahreïn – continuent, comme l’a évoqué Donald Trump[4], l’Iran serait de plus en plus sous pression, principalement dans le domaine économique. L’affaiblissement de l’Iran aura des conséquences importantes sur l’« axe de la résistance » dont il est un membre fondateur et crucial. En d’autres termes, le rôle, la présence et l’efficacité de l’Iran diminueraient dans la région, tandis qu’Israël développera sa mainmise sur cette région stratégique.

Une visite symbolique ou capitale ?

Après avoir été reçu par le Président français Emmanuel Macron à l’Élysée, Mike Pompeo s’apprête à faire une tournée au Moyen-Orient, au cours de laquelle il se rendra en Turquie, en Georgie, en Israël, aux Émirats arabes unis, au Qatar et en Arabie Saoudite.

Beaucoup d’observateurs pensent que le secrétaire d’État des Etats-Unis veut accentuer la pression sur l’ennemi iranien, afin de compliquer la tâche des négociations pour la future administration de Joe Biden. Par cette tournée, Washington entend rassurer ses alliés historiques dans la région, notamment Israël. En effet, Mike Pompeo sera le premier secrétaire d’État américain à se rendre dans le Golan[2]. Ce territoire est annexé militairement pour les Israéliens depuis 1981 et n’est pas reconnu par la communauté internationale. Par cet acte symbolique fort, il veut également montrer à Damas que ce territoire est non-négociable. En effet, depuis plusieurs décennies, cette parcelle montagneuse a fait l’objet de nombreuses négociations pour arriver à la signature d’un accord de paix entre Israël et la Syrie.

La visite dans les pays du Golfe sera suivie de très près. À la suite des accords d’Abraham, Donald Trump avait stipulé que 5 prochains pays arabes suivront cette logique de normalisation avec l’État hébreu. Néanmoins, il est très peu envisageable que le Qatar, d’obédience frères musulmans, décide de normaliser ses relations avec Israël. Quant à L’Arabie saoudite, dont les liens avec Tel-Aviv sont de plus en plus officiels compte tenu de leurs intérêts communs dans la région, la question de la normalisation semble envisageable. Or, gardien des lieux saints de l’Islam, Riyad s’attirerait la critique du monde musulman.

Cette tournée orientale du secrétaire d’État américain préoccupe le Moyen-Orient quant à sa teneur et à son but recherché. Que compte faire Mike Pompeo lors de sa dernière visite diplomatique ? Il est fort à parier que l’administration Trump voudra entraver toute future négociation avec Téhéran pour la prochaine administration. Mais il est également peu certain que les Etats-Unis veuillent entreprendre une quelconque action militaire contre des sites nucléaires iraniens. Le choix des pays visités n’est pas anodin, il faut marquer les esprits et faire pression sur les ennemis de Washington. Une fois de plus, l’Iran et ses alliés (la Syrie et le Hezbollah) sont au cœur des discussions. L’axe Washington Tel-Aviv avec les principales monarchies du Golfe sanctuarisent leurs intérêts régionaux, ce qui pousse Téhéran à se méfier des probables intimidations des prochaines semaines.


[1] https://www.la-croix.com/Monde/Iran-Etats-Unis-preparent-nouvelles-sanctions-2020-11-13-1201124383

[2] https://www.lorientlejour.com/article/1241131/les-enjeux-de-la-tournee-de-mike-pompeo-en-europe-et-au-moyen-orient.html


[1] https://www.lemonde.fr/international/article/2020/08/13/israel-et-les-emirats-arabes-unis-annoncent-une-normalisation-de-leurs-relations-diplomatiques_6048887_3210.html

[2] https://en.mfa.gov.ir/portal/newsview/606638

[3] https://french.khamenei.ir/news/12372

[4] https://www.leparisien.fr/international/cinq-minutes-pour-comprendre-l-accord-historique-entre-israel-et-les-emirats-arabes-unis-14-08-2020-8367912.php

Liban-Israël : les frontières de la discorde

« Périmètres de l’exercice d’une souveraineté et l’un des paramètres de l’identité politique en tant que cadre de la définition d’une citoyenneté, les frontières sont des marqueurs symboliques, nécessaires aux nations en quête d’un dedans pour interagir avec un dehors ».[1] De tous temps et en tous lieux, les frontières terrestres, maritimes, et même aériennes, ont été enjeu essentiel pour la cohabitation entre les États. Donnée absolument prioritaire, la délimitation du territoire permet de fixer un cadre juridique, de contrôler au mieux les flux de population, le commerce, ainsi que les ressources … Ce dernier élément est aujourd’hui encore crucial, dans un monde où celles-ci tendent à se raréfier, leur possession en devenant parfois indispensable sur les plans économique et politique.

Le Liban et Israël incarnent dans leurs relations toute la complexité de l’articulation entre la délimitation des espaces et l’exploitation des ressources. Le 14 octobre 2020 à Naqoura[2], sous le regard de l’ONU[3], ces deux rivaux de longue date ont achevé la première partie de négociations concernant la délimitation de leurs frontières maritimes.

Comment le gaz force-t-il deux ennemis à négocier ?

https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20180226-liban-reve-exportateur-gaz-petrole-israel-trace-hoff-carte

I – Quand les oppositions historiques croisent les intérêts …

Pour saisir les enjeux qui entourent la problématique desdites frontières maritimes, un retour synthétique en arrière s’impose.

Après la création d’Israël en 1948, le Liban participe brièvement aux côtés des autres armées arabes à la première guerre israélo-arabe. Puis, adoptant une neutralité officielle sur le conflit, elle observe impuissante l’arrivée sur son territoire de très nombreux réfugiés palestiniens, prémices d’un conflit civil inévitable. Lors de la guerre civile libanaise de 1975 à 1990, Israël a envahi le Liban en 1978, puis en 1982, et malgré une brève tentative d’apaisement des tensions en 1983[5], les tensions se sont poursuivies jusqu’au retrait d’Israël du Sud Liban le 25 mai 2000. Pour que ce retrait soit total, il a fallu l’intervention de l’ONU qui, en 2000, a fixé avec l’aide de la FINUL[6] une ligne de partage, une frontière, nommée la « ligne bleue ». Cette « ligne bleue » représente la tentative de la communauté internationale d’apaiser les tensions par la délimitation claire de ces deux territoires. Cependant, l’armée israélienne continue d’occuper illégalement les fermes de la Chebaa, territoire libanais situé au Nord du Golan. Cette occupation sert de prétexte au Hezbollah pour continuer ses activités de « résistance » pour lutter contre Israël.

Malgré tout, le conflit israélo-libanais n’est pas clos. En 2006, un nouveau conflit armé éclate au Liban, que l’on nomme parfois la « guerre des trente-trois jours ». A l’origine de ce conflit, l’enlèvement par le Hezbollah de 2 militaires israéliens afin de procéder à un échange de prisonniers. Israël répond militairement et bombarde les positions du parti chiite ainsi que toutes les infrastructures du pays. Néanmoins, l’armée israélienne n’arrive pas à atteindre son objectif et est défaite sur le plan militaire. Ce conflit provoque de nombreuses pertes civiles du côté libanais[7]. Malgré la relative stabilité à la frontière, les tensions restent vives. De manière sporadique, les deux partis cherchent à se dissuader l’un et l’autre. Le centre névralgique des affrontements s’est déplacé vers la Syrie où Israël cible régulièrement les casernes du Hezbollah.

Autre point de friction : l’espace aérien. Frontières terrestres impliquent frontières aériennes, ainsi la violation régulière de l’espace aérien libanais par des avions de l’armée de l’air israélienne, ne cessent d’accroitre les tensions qui impliquent elles aussi la Syrie voisine. Les accrochages à la frontière donnent lieu à des déclarations guerrières et des menaces de la part des autorités israéliennes qui pointent du doigt la responsabilité du Hezbollah. Quant à lui, le parti de Dieu se fait de plus en plus discret compte tenu du durcissement des sanctions économiques qui entrave ses plans.

II – … Quand l’intérêt devient plus fort que les oppositions historiques

Le Liban refuse assez clairement tout acte, toute initiative laissant penser qu’une éventuelle normalisation des relations serait entamée avec Israël, qui n’est pas encore reconnu par le Liban … ainsi, les récentes négociations sur les frontières maritimes sont effectuées avec grandes précautions quant à la forme et à l’image que celles-ci renvoient.

Techniquement, le Liban et Israël sont donc encore en état de guerre. Pourtant, il semblerait que l’attraction que représentent les gisements gaziers soit plus forte encore que l’absolue nécessité de fixer ses frontières avec ses voisins. Realpolitik pure ? Si pour certains parler de frontières, quelle qu’en soit la nature, revient à reconnaitre juridiquement l’entité territoriale à laquelle on fait face, pour d’autres, cela relève d’une pure logique d’intérêt économiques et politiques.

En l’occurrence, il convient de replacer ces négociations dans un contexte géopolitique très particulier, croisant les enjeux qui entourent les ressources en hydrocarbures à un besoin urgent de relancer la dynamique économique du Liban notamment, plongée depuis de nombreux mois dans une grave crise sociale, politique et économique.

Ici encore, comme dans le conflit opposant la Turquie et la Grèce, il est question de Zone Économique Exclusive (ZEE). C’est en 1982 dans la convention de Montego Bay[8] (aussi appelée convention des Nations Unies sur le droit de la mer) qu’est avancé cet outil de délimitation des droits souverains que peut exercer un État sur un espace maritime. Parmi ces droits, l’un des plus cruciaux dans cette affaire, celui d’y effectuer des recherches et d’exploiter les ressources qui s’y trouvent. Ainsi, après la découverte de gisements de gaz d’une grande importance en Méditerranée Orientale, le bloc 9 (le gisement Léviathan en particulier), le Liban et Israël ne parvenaient pas à s’accorder sur l’attribution d’une parcelle de 860km2, sur laquelle déborde le bloc 9, et vis-à-vis de laquelle Israël affirme qu’elle se trouve sur sa ZEE.

Et pour cause : le gisement Léviathan représenterait un total de 453 milliards de mètres cubes, l’exploitation ne serait-ce que d’une partie de celui-ci permettrait au Liban, en faillite, de se relancer sur la scène de l’économie en développant une nouvelle industrie. 

III – Accords frontaliers : 1 frontière, de multiples acteurs

Alors que les États proches du Liban avancent de plus en plus sur le terrain de l’exploitation du gaz, cette donnée devient également nécessaire et presque vitale pour le Liban. Si ces enjeux économiques de premier ordre poussent à la conclusion d’accords frontaliers, il n’en demeure pas moins que d’autres acteurs sont impliqués dans ces négociations, y voyant eux aussi leurs intérêts particuliers …

Plus qu’un simple découpage maritime ?

Ce n’est pas à la faveur du Hezbollah que les États-Unis s’impliquent corps et âme dans ce dossier, puisque la volonté plus ou moins affichée de Donald Trump en la matière est d’aboutir à une véritable normalisation des relations entre les deux pays. Ainsi, officiellement sous l’égide de l’ONU via la FINUL, ce sont les États-Unis qui guident ces négociations et ce qu’elles impliquent sur le plan géopolitique, tant au niveau régional qu’international.

A la veille des élections américaines qui se tiendront début novembre et après avoir imposé des sanctions, les États-Unis isolent encore un peu plus l’Iran via ces négociations, après des accords de normalisation des relations entre plusieurs États arabes. Cette volonté de « pacifier » la région ne se fait donc pas sans arrière-pensée au regard des intérêts propres à la politique américaine.

Par ailleurs, il est important de noter comment Israël entend faire de cet accord une sorte de monnaie d’échange. Tel-Aviv reprend la stratégie des années 70-80 « terre contre paix » avec l’Égypte et la Jordanie. Il en est de même pour les négociations avec la Syrie au sujet du Golan. Ainsi, pour l’État israélien dont la reconnaissance ne fait pas l’unanimité dans la région comme sur la scène internationale, les concessions concernant les territoires maritimes visent directement le gouvernement libanais. Quoi de plus rassurant que de montrer patte blanche pour amener son ennemi à normaliser les relations et, éventuellement, aboutir à une reconnaissance de l’État ? Cette stratégie du « marchandage politique » ne fait pas forcément écho de l’autre côté de l’échiquier. Du côté du Liban, c’est une fermeté affichée qui est mise en avant sur cette question. Tout d’abord, la délégation libanaise insiste sur le caractère purement technique de ces négociations et sur le respect du droit international. Pas question pour le gouvernement d’y voir autre chose qu’un accord sur les frontières, qui comme nous l’avons dit est une donne essentielle pour la cohabitation des États … cohabitation ne signifiant pas reconnaissance, et inversement. Voilà qui explique qu’aucune photo de cette rencontre n’ait été prise, afin d’éviter que ne s’échauffent les esprits concernant la symbolique de cette rencontre, trahison pour certains, pratique pour d’autres.

Conclusion 

« Nous vivons donc dans un monde resté westphalien dans ses ressorts, avec ses revendications territoriales, sa compétition juridique pour les ressources »[9].

Le Liban, plus que jamais dans le besoin de relancer son économie, de relever le pays tout entier, s’engage dans des négociations dont la finalité, indéniablement, a une portée bien plus importante que la seule fixation des frontières. Une nouvelle dynamique, mais à quel prix ? Si Israël entrevoit la possibilité de grandir son influence via une reconnaissance, le Liban ne semble pas encore prêt à lui accorder. Nouvelle impasse ou avancée envisageable ?


[1] https://www-cairn-info.ezscd.univ-lyon3.fr/revue-pouvoirs-2018-2-page-5.htm

[2] Ville située au sud du Liban, proche de la frontière (« ligne bleue ») avec Israël, elle abrite notamment les quartiers généraux de la FINUL (force intermédiaire des Nations Unies au Liban), impliquée dans les récentes négociations sur les frontières maritimes entre le Liban et Israël.

[3] Officiellement sous le regard de l’ONU, officieusement sous la pression des États-Unis

[4] https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20180226-liban-reve-exportateur-gaz-petrole-israel-trace-hoff-carte

[5] Accord israélo-libanais du 17 mai 1983

[6] Force Intermédiaire des Nations Unies au Liban

[7] https://www-cairn-info.ezscd.univ-lyon3.fr/liban-une-guerre–9782707150998-page-5.htm

[8] http://www.justice.mg/wp-content/uploads/textes/1TEXTES%20NATIONAUX/DROIT%20PUBLIC/Transports/Transport%20maritime/montego.pdf

[9] https://www-cairn-info.ezscd.univ-lyon3.fr/revue-pouvoirs-2018-2-page-5.htm

Le Liban dans l’impasse politique

« La position confessionnelle au Liban est un phénomène de structure ; aucune violence n’y changera rien ; c’est le temps seul qui la modifiera, ou qui ne la modifiera pas »[1].

Août 2020. Après la terrible explosion au port de Beyrouth et plus d’un an de protestations contre les conditions sociaux-économiques, et majoritairement dirigées contre un système politique plus que jamais décrié, le Président du Conseil des Ministres, Hassan Diab démissionne[2]. Puis ce fut le tour de Mustapha Adib[3]. Ensuite, le flou, sur tous les plans. D’abord, sur celui d’une pratique du pouvoir qui relève d’une tradition presque indéracinable. Ensuite, sur celui de l’avenir plus qu’incertain du gouvernement, et enfin sur celui de la colère de la population et de son action, laquelle se mue en intervention plus largement régionale, voire internationale.

Entre tentatives de sanctuarisation des acquis, intérêts régionaux et ingérence internationale : le Liban serait-il face à une impasse politique insoluble ?

Le confessionnalisme politique libanais : gestion d’une réalité démographique …

Le Liban, environ 10 400 km2, aujourd’hui près de 5,5 millions d’habitants, et 18 confessions. C’est au regard de ces données là qu’en 1926 la structure politique s’est faite de manière à s’adapter à une population multiconfessionnelle et à des réalités socioculturelles particulières.

Afin de représenter le plus équitablement possible ces différentes communautés, cette adaptation est passée par le confessionnalisme politique, c’est-à-dire une répartition du pouvoir en fonction de différentes confessions religieuses. La Constitution de 1926 prône très clairement cette pratique[4], instaurée à l’origine uniquement pour la chambre des députés[5]. Aujourd’hui et depuis les années 40, le Président « doit » être chrétien maronite, le Premier Ministre musulman sunnite et le Président de la chambre des députés, musulman chiite.

Ainsi, on partait du principe qu’il était nécessaire de maintenir un certain équilibre entre la composition du tissu social et la composition du corps politique représentant celui-ci. C’est pourquoi en 1943, un pacte oral est venu étendre l’application du confessionnalisme à d’autres fonction, celle de Président de la République Parlementaire du Liban ainsi que celle de Président du Conseil des Ministres. Bien qu’oral, ce pacte instaure presque une « coutume » et est toujours en vigueur aujourd’hui.

C’est ici qu’il convient de préciser une donnée importante : dès 1948[6] les musulmans commencent à être majoritaires en termes de population, et parallèlement les tensions communautaires grimpent.

40 ans plus tard, la donne se complique encore un peu plus. Le 30 septembre 1989, les accords de Taëf mettent fin à la guerre civile survenue en 1975, en réorganisant le partage des pouvoirs entre les confessions. Le Président cède ainsi certaines de ces prérogatives au Premier Ministre, musulman sunnite, qui dispose finalement de plus de marge d’action que le Président lui-même. Préciser ici la confession du Premier Ministre permet de comprendre l’absence d’unanimité sur cet accord, les chrétiens se sentaient trahis.

« Ce n’est pas parce qu’on a mérité un poste qu’on l’obtient, c’est d’abord parce qu’on appartient à une communauté »[7].

Le dernier recensement ayant eu lieu en 1932, il n’y a pas eu d’adaptation de le représentativité vis à vis des évolutions confessionnelles de la société, dont tous les membres se définissent d’abord par l’appartenance communautaire, l’« assabiya » (esprit communautaire) primant sur l’identité nationale. 

[8]

Un effacement des barrières communautaires est-il envisageable ?

Le confessionnalisme a traversé au Liban des crises de toutes natures, mais est-il aujourd’hui à bout de souffle ? Les uns prônent un maintien du statu-quo, les autres rêvent d’une laïcité à l’orientale. 

… devenu outil de conservation d’intérêts partisans à la source d’une inévitable impasse politique

Depuis plus d’un an, les manifestations retentissantes du peuple libanais visent non seulement la crise des services publics mais plus largement le système confessionnel, dont l’« omniprésence est un échappatoire »[9]. Son maintien arrange, et il convient de comprendre cette impasse politique sous l’angle des intérêts de la classe politique et des enjeux de leur maintien, auquel un changement de règlementation risquerait de mettre fin. Aujourd’hui, plus que jamais, le Liban sombre dans un manichéisme politique. Le poids de l’influence du Hezbollah est le sujet de discorde.

Le « tandem chiite »[10] adopte ici un discours et une posture révélateurs de ce qu’ils « risquent » : le parti Amal et le Hezbollah ont le regard porté tout particulièrement sur le ministère des finances. La régulation des informations financières représenterait en effet un atout majeur pour les acteurs bénéficiant de larges intérêts via un système habitué aux actes de corruption. Mais plus encore, le Hezbollah, via l’acquisition de ce ministère, espère avoir la possibilité de contourner les sanctions américaines, lesquelles depuis plusieurs mois visent directement ou indirectement le parti Hezbollah, considéré comme parti terroriste par les États-Unis.

Le Courant patriotique libre (CPL) de Gebran Bassil, se démarque dans cette bataille « sous terraine » en ne considérant pas l’attribution du ministère des finances au tandem chiite comme une évidence, et penche plutôt du côté de la nécessité de sortir rapidement et efficacement de cette impasse politique, tout en gardant comme objectif, lui aussi, le maintien de ses intérêts.

De manière générale, il convient de replacer ce blocage politique dans le cadre des divergences entre les partis traditionnels, qui eux aussi, se divisent sur la composition du gouvernement à venir. L’alliance du 14 mars, qui représente l’opposition, ne souhaite pas que le nouveau gouvernement soit sous influence du Hezbollah. Selon les ramifications politiques libanaises, les partis traditionnels veulent garder leurs prérogatives. Dernièrement, l’évocation de la nomination des anciens Premiers ministres à la tête du gouvernement est symptomatique de la crise politique au Liban : vouloir le changement pour finalement ne rien changer.

Ce véritable « chantage des intérêts » fait fi de la chute d’un peuple, mais au-delà, démontre bien que la naissance d’un nouveau gouvernement stable et solide sur le long terme est compromise, puisque celui-ci devra d’ores et déjà se battre avec de très nombreux acteurs politiques qui cherchent par tous les moyens à s’assurer une véritable sanctuarisation de leurs acquis.

Comment en est-on arrivé à une impasse si irréductible ? Il est important de rappeler qu’à plusieurs reprises, l’idée d’une éventuelle sortie de ce système a été évoquée, étudiée du moins, sans véritable application … Mahdi Amil, assassiné en 1987 par une milice chiite, aurait souhaité viser une « dépassement du système communautaire »[11].

Déjà en 1926, Maurice Sarrail a fait face au blocage des grands notables libanais[12], qui cherchaient déjà le maintien des privilèges, et qui tentaient déjà d’adopter une argumentation structurée afin d’appuyer leurs revendications[13]. L’ancien Premier ministre Mustapha Adib, face à ces revendications, n’a pas souhaité entamer des négociations avec le tandem chiite.

Il est donc très clair que cette impasse met en exergue le jeu de l’ensemble des partis politiques du Liban, lesquels sont le reflet de la population multiculturelle et multiconfessionnelle. Cependant, les acteurs internes ne sont pas les seuls à être impliqués. En effet, la participation et l’implication des acteurs régionaux et internationaux accentuent la pression sur les dirigeants libanais.

Ingérence à l’échelle régionale et internationale : une problématique multidimensionnelle

Si le Hezbollah reste l’outil privilégié de l’Iran afin de maintenir son influence au Levant, d’autres pays s’ingèrent au Liban en fonction de leurs propres intérêts.

Tout d’abord, les États-Unis, dont l’omniprésence dans la région reste forte, à travers sanctions,  négociations et présence militaire. Dernièrement, la loi César, rentrée en vigueur en juin 2020, vise officiellement Damas et ses principaux alliés, dont le Hezbollah. Les entreprises libanaises commerçant avec la Syrie sont ainsi sanctionnées. L’agenda politique américain au Liban est consubstantiel à la lutte contre l’axe iranien, donc contre l’influence du Hezbollah au Liban.

De surcroît, les négociations concernant les frontières maritimes entre le Liban et Israël, les États-Unis se posent en négociateurs dans cette bataille autour des blocs 8 et 9[14] du gisement Léviathan en Méditerranée Orientale. Allié historique d’Israël, Washington privilégie la version israélienne sur ce dossier au détriment du droit de la mer.  Le territoire libanais est donc le théâtre d’une lutte d’influence entre l’Iran et les États-Unis.  

La France, quant à elle, forte de son héritage historique au Liban, souhaite conserver cette influence et cette implication. Après deux visites en moins d’un mois à Beyrouth, le Président Macron tente d’imposer une politique très dirigiste couplée à une politique de sanction. En effet, il impose aux dirigeants libanais de former le plus rapidement possible un gouvernement selon une feuille de route bien précise. Le vocabulaire employé lors de ses discours laisse bien entrevoir cette prise de position et démontre le choix très affirmé de prendre les choses en main : « trahison », « honte », « responsabilité », « dernière chance », « obligation », « question de confiance ». Le Secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah approuve l’initiative française mais désapprouve la forme et le langage employé.

Une problématique soulève alors des questions : la communauté internationale est au chevet du Liban depuis la double explosion du port le 4 août dernier. Or, l’aide internationale est conditionnée à la bonne formation d’un gouvernement et à sa viabilité sur le long terme. Ce sont les populations, qui, pour l’instant, souffrent de l’absence de cette aide … Aide qui, pour l’Arabie Saoudite, ne verra pas le jour si le Hezbollah est au pouvoir.  

Conclusion : changement nécessaire mais impossible ?

La population libanaise est politisée et parrainée par une puissance extérieure. Les Chrétiens se réfèrent principalement à la France, les Sunnites comptent sur la Turquie et l’Arabie Saoudite et les Chiites reçoivent l’aide de l’Iran. Ainsi, chaque communauté s’enracine dans une logique partisane. Bien que souhaité durant les manifestations, un changement de pouvoir est-il pour autant réalisable au pays du Cèdre ? Les causes profondes de ce blocage remontent à près d’un siècle, les coutumes étant enracinées dans la Constitution de 1926. L’immense diversité qui compose le pays semble rendre le consensus impossible, chacun cherchant le maintien de ce à quoi il est attaché, tant au niveau des partis politiques qu’au niveau de la population. Les premiers pensant en termes d’intérêts, les seconds en termes d’attachement communautaire.


[1] https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-de-l-orient-2013-4-page-25.htm

[2] Il annonce la démission de son gouvernement le 10 août 2020, presque une semaine après les violentes explosions qui ont frappé Beyrouth.

[3] Il renonce à la formation d’un nouveau gouvernement le 26 septembre 2020, face aux tensions et à l’impossible consensus sur la question de l’attribution des ministères.

[4] Article 95 de la Constitution de la République parlementaire du Liban : http://www.cc.gov.lb/sites/default/files/La%20Constitution%20Libanaise.pdf

[5] Article 24 de la Constitution : http://www.cc.gov.lb/sites/default/files/La%20Constitution%20Libanaise.pdf

[6] Année de l’indépendance d’Israël

[7] https://www.francetvinfo.fr/monde/proche-orient/liban/explosions-a-beyrouth/larticle-a-lire-pour-comprendre-pourquoi-le-systeme-politique-libanais-est-a-bout-de-souffle_4073431.html

[8] https://www.youtube.com/watch?v=OvH12P3Paz4

[9] https://www.youtube.com/watch?v=OvH12P3Paz4

[10] Terme désignant le Hezbollah et le parti Amal

[11] https://www.monde-diplomatique.fr/1997/03/CORM/4657

[12] https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-de-l-orient-2013-4-page-25.htm

[13] Ibid.

[14] Ces 2 blocs représentent un champ gazier, le « Léviathan », en méditerranée orientale

Il y a 20 ans, l’armée israélienne abdiquait au Sud-Liban

Au lendemain de la création de l’État d’Israël en 1948, le Liban participe brièvement avec les armées jordaniennes, égyptiennes, syriennes et irakiennes à la première guerre israélo-arabe. Conscientes des risques d’une guerre face à l’État hébreu, les autorités libanaises se risquent à une posture d’équilibriste. Prenant ses distances avec les milieux panarabes, Beyrouth obtient les bonnes grâces de Washington pour ses réformes libérales.

Or compte tenu de la conjoncture, le pays du Cèdre se retrouve soumis aux soubresauts de l’Histoire régionale dans la décennie 70. L’arrivée des réfugiés palestiniens et les desseins de l’administration israélienne font du Liban le théâtre d’une confrontation aux multiples facettes. Dans sa politique jusqu’au-boutiste, Tel-Aviv lorgne sur le territoire libanais au point d’intervenir à maintes reprises. En raison d’une farouche opposition, l’armée de Tsahal s’enlise au Sud-Liban.

Retour sur les 3 décennies d’intervention israélienne au Liban.

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Les raisons de l’occupation israélienne

Suite à la première défaite arabe de 1948, 150 000 palestiniens s’installent au Sud-Liban[1]. Ils sont accueillis par des populations majoritairement chiites, politiquement proches des milieux nassériens et panarabes. Au fur et à mesure des débâcles arabes, l’exode palestinien se poursuit et s’accélère vers les pays frontaliers. Cette zone devient peu à peu le terreau des mouvements pro-palestiniens. Plusieurs milices se forment dans les années 60. De surcroît, selon les accords du Caire de 1969, les groupes armés palestiniens peuvent mener des opérations contre Israël depuis le Sud-Liban. C’est à cette époque que le Liban devient l’épicentre des tensions israélo-palestiniennes. 

Or, cette présence étrangère ébranle la cohésion nationale. L’armée libanaise s’oppose tant bien que mal aux différents groupes palestiniens. De son côté, Israël fait pression sur les autorités libanaises afin qu’elles mettent fin aux actions de ces milices. Ainsi, l’aviation israélienne commence à pilonner méthodiquement les infrastructures du Liban pour accentuer la coercition. Au sein même de la société libanaise, la division se consomme, entre d’une part les partisans et sympathisants des milices palestiniennes et d’autre part certains groupes chrétiens, farouches adeptes de l’indépendance du Liban[2].

Peu à peu, le pays du Cèdre sombre dans une guerre inévitable en 1975 entre factions opposées, où les puissances étrangères soufflent consciencieusement sur les braises[3]. Après plusieurs assassinats ciblés et plusieurs frappes aériennes, l’armée israélienne intervient une première fois en 1978 (Opération Litani) pour mater les groupes pro-palestiniens à la frontière. En effet, la cause palestinienne s’enracine dans les esprits et les consciences des habitants du Sud qui apportent une aide non négligeable aux Fedayins (combattants palestiniens). De ce fait, Israël va s’appuyer massivement sur l’Armée du Sud Liban (ASL), fondée en 1976, pour stopper les salves palestiniennes. En effet, constituée en majeure partie de Chrétiens du Sud du pays, cette armée suit les directives de Tel-Aviv.

L’adoption de la résolution 425 du Conseil de sécurité des Nations unies, stipule l’envoi de la FINUL en 1978 pour sécuriser le Sud Liban, en créant une zone démilitarisée. Malgré ce dispositif international, les tensions s’accentuent.

De l’occupation à l’enlisement

La lutte contre les milices palestiniennes sert de prétexte direct et officiel à l’armée israélienne pour intervenir au Liban. Or, cette opération militaire est dictée par des impératifs d’ordre territorial, hydraulique mais également politique. En 1982, Oded Yinon un journaliste et fonctionnaire israélien écrit un article intitulé « Une stratégie pour Israël dans les années 80 »[4]. Il y théorise la volonté israélienne de dislocation du tissu social des pays voisins, notamment l’Irak, la Syrie et le Liban. Ainsi, par l’entremise de groupes opposés, Israël doit promouvoir la division au sein de ces États. S’agissant du Liban, les autorités israéliennes tissent des liens avec des partis chrétiens et attisent les tensions communautaires. De plus, Israël ne cache guère sa volonté d’occuper le fleuve Litani au Liban. Contrairement à l’État hébreu, le Liban est pourvu d’importantes ressources hydrauliques. À cette époque, la stratégie israélienne réside également sur l’occupation d’une zone stratégique afin de négocier la paix (Cf le Golan syrien et le Sinaï égyptien).

Suite à une tentative d’assassinat de l’ambassadeur israélien à Londres, l’armée israélienne lance le 6 juin 1982 l’opération Paix en Galilée. Celle-ci a pour butde museler l’appareil militaire des groupes palestiniens de Yasser Arafat, présents au Sud-Liban et à Beyrouth. Cette intervention militaire est également conditionnée par un impératif géopolitique, celui de contrecarrer l’influence syrienne au Liban. En quelques semaines, les troupes israéliennes sont à Beyrouth. Acculés, les miliciens de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) sont obligés de fuir vers Tunis. C’est une réelle démonstration de force de la part de Tsahal. De surcroît, le gouvernement israélien noue des liens avec les Forces libanaises de Bachir Gemayel en vue d’un futur accord de paix entre les deux pays. Finalement, une fois nommé Président de la République libanaise, Bachir Gemayel est probablement assassiné pour son positionnement pro-israélien. En représailles, les Forces libanaises se livrent à un massacre de masse dans le camp palestinien de Sabra et Chatilla en septembre 1982, avec la complicité de l’armée israélienne.

En réponse à cette intervention illégale, la communauté chiite du Sud du pays se structure et commence à s’imposer sur l’échiquier politico-militaire libanais. En effet, suite à l’occupation partielle du Liban par les forces israéliennes, une partie de la population décide de prendre les armes et de former une résistance locale. Avec l’aide de l’Iran, les habitants du Sud du pays et de la Bekaa s’organisent et reçoivent du matériel militaire. C’est en 1982, suite à l’occupation israélienne du Sud-Liban que le puissant parti chiite Hezbollah voit le jour. Israël venait de « créer » son prochain ennemi pour les prochaines décennies[5].   

Le Hezbollah harcèle méthodiquement les troupes israéliennes et l’ASL, en se livrant à une véritable guérilla. L’affrontement et la désobéissance sont permanents tant l’occupation est perçue comme une opprobre par les habitants de la région. Le Hezbollah gagne peu à peu ses lettres de noblesse pour sa résistance face à Tsahal. La popularité du mouvement chiite est consubstantielle avec l’enlisement israélien. Au Moyen-Orient, le Hezbollah devient la première armée à véritablement mettre en échec la première puissance militaire de la région.

Les conséquences d’un retrait programmé

Dès 1985, l’armée israélienne entame un relatif retrait de ses forces du Liban. Malgré la fin de la guerre civile en 1990, Tel-Aviv reste secondée par l’ASL pour quadriller une zone tampon à la frontière. Le Hezbollah, quant à lui, multiplie les actions militaires pour repousser l’ennemi hors des frontières du Liban. Dans une logique souveraine, le mouvement chiite participe à la refonte de l’État libanais post guerre civile[6]. Face à l’harcèlement constant du Hezbollah, l’armée du Sud Liban perd du terrain.

Suite à des tirs de roquettes à la frontière, Israël lance une énième opération contre la milice libanaise en 1996. Intitulée Raisins de la Colère, cette intervention se solde par plusieurs bombardements, notamment ceux d’un camp de réfugiés de l’ONU à Cana au Liban. Devant l’impossibilité de contenir et de désarmer le Hezbollah et face aux pressions internationales, Israël n’atteint pas ses objectifs.

Les troupes israéliennes annoncent officiellement le retrait de leurs forces du Sud-Liban le 25 mai 2000. Affaiblie et isolée, l’ASL s’effondre. Le 25 mai 2000 est la date de libération du Sud-Liban. C’est également un jour férié et fêté dans l’ensemble du pays. Néanmoins, l’armée israélienne occupe toujours illégalement les fermes de Chebaa et ce, malgré la résolution 425 de l’ONU.

De 1978 à 2000, l’armée israélienne a occupé illégalement une partie du Liban. En 22 ans, elle a atteint le fleuve Litani, a chassé les miliciens de l’OLP, s’est alliée à une frange de la communauté chrétienne, mais a surtout contribué à l’émergence du Hezbollah. Engluée dans des difficultés, l’armée israélienne est contrainte d’abandonner ses visées sur le territoire libanais. Elle laisse derrière elle un pays meurtri par plusieurs années d’occupation, des villages rasés, des milliers de victimes civils et militaires ainsi que d’innombrables dégâts matériels.


[1] Xavier Baron, « Histoire du Liban », Tallendier, 2017

[2] Nadine Picaudou « La déchirure libanaise », Editions Complexe, 1992

[3] Hervé Amiot « La guerre du Liban (1975-1990) : entre fragmentation interne et interventions extérieures », Les clés du Moyen-Orient, 2013/ www.clesdumoyentorient.com

[4] https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2007-2-page-149.htm

[5] Dominique Avon et Anaïs-Trissa Khatchadourian, « Le Hezbollah : de la doctrine à l’action », Seuil, 2010

[6] Sabrina Mervin « Le Hezbollah, état des lieux », Sindbad, 2008

Juillet 2006 : le jour où Israël a perdu

Depuis sa création en 1948, l’État d’Israël cristallise toutes les tensions régionales. Après avoir vaincu à maintes reprises les armées arabes en 1948, 1967 et 1973, les gouvernements israéliens, par l’entremise de pressions diplomatiques et financières américaines, tentent de pacifier ses relations avec ses voisins. L’Égypte en 1979 et la Jordanie en 1994 signent des accords de paix avec Israël.

Pourtant, malgré sa supériorité militaire et technologique, Israël n’atteint pas ses objectifs au Liban. Depuis son intervention illégale en 1982, l’armée israélienne fait face à une résistance surprenante qui l’a contrainte à un retrait de ses forces en juin 2000. Le Hezbollah sort vainqueur de cette guerre asymétrique, mais Israël entend coûte que coûte se débarrasser de cette milice installée principalement au Sud-Liban.

Scènes de liesse au Sud-Liban en août 2006

Le contexte d’une guerre programmée

Plongé dans les affres d’une guerre civile aux nombreuses facettes depuis 1975, le Liban est fracturé en une multitude de milices d’obédiences souvent opposées. En 1982, Israël lance son opération « Paix en Galilée » au Liban. Le but initial est de contenir et de détruire la menace palestinienne présente au pays du Cèdre. Officieusement, l’armée israélienne doit atteindre le fleuve Litani pour profiter de ses ressources hydrauliques.

Or la même année, l’armée israélienne est confrontée à une nouvelle opposition populaire dans le Sud-Liban. En effet, suite à la révolution islamique d’Iran en 1979, une partie de la population chiite libanaise constitue une force armée pour s’opposer aux incursions israéliennes. La création du Hezbollah entrave les plans initiaux de l’administration israélienne. Dès lors, le mouvement de résistance libanais se lance dans une guerre d’usure contre un ennemi nettement mieux équipé. C’est un conflit asymétrique entre l’armée la plus puissante de la région et une jeune milice populaire. Or, la force du Hezbollah réside dans la connaissance du terrain. En effet, jusqu’au retrait israélien en 2000, les combattants du parti libanais harcèlent et oppressent les soldats israéliens par le biais de sabotages, de pièges et d’attaques ciblées. Acculé, Tsahal (nom de l’armée israélienne) se retire du Liban en juin 2000. C’est un véritable échec pour l’administration israélienne et une victoire cruciale pour la souveraineté libanaise.

Durant les années qui suivent cette défaite retentissante, les autorités israéliennes et américaines envisagent et planifient une revanche afin d’anéantir le Hezbollah. En effet, Tsahal avec l’aide d’officiers américains développe une expertise dans la gestion des conflits de basse intensité et en matière de contre-terrorisme[1]. Ils tentent également par des pressions diplomatiques et économiques de dissuader la Syrie et l’Iran d’aider le mouvement libanais. Compte tenu du retrait de l’armée syrienne du Liban en 2005, Israël pense avoir un avantage certain. De façon insidieuse, les Etats-Unis, par l’intermédiaire des agences de presse et des organisations humanitaires[2], sapent tant bien que mal l’influence du Hezbollah auprès de la population libanaise.

Le Hezbollah, par proximité géographique, est en contact direct avec l’armée israélienne. Jusqu’au début du conflit en juillet 2006, les affrontements sont épisodiques tant les deux ennemis se redoutent.

Les raisons d’une « victoire divine »

Un commando du Hezbollah enlève deux soldats israéliens à la frontière en juillet 2006 dans le but d’obtenir un échange avec plusieurs prisonniers libanais et palestiniens. Israël a enfin son prétexte officiel pour lancer son opération punitive et destructrice du mouvement libanais.

Initialement, le Premier ministre israélien, Ehoud Olmert, est contre une opération terrestre. Ainsi, l’aviation israélienne et les frégates pilonnent et bombardent toutes les infrastructures du pays. Le but est de détruire l’appareil militaire du Hezbollah et d’anéantir tout désir de vengeance au sein de la résistance libanaise. En effet, les premières frappes ciblent l’organe de presse du mouvement, Al Manar, chaîne qui diffuse en temps et en heure des séquences compromettantes pour l’image d’Israël. De plus, les régions où le Hezbollah est présent sont durement touchées (Beyrouth, Tyr, la Bekaa …). Tel-Aviv tient pour responsable le gouvernement libanais pour la non application de la résolution 1559 du Conseil de sécurité des Nations unies. Cette dernière prévoit la démilitarisation de la branche militaire du Hezbollah[3].

Or, devant la résilience du Hezbollah qui continue sa salve de roquettes sur les villes frontalières israéliennes, Tel-Aviv décide de manière précipitée l’envoi de troupes au sol. Rapidement, l’armée israélienne s’enlise et prend conscience de cette erreur tactique et stratégique. En effet, les soldats hébreux font face à des combattants invisibles qui connaissent les moindres recoins et les moindres ruelles. De surcroît, compte tenu de l’encrage populaire du mouvement libanais, la population civile facilite l’opacité et la cohésion au sein même des villages qui sont sous la menace israélienne. C’est un véritable bourbier pour les Israéliens. Leur incapacité à contrer la stratégie militaire du Hezbollah est manifeste.

Avec l’aide logistique et matérielle de l’Iran et de la Syrie, le Hezbollah s’est perfectionné en matière de combats urbains. Les cadres du parti connaissent la géographie et la topographie, ils se sont servis de bergers arabes à la frontière israélienne pour avoir des informations précises. Contrairement à Israël, le Hezbollah était préparé à un tel conflit[4]. Les roquettes Katioucha utilisées par la milice chiite, ont constamment harcelé le Nord d’Israël pendant les 33 jours de guerre.

Le 11 août 2006, le Conseil de sécurité des Nation unies demande la cessation totale des hostilités. En dépit des nombreuses pertes civiles et des dégâts majeurs subis par le Liban, cette agression se solde par une défaite d’ordre psychologique, politique et militaire pour Israël. De son côté, le Hezbollah sort grand vainqueur de cette guerre, malgré l’apathie consternante des dirigeants arabes.

Hassan Nasrallah : le nouveau Nasser ?

50 ans après la nationalisation du canal de Suez en juillet 1956 par Gamal Abdel Nasser, le Moyen-Orient est de nouveau en effervescence. La victoire du Hezbollah contre l’armée israélienne en 2006 et la confirmation d’Hassan Nasrallah comme leader du mouvement transcendent les foules arabes. Enfin, un succès retentissant dans la conscience collective trouve écho à l’échelle de toute la région. Les discours du secrétaire général du parti sur la « victoire divine » sont écoutés et réécoutés dans toutes les rues arabes.

Affiliés aux Etats-Unis, les dirigeants arabes ne soutiennent pas la résistance libanaise[5]. Le soutien provient de la rue arabe. Une rue qui affirme son soutien dès le début des hostilités. Des portraits d’Hassan Nasrallah sont présents dans toutes les villes du Proche-Orient. Il représente ce que le monde arabe attend : un chef charismatique opposé à toute concession avec l’ennemi. La sémantique du parti est reprise à l’échelle de la région, les expressions « entité sioniste » et « l’ennemi sioniste » sont scandées dans toutes les capitales. Cette victoire du Hezbollah insuffle un espoir généralisé au Moyen-Orient. La défaite de Tsahal est vécue comme une victoire dans toutes les villes arabes. De surcroît, des manifestations sont organisées du Maroc au Golfe, aussi bien par des nationalistes arabes que par les islamistes des Frères musulmans. À Tripoli en Libye, les habitants descendent dans les rues pour exprimer leur soutien à Hassan Nasrallah et inciter le mouvement chiite à attaquer Tel-Aviv[6]!!

Au Levant, la culture politique mélange populisme, culte de la personnalité et expression d’une résistance face à l’ennemi israélien. Cet événement résonne dans les cœurs et les consciences de chaque Arabe. Ce n’est pas uniquement l’expression d’une ferveur populaire, elle touche toutes les couches sociales réunies. La lutte contre Israël est encrée dans l’esprit de la majorité des habitants de la région. Israël représente le miroir du néocolonialisme. Quant à lui, le leader du Hezbollah fait l’objet d’une vénération. L’adoration collective qui a suivi cette victoire supplante de loin l’attache nationale. Des produits dérivés sont vendus à l’échelle de toute la région. Ses discours sont enregistrés sur des cassettes puis réécoutés dans les taxis du Caire ou de Damas. Somme toute, un mouvement chiite a été adulé par une foule majoritairement sunnite. Le dénominateur commun est la lutte contre Israël.

En 1956, il y a eu un effet Nasser. En 2006, il y a eu l’effet Nasrallah. Cependant, celui-ci est de courte durée, tant les régimes du Golfe et leurs alliés occidentaux ont investi massivement les organes de presse pour diaboliser le Hezbollah et confessionnaliser les tensions au Proche-Orient entre sunnites et chiites.


[1] Sami Makki, « Une guerre asymétrique », in Franck Mermier et al., Liban, une guerre de 33 jours, La Découverte « Cahiers libres », 2007, p-213-218

[2] Julie Chapuis, « Saper la reconstruction du Hezbollah : la diplomatie publique américaine au Liban depuis 2006 », Politique américaine 2017/2 (n°30), p 11-29

[3] Michel Goya et Marc-Antoine Brillant, « Israël contre le Hezbollah : Chronique d’une défaite annoncée 12 juillet- 14 août 2006 », éditions du Rocher, 2013

[4] Pierre Prier, « Le Hezbollah contre Israël : les leçons d’une victoire, naissance d’une guérilla plus-plus », Orient XXI, février 2014

[5] Franck Mermier et Elisabeth Picard, « Liban, Une guerre de 33 jours », La Découverte, 2007

[6] Tareq Arar, « L’ « effet Nasrallah » : les conséquences de la guerre israélo-libanaise au Proche-Orient », Hérodote 2007/1 (n°124), p 24-38

Lendemain de soirée pour le Liban ?

Depuis mi-octobre 2019, le Liban est secoué par un soulèvement sans précédent. Face à l’aporie du système, à la lenteur des réformes politiques et surtout face à une classe politique vieillissante et corrompue, un peuple hétérogène s’est réveillé. Enfin, les Libanais avaient trouvé un sujet consensuel. Un nouvel espoir pouvait les fédérer au delà de leurs appartenances confessionnelles et politiques.

Les prémisses d’une insurrection …

En Avril 2018, malgré les 11 milliards de prêts et de dons lors de la conférence du Cèdre à Paris pour aider l’économie libanaise, rien n’a vu le jour. Dépités, les Libanais cachaient difficilement leur désespoir « chou hal balad » (c’est quoi ce pays). Pourtant, le Liban faisait office d’exemple dans le monde arabe, stable dans son instabilité et instable dans sa stabilité. Le souvenir douloureux d’une guerre civile permettait tant bien que mal un relatif équilibre des forces politiques. Pourtant, le pays du Cèdre sombrait petit à petit dans un chaos qui ne disait pas son nom. Oui, le pays n’avait pas chaviré dans les affres d’un « printemps arabe » aux conséquences douteuses, mais, s’engluait dans une crise économique sans précédent.

L’arrivée massive de réfugiés syriens allait faire imploser un peu plus la caste dirigeante libanaise. Comment un petit pays de 5 millions d’habitants allait gérer l’afflux d’un million 500 mille réfugiés syriens ? Pays refuge, mais jusqu’à quand ? Une fois de plus la neutralité initiale laissa place à un manichéisme. L’instrumentalisation à des fins politiques était de mise. Pro ou anti Damas, telle était la question !

La nouvelle génération en fait les frais. Impossible d’être absorbés sur le marché du travail. Le chômage est galopant chez les jeunes diplômés. Pour la plupart d’entre eux, ils veulent tenter leur chance à l’étranger, notamment dans les pays du Golfe.

Sans oublier, l’accumulation des déchets au sein même de Beyrouth et des grands axes autoroutiers du pays. La Suisse du Moyen-Orient, « ce pays message » comme disait Jean Paul II, se muait bon an mal an en un parangon de précarités.

Précarité politique, gangrénée par un confessionnalisme omnipotent, le pays du Cèdre a quasiment autant de partis politiques que de confessions. Tous les partis sont présents dans le gouvernement. À vouloir plaire à tout le monde, on finit par ne plaire à personne…  

De surcroît, la vie au Liban n’est pas un long fleuve tranquille. Le folklore de la vie locale, ce bordel organisé, ces sourires, ces saveurs aux multiples odeurs laissent  place à des plaintes quotidiennes qui demeurent sans réponse. « On veut copier Paris ou Londres, mais on n’a ni eau ni électricité comme au Bengladesh ». Cette minorité visible qui festoie dans les lieux coûteux de la capitale ne saurait cacher cette majorité muette. Cette dernière a le mal des élites, elle meurt à petit feu mais se cache derrière ses leaders respectifs.

La vie est chère au Liban, tout se paye. Les premières commodités ne sont même pas assurées par l’État libanais. Le sentiment d’abattement est palpable. Ce Liban est un pays aux multiples fractures, où les inégalités sont abyssales.  

De plus, le Liban a toujours été la caisse de résonance du Moyen-Orient. Aujourd’hui plus que jamais, le Hezbollah est sorti grand vainqueur de la guerre en Syrie contre l’hydre djihadiste. Omnipotent et omniprésent au Liban, ce mouvement n’est pas vraiment en odeur de sainteté chez l’administration américaine et leurs supplétifs saoudiens et israéliens. Le parti chiite encaisse depuis plusieurs mois les contrecoups des sanctions économiques et c’est tout le pays qui en pâtit.

Spontanée …

Début Octobre 2019, le pays est ravagé par de nombreux incendies. Or, aucun canadair n’est opérationnel. Le pays est en ébullition. Il est sur le point de craquer et de se fissurer de toute part.

La taxe Whatsapp a fait déborder le vase. Le 17 octobre, suite à une loi controversée et injuste qui devait rentrer en vigueur à partir de 2020, le pays du Cèdre « s’est soulevé ». Des centaines de milliers de citoyens sont descendus dans les rues pour protester, pour libérer cette colère enfouie depuis de nombreuses années. L’instant d’une manifestation, d’une marche, le Libanais lambda revivait, renouait contact avec ses concitoyens. L’instant d’une soirée, le Libanais oubliait son appartenance religieuse. Aucun drapeau partisan, simplement le drapeau libanais accompagné de l’hymne nationale « koulouna llwatan » (nous sommes tous pour la nation). Cette colère soudaine a surpris tout le monde. Les Libanais, toutes confessions confondues, étaient dans la rue.

Des airs d’indépendance, un peuple retrouvant sa dignité, s’auto-régénérant face à l’atonie des élites. À croire qu’ils attendaient un prétexte pour se retrouver, pour réapprendre à se connaître, pour enfin faire poids ensemble contre la corruption et le mutisme des dirigeants. Sur les nombreuses pancartes, la sémantique est claire et précise : la fin du sectarisme politique, une volonté de laïcité « à l’orientale » et surtout la fin des partis traditionnels « kilon i3ani kilon » (tous ça veut dire tous).

Les Libanais l’ont une fois de plus montré, ils aiment se rassembler et surtout festoyer. Dans les rues, c’est un mélange de revendications erratiques, de danses et de chants. On pouvait entrevoir des dabkés géants, des scènes de liesse de Beyrouth à Tripoli en passant par Tyr et Nabatieh. Mais finalement, d’une région à une autre, les slogans divergent quelque peu de la demande initiale.

Récupérée de l’intérieur :

La récupération par des partis politiques n’aura pas tardé. Les 4 ministres des Forces libanaises ont démissionné dès le début des manifestations, pour finalement instrumentaliser une partie des revendications contre le Président Aoun et son parti le Courant patriotique libre (CPL). Dans certains fiefs chrétiens, les slogans invectivent uniquement Gebran Bassil (gendre du général Aoun et ministre des affaires étrangères). Certains de leurs partisans décident même de bloquer les principales routes du pays à l’aide de leurs voitures ou de plusieurs sit-in géants. L’économie du pays tourne au ralenti.

Somme toute, cette période de troubles accentue un peu plus les dissensions au sein de la classe politique libanaise. Les ex-partis du 14 mars (les Forces libanaises, le courant du futur et le parti socialiste progressiste) font corps avec les manifestants en essayant coûte que coûte de récupérer la grogne populaire. Alors que les partisans du 8 mars (le Hezbollah, le Courant patriotique libre et Amal) comprennent la colère tout en essayant de se poser en garant de la stabilité du pays.

Le 29 octobre dernier, l’ancien Premier ministre, Saad Hariri, a présenté sa démission. Pour les manifestants, il faut faire tomber le reste du système et former un gouvernement « d’experts et de technocrates ». Or, la formation du nouveau gouvernement par le Premier ministre Hassan Diab le 21 janvier 2020 ne satisfait pas toutes les parties prenantes. En effet pour les opposants, ce gouvernement est sous tutelle iranienne et syrienne. Dès lors, le pacifisme des premières heures laisse place à une grogne plus vindicative. Des affrontements éclatent avec les forces de l’ordre. Le nouveau gouvernement est d’emblée face à une impasse si l’opposition traditionnelle politique et les manifestants empêchent toute prise d’initiative de ce dernier.

Instrumentalisée de l’extérieur ?

Comme des airs de déjà vu ! Ceci rappelle grandement les débuts des « printemps arabes » en Égypte ou en Tunisie. Les tags sont similaires, le poing serré avec les mêmes pancartes et les mêmes inscriptions « thawra » (révolution)  et « horia » (liberté). À n’en pas douter, ce sont les mêmes techniques et méthodes employées durant la révolution du Cèdre en 2005, qui mit fin à l’occupation syrienne au Liban. La similitude ne trompe personne. Ils reprennent avec brio les codes de la révolution non violente et pacifique, théorisés par l’américain Gene Sharp. La fleur du manifestant contre le fusil du soldat, la symbolique est forte et touche profondément l’émotionnel. L’opinion internationale est sous le charme. Un peuple main dans la main pour s’affranchir d’un système à l’agonie.

Il est vain de penser qu’un soulèvement au Moyen-Orient ne sera récupéré de l’extérieur. Plusieurs puissances lorgnent sur le sort du Liban. Cette région est un immense noeud gordien dans laquelle tous les évènements de l’Irak, à l’Iran en passant par le Liban sont liés . Compte tenu des desseins de l’administration américaine, tous les moyens sont bons pour saper l’influence iranienne dans le monde arabe. Tout ce qui peut fragiliser le Hezbollah plaira automatiquement à l’axe Washington-Tel-Aviv-Riyad. Comme le signale au diapason la presse occidentale, les manifestants veulent en finir avec le système politique libanais et avec tous les partis que le composent. C’est donc, une aubaine pour les ennemis du Hezbollah, de voir le puissant parti chiite tiraillé au sein même de son propre pays. Aujourd’hui, les revendications légitimes initiales semblent être récupérées et instrumentalisées à des fins incertaines.

Bien malin, l’expert qui prophétisera l’avenir du Liban. Tous les scénarios, sont malheureusement envisageables au pays du Cèdre…

« L’axe de la résistance »: atout numéro 1 de l’Iran

Depuis la révolution islamique d’Iran en 1979, Téhéran cherche à étendre son influence au Moyen-Orient. Minoritaire dans une région majoritairement sunnite, Téhéran propose un discours aconfessionnel avec une rhétorique anti-américaine et anti-israélienne pour créer un réseau d’alliances hétérogènes.

Aujourd’hui plus que jamais, au lendemain de l’assassinat de Qassem Souleimani, véritable homme fort de la politique étrangère iranienne, l’Iran fédère un véritable axe déjouant les objectifs de Washington, de Tel-Aviv et de Riyad.

Changement de régime pour un changement de paradigme à l’échelle régionale :

Avant 1979, l’Iran était le principal allié des Etats-Unis et d’Israël dans la région, son armée était financée par Washington.

Au lendemain de la révolution iranienne, les nouveaux dirigeants iraniens ont épousé une logique tiers-mondiste et pro-palestinienne. En raison de son isolement politique, l’Iran a tenté de propager sa révolution à l’échelle de la région. Pour Téhéran, il fallait renverser les gouvernements alliés des occidentaux. Ce revirement spectaculaire a changé la donne régionale. Conduite, qui allait inévitablement être le prélude à de nouveaux affrontements dans la région. En effet, l’Irak de Saddam Hussein financé et armé par les monarchies du Golfe et par l’Occident entra en guerre contre l’Iran. Cette guerre dura 8 ans (1980-1988), se solda par un statu quo et engendra plusieurs centaines de milliers de morts dans les deux camps.

La Syrie d’Hafez Al-Assad est le premier soutien étatique de la nouvelle République islamique d’Iran. Téhéran s’appuie également sur les communautés chiites présentes dans la région (Irak, Bahreïn, Liban). Il s’agit donc pour l’Iran révolutionnaire, de créer un cadre politique et sécuritaire à l’ensemble de la communauté. 

Pour contrer cette aspiration, l’Arabie saoudite et ses alliés régionaux accusent l’Iran de vouloir constituer un croissant chiite pour dominer la région. Ainsi, ils tentent de confesionnaliser les tensions régionales pour faire de l’Iran chiite un ennemi héréditaire.

Le Hezbollah : véritable succès de la politique étrangère iranienne

La communauté chiite libanaise est marginalisée économiquement et politiquement. L’émergence de la révolution islamique d’Iran insuffle un espoir à toute une population. De plus, englué dans une guerre civile depuis 1975, le Liban n’arrive pas à s’opposer aux exactions israéliennes dans le Sud du pays. Dès lors, au début des années 80, l’Iran envoie des forces spéciales pour former les futurs cadres du Hezbollah et structurer militairement la communauté chiite.

Ceci se matérialise en 2006 par la défaite de Tsahal au Sud Liban. C’est une victoire à la fois militaire et psychologique contre une armée nettement mieux équipée. C’est un succès écrasant de l’Iran et du Hezbollah sur Israël.

Ce puissant groupe chiite s’est mué en une force politique majeure au Liban et en une milice redoutable dans tout le Proche-Orient. En effet, depuis le début de la guerre en Syrie en 2011, le Hezbollah apporte un soutien militaire conséquent au Président Bachar Al-Assad. Plusieurs cadres du Hezbollah forment et entrainent différentes milices multiconfessionnelles en Syrie et en Irak pour lutter contre les différents mouvements djihadistes.

Il a également contribué à la libération de nombreux villages chrétiens situés à la frontière syro-libanaise, le rendant populaire auprès de cette communauté.

Le mouvement chiite est la pièce maitresse de la politique étrangère de l’Iran. Il fait le lien entre Téhéran et Beyrouth en passant par Damas et Bagdad. Le secrétaire général du parti, Hassan Nasrallah, adopte une posture aconfessionnelle et une sémantique fédératrice. En réaction à l’assassinat de Qassem Souleimani, le chef du Hezbollah appelle à chasser l’armée américaine du Moyen-Orient.

Aujourd’hui, le Hezbollah sort aguerri de ses opérations au Moyen-Orient. Il a une capacité de nuisance qui déstabilise les objectifs israéliens. De plus, le poids politique du parti empêche les Etats-Unis d’arrimer le Liban sous sa tutelle, et ce malgré les diverses tentatives.

Présence iranienne en Irak et en Syrie :

Depuis l’arrivée de l’État islamique en Irak et en Syrie en 2014, « l’axe de la résistance » a été fragilisé. En effet, les voies terrestres reliant Téhéran à Beyrouth ont été coupées. De ce fait, les forces iraniennes d’Al Qods (unité d’élite des Gardiens de la révolution iranienne), menées par Qassem Souleimani et le Hezbollah ont entrepris une série d’opérations visant à lutter contre Daesh et à sanctuariser les territoires repris. L’Iran a formé de nombreuses milices majoritairement chiites en Irak. Ces milices (Hachd al-Chaabi) sont aujourd’hui redoutables et contrôlent plusieurs parties du territoire irakien.

Au lendemain de l’assassinat de Qassem Souleimani et d’Abu Mahdi al-Muhandes (leader d’une milice irakienne), toutes les forces chiites du pays se sont soulevées contre les ingérences américaines. Le parlement irakien a même demandé le retrait des troupes américaines de son territoire. Demande qui ne sera probablement pas satisfaite, les Américains ne veulent pas laisser l’Irak sous influence iranienne.

En Syrie, les forces iraniennes, le Hezbollah avec l’appui de la Russie et l’armée régulière de Bachar Al-Assad ont libéré plusieurs grandes villes du pays (Homs et Alep). Le maintien du Président syrien au pouvoir, est une condition sine qua non de la survie de « l’axe de la résistance », afin qu’il puisse s’inscrire dans la durée. De surcroît, avec le soutien de plusieurs milices chrétiennes, voire sunnites, l’Iran veut faire la jonction entre un chiisme politique et la défense du nationalisme arabe.

Hamas : l’influence iranienne en Palestine

La présence d’Ismaël Hanniyeh, chef du Hamas, aux obsèques de Qassem Souleimani à Téhéran démontre les bonnes relations entre les deux entités. La résistance islamique à Gaza est en partie financée par l’Iran.

Dans la rhétorique iranienne, l’objectif final est la libération de la Palestine. De plus, en appuyant et en finançant le Hamas, l’Iran nuit aux intérêts israéliens et gagne la sympathie de la rue arabe. En effet, la Palestine reste une cause fédératrice pour la majorité des habitants de la région.

Les Houthis : force de déstabilisation des monarchies du Golfe

Depuis 2015, le Yémen est en proie à une guerre abominable. Elle oppose une coalition arabe menée par les monarchies du Golfe et le pouvoir central yéménite aux Houthis, groupe rebelle aidé financièrement et logistiquement par l’Iran

Les Houthis, et ce malgré l’important dispositif militaire mobilisé par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, infligent plusieurs pertes à cette coalition. En septembre dernier, l’attaque contre deux sites pétroliers de la compagnie ARAMCO a paralysé en partie l’économie saoudienne et entraîné la hausse du prix du baril de pétrole.

Bien qu’inférieurs aux Américains, les Iraniens disposent d’un réseau d’alliances protéiformes dans toute la région. Les différentes milices constituent donc une force de dissuasion et de renseignement non négligeable pour la politique étrangère iranienne. Cet « axe de la résistance » nuit aux intérêts américains, saoudiens et israéliens au Moyen-Orient.

L’élimination préméditée de Qassem Souleimani est un véritable acte de guerre contre l’Iran. Compte tenu de la posture martiale et anti-iranienne de la Maison Blanche, tous les scénarios sont envisageables. Pourtant, le 7 janvier 2020, des missiles iraniens ont étonnamment frappé deux bases américaines en Irak, sans la moindre réaction américaine. Jeu de dupes ou manque de stratégie à long terme de la part du Pentagone ?

Bibliographie :

  • Laurence Louër, « Chiisme et politique au Moyen-Orient », Tempus, 2009
  • Robert Baer, « Iran : l’irrésistible ascension », Folio, 2009
  • Mohammad-Reza Djalili, Thierry Kellner, « L’Iran en 100 questions », Tallandier, 2016