Déclarations de Bandar Ibn Sultan : reflet de la nouvelle diplomatie régionale saoudienne ?

Le 5 octobre dernier, Bandar Ibn Sultan, ancien chef des renseignements saoudiens, accordait une interview[1] à la chaîne saoudienne Al-Arabiya. Cette interview a généré de vives réactions notamment auprès des Palestiniens dont les dirigeants sont largement pointés du doigt par l’ancien ambassadeur saoudien à Washington. Il y dresse ainsi un bilan de la cause palestinienne et taxe les différents dirigeants palestiniens d’incompétence. Il déclare en effet que : « la cause palestinienne est une cause juste, mais ses défenseurs sont des échecs. La cause israélienne est injuste, mais ses défenseurs ont réussi »[2].

Il déplore également leur manque d’initiatives sensées en dépit des conseils saoudiens, affirmant : « Je crois que nous, en Arabie Saoudite, agissant sur notre bonne volonté, avons toujours été là pour eux [les Palestiniens et leurs représentants]. » Des déclarations fortes qui ont indigné les concernés. Saeb Erekat, membre de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP), a estimé que ces déclarations dénigraient le peuple palestinien et sa « légendaire lutte »[3].

Dans le contexte actuel, cette interview a une résonnance particulière. Suite à la normalisation des relations entre les Emirats arabes unis (EAU), Bahreïn et Israël sous l’égide du plan de paix de Donald Trump, la monarchie saoudienne semble elle aussi se rapprocher de l’Etat hébreu et s’éloigner des dirigeants palestiniens. Cette interview relève-t-elle alors de la simple opinion personnelle de Bandar Ibn Sultan ou est-elle en réalité le reflet d’un changement de cap diplomatique pour l’Arabie Saoudite ?

      I.         L’Arabie Saoudite : une double casquette paradoxale difficile à assumer


Signature des Accords d’Abraham à la Maison Blanche le 15 septembre 2020. De gauche à droite : Dr Abdullatf bin Rshid Al-Zayani, Ministre des Affaires étrangères bahreïnien, Benyamin Netanyahu, Premier ministre israélien, Donald Trump, Président américain, et Abdullah bin Zayed al Nahyan, Ministre des affaires étrangères émirien. 
Source: Wikipédia

Les récentes normalisations israélo-arabes ont été vécues comme une incontestable réussite par D. Trump mais également par les Etats signataires des Accords d’Abraham[4]. Ils ont aussi été salués par l’Egypte et le sultanat d’Oman. Alors que les regards se tournent vers elle, l’Arabie Saoudite, de son côté, semble prise entre deux feux : ses ambitions régionales et ses intérêts vitaux.   

A.    Une volonté d’être le leader du monde sunnite

Historiquement, elle a toujours soutenu les Palestiniens. Et pour cause : eux aussi sont majoritairement des musulmans sunnites. En 1935, Abdelaziz ibn Saoud, roi d’Arabie Saoudite affirmait déjà la position de son Royaume en faveur de la cause palestinienne. Dès lors, le pays n’a eu de cesse d’organiser ou à défaut, de participer, à de nombreuses réunions et conférences afin de trouver une issue au conflit israélo-palestinien. Il sera même l’instigateur de l’initiative de paix proposée en mars 2002, à Beyrouth, lors d’un sommet de la Ligue Arabe[5].

Ce soutien diplomatique se couple à une aide financière conséquente et régulière. Ce soutien s’élèverait à 6.5 milliards de dollars versés au cours des vingt dernières années. En mai dernier, le Royaume a par exemple fait don de 2.66 millions de dollars pour aider les Palestiniens à faire face à la pandémie de Covid-19.[6]

Animé par la volonté d’être le leader du monde musulman sunnite par opposition à l’Iran chiite, l’Arabie Saoudite a donc longtemps eu l’image de « grand frère » des Palestiniens. La cause palestinienne a une importance idéologique pour Riyad : il en va de la crédibilité du Royaume et de son ambition hégémonique largement basée sur l’argument religieux de protéger un peuple à majorité musulmane des actions israéliennes.

B.    Des intérêts vitaux : la lutte contre l’Iran et l’essentiel soutien américain

Mais si l’Arabie Saoudite est une puissance régionale, elle le doit en partie à son allié historique américain. Et c’est là où le bât blesse. Depuis le Pacte de Quincy (14 février 1945), Etats-Unis et Arabie Saoudite sont de proches alliés économiques, militaires et diplomatiques.[7] La peur de l’arc chiite représenté par l’Iran et ses alliés (Hezbollah libanais, régime syrien, milices irakiennes et minorités chiites au Yémen…) lie Washington et Riyad.

Si l’administration Obama a inquiété l’Arabie Saoudite, notamment avec la signature des Accords de Vienne (Joint Comprehensive Plan of Action) le 14 juillet 2015 et le choix d’une diplomatie moins active au Moyen-Orient, l’administration Trump a changé la donne et rassuré les monarchies du Golfe. Il est d’ailleurs de notoriété publique que Jared Kushner, beau-fils de D. Trump et haut conseiller de ce dernier, entretient une très bonne relation avec Mohammed ben Salman (MBS), prince héritier d’Arabie Saoudite.

Allié historique et soutien inconditionnel d’Israël, les Etats-Unis souhaitent une paix régionale et donc une résolution du conflit israélo-palestinien en fonction de leurs intérêts. Le plan de paix pensé par D. Trump, largement favorable à Israël, est rejeté par les Palestiniens. Les normalisations israélo-arabes vont dans le sens de ce plan de paix. Pourtant, l’Arabie Saoudite nie pour l’instant vouloir normaliser ses relations avec Israël. Mais le Royaume tiendra-t-il longtemps ce discours ?

    II.         L’Arabie Saoudite et la question palestinienne : un changement de cap diplomatique risqué

Depuis 2015, MBS est l’homme fort du Royaume saoudien. En avril 2018, il estimait que les Palestiniens comme les Israéliens avaient « droit à leur propre terre » ; des propos qui avaient déjà étonné l’opinion publique arabe.

A.    Un soutien plus mesuré à la cause palestinienne

Les propos saoudiens à l’égard d’Israël sont de plus en plus neutres, laissant entrevoir un rapprochement entre les deux pays. Riyad comme Tel Aviv sont pragmatiques et comprennent l’intérêt d’un rapprochement économique (depuis 2005) et de faire front ensemble contre l’Iran. Si certains médias s’accordent à dire que l’Arabie Saoudite finira par signer un accord de normalisation, le prince Fayçal ben Farhane, ministre saoudien des Affaires étrangères a assuré qu’il n’y aurait pas d’accord israélo-saoudien tant qu’une paix ne serait pas concrétisée entre Israël et la Palestine[8].

Néanmoins, la normalisation entre Israël et Bahreïn ne se serait sans doute pas faite sans l’aval saoudien : la dynastie bahreïnienne des Al Khalifa étant étroitement liée à la dynastie des Al Saoud. Depuis 2018, le Royaume survit financièrement grâce à une aide de 10 milliards de dollars débloquée par Riyad et Abou Dhabi.[9] Si l’Arabie Saoudite consent à ce que Bahreïn normalise ses relations avec Israël, n’est-ce pas déjà là un premier pas de leur part en faveur d’un rapprochement israélo-saoudien ?

B.    Palestine : porte ouverte sur le Levant pour Ankara et Téhéran ?

Dans son interview, Bandar bin Sultan accuse également les dirigeants palestiniens de préférer Ankara et Téhéran aux monarchies sunnites du Golfe.[10] Une accusation qui se base sans doute sur la relation étroite entre l’Iran et certains groupes islamistes de Gaza ainsi que la bonne entente générale entre les autorités palestiniennes et la Turquie. Cet été par exemple, Mahmoud Abbas, président palestinien félicitait Recep Tayyip Erdogan de la découverte de réserves de gaz naturel en Méditerranée.[11]

Les bonnes relations entre les dirigeants palestiniens et Ankara et Téhéran ont de quoi ulcérer les Saoudiens. Cependant, peut-on s’étonner de ces rapprochements ? Au lendemain des accords de normalisation, seules les voix turques et iraniennes s’étaient réellement élevées pour condamner ces accords. Vécus comme une trahison, ils soulignent aussi et surtout le manque de réaction de la part des États arabes habituellement favorables à la cause palestinienne.

Une normalisation israélo-saoudienne dans le but de contrer l’arc chiite pourrait en réalité placer l’Iran en position de grâce aux yeux des Palestiniens. En outre, Ankara ne cache plus ses aspirations néo-ottomanes et multiplie sa présence à l’étranger. Le Président turc semble prêt à s’investir sur tous les théâtres possibles pour étendre son influence. Si Riyad signait des accords de paix avec Israël, nul doute que la Palestine se tournerait inéluctablement vers les alliés qui se présenteront à elle.

Les propos tenus par Bandar bin Sultan, éminent diplomate saoudien, amènent à questionner la position du Royaume saoudien face à la question palestinienne et face à Israël. Bien qu’il s’agisse d’une opinion personnelle, il n’est pas interdit de penser que certains dirigeants saoudiens partagent son point de vue. Ces déclarations pourraient alors être une manière de justifier un futur rapprochement israélo-saoudien qui pourrait bien bouleverser les alliances historiques et générer un nouvel échiquier diplomatique au Moyen-Orient.


[1] La retranscription écrite de l’interview est disponible : https://english.alarabiya.net/en/features/2020/10/05/Full-transcript-Part-one-of-Prince-Bandar-bin-Sultan-s-interview-with-Al-Arabiya

[2] L’équipe du Times of Israël, Un ancien chef des renseignements saoudiens blâme les dirigeants palestiniens, The Times of Israël, 6 octobre 2020. https://fr.timesofisrael.com/un-ancien-chef-des-renseignements-saoudiens-blament-les-dirigeants-palestiniens/

[3]L’équipe du Middle East Eye, Palestinians outraged by Saudi prince’s barbed criticism of leadership, Middle East Eye, 9 octobre 2020. http://www.middleeasteye.net/news/palestinian-officials-dismisses-saudi-prince-bandar-bin-sultan-statements-step-normalise-ties

[4] Les Accords d’Abraham ont été signés par Israël, Bahreïn et les Emirats arabes unis le 13 août 2020 à la Maison Blanche, Etats-Unis.

[5] Lisa Romeo, Il y a 10 ans : l’initiative de paix de la Ligue des Etats arabes, Les Clés du Moyen-Orient, mars 2012. https://www.lesclesdumoyenorient.com/Il-y-a-10-ans-l-initiative-de-paix.html

[6] Al Arabiya en anglais, Saudi Arabia among top aid providers for Palestinians, nearly $1 mln per day¸Al Arabiya, 15 août 2020. https://english.alarabiya.net/en/News/gulf/2020/08/15/Saudi-Arabia-remains-top-aid-provider-for-Palestinians-nearly-1-mln-per-day

[7] Alexandre Aoun, Le pacte de Quincy : l’ossature de la politique étrangère saoudienne depuis 1945 ? Mon Orient, 19 décembre 2019 https://www.monorient.fr/index.php/2019/12/19/le-pacte-quincy-lossature-de-la-politique-etrangere-saoudienne-depuis-1945/

[8] Le Figaro et AFP, Arabie Saoudite : pas de normalisation avec Israël sans paix avec les Palestiniens, Le Figaro, 19 août 2020. https://www.lefigaro.fr/flash-actu/arabie-saoudite-pas-de-normalisation-avec-israel-sans-paix-avec-les-palestiniens-20200819

[9] Blandine Lavigon, Bahreïn, le Royaume en situation de dépendance face à l’Arabie Saoudite, Le vent se lève, 25 mars 2020, https://lvsl.fr/bahrein-le-royaume-en-situation-de-dependance-face-a-larabie-saoudite/

[10] L’équipe du Middle East Eye, Palestinians outraged by Saudi prince’s barbed criticism of leadership, Middle East Eye, 9 octobre 2020. http://www.middleeasteye.net/news/palestinian-officials-dismisses-saudi-prince-bandar-bin-sultan-statements-step-normalise-ties

[11] Mourad Belhaj, La Palestine et l’Azerbaïdjan félicitent la Turquie pour sa récente découverte de gaz naturel, Agence Anadolu, août 2020. https://www.aa.com.tr/fr/monde/la-palestine-et-lazerba%C3%AFdjan-f%C3%A9licitent-la-turquie-pour-sa-r%C3%A9cente-d%C3%A9couverte-de-gaz-naturel-/1950065

Le Liban dans l’impasse politique

« La position confessionnelle au Liban est un phénomène de structure ; aucune violence n’y changera rien ; c’est le temps seul qui la modifiera, ou qui ne la modifiera pas »[1].

Août 2020. Après la terrible explosion au port de Beyrouth et plus d’un an de protestations contre les conditions sociaux-économiques, et majoritairement dirigées contre un système politique plus que jamais décrié, le Président du Conseil des Ministres, Hassan Diab démissionne[2]. Puis ce fut le tour de Mustapha Adib[3]. Ensuite, le flou, sur tous les plans. D’abord, sur celui d’une pratique du pouvoir qui relève d’une tradition presque indéracinable. Ensuite, sur celui de l’avenir plus qu’incertain du gouvernement, et enfin sur celui de la colère de la population et de son action, laquelle se mue en intervention plus largement régionale, voire internationale.

Entre tentatives de sanctuarisation des acquis, intérêts régionaux et ingérence internationale : le Liban serait-il face à une impasse politique insoluble ?

Le confessionnalisme politique libanais : gestion d’une réalité démographique …

Le Liban, environ 10 400 km2, aujourd’hui près de 5,5 millions d’habitants, et 18 confessions. C’est au regard de ces données là qu’en 1926 la structure politique s’est faite de manière à s’adapter à une population multiconfessionnelle et à des réalités socioculturelles particulières.

Afin de représenter le plus équitablement possible ces différentes communautés, cette adaptation est passée par le confessionnalisme politique, c’est-à-dire une répartition du pouvoir en fonction de différentes confessions religieuses. La Constitution de 1926 prône très clairement cette pratique[4], instaurée à l’origine uniquement pour la chambre des députés[5]. Aujourd’hui et depuis les années 40, le Président « doit » être chrétien maronite, le Premier Ministre musulman sunnite et le Président de la chambre des députés, musulman chiite.

Ainsi, on partait du principe qu’il était nécessaire de maintenir un certain équilibre entre la composition du tissu social et la composition du corps politique représentant celui-ci. C’est pourquoi en 1943, un pacte oral est venu étendre l’application du confessionnalisme à d’autres fonction, celle de Président de la République Parlementaire du Liban ainsi que celle de Président du Conseil des Ministres. Bien qu’oral, ce pacte instaure presque une « coutume » et est toujours en vigueur aujourd’hui.

C’est ici qu’il convient de préciser une donnée importante : dès 1948[6] les musulmans commencent à être majoritaires en termes de population, et parallèlement les tensions communautaires grimpent.

40 ans plus tard, la donne se complique encore un peu plus. Le 30 septembre 1989, les accords de Taëf mettent fin à la guerre civile survenue en 1975, en réorganisant le partage des pouvoirs entre les confessions. Le Président cède ainsi certaines de ces prérogatives au Premier Ministre, musulman sunnite, qui dispose finalement de plus de marge d’action que le Président lui-même. Préciser ici la confession du Premier Ministre permet de comprendre l’absence d’unanimité sur cet accord, les chrétiens se sentaient trahis.

« Ce n’est pas parce qu’on a mérité un poste qu’on l’obtient, c’est d’abord parce qu’on appartient à une communauté »[7].

Le dernier recensement ayant eu lieu en 1932, il n’y a pas eu d’adaptation de le représentativité vis à vis des évolutions confessionnelles de la société, dont tous les membres se définissent d’abord par l’appartenance communautaire, l’« assabiya » (esprit communautaire) primant sur l’identité nationale. 

[8]

Un effacement des barrières communautaires est-il envisageable ?

Le confessionnalisme a traversé au Liban des crises de toutes natures, mais est-il aujourd’hui à bout de souffle ? Les uns prônent un maintien du statu-quo, les autres rêvent d’une laïcité à l’orientale. 

… devenu outil de conservation d’intérêts partisans à la source d’une inévitable impasse politique

Depuis plus d’un an, les manifestations retentissantes du peuple libanais visent non seulement la crise des services publics mais plus largement le système confessionnel, dont l’« omniprésence est un échappatoire »[9]. Son maintien arrange, et il convient de comprendre cette impasse politique sous l’angle des intérêts de la classe politique et des enjeux de leur maintien, auquel un changement de règlementation risquerait de mettre fin. Aujourd’hui, plus que jamais, le Liban sombre dans un manichéisme politique. Le poids de l’influence du Hezbollah est le sujet de discorde.

Le « tandem chiite »[10] adopte ici un discours et une posture révélateurs de ce qu’ils « risquent » : le parti Amal et le Hezbollah ont le regard porté tout particulièrement sur le ministère des finances. La régulation des informations financières représenterait en effet un atout majeur pour les acteurs bénéficiant de larges intérêts via un système habitué aux actes de corruption. Mais plus encore, le Hezbollah, via l’acquisition de ce ministère, espère avoir la possibilité de contourner les sanctions américaines, lesquelles depuis plusieurs mois visent directement ou indirectement le parti Hezbollah, considéré comme parti terroriste par les États-Unis.

Le Courant patriotique libre (CPL) de Gebran Bassil, se démarque dans cette bataille « sous terraine » en ne considérant pas l’attribution du ministère des finances au tandem chiite comme une évidence, et penche plutôt du côté de la nécessité de sortir rapidement et efficacement de cette impasse politique, tout en gardant comme objectif, lui aussi, le maintien de ses intérêts.

De manière générale, il convient de replacer ce blocage politique dans le cadre des divergences entre les partis traditionnels, qui eux aussi, se divisent sur la composition du gouvernement à venir. L’alliance du 14 mars, qui représente l’opposition, ne souhaite pas que le nouveau gouvernement soit sous influence du Hezbollah. Selon les ramifications politiques libanaises, les partis traditionnels veulent garder leurs prérogatives. Dernièrement, l’évocation de la nomination des anciens Premiers ministres à la tête du gouvernement est symptomatique de la crise politique au Liban : vouloir le changement pour finalement ne rien changer.

Ce véritable « chantage des intérêts » fait fi de la chute d’un peuple, mais au-delà, démontre bien que la naissance d’un nouveau gouvernement stable et solide sur le long terme est compromise, puisque celui-ci devra d’ores et déjà se battre avec de très nombreux acteurs politiques qui cherchent par tous les moyens à s’assurer une véritable sanctuarisation de leurs acquis.

Comment en est-on arrivé à une impasse si irréductible ? Il est important de rappeler qu’à plusieurs reprises, l’idée d’une éventuelle sortie de ce système a été évoquée, étudiée du moins, sans véritable application … Mahdi Amil, assassiné en 1987 par une milice chiite, aurait souhaité viser une « dépassement du système communautaire »[11].

Déjà en 1926, Maurice Sarrail a fait face au blocage des grands notables libanais[12], qui cherchaient déjà le maintien des privilèges, et qui tentaient déjà d’adopter une argumentation structurée afin d’appuyer leurs revendications[13]. L’ancien Premier ministre Mustapha Adib, face à ces revendications, n’a pas souhaité entamer des négociations avec le tandem chiite.

Il est donc très clair que cette impasse met en exergue le jeu de l’ensemble des partis politiques du Liban, lesquels sont le reflet de la population multiculturelle et multiconfessionnelle. Cependant, les acteurs internes ne sont pas les seuls à être impliqués. En effet, la participation et l’implication des acteurs régionaux et internationaux accentuent la pression sur les dirigeants libanais.

Ingérence à l’échelle régionale et internationale : une problématique multidimensionnelle

Si le Hezbollah reste l’outil privilégié de l’Iran afin de maintenir son influence au Levant, d’autres pays s’ingèrent au Liban en fonction de leurs propres intérêts.

Tout d’abord, les États-Unis, dont l’omniprésence dans la région reste forte, à travers sanctions,  négociations et présence militaire. Dernièrement, la loi César, rentrée en vigueur en juin 2020, vise officiellement Damas et ses principaux alliés, dont le Hezbollah. Les entreprises libanaises commerçant avec la Syrie sont ainsi sanctionnées. L’agenda politique américain au Liban est consubstantiel à la lutte contre l’axe iranien, donc contre l’influence du Hezbollah au Liban.

De surcroît, les négociations concernant les frontières maritimes entre le Liban et Israël, les États-Unis se posent en négociateurs dans cette bataille autour des blocs 8 et 9[14] du gisement Léviathan en Méditerranée Orientale. Allié historique d’Israël, Washington privilégie la version israélienne sur ce dossier au détriment du droit de la mer.  Le territoire libanais est donc le théâtre d’une lutte d’influence entre l’Iran et les États-Unis.  

La France, quant à elle, forte de son héritage historique au Liban, souhaite conserver cette influence et cette implication. Après deux visites en moins d’un mois à Beyrouth, le Président Macron tente d’imposer une politique très dirigiste couplée à une politique de sanction. En effet, il impose aux dirigeants libanais de former le plus rapidement possible un gouvernement selon une feuille de route bien précise. Le vocabulaire employé lors de ses discours laisse bien entrevoir cette prise de position et démontre le choix très affirmé de prendre les choses en main : « trahison », « honte », « responsabilité », « dernière chance », « obligation », « question de confiance ». Le Secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah approuve l’initiative française mais désapprouve la forme et le langage employé.

Une problématique soulève alors des questions : la communauté internationale est au chevet du Liban depuis la double explosion du port le 4 août dernier. Or, l’aide internationale est conditionnée à la bonne formation d’un gouvernement et à sa viabilité sur le long terme. Ce sont les populations, qui, pour l’instant, souffrent de l’absence de cette aide … Aide qui, pour l’Arabie Saoudite, ne verra pas le jour si le Hezbollah est au pouvoir.  

Conclusion : changement nécessaire mais impossible ?

La population libanaise est politisée et parrainée par une puissance extérieure. Les Chrétiens se réfèrent principalement à la France, les Sunnites comptent sur la Turquie et l’Arabie Saoudite et les Chiites reçoivent l’aide de l’Iran. Ainsi, chaque communauté s’enracine dans une logique partisane. Bien que souhaité durant les manifestations, un changement de pouvoir est-il pour autant réalisable au pays du Cèdre ? Les causes profondes de ce blocage remontent à près d’un siècle, les coutumes étant enracinées dans la Constitution de 1926. L’immense diversité qui compose le pays semble rendre le consensus impossible, chacun cherchant le maintien de ce à quoi il est attaché, tant au niveau des partis politiques qu’au niveau de la population. Les premiers pensant en termes d’intérêts, les seconds en termes d’attachement communautaire.


[1] https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-de-l-orient-2013-4-page-25.htm

[2] Il annonce la démission de son gouvernement le 10 août 2020, presque une semaine après les violentes explosions qui ont frappé Beyrouth.

[3] Il renonce à la formation d’un nouveau gouvernement le 26 septembre 2020, face aux tensions et à l’impossible consensus sur la question de l’attribution des ministères.

[4] Article 95 de la Constitution de la République parlementaire du Liban : http://www.cc.gov.lb/sites/default/files/La%20Constitution%20Libanaise.pdf

[5] Article 24 de la Constitution : http://www.cc.gov.lb/sites/default/files/La%20Constitution%20Libanaise.pdf

[6] Année de l’indépendance d’Israël

[7] https://www.francetvinfo.fr/monde/proche-orient/liban/explosions-a-beyrouth/larticle-a-lire-pour-comprendre-pourquoi-le-systeme-politique-libanais-est-a-bout-de-souffle_4073431.html

[8] https://www.youtube.com/watch?v=OvH12P3Paz4

[9] https://www.youtube.com/watch?v=OvH12P3Paz4

[10] Terme désignant le Hezbollah et le parti Amal

[11] https://www.monde-diplomatique.fr/1997/03/CORM/4657

[12] https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-de-l-orient-2013-4-page-25.htm

[13] Ibid.

[14] Ces 2 blocs représentent un champ gazier, le « Léviathan », en méditerranée orientale

La question du Haut-Karabagh : entre conflit ethno-territorial et centre névralgique des tensions régionales

Le 27 septembre 2020, l’armée azerbaïdjanaise lance une offensive dans la région sécessioniste du Haut-Karabagh dans le but de récupérer la région des mains des rebelles. Soutenue depuis toujours par l’Arménie, le conflit interne azerbaïdjanais tourne de plus en plus en un conflit inter-étatique, puis régional. Octroyée territorialement à l’Azerbaïdjan par le pouvoir soviétique, la région du haut-Karabagh est pourtant peuplée en majorité d’Arméniens orthodoxes et catholiques. Les revendications de la population sur place ne tarderont pas, et celles-ci vont durer jusqu’à nos jours.

Mais, comment la question du Haut-Karabagh n’a toujours pas trouvé d’issue aujourd’hui ? Et comment l’implication des différentes puissances régionales complexifie le processus de pacification ?

I.            Le conflit du Haut-Karabagh, un conflit séculaire

Il est erroné de penser que le conflit actuel dans la région du Haut-Karabagh s’est déclaré uniquement à la chute de l’Union Soviétique et à l’indépendance des Républiques Socialistes Soviétiques (RSS) qu’étaient l’Arménie et l’Azerbaïdjan. En effet, la question du Haut-Karabagh n’a pas été résolue, et cela depuis la chute de l’Empire ottoman. Dès l’indépendance des deux protagonistes, cette région a été une source de tension palpable, et l’intégration dans l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS) de l’un et l’autre n’arrange pas les choses.

L’époque soviétique :

Comme le dit le géographe et spécialiste du Caucase Jean RADVANJI, « toute une série de territoires administratifs à caractère national, créés dans les années 1920-1930, ont des effets à long terme contradictoires. Ils sont des bombes à retardement laissés en héritage lors de l’éclatement de l’URSS. »[2]

Durant toute la période soviétique, la question du Haut-Karabagh n’a jamais été résolue. Pire, la stratégie soviétique s’est résumée à intensifier les dissentions entre les belligérants dans une vision globale de renforcement de la pax sovietica. Effectivement, le fort caractère idéologique de l’URSS et la répression stalinienne des années 1930 ont semé les graines de la discorde dans énormément de territoires. Le but était de placer le socialisme au-dessus des nationalismes. Pour cela, le développement de certaines minorités a été favorisé afin de briser l’idée nationale dans les pays fédérés de l’URSS. Si la pression exercée par Moscou sur les deux républiques fédérées a longtemps permis un « gel » de la situation de la région, l’affaiblissement du pouvoir moscovite des années 1980 a eu raison de la relative paix dans le Haut-Karabagh.

Lors de cette période, Mikhaïl GORBATCHEV a dû faire face à la montée des nationalismes au sein de l’Union Soviétique. Persuadé que la Perestroïka, un programme de réformes politiques et économique, permettrait à l’URSS de maintenir son intégrité, celle-ci a permis la résurgence des sentiments nationaux des différentes entités en son sein. C’est dans ce contexte que l’Arménie demande une nouvelle fois que le Haut-Karabagh lui soit rattaché en 1988 ; une manœuvre vaine, quand on analyse la question sous un angle juridique. En effet, pour qu’une telle chose soit possible juridiquement, il fallait l’accord des deux républiques socialistes soviétiques engagées (Arménie et Azerbaïdjan) pour qu’enfin le pouvoir moscovite valide un quelconque rattachement. Cette règle montre bien la stratégie du pouvoir central.

Les indépendances :

La chute de l’URSS et l’accès à l’indépendance de l’Arménie et l’Azerbaïdjan finit par déclencher un conflit inter-étatique pour la région du Haut-Karabagh. L’intégration de ces deux nouveaux États dans le système international (de manière indépendante du moins) met en lumière un problème au niveau du droit international : l’interpénétration entre le concept d’intégrité territoriale et celui du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Élément essentiel en droit international, l’intégrité territoriale signifie que le « territoire d’un État ne peut pas être divisé, arraché ou occupé par la force ».[3] Donc, si nous partons de cette définition, la question de l’autonomie du Haut-Karabagh doit s’envisager dans le cadre territorial de l’Azerbaïdjan. Or, là, il n’est pas question d’autonomie mais d’indépendance, ce qui signifie une séparation territoriale de l’entité sécessionniste. Le droit international met en avant l’autodétermination des peuples. De surcroît, l’Acte Final d’Helsinki de 1995 met le doigt sur un autre problème concernant la situation du Haut-Karabagh : « tous les peuples ont toujours le droit, en toute liberté, de déterminer, lorsqu’ils le désirent et comme ils le désirent, leur statut politique interne et externe, sans ingérence extérieure. »[4] En effet, le Haut-Karabagh, territoire azerbaïdjanais, est soutenu dans sa revendication par l’Arménie ; cela est donc contraire au droit international.

II.         Le Haut-Karabagh, carrefour de toutes les tensions

Le conflit du Haut-Karabagh prend une dimension régionale de part la participation des puissances voisines. Les puissances étrangères ne manquent donc pas d’instrumentaliser ce conflit. Entre rivalités régionales et idéologiques profondes, ces puissances se servent du conflit pour progresser dans la région. Nous pouvons donc retrouver autour de la question du Haut-Karabagh la rivalité historique entre la Turquie et la Russie mais aussi la matérialisation des dissentions entre l’Iran et Israël.

La politique russe :

La région du Haut-Karabagh se retrouve au centre de la rivalité turco-russe dans la région. En effet, les deux puissances régionales tentent d’étendre leur influence dans la région via les différents dossiers en cours (Syrie, Lybie…). La Russie se retrouve en positions de force dans le Caucase du sud, région historiquement sous influence russe. La doctrine eurasienne domine le monde politique russe, qui définit que « tout l’espace géopolitique de l’ex-URSS fait partie de sa sphère d’intérêt ». L’eurasisme met donc en lumière la doctrine de « l’étranger proche »[5], c’est-à-dire une présence russe dans les anciens territoires de l’URSS. L’application de cette doctrine permet une reformulation des objectifs de la politique étrangère russe qui est d’empêcher l’extension des conflits périphériques au territoire russe et obtenir la résolution de ceux-ci sous sa médiation. La politique de « l’étranger proche » a aussi comme but de maintenir une présence militaire russe au sein des Nouveaux États Indépendants (NEI) et de promouvoir la Communauté des États indépendants (CEI), organisation qui a comme but la préservation des liens économiques entre les anciens membres de l’Union Soviétique. Pour maintenir les NEI dans son giron, la Russie opte pour des moyens de pression militaires et économiques. En effet, Moscou tente d’exploiter les conflits dans la région en soutenant les différents sécessionnismes pour affaiblir et contraindre les États à faire des concessions politiques ; comme avec la Géorgie en 2008, sur la question de l’Ossétie du Sud par exemple. Cette stratégie opérée par la Russie est nommée de « stratégie russe de déstabilisation contrôlée »[6] par Janri KACHIA, écrivain et journaliste géorgien. De plus, cette stratégie permet à Moscou de faire affaires avec les deux belligérants en ce qui concerne la vente d’armes. Cependant, la Russie a montré une réelle préférence pour l’Arménie. Cela est justifiable par des raisons historiques et géostratégiques. Effectivement, le soutien à l’Arménie s’inscrit dans la volonté russe de protection des peuples chrétiens orthodoxes de la région et la protection des frontières de l’Organisation du Traité de Sécurité Collective (OTSC), dont l’Arménie est membre. Mais la Russie fait quand même partie du groupe de Minsk avec la France et les États-Unis, chargé de trouver une solution pacifique à ce conflit ; le tout malgré la prise de position russe.

Les visées turques :

La Turquie, dans une logique néo-ottomane, tente de s’implanter dans le Caucase pour atténuer l’influence russe dans la région. En effet, celle-ci tente de s’implanter en s’appuyant sur l’Azerbaïdjan, république turcophone et musulmane. D’abord soucieuse de son image, la Turquie tente de s’immiscer dans la région via le vecteur culturel et le « modèle » d’association entre démocratie et islam. Cependant, l’image de la Turquie s’est peu à peu dégradée au sein de la Communauté Internationale : Syrie, Irak, question kurde, le problème chypriote, les contentieux avec la Grèce et maintenant la Lybie… La Turquie s’est ingérée dans plusieurs dossiers chauds de la région. Si les Turcs ont, un temps, tenté un léger rapprochement avec l’Arménie, en lui proposant de participer à la Zone de Coopération Économique de la Mer Noire (ZCEMN), les dissensions sont telles qu’une normalisation des relations turco-arméniennes est aujourd’hui de l’ordre de l’utopie. Effectivement, entre non-reconnaissance des frontières (traité de Kars de 1921), la question des « événements de 1915 » ou encore l’occupation arménienne du Haut-Karabagh. L’alliance turco-azéri revêt cependant un tout autre caractère ; en effet, les deux États ont mis en place un Partenariat stratégique d’assistance mutuelle le 16 août 2010, sur fond de promesses de défense et de coopération en matière d’équipements militaires. Le directeur de la communication de la présidence turque n’a d’ailleurs pas hésiter à commenter la position de son gouvernement : « La Turquie sera pleinement engagée à aider l’Azerbaïdjan à recouvrer ses terres occupées et à défendre ses droits et intérêts selon le droit international »[7]. De surcroît, la Turquie a fait appel ces derniers jours aux services de mercenaires syriens pour combattre les rebelles du Haut-Karabagh. L’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH) fait état de l’envoi d’environ 850[8] fidèles pro-Ankara[9]. Ce mouvement turc déclenche l’indignation de la Communauté Internationale, Arménie et France en tête  réclament des explications au gouvernement turc. La Turquie a usé de la même méthode concernant le dossier libyen, où des mercenaires djihadistes avaient été envoyés pour combattre des hommes du dissident Haftar.

Rivalités israélo-iraniennes :

Israël et l’Iran regardent aussi l’évolution du conflit dans la région. En effet, les deux puissances régionales ont aussi des intérêts. Les deux États sont surtout des ennemis héréditaires et profitent de touts les dossiers de la région pour se faire face : Liban, Syrie… L’Iran procède par le financement de milices ouvertement hostiles à Israël (Hamas, Hezbollah) et essaye de maintenir le différent judéo-arabe pour empêcher une intégration complète d’Israël dans la région. Cependant, cette politique commence à se retourner contre l’Iran, qui voit les pays sunnites se rapprocher officiellement d’Israël.

Israël soutient ouvertement l’Azerbaïdjan[10], car elle y importe environ 1/3 de son gaz[11]. Cette relation surprenante entre l’État hébreu et l’Azerbaïdjan chiite remonte à avril 1992. Israël est un des premiers pays à reconnaître l’indépendance de l’ancienne République soviétique. Les deux pays nouent des relations commerciales mais surtout militaires. Israël a l’intention de se servir de l’Azerbaïdjan pour être au plus proche de la frontière iranienne. Les deux États ont un objectif commun : empêcher la diffusion de la propagande islamique iranienne. En effet, même l’Azerbaïdjan chiite avait peur des déstabilisations que pouvait apporter la propagande islamique dans un État fondé sur la laïcité du pouvoir politique. Tel-Aviv joue donc sur cette dissension inter-chiite. De surcroît, l’État hébreu fournit matériel et logistique à l’Azerbaïdjan dans le conflit qui l’oppose à l’Arménie.

Du côté iranien, le soutien à l’Arménie est plus discret, moins officiel. Il revêt des justifications géostratégiques mais aussi historiques[12]. En effet, l’Iran a été par le passé une terre d’accueil pour les Arméniens chassés des différentes provinces ottomanes. Malgré l’islamisation du régime depuis 1979, les Arméniens sont en majorité restés en Iran, on en dénombre aujourd’hui plus de 600 000[13]. Si la méfiance entre Azéris et Iraniens pousse les deux États chiites à ne pas s’allier, cette méfiance est telle que l’Iran profite de la situation du Haut-Karabagh pour maintenir la pression sur son voisin chiite. En effet, le soutien iranien à l’Arménie se matérialise par des ventes d’armes, des aides alimentaires pour le Haut-Karabagh ou encore par l’aide bancaire arménienne permettant de contourner les sanctions américaines à l’encontre de l’Iran[14].

Pour conclure, nous pouvons dire que le conflit actuel dans la région du Haut-Karabagh entre l’Azerbaïdjan et les sécessionistes, soutenus par l’Arménie, est le résultat de la politique soviétique menée lors des années 1930, sur fond de volonté d’étouffement des identités nationales. Le conflit resurgit lors de l’indépendance des deux anciennes républiques fédérées, un conflit qui devient le centre des tensions régionales entre les différentes puissances, chacune voulant défendre son intérêt propre.


[1] https://www.lesclesdumoyenorient.com/Le-Haut-Karabagh-une-ligne-de-feu-pour-l-Armenie-et-l-Azerbaidjan-une-ligne-de-3262.html

[2] Fazil ZEYNALOV, Le conflit du Haut-Karabakh. Paix juste ou guerre inévitable ? Approche historique, géopolitique et juridique, Paris, Diplomatie et stratégie, L’Harmattan, 2016.

[3] Fazil ZEYNALOV, Le conflit du Haut-Karabakh. Paix juste ou guerre inévitable ? Approche historique, géopolitique et juridique, Paris, Diplomatie et stratégie, L’Harmattan, 2016.

[4] Fazil ZEYNALOV, Le conflit du Haut-Karabakh. Paix juste ou guerre inévitable ? Approche historique, géopolitique et juridique, Paris, Diplomatie et stratégie, L’Harmattan, 2016.

[5] David CUMIN, Géopolitique de l’Eurasie. Avant et depuis 1991, Paris, L’Harmattan, 2020.

[6] Fazil ZEYNALOV, Le conflit du Haut-Karabakh. Paix juste ou guerre inévitable ? Approche historique, géopolitique et juridique, Paris, Diplomatie et stratégie, L’Harmattan, 2016.

[7] https://www.lesclesdumoyenorient.com/Le-Haut-Karabagh-une-ligne-de-feu-pour-l-Armenie-et-l-Azerbaidjan-une-ligne-de-3262.html

[8] Les médias arméniens parlent eux de plus de 3000 mercenaires syriens.

[9] https://www.lemonde.fr/international/article/2020/10/02/haut-karabakh-macron-reclame-des-explications-a-la-turquie-et-interpelle-l-otan_6054446_3210.html

[10] https://www.rfi.fr/fr/europe/20201001-haut-karabakh-isra%C3%ABl-partenaire-longue-date-l-azerba%C3%AFdjan

[11] https://fr.wikipedia.org/wiki/Relations_entre_l%27Azerba%C3%AFdjan_et_Isra%C3%ABl

[12] https://journals.openedition.org/cemoti/1451

[13] https://fr.wikipedia.org/wiki/Diaspora_arm%C3%A9nienne

[14] https://www.atlantico.fr/decryptage/3590555/les-enjeux-de-l-interventionnisme-iranien-dans-l-explosive-region-du-caucase-du-sud-ardavan-amir-aslani

L’opposition sunnites-chiites : le levier religieux au service d’une guerre d’influence entre l’Arabie Saoudite et l’Iran

Arabie Saoudite : les écueils des conflits religieux

L’Arabie Saoudite est le plus grand État de la péninsule Arabo-persique et une puissance régionale affirmée. Premier producteur mondial de pétrole, important acteur de l’industrie chimique, haut-lieu du tourisme religieux et puissance militaire surarmée, le Royaume de Salmane ben Abdelaziz Al Saoud dispose de nombreux leviers de puissance.

Pourtant, au cours de ces dernières années, le pays fait face à de nombreuses crises, internes comme externes et doit maintenir son influence fragilisée dans la région pour garantir son intégrité nationale. Le Royaume qui tente d’établir une hégémonie saoudienne dans la région se voit affaibli voire menacé par des différends politico-religieux. Depuis 1979, date de l’avènement de la République islamique d’Iran, ces conflits mutent en conflits armés ou en luttes d’influence qui pourraient profondément déstabiliser le géant du Golfe.

Carte représentative des majorités et minorités religieuses musulmanes. Source et crédits : RTBF – https://www.rtbf.be/info/monde/moyen-orient/detail_iran-arabie-saoudite-conflit-religieux-ou-lutte-de-pouvoir-classique?id=9177055

Une opposition historique chiite-sunnite : quand politique et théologie se confondent

Pour bien appréhender la question religieuse, il est important de revenir aux sources. Au sein de l’Islam, on dénombre trois courants majeurs : le sunnisme, le chiisme et le kharidjisme. Le sunnisme, largement majoritaire en termes de croyants, est souvent opposé au chiisme. Le schisme entre les deux branches remonte à la genèse de l’Islam, quand deux clans s’affrontent pour savoir qui succèdera au Prophète Mahomet après sa mort en 632.

Ceux qui deviendront les futurs sunnites décident de reconnaître Mu’awiya comme successeur de Mahomet bien qu’il n’ait pas de liens de parenté avec lui tandis que les futurs chiites reconnaissent Ali, cousin du Prophète. Aussi, les chiites ne reconnaissent que la descendance de Ali et ils se basent sur les écrits et récits des imams et compagnons de Mahomet qu’on appelle les hadiths. Les imams chiites sont donc considérés comme des chefs spirituels incontestables et infaillibles. A l’inverse, les sunnites ne considèrent pas que les imams aient un statut divin. Ils refusent l’imamat et suivent la sunna, qui rapporte les faits et geste du Prophète[1].

D’ores et déjà, l’opposition était teintée d’un aspect politique avant que les questions d’ordre théologique ne soient soulevées. Car c’est bien la question du droit de succession qui posait problème. De nos jours, les deux courants sont toujours présentés en opposition, bien qu’encore une fois, l’opposition théologique relève également souvent d’une opposition politique. Le conflit opposant l’Arabie Saoudite sunnite à l’Iran chiite est le parfait exemple de ces différends politico-religieux.

Arbre généalogique de l’Islam avec quelques courants majeurs. Source et crédits : ethi.weebly.com

Le grand ennemi chiite iranien : bras de fer régional

En effet, l’Arabie Saoudite est une nation à grande majorité sunnite et berceau du wahhabisme. La nation voisine iranienne, quant à elle, est proportionnellement la plus grande nation chiite au monde. Les deux pays se ressemblent en termes de ressources, de superficie, et partagent le même environnement régional. Cependant, les deux géants s’affrontent sur de nombreux théâtres, luttant pour conserver ou accroître leur influence en s’appuyant très largement sur le levier religieux.

Depuis le 3 janvier 2016, les relations diplomatiques sont rompues entre Téhéran et Riyad suite à la décapitation du cheikh chiite saoudien Nimr Al-Nimr[2] et l’attaque contre l’ambassade saoudienne à Téhéran. Ces événements marquent un point de non-retour entre les deux puissances mais les dissensions sont bien plus nombreuses et antérieures à cette année 2016. En effet, les deux pays s’opposaient d’ores et déjà dans les années 1980 au sujet de la tutelle des lieux saints musulmans situés en Arabie Saoudite.[3]

Au cours des années 1970, les deux pays s’enrichissent grâce au pétrole et deviennent les deux plus importants membres de l’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole (OPEP). Cependant, loin de devenir alliées contrairement à ce qu’auraient souhaité les puissances occidentales, les deux jeunes puissances enchaînent les désaccords : territoriaux avec l’indépendance du Bahreïn, financiers avec la manière de gérer leurs richesses énergétiques et le prix du pétrole, politiques avec l’interventionnisme régional de Téhéran à Oman par exemple[4].

Historiquement, les deux pays se sont toujours fait face pour des motifs géopolitiques, économiques, stratégiques, plus que pour des motifs simplement religieux[5]. Le levier religieux intervient au sein de ce conflit irano-saoudien parfois qualifié de « guerre froide » dans la mesure où l’Arabie Saoudite s’appuie largement sur la majorité sunnite et accuse les « hérétiques » chiites de tous les maux et guerres de la région. En réponse, l’Iran, s’appuie sur les minorités chiites et noue des alliances de circonstances avec d’autres minorités ethniques comme les chrétiens libanais et syriens – pour ne citer qu’eux – afin de maintenir une forme d’influence et éviter d’être totalement esseulé. De surcroît, Téhéran soutient le Hamas et tente ainsi d’avoir les bonnes grâces de la majorité sunnite pro palestinienne.

« Axe de résistance » formé par l’Iran et ses soutiens chiites, minoritaires ou majoritaires. Source et crédits : Courrier International – https://www.courrierinternational.com/article/2014/02/19/arabie-saoudite-le-royaume-dechu

Le cas bahreïnien : mainmise saoudienne ou poudrière chiite ?

Comme mentionné précédemment, l’indépendance bahreïnienne a été un point de discorde entre Téhéran et Riyad. Bahreïn, bien que gouverné par la dynastie sunnite des Al Khalifa, est une nation à majorité chiite[6]. En 1971, les Britanniques se retirent de la péninsule et le devenir de Bahreïn incarne l’une des premières pommes de discorde : l’Iran revendique le territoire tandis que l’Arabie Saoudite souhaite l’indépendance du pays. L’Iran finira par abandonner ses revendications territoriales sur Bahreïn mais refusera une présence étrangère dans le pays. Bahreïn se rapproche alors de l’Arabie Saoudite[7]. Plus récemment, en 2011, un soulèvement populaire a lieu au Bahreïn, faisant écho aux printemps arabes. Ce soulèvement résulte d’années de mécontentements pour les citoyens qui connaissent un fort taux de chômage et réclament une meilleure représentation politique[8].

Riyad, redoutant que ce soulèvement ne menace son propre équilibre national, prend la décision d’intervenir sous l’égide du Conseil de Coopération du Golfe (CCG) pour restaurer l’ordre et maintenir le pouvoir en place. Il faut savoir que l’Arabie Saoudite exerce une forme de tutelle sur Bahreïn puisqu’elle est son garant vital. En outre, les deux nations partagent un puits de pétrole offshore exclusivement utilisé par l’Arabie Saoudite qui reverse ensuite la moitié des bénéfices au Bahreïn. Ce puits représente une importante partie des profits nationaux bahreïniens[9].  

Violemment réprimé, le mouvement populaire bahreïnien illustre une nouvelle fois l’importance du paramètre religieux. L’Arabie Saoudite craint que la majorité chiite du Bahreïn ne renverse le gouvernement sunnite allié, inspirant sa propre minorité chiite nationale à faire de même. Bien que Manama n’entretienne pas de relation particulière avec Téhéran, elle accuse l’Iran de s’ingérer dans ses affaires nationales. Ce schéma stratégique se décline dans plusieurs autres pays où Téhéran et Riyad se font la guerre par procuration dans le cadre de guerres plus formelles.

Les guerres par procuration : marque de fabrique du conflit irano-saoudien

L’une des guerres d’influence majeure entre l’Iran et l’Arabie Saoudite se déroule en Irak. Bagdad n’entretenait auparavant que peu de relations diplomatiques avec l’Arabie Saoudite. Sa proximité avec l’Iran et son invasion du Koweït en 1990 sont autant d’arguments expliquant le désintérêt saoudien. La donne change à partir de 2014 avec la menace grandissante que représente l’État islamique (Daesh) et l’influence grandissante iranienne appuyée par la majorité chiite[10]. L’Irak est en effet proche de Téhéran : les deux pays sont liés par de nombreux accords et une bonne entente diplomatique.

En 2011, c’est au tour de la Syrie de connaître elle aussi une révolte populaire. Alliée historique de Téhéran dans la région et lieu de pèlerinage chiite, la Syrie a une situation géographique intéressante puisqu’elle permet d’accéder à la Méditerranée[11]. Alors que l’Iran avait soutenu certains printemps arabes, notamment au Maghreb, Téhéran n’apprécie pas la révolte syrienne. Le gouvernement iranien soutient ouvertement Damas pour maintenir son influence dans le pays, seul vrai pilier étatique qu’il possède dans la région[12]. Comme en Irak, l’Arabie Saoudite qui entretenait des relations distantes décide de soutenir la révolte syrienne, aidant les rebelles syriens en leur fournissant des armes.  

Il existe encore d’autres exemples dans la région de cette guerre d’influence entre l’Arabie Saoudite et l’Iran qui soutiennent tantôt les gouvernements officiels, tantôt les rebelles, choisissant immanquablement une position diplomatique opposée l’un à l’autre. Au Liban, l’Iran soutient largement le Hezbollah, parti chiite libanais créé en 1982. Allié de poids, le Hezbollah place le Liban dans l’« axe de résistance»[13] et renforce l’influence iranienne. Tandis que l’Arabie saoudite finance et soutient la communauté sunnite libanaise.

Depuis 2015, l’intervention d’une coalition arabe actuellement menée par l’Arabie Saoudite au Yémen contre l’insurrection Houthiste (chiite) plonge le Yémen au cœur d’une guerre irano-saoudienne. Le schéma reste sensiblement le même : l’Arabie Saoudite qui redoute que la révolte ne fragilise son équilibre et ses frontières avec le Yémen, soutient le gouvernement en place. De son côté, l’Iran soutient financièrement et militairement les Houthis bien que ces derniers soient de confession zaïdite, une vision de l’Islam éloignée de la vision iranienne.

Terrains d’affrontements entre l’Iran chiite et l’Arabie Saoudite sunnite. Source et crédits : OuestFrance – https://www.ouest-france.fr/monde/arabie-saoudite/crise-iran-et-arabie-saoudite-de-multiples-terrains-daffrontement-3954247

Conclusion

Les théâtres d’affrontement sont multiples et se déclinent au gré des politiques étrangères iranienne et saoudienne. Cet affrontement entre les deux géants d’une sphère régionale où pullulent les conflits s’inscrit dans une guerre d’opposition bien plus large. Riyad, largement soutenu par les Américains dont il est l’allié historique[14], use de l’argument religieux sunnite pour s’attirer les soutiens de la majorité de la population. En face, Téhéran n’a qu’un seul allié étatique et maintient difficilement son influence régionale grâce aux minorités chiites et aux alliances avec d’autres groupes minoritaires. Là où l’Arabie Saoudite accuse les chiites, l’Iran préfère s’attaquer au petit et au grand « Satan », les Etats-Unis et Israël, sans jamais accuser frontalement les sunnites. Cependant, les récents événements en faveur d’une normalisation des relations israélo-arabes accentuent cette fracture: Téhéran est-il, finalement, le dernier soutien des Palestiniens, alors même que les chancelleries du Golfe semblent les abandonner ?  


[1] Sfeir, Antoine. « Sunnites, Chiites. Dissensions de toujours, guerre de demain ? », Études, vol. tome 408, no. 6, 2008, pp. 741-752.

[2]https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2016/01/03/qui-etait-le-cheikh-al-nimr-execute-par-l-arabie-saoudite_4841032_3218.html

[3] Da Lage, Olivier. « L’apparence du religieux », Confluences Méditerranée, vol. 97, no. 2, 2016, pp. 43-52.

[4] Castiglioni, Claudia. « The Relations between Iran and Saudi Arabia in the 1970s », Confluences Méditerranée, vol. 97, no. 2, 2016, pp. 143-153.

[5] Billion Didier, Boniface Pascal (dir). « Géopolitique des mondes arabes », Eyrolles, 2018, pp.30-31

[6] https://www.liberte-religieuse.org/bahrein/

[7] Therme, Clément. « La nouvelle « guerre froide » entre l’Iran et l’Arabie saoudite au Moyen-Orient », Confluences Méditerranée, vol. 88, no. 1, 2014, pp. 113-125.

[8] https://orientxxi.info/magazine/bahrein-2011-retour-sur-une-revolte-populaire,1246

[9] Louër, Laurence. « Le soulèvement au Bahreïn », Tumultes, vol. 38-39, no. 1, 2012, pp. 213-227.

[10] https://orientxxi.info/magazine/bagdad-enjeu-regional-majeur,3174

[11] https://www.diploweb.com/Le-facteur-chiite-dans-la-politique-etrangere-de-l-Iran.html

[12] https://www.diploweb.com/Le-volet-syrien-des-rivalites.html

[13] https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/paglia_tourret_proxys_iran_2020.pdf

[14] https://www.monorient.fr/index.php/2019/12/19/le-pacte-quincy-lossature-de-la-politique-etrangere-saoudienne-depuis-1945/

L’Empire ottoman – Partie I : de l’Asie centrale aux rives méditerranéennes, un désir d’Occident.

Une irrésistible poussée vers l’Occident ; ainsi peut être caractérisée l’histoire plus de six fois centenaire de l’Empire ottoman dont les fondateurs, peuples nomades venus d’Asie centrale, ont rejoint l’Anatolie avant de s’emparer des rives orientales de la Méditerranée et des Balkans, jusqu’à venir frapper aux portes de Vienne, en 1683. Au fil des siècles et des conquêtes, ils ont ainsi fait de leur capitale, Istanbul, la clé de voute d’un édifice monumental unissant Orient et Occident, le coeur d’un Empire vaste de 5 200 000 km2 à son apogée.

L’Empire ottoman du XIVe au XVIIe (Encyclopédie Larousse)

Emergence de l’Empire ottoman ; des steppes d’Asie centrale aux plaines d’Anatolie.

Entre le Xe et le XIIIe siècle, l’Empire byzantin (330-1453), héritier de l’Empire romain antique, qui a pour capitale Constantinople, vit ses dernières heures de gloire tandis que des migrations de peuples turciques (turcs Oghouz) s’effectuent depuis l’Asie centrale vers l’Anatolie. Ces migrations ont donné naissance à deux Empires. Le premier est l’Empire seldjoukide (1037–1194), qui s’étend de l’ouest de l’Anatolie à l’Asie centrale, en passant par la côte levantine et le golfe Persique. Au XIIIe siècle, sa puissance s’étiole ; les ancêtres des sultans ottomans accomplissent alors leurs premiers faits d’armes. Il s’agit d’autres tribus turques qui se sont établies en marge des empires seldjoukide et byzantin, formant de petits royaumes que l’on nomme les Beylicats. Le beylik gouverné par le clan des Gazi se situe dans la région de l’actuelle Söğüt, au nord ouest de la Turquie. En 1299, leur chef de clan s’empare de la ville byzantine de Mocadène (actuelle Bilecik) et prend le titre d’Osman Ier ; l’Empire ottoman est né. Au début du XIVe siècle, la quasi-totalité de l’Anatolie est aux mains des Ottomans. [1] En 1326, ces derniers font de Brousse (Bursa) leur capitale. Dès 1354, les Ottomans atteignent la rive européenne, où ils prennent la ville de Gallipoli.

Sous le règne de Murat Ier (1359-1389), les troupes ottomanes poursuivent leur expansion. Elles entament la conquête des Balkans : l’actuelle Bulgarie, la Serbie et le Kosovo. Ce faisant, l’Empire se dote d’une autorité administrative : le Divan-u Hümayun, équivalent de notre conseil des ministres, placé sous la direction du Grand vizir.

Mais l’expansion ottomane connait un premier coup d’arrêt ; l’empire traverse, à la fin du XIVe siècle, une période de troubles nommée fetret (discorde, chaos). [2] En 1402, l’armée est ottomane est contrainte de capituler à Ankara face aux armées de Tamerlan (ou Timour) – fondateur d’un empire qui s’étend à son apogée de l’est de l’Anatolie à l’Asie centrale -, tient lieu d’élément déclencheur. Tamerlan se retire, épargnant le jeune Empire, qui s’avère cependant ébranlé : le sultan Bayezid Ier meurt prisonnier des forces timourides. Une violente guerre de succession oppose ses frères. Il faudra attendre le règne de Mourad II (1421-1451) pour que la situation se stabilise de nouveau et que les conquêtes reprennent ; face aux expéditions ottomanes, l’Empire byzantin affiche une résistance de moins en moins soutenue.

C’est au sultan Mehmet II dit le Conquérant (1451-1481) que revient enfin la prise de Constantinople, en 1453, actant la chute de l’Empire Byzantin, au grand dam des puissances européennes qui voient se rapprocher la menace ottomane. La ville est renommée Istanbul et faite capitale de l’Empire. Mehmet II achève la conquête des Balkans, confirmant l’ancrage ottoman sur le continent européen. Dès lors, l’Empire peut être considéré comme européen, son coeur politique se situant en Roumélie (ensemble des possessions européennes de l’Empire). Mehmet II se présente quant à lui comme kaiser (césar), dans la continuité des empereurs byzantins. Dans le même temps, il fait de l’Islam sunnite la religion d’Etat de l’Empire. Celui-ci oppose à l’Europe un islam conquérant. L’idéologie de la gaza (« guerre sacrée victorieuse ») galvanise les troupes ottomanes. Pour autant, l’Empire est d’emblée une entité multi-confessionnelle, compte-tenu du très grand nombre de non musulmans qui l’habitent. [3]

L’Ottoman aux portes de l’Europe : l’apogée de l’Empire.

Les successeurs de Mehmet II étendent l’Empire à l’Azerbaïdjan, aux territoires kurdes et aux provinces arabes : la Syrie, la Palestine et enfin l’Egypte, en 1517 [4]. La prise du Caire acte la chute du sultanat Mamelouk (1250-1517) qui s’étendait sur l’Égypte, le Levant et le Hedjaz. L’Empire, européen de par son centre géographique et musulman de confession, procède ainsi à un rééquilibrage en conquérant nombre de terres appartenant au monde arabe. Il s’ancre par ailleurs dans cet héritage et affirme la supériorité du sunnisme. Après avoir établit sa domination sur la Méditerranée orientale suite à une victoire contre la flotte vénitienne en 1503, l’Empire règne sans partage sur le monde musulman. Selim Ier dit « Le Terrible » (1512-1520) devient le premier calife, cependant que les villes saintes de l’Islam, la Mecque et Médine, ne sont pas encore placées sous contrôle ottoman. [5]

Empire safavide

Un opposant notoire émerge toutefois sur le front est de l’Empire : l’Empire safavide (1501–1736), situé à l’emplacement de l’actuel Iran. L’Etat persan et l’Empire ottoman s’affrontent du XVIe au XIXe siècle au cours de guerres récurrentes. On considère néanmoins que la frontière avec la Perse se stabilise dès 1514, à l’issue de la bataille de Çaldıran (actuelle province de Van, à l’extrémité est de la Turquie). La rivalité entre les deux puissances est non seulement territoriale mais également religieuse et idéologique ; le sunnisme ottoman s’oppose au chiisme safavide. [6]

Les rivalités entre l’Empire de Charles Quint et l’Empire de Soliman

Sous le règne de Soliman II (1520-1566), l’Empire atteint l’apogée de sa puissance. Une menace subsiste pourtant, l’Empire de Charles Quint, dont la puissance s’affirme à l’ouest de la Méditerranée. Fort de plusieurs victoires militaires, avec la prise de Belgrade (1521) puis la soumission de la Hongrie (1526), l’Ottoman fait face aux troupes de l’empereur du Saint-Empire aux portes de sa capitale, Vienne, en 1529. Soliman est vaincu et doit se retirer. C’est dans ce contexte que le sultan ottoman et le roi François Ier – également menacé par Charles Quint, qui cherche à prendre l’Italie – concluent une alliance historique. Le 4 février 1536, le traité dit des « Capitulations » est signé. Par ce traité, qui restera en vigueur jusqu’à la Première Guerre mondiale, le sultan offre aux navires français le privilège de faire du commerce avec tous les ports de l’empire ottoman. Il confie également au roi de France la protection des Lieux Saints et des populations chrétiennes de l’Empire. L’Empire, qui établie ainsi des relations privilégiées avec le royaume de France, commerce abondamment avec le monde occidental : Gênes, Venise, la Hollande et le Royaume-uni figurent parmi ses partenaires commerciaux. [7] En effet, l’action du sultan ne se limite pas au seul domaine militaire. Si les occidentaux le nomment Soliman « Le Magnifique », les Turcs lui préfèrent le qualificatif de « Législateur », pour avoir pourvu l’Empire de son code civil le plus abouti, le Kanun-i Osmani. En 1566, l’Empire a atteint sa superficie maximale. Il comprend les Balkans, l’Afrique du nord – exception faite du Maroc – et l’ensemble du Moyen-Orient jusqu’aux frontières de la Perse. Le sultan règne sur 21 millions d’âmes, soit 4,20% de la population mondiale de l’époque. [8]

L’Empire repoussé vers l’Asie ; le début d’un lent déclin.

A la suite du règne de Soliman, l’Empire entame un lent déclin, amorcé par la bataille de Lépante (1571), au nord de Péloponnèse. Cet affrontement historique oppose la flotte ottomane à celle de la Sainte-Ligue, une alliance fondée à l’initiative du pape Pie V et qui regroupe plusieurs Etats chrétiens occidentaux. La défaite ottomane marque la fin de la domination impériale sur la Méditerranée. Première grande victoire navale des forces chrétiennes sur les forces musulmanes, elle possède de plus une portée symbolique majeure. [9] A l’est, le souverain safavide Abbas Ier le Grand (1588-1629) repousse définitivement les ottomans hors de l’Iran occidental. A l’ouest, l’Europe se développe de manière exponentielle sur le plan économique, à la faveur de la récente découverte des Amériques et de l’ouverture d’une nouvelle route maritime vers les Indes. L’Empire ottoman, quant à lui, accumule le retard, aux prises avec des difficultés sur le plan de sa politique intérieure. En 1622, le sultan Osman II (1618-1622), désireux de réformer l’Empire, est assassiné. Son successeur, Ibrahim Ier (1640 à 1648), connait un sort similaire. [10]

Il faut attendre le règne de Mehmet IV (1648-1687) et le grand vizirat de Mehmet Koprülü (1575-1661), pour que l’Empire connaisse un nouveau sursaut. Entre 1656 et 1703, les membres de la famille Köprülü entreprennent son redressement sur les plans politique, économique et militaire. De nouvelles campagnes sont lancées vers l’Europe centrale, où l’Ottoman se heurte aux armées autrichiennes. En 1683, ses armées assiègent de nouveau Vienne, mais sont mises en déroute par les troupes menées par le roi de Pologne Jean III Sobieski. Les troupes européennes coalisées de la Sainte-Ligue poursuivent les troupes ottomanes dans leur retraite. Les deux armées se livrent une ultime bataille, la Grande guerre turque (1683-1699), dont l’enjeu est de bouter l’Ottoman hors d’Europe. Le conflit se solde par le traité de Karlowitz, au titre duquel de nombreux territoires européens sont retirés à l’Empire : le début d’un lent démembrement qui réduira, à terme, le géant ottoman à son coeur anatolien. [11]

Bibliographie :

[1] SCHMID Dorothée, La Turquie en 100 questions, Texto, Editions Tallandier, Paris, 2017, pp. 23-27

[2] BOZARSLAN Hamit, Histoire de la Turquie de l’Empire ottoman à nos jours, Texto, Tallandier, Paris, 2015, pp. 33-35

[3] SA, Empire ottoman, Encyclopédie Larousse en ligne

[4] CHAIGNE-OUDIN Anne-Lucie, l’Empire ottoman, Les Clés du Moyen-Orient, 01/12/10

[5] BILICI Faruk, L’Egypte ottomane, Dipnot, 01/12/15

[6] GHADERI-MAMELI Soheila, « L’histoire mouvementée des frontières orientales de la Turquie », Confluences Méditerranée, vol. 53, no. 2, 2005, pp. 91-102

[7] SOLNON Jean-François dir. « V. Les lys et le croissant », L’Empire ottoman et l’Europe, Éditions Perrin, 2017, pp. 121-144

[8] DIGNAT Alban, Soliman le Magnifique (1495 – 1566), un homme de la Renaissance, Hérodote, 22/02/20

[9] LARANE André, 7 octobre 1571, la flotte turque est détruite à Lépante, Hérodote, 21/06/19

[10] PIRONET Olivier, « Chronologie 1299-2013 », Le Monde diplomatique, Turquie : des ottomans aux islamistes, « Manière de voir » n.132, 12/2013 – 01/2014

[11] Lucrèce, Empire ottoman, de l’essor au déclin (XIVe-XIXe), Histoire pour tous de France et du monde, 27/03/20

Avicenne : « Le prince des savants »

De son vrai nom Abou Ali Al-Husayn Ibn Abd Allah Ibn Sînâ, Avicenne a acquis plusieurs savoirs. De médecin à philosophe, de mathématicien à astronome, il doit sa célébrité à la précocité de son génie. Il est l’un des joyaux de « l’âge d’or » de l’Islam. Cette période féconde a vu naître un bouillonnement intellectuel et culturel mêlant culte musulman et apport philosophique. Toujours est-il, que l’orthodoxie intransigeante des pouvoirs centraux l’a censuré pour ses travaux concernant l’alliage entre la raison des auteurs grecs et le monothéisme.

Au travers de l’étude de l’œuvre philosophique d’Avicenne, c’est l’étude du Moyen-âge oriental, véritable lieu de transit entre les influences helléno-chrétiennes d’une part et arabo-persanes et musulmanes de l’autre.

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miniature persane

Un savant hors-pair

Ibn Sîna est né en Perse en 980 dans le Khorasan (actuel Ouzbékistan). Il est issu d’une famille de haut fonctionnaire proche du pouvoir central de l’époque. Dès son plus jeune âge, son père s’attache à lui donner la meilleure éducation possible. Après des études préliminaires dans son village natal, il  part s’instruire à Boukhara, métropole riche et puissante où intellectuels et savants se côtoient à la cour des princes. Doté d’une mémoire prodigieuse, il mémorise le Coran à l’âge de 10 ans et est initié précocement à la littérature arabe (el adab), la philosophie et les lettres grecques. De rite chiite, il fréquente également les cercles religieux ismaéliens et en tire un grand profit pour sa culture religieuse de l’époque[1]. Avicenne consacre toute sa jeunesse à l’apprentissage du droit religieux (el fiqh), aux mathématiques, à la géométrie d’Euclide ainsi qu’à la logique.

À l’âge de 16 ans, Avicenne achève ses études de médecine et considère cette science comme facile. Il obtient finalement ses lettres de noblesse grâce à la guérison du prince de Boukhara. Il est nommé médecin de palais, ce qui lui donne accès à l’imposante bibliothèque royale. Cette fonction était généralement réservée à un chrétien pour éviter tout soupçon de trahison ou de meurtre contre le prince régnant.

Féru de philosophie, Ibn Sînâ ne cesse de se focaliser sur la compréhension de la Métaphysique d’Aristote. Texte qu’il aurait lu plus de 40 fois avant de l’assimiler, en s’aidant d’un traité d’Al-Farabi, philosophe persan.

Plusieurs fois ministres et proches des princes, Avicenne est obligé de s’enfuir quand le pouvoir central est renversé. Débute ainsi sa vie d’itinérance autour de la mer d’Aral et de la Perse. Il est emprisonné à plusieurs reprises mais réussit à s’évader avant de finir sa vie à Ispahan (actuel Iran). Il y devient vizir et peut s’adonner en toute quiétude à l’apprentissage et l’enseignement des sciences et de la philosophie. Cela constitue la période la plus prolifique de sa vie. Sa réputation et son génie dépassent de loin le cadre des frontières de la Perse. Des étudiants de tout le monde musulman viennent suivre ses préceptes. Il décède en 1037 à l’âge de 57 ans d’une affection gastro-intestinale lors d’une campagne militaire à Hamadan, au nord de la Perse.

Son mausolée reste un lieu de pèlerinage au XXIe siècle. Il est composé de 12 piliers, symbolisant les douze sciences d’Avicenne. Encore aujourd’hui, son héritage est revendiqué par de nombreux pays musulmans à l’instar de la Turquie, de l’Ouzbékistan, de l’Afghanistan mais surtout de l’Iran.

Son œuvre médicale

À peine âgé de 16 ans, le jeune Avicenne devient médecin. Il assimile toutes les sciences connues à son époque. Ceci lui vaut en premier lieu sa célébrité. Il est reconnu par ses pairs comme un imminent médecin de l’Orient médiéval.

L’œuvre d’Ibn Sînâ marque sans nul doute l’histoire de la médecine. Après avoir traduit lui-même les travaux de Galien et d’Hippocrate, il observe méticuleusement le corps humain à travers des dissections. Le jeune médecin s’attache à déconstruire les théories en préférant l’expérimentation. Il retranscrit et synthétise par écrit ses recherches dans le Canon de médecine (Kitab al-qanoun fi Al-Tibb), subdivisé en 5 livres[2] et précédé d’une introduction méthodologique. Avicenne prend le temps d’énumérer et de structurer sa logique et ses découvertes d’une manière rigoureuse. Particularité de cette œuvre, elle est écrite en prose et en arabe littéraire. Certains de ses contemporains n’y voient qu’une originalité dans la forme.

Dans ce célèbre ouvrage, qu’il lui valut le titre du « père de la médecine moderne », il aborde plusieurs pathologies. Certaines sont fondées sur ses observations et d’autres sur ses propres découvertes. À titre d’exemple, en ophtalmologie, il s’intéresse à l’étude précise des muscles oculaires[3]. Ce domaine est très prisé à cette époque en raison des nombreuses recherches sur l’optique et la lumière. En cardiologie, Avicenne décrit le rôle central du cœur dans la circulation sanguine. Il est notamment précurseur en médecine préventive et met en exergue la place de l’hygiène dans la propagation de certaines maladies (rôle des rats dans la peste, contagion lors de la tuberculose…). Dans le livre IV de son recueil, Ibn Sînâ liste tous les médicaments connus de son époque. De surcroît, il conseille et écrit « un poème de la médecine » (Urdjuza fi Tibb)[4], destiné aux princes pour une meilleure gestion de la santé publique.

Ibn Sîna est également l’un des premiers médecins à s’intéresser aux maladies psychiatriques et à reconnaître les effets bénéfiques de la musique. Il estime que certaines pathologies sont d’ordre psychosomatiques. Partant de l’observation de l’irrégularité du rythme cardiaque et de la faim, il en conclut que l’amour ainsi que la mélancolie ont un impact direct sur les troubles mentaux d’une personne.

Un siècle après l’écriture de son Canon, il est traduit en latin pendant la période des Croisades. Son livre est une référence jusqu’au XVIIème siècle. Il est étudié dans les facultés de médecine, notamment celles de Louvain et de Montpellier. Sa contribution en médecine est phénoménale.

Son œuvre philosophique 

Après avoir consacré une partie de sa vie à l’étude des sciences, Avicenne se focalise sur la compréhension des textes des philosophes grecs antiques, notamment Aristote. C’est à cette époque que l’Orient connaît un essor culturel par l’entremise de la culture littéraire (el adab), la culture religieuse (‘ilm) et les sciences profanes (el hekma). Cette période voit naître également cette émulation entre le perse et l’arabe, dont Ibn Sînâ en est l’acteur principal. Sa langue vernaculaire est le persan mais il écrit la plupart de ses textes en arabe littéraire, langue princière et nettement plus répandue.

En s’intéressant aux textes antiques, il compte modifier le contenu en y intégrant le facteur religieux. De ce fait, Avicenne allie raison et religion, deux notions qui semblent antinomiques. Après avoir étudié la Métaphysique d’Aristote, il écrit un immense recueil de la Philosophie orientale, composé de 28 000 réponses à autant de questions[5]. Malheureusement, cet ouvrage disparaît lors du sac de la ville d’Ispahan en 1034.

Sa philosophie opère une distinction entre l’essence et l’existence et fait de Dieu « l’être nécessaire » pour le développement de l’intelligence humaine. Ainsi selon sa conception philosophique, l’essence divine est à l’origine de tout, donc de l’existence humaine. L’intelligence divine est créatrice. C’est de cette façon qu’il fait le lien entre les philosophes grecs et le monothéisme. Ses écrits influencent des penseurs occidentaux tels que Albert le Grand et Thomas d’Aquin[6]. Selon lui, la raison peut nourrir la foi, ces deux éléments ne sont pas incompatibles. Cependant, ses travaux sur l’effort de la raison se heurtent à l’intransigeance de l’orthodoxie musulmane. La philosophie et la culture au sens large attisent la méfiance des théologiens et des juristes.

Ibn Sînâ reprend également les concepts de la philosophie politique d’Aristote, l’être humain est pensé comme un animal politique. Pour lui, la raison est l’aboutissement suprême de l’être humain. Elle provient de l’essence divine donc il faut la cultiver. Son œuvre philosophique se situe au carrefour de la pensée orientale et de la pensée occidentale. En effet, c’est grâce à ses réflexions que le monde arabe de l’époque médiévale intègre et étudie la philosophie antique.

Ibn Sînâ incarne « l’âge d’or » de l’Islam par son érudition et son ouverture universelle. Sa réflexion philosophique et ses connaissances en médecine participent à la transmission d’un riche héritage. Ses contemporains le nomment à juste titre « Ach-Chaikh ar-Raiss » (le Prince des savants).


[1] Meryem Sebti, « Avicenne, l’âme humaine », PUF, 2000

[2] Paul Mazliak, « Avicenne & Averroès : Médecine et biologie dans la civilisation », Vuibert, 2004

[3] https://www.persee.fr/doc/rhs_0048-7996_1952_num_5_4_2970

[4] https://www.lesclesdumoyenorient.com/Avicenne-Ibn-Sina-980-1037.html

[5] https://www.persee.fr/doc/phlou_0776-5541_1894_num_1_1_1359

[6] Meryem Sebti, « Avicenne, l’âme humaine », PUF, 2000

Et si le Coronavirus était un facteur de paix et de stabilité au Moyen-Orient ?

La pandémie du Covid-19 plonge notre monde dans une instabilité et un chaos colossal. Partout, les systèmes de santé sont soumis à rude épreuve et les prévisions désastreuses pour l’économie mondiale font craindre un krach boursier et une baisse de la croissance généralisée.

Pourtant au Moyen-Orient, du Yémen à la Syrie en passant par l’Irak, le coronavirus semble favoriser la paix. Un peu partout dans la région, des cessez-le-feu sont signés entre les différents belligérants, les troubles sociaux peinent à fédérer face à la panique globalisée et certaines troupes étrangères annoncent un retrait partiel de leurs forces. Est-ce le prélude d’une nouvelle ère ou une simple accalmie temporaire ?

Soldat syrien en période de coronavirus

Un répit pour le Yémen ?

Depuis 2015, la coalition arabe menée par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis s’est lancée dans une guerre dévastatrice au Yémen contre la milice des houthis soutenue par l’Iran, qui a renversé le pouvoir central de Sanaa. Dès lors, on assiste à une guerre de positions pour le contrôle des lieux stratégiques.

Cette intervention déclenchée en 2015 est désastreuse. Elle a fait plus de 100 000 morts et la situation humanitaire est catastrophique. Cependant, les Houthis en sont les grands vainqueurs au détriment d’une coalition de plus en plus critiquée par l’opinion internationale. En effet, Ansar Allah (autre nom des Houthis) contrôle un quart du pays, et à peu près les deux tiers du « Yémen utile ». Devant l’enlisement de la situation, des pourparlers ont été menés pour négocier un arrêt des combats.

Après le retrait des forces émiratis du pays en février 2020, l’Arabie saoudite engluée dans le bourbier yéménite, souhaite en sortir et ce en pleine pandémie du coronavirus. Sous la pression des organisations internationales et préoccupées à contenir la prolifération du virus dans le royaume, Riyad a décrété un cessez-le-feu unilatéral en début avril[1]. De leur côté les rebelles Houthis, en position de force et voulant consolider leurs acquis, ont refusé la proposition saoudienne[2].

À ce jour, l’Arabie saoudite compte 12 072 cas confirmés de Covid-19 et 114 décès alors que le Yémen vient de déclarer son premier cas.

En Syrie : le calme avant la tempête ?

Depuis le 5 mars 2020, la Russie et la Turquie ont signé un énième cessez-le-feu mettant fin à l’offensive russo-syrienne sur la localité d’Idlib. Damas et Moscou veulent sanctuariser l’intégralité du territoire syrien et cela passe automatiquement par la reprise du dernier bastion djihadiste d’Idlib. Compte tenu de la propagation de l’épidémie dans la région, les combats ont baissé en intensité et les différents belligérants campent sur leurs positions respectives. Nul doute, que les hostilités reprendront une fois que la contagion liée au virus sera jugulée. De surcroît, les Américains et les Européens ont réitéré leur soutien à leur allié turc membre de l’Otan, en vue d’endiguer l’influence russe[3]. En effet, Moscou n’entend pas lâcher Damas et veut faire de la Syrie le Kaliningrad du Moyen-Orient.

Après avoir soutenu massivement l’opposition anti-Assad, les Émirats arabes unis opèrent un changement radical. Ce rapprochement se traduit par la réouverture de l’ambassade émiratie à Damas en décembre 2018. Récemment, le prince héritier d’Abou Dhabi Mohammed Bin Zayed s’est entretenu avec Bachar al-Assad pour soutenir son offensive contre les djihadistes. Ces derniers sont en partie financés par le Qatar et la Turquie dans une logique d’expansion de l’idéologie des Frères musulmans. Or, ce courant est diamétralement opposé au wahhabisme de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis. Donc, cet entretien diplomatique parachève la logique émiratie de contenir l’idéologie frériste au Moyen-Orient. Mohammed Bin Zayed pousse même Bachar al-Assad à briser le cessez-le-feu d’Idlib[4].

Profitant de la crise sanitaire et du retrait partiel des forces occidentales, des djihadistes de Daesh se sont échappés d’une prison gardée par une milice kurde syrienne. Des attentas perpétrés par ces terroristes sont à craindre.

Pandémie ou pas, Israël veut neutraliser l’appareil militaire iranien présent en Syrie. Dernièrement, l’aviation de Tsahal a survolé illégalement et ce à plusieurs reprises l’espace aérien libanais pour bombarder des cibles proches de la ville de Palmyre[5].

À ce jour, 42 cas de Covid-19 sont répertoriés en Syrie pour 3 décès.

Des troubles sociaux mis entre parenthèses ?

Du Liban à l’Irak en passant par l’Iran, de nombreuses manifestations ont secoué les classes dirigeantes à partir d’Octobre 2019. La colère de la rue ciblait le confessionnalisme, la corruption ou tout simplement la tutelle militaire iranienne au Levant. L’expression du mécontentement est rapidement devenu un déversoir contre la politique de Téhéran au Moyen-Orient. En effet, l’Iran tente de former « un axe de la résistance » jusqu’à la Méditerranée s’opposant aux intérêts américains, saoudiens et israéliens dans la région. Les chancelleries de Tel-Aviv, Riyad et Washington apportent un soutien officiel et officieux aux manifestations pour neutraliser et limiter l’influence iranienne.

La récupération de la grogne populaire ne doit pas minorer la situation économique désastreuse de ces pays. Les manifestations sont légitimes et justifiées. Le chômage est endémique, la pauvreté s’accroît et la violence est structurelle. Tous ces éléments font craindre à un embrasement, notamment en Irak. En dépit des promesses de réformes, la classe politique est prise en étau tant à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur.

Au Liban:

La pandémie du coronavirus offre un répit pour les dirigeants. Le pouvoir libanais contesté lors de la Thawra (révolution) cherche tant bien que mal une sortie de crise. En défaut de paiement, le Liban risque de sombrer dans une crise économique et sociale sans précédent. La gestion de la crise sanitaire par le nouveau gouvernement libanais semble porter ses fruits et est louée par les citoyens. D’ailleurs, le Hezbollah participe également à cet effort de lutte contre cette épidémie en offrant ses services, même en dehors de ses bastions. Au lendemain de cette crise, nul doute, que le pays du Cèdre affrontera de nouveau la grogne populaire tant les indicateurs économiques sont au rouge[6]. Déjà, malgré un confinement imposé, des manifestations ont lieu à Tripoli, berceau de la Thawra d’Octobre 2019.

À ce jour, le Liban compte 682 cas confirmés de Covid-19 pour 22 décès.

En Irak:

L’Irak, quant à lui est devenu un État déliquescent où plane le spectre d’une énième guerre civile. La menace du coronavirus a redistribué les cartes. En fermant ses frontières avec l’Iran, la colère anti-iranienne portée par une partie de la population retombe. La présence militaire occidentale tant décriée depuis l’assassinat de Qassem Souleimani en Janvier 2020 se réduit de peur d’être contaminée par le virus. En effet, En raison de plusieurs cas recensés au sein des troupes françaises en Irak, le gouvernement français a également ordonné le retrait de ses troupes en mars dernier[7].

L’épidémie du Covid-19 paralyse la situation et apaise temporairement les tensions entre l’Iran et les Etats-Unis. Et si on assistait à une résurgence de Daesh dans le pays ?

À ce jour, l’Irak comptabilise 1602 cas de Covid-19 pour 83 décès.

Malgré l’épidémie, le maintien des sanctions :

Indépendamment du coronavirus, la Syrie et l’Iran restent soumis à la dureté des sanctions occidentales. La pauvreté rend la population plus vulnérable face au virus. Ce risque humanitaire ne change pas pour autant la position américaine qui maintient les sanctions et ce, en dépit des demandes internationales.

Avec un bilan de 85 996 cas confirmés et 5 391 décès, l’Iran est de loin le pays le plus affecté du Moyen-Orient. Le régime fragilisé, risque gros si l’épidémie se propage davantage. Le pays n’est pas confiné à ce jour, par crainte d’un désastre économique.

En visite à Damas, le ministre des Affaires étrangères iranien Mohammed Zarif et le Président syrien Bachar Al-Assad ont rappelé conjointement dans un communiqué officiel les conséquences destructrices des sanctions sur les deux pays. Damas dénonce également l’iniquité des sanctions et pointe du doigt l’immoralité des pays occidentaux[8].

On pourrait croire, que le coronavirus est capable de rabattre les cartes au Moyen-Orient. Cependant, il est fort à parier, qu’une fois la pandémie disparue, les tensions habituelles reprendront de plus belle…


[1]https://www.lemonde.fr/international/article/2020/04/10/l-arabie-saoudite-annonce-un-cessez-le-feu-au-yemen_6036163_3210.html

[2] https://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-moyen-orient/une-manoeuvre-au-yemen-les-rebelles-rejettent-le-cessez-le-feu-de-la-coalition_2123430.html

[3] https://theconversation.com/idlib-vers-un-rapprochement-entre-la-turquie-et-les-etats-unis-136148

[4] https://www.middleeasteye.net/news/abu-dhabi-crown-prince-mbz-assad-break-idlib-turkey-ceasefire

[5] https://www.lefigaro.fr/international/syrie-9-combattants-proregime-tues-dans-une-frappe-nocturne-menee-par-israel-20200421

[6] https://orientxxi.info/magazine/le-liban-au-bord-du-gouffre,3816

[7] https://www.lemonde.fr/international/article/2020/03/25/coronavirus-la-france-retire-ses-troupes-

d-irak_6034441_3210.html

[8] https://www.lepoint.fr/monde/syrie-rencontre-entre-bachar-al-assad-et-le-chef-de-la-diplomatie-iranienne-20-04-2020-2372164_24.php

Le Moyen-Orient à l’heure du coronavirus

À l’instar des séries dramatiques orientales, ce virus monopolise les débats dans toutes les familles. Le Covid-19 alimente toutes les craintes et toutes les peurs et fait l’objet d’une prolifération de théories plus ou moins douteuses. Friands et amateurs de complots, certains habitants et même analystes de la région y voient la main invisible « américano-sioniste » pour semer le chaos au Moyen-Orient. Les réseaux sociaux locaux sont un bon baromètre d’étude des tensions sociales et économiques.

Une chose est sûre, l’indifférence initiale laisse place à une psychose généralisée de la société qui inquiète au plus haut point les autorités locales. Entre la chute des prix du pétrole, la crise sanitaire et la fermeture des frontières et des lieux de culte, le Moyen-Orient passe d’une crise à une autre.

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L’Iran acculé

La République islamique d’Iran est le troisième pays le plus touché par l’épidémie après la Chine et l’Italie. On déplore environ 15 000 patients contaminés[1] et plus de 1000 décès à ce jour. Le taux de létalité est le plus élevé du monde. Certains observateurs mettent en doute la véracité des chiffres officiels[2]. Le gouvernement de Téhéran aurait dissimulé l’impact de ce fléau afin de ne pas paraître dépassé et de ne pas subir les critiques de sa propre population.

De surcroît, l’Iran subit de plein fouet les sanctions économiques occidentales qui aggravent la situation sanitaire. En effet, le secteur hospitalier iranien est débordé et obsolète pour gérer une telle crise. Téhéran dénonce l’inaction de la communauté internationale. Ces sanctions américaines portent atteintes aux droits des Iraniens à la santé. Les autorités du pays demandent l’aide de l’organisation mondiale de la santé (OMS), l’arrêt immédiat des sanctions ainsi qu’un prêt de 5 milliards de dollars au Fonds monétaire international (FMI). Selon le ministre iranien des Affaires étrangères Javad Zarif « Les virus ne font pas de discrimination. L’Humanité ne devrait pas non plus »[3].

Certains pays ne sont pas restés insensibles à ce scénario. La Chine et la Russie exhortent les Etats-Unis à lever les sanctions contre l’Iran afin de contenir et de lutter efficacement contre la propagation du virus covid-19. Les deux pays mettent en exergue les conséquences humanitaires sur l’ensemble de la population mondiale[4]. Pékin s’engage également à envoyer du personnel et du matériel médical.

Or, il est très peu envisageable que l’administration américaine décide d’alléger le régime des sanctions. Dans sa posture anti-iranienne, Donald Trump souhaite voire céder Téhéran. De façon surprenante, l’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne annoncent une aide financière à l’OMS à destination de l’Iran. Les Iraniens peuvent également compter sur l’aide des Emirats arabes unis. En effet, ils ont récemment décidé d’envoyer 32 tonnes de fournitures médicales à l’Iran malgré les contentieux géopolitiques dans la région[5].

Un confinement à la carte :

À peine sorti d’un soulèvement populaire majeur et englué dans une crise économique sans précédent, le Liban se coupe peu à peu du reste monde. Des mesures strictes de confinement ont été adoptées avec la fermeture des institutions et des frontières (aéroports et ports[6] seront fermés à partir du 29 mars). À ce jour une centaine de cas sont déclarés et 3 décès sont dénombrés. La majorité des premiers cas provenait d’Iran. Le système de santé, impacté par la crise économique, a réussi à contenir la propagation du virus, mais s’attend à une explosion des cas. Certaines voix s’élèvent pour dénoncer la corruption de la classe politique et l’accusent de vouloir asseoir son autorité et sa légitimité à travers ces mesures.

Le reste du Moyen-Orient est touché de manière contrastée. Tous les pays ont depuis fermé les établissements scolaires. Certains d’entre eux redoutent les conséquences catastrophiques pour l’économie de leur pays. En effet, les pays touristiques comme la Jordanie mais surtout l’Égypte pâtissent déjà des mesures restrictives prises par leurs gouvernements respectifs. Les autorités du Caire ont longtemps cherché à minimiser les dangers du Covid-19 et à rassurer la population. Ils suspendent ses vols internationaux et rapatrient les touristes pour endiguer l’épidémie du coronavirus. L’Égypte interdit à sa main d’œuvre de se rendre dans les pays du Golfe sans avoir procédé au test de dépistage.

Après 10 ans de guerre en Syrie et la dureté des sanctions occidentales sur son économie, le gouvernement de Damas a décidé de prendre des mesures pour lutter contre la propagation du virus. Les salles de prières sont momentanément fermées et les places publiques à l’instar des bars de chichas sont interdits[7]. Sur les réseaux sociaux syriens, une campagne de soutien populaire (ana fi khadmt souria/ je suis au service de la Syrie) a vu le jour pour aider Damas dans sa lutte contre l’épidémie.

La bande de Gaza est une bombe à retardement. Les principaux experts s’alarment sur les conséquences d’une propagation exponentielle du Covid-19 dans cette région à forte densité démographique. Plus de 2 millions d’habitants sur 360km2 vivent dans cette prison à ciel ouvert. Compte tenu du blocus israélien, les infrastructures hospitalières sont désuètes et le matériel médical pour lutter contre l’épidémie est pratiquement inexistant.

À l’échelle de tout le Moyen-Orient, toutes les autorités ont pris des mesures d’isolement  en fermant les lieux de culte églises et mosquées. Les prières sont strictement individuelles. L’Arabie saoudite qui a annoncé son premier cas début mars, suspend le Hajj et le Omra (le pèlerinage à la Mecque) à tous les pèlerins.  

Les conséquences du Coronavirus sur le secteur pétrolier

Premier producteur de l’or noir, l’Arabie saoudite subit les contrecoups de la propagation du virus à l’échelle de la planète. Durant plusieurs mois, la Chine, premier consommateur de pétrole au monde, a dû s’adapter à la nouvelle conjoncture. L’interdiction de déplacement des citoyens au sein même du pays, couplée à l’arrêt des voyages vers la Chine a impacté les cours du baril.

Sur fond de pandémie et d’une forte baisse de la demande mondiale, l’organisation des pays exportateurs de pétrole (l’OPEP) ainsi que les autres pays producteurs comme la Russie se sont réunis pour solutionner le problème. N’ayant pas réussi à obtenir de Moscou une baisse de la production, Riyad a unilatéralement décidé de baisser les prix du baril. En raison de l’importance de l’or noir pour son économie et pour satisfaire la demande intérieure et extérieure, la Russie ne pouvait y répondre favorablement.

De ce fait, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis se livrent à une guerre économique contre la Russie en augmentant et en inondant conjointement le marché de l’or noir. Les prix ont depuis chuté et atteints 30 dollars le baril[8]. C’est la plus forte baisse depuis 20 ans. Aujourd’hui, les indicateurs prouvent que la stratégie saoudienne se révèle dangereuse pour sa propre économie. En plus de la fermeture des hôtels luxueux, des malls et du pèlerinage à la Mecque, le coronavirus ébranle l’ensemble de l’économie saoudienne. Cette dernière reste dépendante à 90% de l’or noir.

Afin de rassurer les places boursières internationales, la présidence saoudienne du G20 veut rassembler les membres de ce comité lors d’une conférence exceptionnelle, qui se tiendra par vidéo-conférence[9]. Cette rencontre virtuelle sera l’occasion pour les principales puissances de tenter de trouver une solution pour empêcher le krach boursier qui se profile.


[1] https://www.middleeasteye.net/news/coronavirus-iran-death-toll-surpasses-1000-hundreds-new-cases-discovered

[2] https://www.oeil-maisondesjournalistes.fr/2020/03/12/coronvirus-iran-chiffre-morts-propagande/

[3] https://www.la-croix.com/Monde/Moyen-Orient/Face-coronavirus-lIran-demande-levee-sanctions-2020-03-14-1201084052

[4] https://www.middleeasteye.net/news/coronavirus-china-and-russia-call-us-lift-iran-sanctions

[5] https://www.lefigaro.fr/international/quand-le-virus-rapprochent-les-ennemisdes-emirats-arabes-unis-et-de-l-iran-20200317

[6] http://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20200316-face-coronavirus-le-liban-sonne-la-mobilisation-g%C3%A9n%C3%A9rale-et-entre-en-confineme

[7] https://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-moyen-orient/la-syrie-en-guerre-prend-a-son-tour-des-mesures-de-precaution-face-au-coronavirus_2120872.html

[8] https://www.france24.com/fr/20200309-coronavirus-pourquoi-l-arabie-saoudite-a-d%C3%A9clench%C3%A9-une-nouvelle-guerre-des-prix-du-p%C3%A9trole

[9] https://www.ouest-france.fr/sante/virus/coronavirus/coronavirus-l-arabie-saoudite-tente-d-organiser-un-sommet-du-g20-virtuel-6784783

Disparition de 3 humanitaires français et de leur collaborateur irakien à Bagdad.

Depuis maintenant plus de 2 semaines, l’association SOS Chrétiens d’Orient n’a aucune nouvelle de ses 3 chefs de missions et de leur collaborateur irakien disparus à Bagdad. Créée en 2013 suite au dépècement des populations chrétiennes d’Irak et de Syrie, cet organisme fournit une aide matérielle, médicale, éducative et psychologique aux Chrétiens opprimés, meurtris et souvent délaissés par les autorités locales.

Ignorée du grand public et plus ou moins abandonnée par la communauté internationale, la communauté chrétienne orientale n’a de cesse de subir les affres d’une radicalisation islamiste sur place. Face à cette menace, la plupart fuit vers l’Europe, l’Amérique voire l’Australie. Quant aux autres, désemparés et persécutés pour leur foi, faute de moyens ou animés par une farouche conviction, ils continuent de vouloir vivre sur la terre de leurs ancêtres.

L’association tente d’apporter un soutien moral et matériel aux populations restantes afin qu’elles redeviennent autonomes économiquement. Or, les équipes humanitaires dans les zones à risque sont souvent la cible de plusieurs groupes armés. Les enlèvements sont souvent suivis d’une demande de rançon pour faire pression sur les autorités occidentales, jugées responsables du chaos régional.

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Contexte d’un probable enlèvement :

« La disparition » des membres de l’association a eu lieu à Bagdad le lundi 20 janvier 2020 non loin de l’ambassade de France. Normalement, l’organisme travaille uniquement avec les autorités du Kurdistan à Erbil. Les minorités chrétiennes ont en effet trouvé refuge en territoire kurde. Cependant, leur présence à Bagdad était uniquement d’ordre administratif. Il fallait s’enregistrer auprès des autorités irakiennes de Bagdad afin de débuter un projet financé par l’association.

L’Irak n’a jamais été un pays sûr pour un occidental. Depuis les années 80, le pays est en guerre. Pour l’Irakien, l’occidental est perçu automatiquement comme un potentiel ennemi, allié d’Israël et des États-Unis. L’Occident est de fait assimilé à un ensemble politique homogène.

Depuis l’assassinat du général iranien Qassem Souleimani le 3 janvier 2020 par un drone américain, la région est en ébullition. Les partisans de ce dernier promettent des représailles contre les intérêts occidentaux dans la région. Il est fort probable que les équipes de SOS Chrétiens d’Orient aient été enlevées par une milice chiite. L’éventuel enlèvement serait dicté par une volonté de pression sur les autorités occidentales pour cesser leurs ingérences en Irak. Dans le cas échéant, ceci serait plus souhaitable que si celui-ci avait été perpétré par Daesh, organisation terroriste pratiquant des exécutions sommaires. Dernièrement, des foules monstres se sont réunies à Bagdad pour demander le départ des forces américaines du pays.

En s’alignant automatiquement sur la politique américaine, la France met en péril son indépendance diplomatique et la sécurité de ses concitoyens travaillant sur place.

Pourquoi un tel silence ?

Depuis le 24 janvier 2020, date du communiqué officiel de l’association, aucune information supplémentaire n’a été dévoilée.

Selon le Quai d’Orsay, les membres de l’association ont disparu et n’ont pas été officiellement enlevés. Il est vrai qu’à ce jour, aucun groupe armé n’ait revendiqué l’enlèvement. Le directeur général de l’organisation, Benjamin Blanchard, indique cependant que « les autorités françaises et irakiennes se coordonnent pour retrouver leurs traces ».

Lors des prises d’otages, le gouvernement français utilise différents leviers afin de négocier avec les ravisseurs. Il est donc très probable que les renseignements français soient en étroite collaboration avec les renseignements irakiens pour mener à bien l’enquête et retrouver les ressortissants français. Dans certains cas, il est préférable que le gouvernement ne communique pas sur l’évolution des négociations. Cela se déroule discrètement afin d’éviter une médiatisation des groupes terroristes et pour préserver la sécurité des humanitaires.

De son côté, la presse n’a que faiblement relayé l’information. Elle a profité de cet évènement pour reprocher à l’association ses soutiens politiques et non pour relater la disparition tragique de 3 humanitaires français et de leur collègue irakien. En effet, les principaux médias mettent en avant les liens de l’organisation avec des milieux « d’extrême droite » et sa soi-disant lecture confessionnelle du conflit au Proche-Orient, visant à opposer Chrétiens et Musulmans.

Force est de constater que la défense de la cause chrétienne est principalement l’apanage d’un électorat de droite. On se rappelle en 2014, lors de la chute de la ville irakienne de Mossoul et de l’exil de milliers de famille chrétienne, les sympathisants de droite arboraient fièrement le ن sur les réseaux sociaux (les djihadistes utilisaient ن=noun, 25ème lettre de l’alphabet arabe, signifiant nazaréen pour persécuter les Chrétiens)

Mettre en exergue les affinités politiques, comme le font les journalistes, revient à politiser ce problème et à rendre dérisoire le sort des communautés chrétiennes auprès d’une partie de la société. Tout commentaire concernant le positionnement de l’association est hors-sujet et aberrant à l’heure actuelle.

Questionnement sur l’humanitaire en zone à risque :

Au Moyen-Orient, l’aide humanitaire est souvent perçue comme le bras social des interventions militaires. Les organisations internationales, sous couvert de démocratisation de la société, servent souvent les intérêts des puissances occidentales. En effet, l’interventionnisme humanitaire se pare de toutes les vertus sociales et humaines. Des bombes et des ONG simultanément pour remettre un pays « déviant » dans le droit chemin. Plus il y a d’interventions militaires, plus les organisations non gouvernementales prolifèrent. Ne sont-ils pas finalement les maillons d’une seule et même chaîne ?

Les réseaux humanitaires américains à l’instar des réseaux Soros ou Canvas, n’ont de non gouvernementales que le nom. Ils participent activement à la mise en place d’un agenda bien précis. Ils forment et imposent des politiques sociales en connivence avec leurs bailleurs institutionnels. Ces multinationales de l’humanitaire s’arrogent le droit d’ingérence et jouissent de tous les avantages que leur statut leur confère.

L’association SOS Chrétiens d’Orient n’est pas un mastodonte de l’humanitaire. Cette structure tente tant bien que mal de former un pont entre Orient et Occident sous le prisme de la religion. Au Moyen-Orient, la religion est omniprésente et représente un marqueur communautaire fort. De fait, chefs de missions et bénévoles présents sur le terrain participent activement à la liturgie locale.

 Elle apporte une aide aux populations majoritairement chrétiennes sans ingérence dans la politique du pays hôte. Les chefs de missions sont préalablement formés aux nombreux risques qu’ils encourent dans des pays tels que l’Irak ou la Syrie. De plus, ils connaissent parfaitement la géopolitique régionale. Dans les pays du Proche et Moyen-Orient, il est souhaitable d’épouser les coutumes locales (codes vestimentaires et linguistiques) pour éviter tout soupçon d’espionnage.

En effet, dans une région en guerre, tout occidental sera perçu comme un éventuel ennemi.

Aujourd’hui, l’aide humanitaire, justement décriée et calomniée pour ses connivences politiques est en pleine mutation pour faire respecter ses principes initiaux : humanité, neutralité, impartialité et indépendance.   

Bibliographie :

Non, la guerre entre l’Iran et les États-Unis n’aura pas lieu !

La guerre fait vendre!

Au lendemain de l’assassinat du général iranien Qassem Souleimani le 3 janvier 2020 par les Américains, le monde s’alarme sur les potentielles conséquences de cet acte. Dans son ensemble, la presse internationale évoque les risques de sombrer « vers une troisième guerre mondiale ». Les titres racoleurs et sommaires alimentent une certaine psychose de l’opinion internationale. Les réseaux sociaux ont également servi de baromètre de la peur et de l’angoisse mondialisée.

Il ne s’agit pas ici de minimiser l’impact de l’assassinat, mais plutôt de nuancer ses répercussions. Il est primordial de ne pas tomber dans un discours émotionnel et hâtif. La guerre n’aura pas lieu et ce pour diverses raisons.

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Trump ne veut pas la guerre !

Quoiqu’en dise la plupart des experts et journalistes, Donald Trump ne veut pas la guerre.

Avec son style brute, le Président américain est prévisible et transparent car il dit ce qu’il pense. Tout au long de sa campagne présidentielle, il a martelé qu’il voulait rapatrier les troupes américaines présentes dans la région. Partisan d’un isolationnisme, Trump veut se focaliser majoritairement sur les affaires internes. Il sait pertinemment qu’une énième intervention au Moyen-Orient le rendrait impopulaire auprès de ses électeurs et de  l’opinion internationale. Sa politique est dans le prolongement de la politique de son prédécesseur Barack Obama. Il accentue le virage asiatique pour tenter de contenir l’influence chinoise en mer de Chine. Le Moyen-Orient devient de fait un dossier secondaire pour l’administration américaine.

Donald Trump n’est pas le seul décisionnaire à la Maison Blanche. Il est soumis au poids et à l’influence omnipotente des différents lobbys de l’armement et des néoconservateurs, qui eux, souhaitent et militent pour une intervention américaine contre l’Iran et la Syrie. Cependant, Trump est réticent à l’idée d’envoyer des troupes au sol, il a même réduit les effectifs présents en Syrie et en Afghanistan.

L’assassinat du général iranien Qassem Souleimani répond à un impératif bien précis, d’ordre existentiel. En effet, en ciblant l’homme fort de la politique extérieure iranienne, Trump démontre que les Etats-Unis agissent à leur guise quand leurs intérêts sont en jeu.

Le message est lourd de signification. Malgré les annonces de désengagement, Trump envoie un signal fort à la région. En fragilisant un peu plus l’Iran, il rassure ses alliés israéliens et saoudiens.

L’Iran n’a pas les moyens de ses ambitions !

Bien qu’ennemi intime et invétéré des Etats-Unis, l’Iran ne peut s’investir dans une guerre qui causera vraisemblablement la chute de son régime.

Depuis la révolution islamique d’Iran en 1979, une série de sanctions américaines s’abat sur l’économie iranienne. Ces dernières prennent plusieurs formes : embargo sur les exportations et les importations à destination de l’Iran, pressions diplomatiques sur les partenaires occidentaux des Etats-Unis, doublées de sanctions financières pour qu’ils s’alignent sur la même politique, gel des avoirs des Iraniens travaillant à l’étranger… Téhéran est acculé, mais arrive tant bien que mal à atténuer la dureté des sanctions en se tournant vers des partenaires moins soucieux de plaire aux intérêts de Washington. C’est le cas notamment de la Russie et de la Chine.

Or, l’intensification des sanctions depuis l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche en 2016, plonge l’Iran dans une crise économique sans précédent. Suivant la logique de « silver bullet » préconisée par l’administration Obama, les sanctions doivent permettre aux Etats-Unis de remplir leurs objectifs sans l’utilisation de la force armée. Cependant, la République islamique d’Iran s’est forgée une identité révolutionnaire, dissidente à l’aune des agissements occidentaux. Depuis 40 ans en effet, l’économie iranienne exsangue essaye de s’adapter aux multiples sanctions, en se réinventant et  en s’appuyant sur un réseau d’alliance plus ou moins fiable.

Pourtant, la politique étrangère iranienne très active au Moyen-Orient, marque le pas et ne semble plus avoir l’appui unanime de sa base populaire. Plusieurs manifestations locales ont eu lieu les mois derniers, critiquant les dépenses iraniennes en Irak, en Syrie et au Liban alors que le pays subit de plein fouet les nouvelles mesures restrictives imposées par la Maison Blanche.

Au lendemain de l’assassinat de Qassem Souleimani, l’Iran cristallise toutes les attentes et toutes les craintes. Nombreux sont les analystes et  journalistes à avoir misé sur un probable nouveau conflit au Moyen-Orient. Or, l’Iran conscient de ses difficultés, se cantonne plus à un rôle de perturbateur des intérêts américains dans la région.

L’art de la guerre « made in Trump »

Donald Trump a cassé les codes de la communication politique. Twitter est devenu son principal outil de communication. Il l’utilise quotidiennement et ce à des fins diplomatiques. Il alimente « la twittosphère » dans son style rustre et un tantinet enfantin. Dès lors, ses détracteurs mettent en exergue l’amateurisme et la dangerosité du Président américain.

Pourtant, il n’a de cesse de marteler qu’il ne veut pas de la guerre. En ancien magnat de l’immobilier, il veut faire des affaires. Tout est monnayable en relations internationales et il l’illustre à sa manière. En assassinant Qassem Souleimani, il anticipe une recrudescence des tensions qui va nécessairement mener à une surmilitarisation de la région, au profit de l’industrie américaine. De surcroît, un changement de régime en Iran serait une aubaine pour les intérêts économiques américains dans la région. Les récentes manifestations sont appuyés et soutenus par Washington et ce afin de fragiliser l’Iran et ses alliés.

Étonnamment, Donald Trump est un fin connaisseur de L’art de la guerre de Sun Tsu. Ce grand stratège chinois a théorisé l’art de la dissimulation. Pour Sun Tsu, la guerre ne se gagne pas sur le champ de bataille. Le secret de la victoire réside dans la connaissance de la situation et le fait de constamment tromper son ennemi sur ses intentions. Trump est un disciple de Sun Tsu, il brouille sans cesse les pistes. Un temps menaçant à l’égard de l’Iran lors d’un discours officiel, la même journée Trump se fait l’avocat de la paix sur Twitter. De ce fait, il alimente la confusion et sème le doute auprès de ses adversaires.

Finalement sa conception de la géopolitique se résume à un grand marché au sein duquel Donald Trump doit nouer des relations commerciales. Moqué, voire calomnié, le Président américain sait ce qu’il fait alors que tout le monde pense le contraire. Il le rappelle sans le dire, dans le monde des affaires il n’y pas d’alliés mais que des intérêts.

Récemment, en proposant « le deal du siècle » pour résoudre le contentieux israélo-palestinien, Donald Trump rend commercialisable l’improbable dénouement d’un conflit historique.

Bibliographie:

-Laferrère, Armand. « Trump, disciple de Sun Tzu »,Commentaire, vol. numéro 168, no. 4, 2019, pp. 829-836.

– https://www.lefigaro.fr/vox/monde/renaud-girard-la-politique-etrangere-de-trump-n-est-pas-en-rupture-avec-celle-d-obama-20200124