Mahmoud Darwish : le poète palestinien

À lui seul, il est la voix et le miroir de la Palestine contemporaine. Entre exil et espoir de retour, Mahmoud Darwish nous conte son histoire, celle de son intime, de son collectif mais surtout celle de sa terre bien-aimée. Dans un style engagé et rythmé, il réinvente le vers et la musicalité arabe. Poète politique pour les uns ou terroriste intellectuel pour les autres, il est autant sacralisé qu’il est décrié.

Chantre d’une poésie de la résistance, il consacre sa vie, son œuvre à donner un sens à la Palestine. Mahmoud Darwish tente de déceler la beauté dans l’obscur en démystifiant l’image attribuée au peuple palestinien. Or, indépendamment de sa propre volonté, il s’enferme dans cette image du poète résistant et engagé. Il est idolâtré dans le monde arabe. Ses poèmes, au style métaphorique unique, sont écoutés, chantés et étudiés.

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Un Palestinien ordinaire

Né en 1941 à Al Birwa en Galilée, Mahmoud Darwich est issu d’une famille de propriétaire terrien. À cette époque, la Palestine est encore sous mandat britannique. Dès la création de l’État d’Israël en 1948, sa famille fuit au Liban. Elle n’y réside qu’un an avant de retourner clandestinement en Palestine. Elle découvre alors, la destruction de leur village natale rayé de la carte par les bulldozers israéliens. Cette période entraînant un exode massif est connue sous le nom « Aam el Nakba » (l’année de la catastrophe). En effet, plusieurs milliers de familles palestiniennes émigrent au Liban, en Jordanie, en Syrie ou en Égypte après la défaite arabe de 1948.

Al Birwa rasé, la famille Darwish s’installe à Deir al-Asad, tout en craignant un deuxième exil imposé par les autorités israéliennes. Le jeune Mahmoud termine ses études secondaires à Kafar Yassif avant de partir pour Haïfa. Son appétence pour la littérature et l’écriture lui vaut d’être employé comme rédacteur au sein de plusieurs journaux locaux (Al-Itihad ou Al-Jadid). Lire et écrire symbolisent la résistance.

Face aux exactions et injustices, Mahmoud Darwich décide de rejoindre le parti communiste israélien (le Maki) en 1961. Ses articles et ses poèmes engagés et virulents gênent les autorités israéliennes. Il est plusieurs fois arrêté et incarcéré dans la prison de Saint Jean d’Acre. Le jeune poète est par la suite assigné à résidence à Haïfa. Son implication dans la défense de l’identité culturelle palestinienne dérange. Il ne peut se déplacer librement. En 1971, Mahmoud Darwish obtient une bourse et un visa d’étudiant. Il part étudier l’économie politique à Moscou. Il décide de continuer son exil et rejoint le Caire, où il travaille pour le journal égyptien Al-Ahram. Cette vie d’errance et son cœur le mènent ensuite à Beyrouth en 1973. Il dirige le mensuel AlShu’un Al-Falistiniya (Les affaires palestiniennes) avant d’intégrer l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et devient la plume de Yasser Arafat. En parallèle, il dirige le journal littéraire Al-Karmel en 1981.

En raison des bombardements israéliens sur Beyrouth en 1982, il est contraint de s’exiler une nouvelle fois. Le poète palestinien part au Caire, puis à Tunis avant de s’installer à Paris. Il jouit dans la capitale française d’une grande autonomie et liberté. Membre du comité exécutif de l’OLP, il prend ses distances avec le mouvement en raison de la signature des accords d’Oslo de 1993. Il juge injuste les conclusions de l’accord pour les Palestiniens. Ayant obtenu un permis d’entrée pour la Cisjordanie et Gaza, Mahmoud Darwich retourne à Ramallah en 1995, où il se sent étranger dans son propre pays. Son exil prend fin aux Etats-Unis. Il décède à Houston en 2008 suite à des troubles cardiaques.

Ses funérailles à Ramallah réunissent une foule immense et font l’objet d’un deuil de 3 jours. Plus qu’un simple poète, il est sacralisé tel un martyr pour l’œuvre d’une vie.

Le poète résistant

Sa vie est à l’image de la Palestine. Avec amour et mélancolie, Mahmoud Darwich a consacré son œuvre à cette nation imaginaire. Elle hante ses rêves et dicte sa plume, il ne vit que pour elle. Lorsqu’il évoque l’amour d’une femme, il personnifie l’amour de sa terre natale. De surcroît, il utilise sa plume contre les injustices et les humiliations « À chacune de mes lignes, les chars ennemis reculent d’un mètre ».

Les premiers poèmes de Mahmoud Darwich dans les années 60 sont un syncrétisme entre l’attachement à la mère patrie et l’expression d’un sentiment amoureux. La Palestine est alors représentée comme « la première mère ». Elle constitue cette création imaginaire pour tous les Palestiniens. Il la pense, la décrit et la conceptualise dans une sorte d’imaginaire collectif pour lui donner vie.

On se rappelle tous du discours de Yasser Arafat à l’ONU en 1974 où il déclare: « Aujourd’hui, je suis venu porteur d’un rameau d’olivier et du fusil du combattant de la liberté. Ne laissez pas tomber le rameau d’olivier de ma main », il est signé Mahmoud Darwich. Petit à petit, il devient la plume de l’OLP. Lors des bombardements israéliens sur Beyrouth en 1982, il écrit « Une mémoire pour l’oubli » qui deviendra un récit d’anthologie.

Le poète palestinien porte en lui les gènes du résistant. Face à la violence de l’occupation israélienne, il y oppose la violence des mots, la violence d’une littérature engagée. Son poème « Passants parmi les paroles passagères », en pleine période de la première intifada (1987-1991), offusque toute la société israélienne au point, de l’assimiler à du terrorisme intellectuel. Au diapason la presse israélienne le fustige et interprète son poème comme une menace pour l’existence du peuple juif. À cette époque, les autorités israéliennes tentent de brider la parole palestinienne. Mahmoud Darwich justifie ce poème en ses termes : « Cette dialectique absurde ne prendra fin que lorsque le Palestinien signera l’acte avec lequel il renonce à son être en même temps qu’à sa cause ». Son combat est d’ordre politique et aucunement lié à sa cohabitation avec le citoyen israélien.

Il porte en lui les germes du résistant, or avec le temps Mahmoud Darwich veut s’affranchir de cette image qui lui colle à la peau : « Je n’ai nullement cherché à devenir, ou à rester, un symbole de quoi que ce soit. J’aimerais, au contraire, qu’on me libère de cette charge très lourde ».

Le poète de la vie et de la liberté

Mahmoud Darwich excelle avant toute chose dans l’art de la métaphore. Homme enraciné dans cette culture arabe et orientale, il sublime la poésie par sa musicalité et ses vers qui mettent en lien la nature et l’amour, la terre et la tradition.

Une fois affranchi de son rôle politique, Mahmoud Darwich libère son talent pour écrire une ode à la vie. Il encense la culture orientale. Son poème de 1964 Sajel Ana Arabi (Inscris, je suis arabe) dépasse de loin le cadre palestinien. Ce poème est une déclaration d’amour au monde arabe, il y vante la culture de la terre et la famille nombreuse. On décèle également la colère enfouie d’un homme épris de justice face aux nombreuses humiliations.

Mahmoud Darwich décrit également dans « La fin de la nuit » (1967) et « Les oiseaux meurent en Galilée » (1970) cet amour de jeunesse impossible entre lui et Rita, une jeune juive qu’il avait rencontré lors d’un bal du parti communiste israélien. Idylle qui prit fin prématurément après la guerre de six jours en 1967 « Entre Rita et mes yeux : un fusil »

Mahmoud Darwich a popularisé, démocratisé la poésie arabe. En Orient, on a ce goût de la sémantique, du verbe et de la sonorité. Ses poèmes sont appris, chantés voire même théâtralisés dans plusieurs écoles du Moyen-Orient.  À lui seul, il représente la richesse extraordinaire de la langue arabe. Le poète jongle inlassablement entre les images figées de sa propre expérience et les images souhaitées par tout un peuple. Il encense cette culture de la vie et ce goût pour les relations humaines. Ses poèmes déconstruisent l’idée préconçue qu’on se fait de l’Orient. Né apatride, Mahmoud Darwich a ce souci de l’existence et de la liberté. Il veut se faire le chantre d’une poésie pluridimensionnelle. Mahmoud Darwich aborde aussi bien la solitude, l’ennui, l’angoisse, la peur que la nature, la beauté, la paix et la vérité.

Par moment, on se demande si Mahmoud Darwich n’aurait pas aimé être qu’un poète ordinaire pour vaquer plus librement à l’écriture de ses poèmes. En étant palestinien, tout un peuple, toute une région espéraient des écrits engagés et critiques à l’égard d’Israël. L’étiquette du poète palestinien est lourde de symboles et de responsabilités. En poète métaphorique, il aura réinventé un style et un verbe aiguisé aux multiples interprétations.

Bibliographie :

  • Mahmoud Darwich, « Anthologie (1992-2005) », Actes Sud, 2009
  • Mahmoud Darwich, « Palestine mon pays, l’affaire du poème », Les éditions de minuit, 1988
  • Mahmoud Darwich, « Une mémoire pour l’oubli », Actes Sud, 1994
  • Mahmoud Darwich, « la Palestine comme métaphore », Actes Sud, 2002
  • Mahmoud Darwich, « La Terre nous est étroite », Gallimard, 2000

Yasser Arafat : symbole de la résistance palestinienne

Suite à la déclaration Balfour en 1917, qui organise méthodiquement l’immigration des Juifs en Palestine, les Arabes de la région se sentent délaissés, si ce n’est abandonnés. La création de l’État hébreu en 1948 enflamme tout le Moyen-Orient. La dépossession et l’accaparement des terres palestiniennes ainsi que ses conséquences plongent la région dans un cycle infernal de conflits et de tensions territoriales.

La figure emblématique de Yasser Arafat est le miroir de la longue et lente errance palestinienne durant la seconde moitié du XXème siècle. Un temps activiste, fedayin puis diplomate, le parcours du résistant de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) se fait l’écho d’une cause consensuelle et fédératrice, mais tronquée au gré des bouleversements de l’Histoire régionale.

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Une enfance au cœur des vicissitudes du Moyen-Orient 

Né en 1929 au Caire, il est le fils d’un commerçant originaire de Gaza et d’une mère originaire de Jérusalem. Yasser Arafat affirme être né à Jérusalem. Ceci a pour but de légitimer encore un peu plus son combat pour la cause palestinienne.

Il passe les premières années de sa vie au Caire, puis il est envoyé à Jérusalem en 1936 chez l’un de ses oncles maternels. C’est à cette époque, qu’il constate l’injustice latente dont fait l’objet le peuple palestinien. En effet dans les années 30, l’immigration juive se fait au détriment des autochtones palestiniens qui doivent souvent délaisser leurs terres d’origine. Devant ces vexations et exactions de plus en plus régulières, Yasser Arafat assiste impuissant à plusieurs révoltes palestiniennes. Très tôt, ces évènements nourrissent en lui un sentiment d’humiliation et un désir de revanche.

Après avoir passé 4 ans dans la ville Sainte, il rentre au Caire où il continue ses études et entame parallèlement sa formation politique. Le jeune Yasser se passionne rapidement pour la Palestine, il étudie les penseurs panarabes ainsi que le théoricien du sionisme Theodor Herzl. Initialement proche des Frères musulmans égyptiens, il s’en écarte par la suite. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, en raison des crimes nazis, les puissances occidentales de l’époque reconnaissent l’obligation et l’importance de la création d’un État juif en Palestine. Dès lors, désabusé devant l’iniquité d’une décision unilatérale, l’ambition de Yasser Arafat est d’œuvrer à la libération totale de la Palestine.

Du militantisme au leadership palestinien

Mohamad Abd-al Rauf Arafat, dit Yasser Arafat participe à la première guerre israélo-arabe en 1948. Cette cuisante défaite représente une catastrophe (Al-Nakba en arabe) pour toute la région. Ce premier opprobre est le prélude à la longue agonie du peuple palestinien.

 De retour au Caire, Le jeune Yasser obtient son diplôme d’ingénieur civil en 1956. Dans les années 50, il devient président d’un groupe d’étudiants palestiniens exilés au sein duquel émerge la conscience et la vision d’un nationalisme palestinien. Il sert tout de même l’armée égyptienne lors de la crise du canal de Suez en 1956 contre l’agression tripartite française, anglaise et israélienne.

Peu à peu, le jeune militant palestinien prend ses distances vis-à-vis des gouvernements arabes, qu’il juge incapables de délivrer la Palestine. Selon lui, la solution doit provenir de l’intérieur et non d’un pays arabe à l’instar de l’Égypte ou de la Syrie. Yasser s’installe finalement au Koweït en tant que chef d’entreprise. C’est dans ce pays qu’il fonde le mouvement de libération de la Palestine, parti rapidement renommé le Fatah (La conquête en Arabe). L’objectif principal est l’établissement d’un État palestinien faisant fi de la reconnaissance de l’État israélien. Son positionnement et sa volonté d’utiliser l’action militaire l’écartent encore un peu plus des dirigeants arabes. Il réfute catégoriquement que la cause palestinienne soit utilisée à des fins de propagande démagogue. Ainsi, il crée en 1959 un journal intitulé Filistinuna (Notre Palestine) qui parachève la rupture entre sa vision et celle du panarabisme.

Dans ce journal, Yasser Arafat théorise son idéologie et explique l’importance de la lutte armée pour les réfugiés palestiniens (en Jordanie, au Liban, en Syrie et en Égypte). En effet, il conceptualise l’idée du fedayin palestinien (notion qui signifie littéralement le fait de se sacrifier pour une cause). Devant l’atonie des gouvernements arabes et l’accaparement des terres par les Israéliens, Yasser Arafat veut agir seul, pour mobiliser et former des groupes de commandos. 

Une lutte armée qui ne fait pas consensus

Au lendemain de la défaite de la guerre des six jours contre Israël en 1967, Yasser Arafat est conforté dans son idée que le salut de la Palestine ne peut  venir d’un pays arabe (en l’occurrence la Syrie et l’Égypte). Lors du congrès du Fatah à Damas en juin 1967, Yasser Arafat prône des actions armées en Cisjordanie, territoire conquis par Israël la même année. Il devient la tête pensante et agissante des fedayins. Les attaques ciblent les intérêts israéliens par l’entremise de sabotages et d’attentas. Yasser Arafat se lance dans une guerre d’usure contre « l’ennemi sioniste ». Or, Israël réplique avec force et démesure, obligeant les Palestiniens à établir leurs locaux en Jordanie. Ceci alimente les tensions entre le royaume hachémite jordanien et les combattants palestiniens.

Pour autant, les fedayins obtiennent leur premier succès en mars 1968 à Karameh en Jordanie. Après avoir assiégé et bombardé le camp de réfugiés, les Israéliens font face à une résistance surprenante de la part de 300 palestiniens. La base de Karameh est finalement rasée mais l’armée israélienne est obligée de quitter les lieux. Auréolé de cette victoire, Yasser Arafat assoit encore un peu plus sa légitimité et préconise une rupture totale avec les gouvernements arabes. De surcroît, quittant la clandestinité, il est nommé Président du comité exécutif de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) en février 1969. La charte de l’organisation nie l’existence de l’État hébreu.

Cependant cette consécration est de courte durée tant les luttes intestines et inter-arabes prennent le dessus sur la lutte contre Israël. En effet, les commandos palestiniens indisciplinés se heurtent régulièrement à l’armée jordanienne. Très vite, ils constituent « un État dans l’État » et outrepassent de loin les fonctions régaliennes de l’État jordanien. Finalement, le roi Hussein de Jordanie ordonne le massacre de plusieurs milliers de Palestiniens, civils et militaires en septembre 1970. Cet épisode dramatique dans l’histoire de la cause palestinienne est connu sous le nom de Septembre noir

En raison du durcissement de la politique jordanienne à l’égard des Palestiniens, Yasser Arafat et l’OLP s’établissent à Beyrouth en 1970.

Un délaissement progressif

Faute de reconnaissance internationale de l’OLP comme unique représentant du peuple palestinien, Yasser Arafat veut faire du Liban un territoire acquis à sa cause. Lors du sommet arabe de Rabat en octobre 1974, l’OLP est reconnu comme seul représentant légitime du peuple palestinien.

Les Palestiniens sont présents au Liban depuis 1948 et la première défaite arabe contre Israël. À l’arrivée de l’OLP, Yasser Arafat organise et lance avec l’aide des populations locales des actions militaires contre les villes israéliennes depuis le Sud-Liban. Ses actions s’inscrivent dans la légalité depuis les accords du Caire en 1969. Ces derniers autorisent les mouvements palestiniens à utiliser le Liban comme base arrière dans sa lutte contre « l’ennemi sioniste ». Or, les représailles israéliennes détruisent méthodiquement les structures économiques (port, aéroport, centrales électriques, ponts…) du pays afin que la population libanaise se retourne contre la présence palestinienne. Une fois de plus, les commandos de Yasser Arafat enveniment la situation dans le pays d’accueil.

Le Liban sombre en 1975 dans une guerre dévastatrice. Au fil des années, le pays devient une mosaïque d’alliances complexes et hétérogènes. Les Palestiniens affrontent essentiellement les milices chrétiennes puis les forces pro-syriennes. Des atrocités sont commises dans les deux camps. De surcroît, Yasser Arafat échoue à faire reconnaître la Palestine comme État indépendant lors des accords de camp David en 1979. Devant l’incapacité du gouvernement libanais à contenir les opérations palestiniennes, Israël intervient militairement et tente d’éliminer l’OLP en 1978 puis en 1982 en envahissant le Liban.

Frôlant la mort lors d’un bombardement israélien sur Beyrouth, l’OLP et Yasser Arafat sont expulsés vers Tunis en 1982. Face à cet échec cuisant les fedayins sont contraints de se disperser en Algérie, en Irak et au Yémen. Exilé, Yasser Arafat ne verra pas son peuple se soulever lors de la première intifada en 1987.

Yasser Arafat a eu plusieurs vies en une. Surnommé « le Che du Moyen-Orient », vêtu d’un treillis, d’un keffieh et d’une barbe de trois jours, il intrigue et fascine. Dans son rôle de résistant et de tacticien, il prêche consciencieusement la guérilla armée contre l’ennemi israélien. Cependant, il n’a pas les moyens de ses ambitions et s’enferme dans sa propre logique nationaliste, refusant tout parrainage arabe. À défaut d’avoir libéré la Palestine par les armes, il est contraint de trouver un compromis par la diplomatie avec Israël lors des accords d’Oslo en 1993. Suite à ces accords, il obtient le prix Nobel de la paix avec Yitzhak Rabin et Shimon Pérès en 1994. Prélude, d’un lent et progressif isolement sur la scène internationale et arabe au profit du mouvement islamique Hamas, partisan d’une lutte totale contre Israël.

Bibliographie :

  • Éric Roulleau, « Yasser Arafat à travers l’Histoire », Manière de voir Le Monde Diplomatique, Mars 2018, p47-51
  • Georges Corm, « Pensée et politique dans le monde arabe », La Découverte, 2015
  • Christophe Boltanski et Jihan El-Tahri, « Les sept vies de Yasser Arafat », Grasset, 1997
  • Alain Gresh, « De quoi la Palestine est-elle le nom ? », Actes Sud, 2012

Les Chrétiens d’Orient: une minorité oubliée (Partie 2/2)

De la fin du XIXe siècle à l’émergence de l’État islamique au Levant en 2014, les populations chrétiennes oscillent entre espoir et abattement, entre renaissance et exil. Dans un siècle de grandes mutations, la communauté chrétienne hétérogène a endossé plusieurs rôles.

Au début du XXe siècle, les Chrétiens d’Orient représentent ¼ de la population du Moyen-Orient. Aujourd’hui selon les dernières estimations, ils sont environ 4%. Proportionnellement, le chiffre a grandement diminué en raison du fort taux de natalité chez les musulmans. Or, les dynamiques démographiques prouvent bien que la population chrétienne a augmenté en nombre, passant de 2 millions en 1914 à environ 15 millions aujourd’hui.

Cette seconde partie revient sur un siècle de questionnements sur l’enracinement d’une communauté chrétienne plurimillénaire, sur son rôle dans l’Histoire et sur sa régénération face aux menaces régionales. 

De la fin de l’Empire ottoman aux mandats européens

La déliquescence de l’Empire ottoman va de pair avec un durcissement de sa politique vis-à-vis des minorités religieuses. Dès la fin du XIXe siècle, le pouvoir central d’Istanbul tente de rallier tous les musulmans à sa cause en imposant le panislamisme (mouvement politico-religieux prônant l’union de tous les musulmans). Mais les citoyens arabes de l’Empire, toutes confessions confondues, veulent leur indépendance et s’organisent clandestinement. Sous la houlette des penseurs chrétiens Jurji Zaydan, Naguib Azoury, les frères Sélim et Béchara Taqla ou encore l’auteur libanais Gibran Khalil Gibran, l’idéologie panarabe émerge des consciences et tente de gommer les différences religieuses.

Cependant, le pouvoir central matte rapidement les manifestations. Les Chrétiens sont souvent pris pour cible et sont injustement qualifiés d’agents de l’extérieur. Les Arméniens de l’Empire subissent des massacres dès la fin du XIXe siècle. Ils sont assimilés à l’ennemi russe, car ils partagent la même religion orthodoxe. De surcroît, en guerre contre la Russie à partir de 1914, les dirigeants turcs ordonnent un massacre systématique des Arméniens et des autres minorités chrétiennes. Plus des deux tiers de la population arménienne sont décimés. Les survivants fuient vers la Russie et la Perse de l’époque. C’est le premier génocide du XXème siècle.

Avec la chute de l’Empire ottoman en 1923, les populations locales passent sous le joug des puissances européennes qui se partagent les restes de l’Empire déchu lors des accords de Sykes-Picot en 1916. La France hérite de la Syrie et du Liban, tandis que la Grande-Bretagne obtient l’Irak, la Jordanie et la Palestine. De ce fait, les populations locales qui rêvaient d’indépendance se retrouvent une fois de plus sous l’emprise d’une puissance tiers. Dès lors, une frustration s’empare des nationalistes arabes chrétiens et musulmans. En divisant le Proche-Orient, Paris et Londres entreprennent consciencieusement une régionalisation des communautés. Les Chrétiens n’ont plus un destin commun et des tensions au sein même de la communauté apparaissent.

Aujourd’hui encore, les stigmates du mandat ont des conséquences sur la faible polarisation du pouvoir central. Face à cette déception, des révoltes éclatent en Irak, en Syrie et au Liban pour demander le renvoi des troupes européennes. Deux visions s’opposent chez les Chrétiens d’Orient. Ceux qui prônent une opposition farouche au mandat, à l’instar d’Antoine Saadé, libanais orthodoxe, qui se fait l’apôtre de la Grande Syrie en créant le parti social national syrien en 1932. D’autres, rêvent d’un État libanais majoritairement Chrétiens en niant son arabité à l’image de Pierre Gemayel, Chrétien maronite, qui fonde en 1936 le parti des Phalanges libanaises proche de l’administration française.

Finalement, l’hétérogénéité politique des Chrétiens explique le peu de collusion entre les différents coreligionnaires durant l’époque des mandats.

Au temps des indépendances : entre rêve et réalité

Au lendemain des indépendances dans les années 40, les Chrétiens d’Orient aspirent à jouer un rôle de premier plan dans la vie politique et économique de la région.

  • Les premiers espoirs :

Au Liban la constitution de 1926, imposée par la France, prévoit que le Président de la République libanaise soit de confession chrétienne maronite. Malgré l’indépendance en 1943, la France garde un droit de regard sur le Liban. À cette époque, les Chrétiens représentent 52% de la population (cf le recensement de 1932). La cohabitation avec les autres communautés est bonne. Il n’y a pas de réelle distinction communautaire au delà du cadre strictement politique.

En Syrie et en Irak, une laïcité orientale s’instaure sous l’influence d’un penseur chrétien orthodoxe Michel Aflak. Ce dernier est le fondateur du parti Baath (résurrection en arabe) en 1944. Cette idéologie s’impose avec Hafez Al-Assad en Syrie à partir de 1970 et en 1968 avec Saddam Hussein en Irak. Elle prône la primauté de l’arabité sur l’appartenance religieuse et communautaire ainsi qu’une indépendance à l’égard de l’Occident. De ce fait, les Chrétiens peuvent exercer des postes à haute responsabilité dans l’armée ou au sein du Parlement. C’est le cas de Tarek Aziz qui est ministre des Affaires étrangères sous Saddam Hussein.

En Égypte sous le règne de Gamal Abdel Nasser (1954-1970), la communauté copte qui représente la plus importante population chrétienne au Moyen-Orient, connaît un renouveau, une impulsion mais de courte durée face à l’islamisation galopante de la société.

Avec la création de l’État d’Israël en 1948, les Chrétiens palestiniens jouent un rôle majeur dans le mouvement national. Ils sont à l’avant-garde de la lutte contre l’occupation illégitime de la Palestine. Georges Habache est le fondateur du Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP). Certains s’investissent dans la littérature politique comme Edward Saïd et se font les portes paroles des opprimés du sionisme et du danger qu’il représente en tant qu’entité communautariste.

  • Vers une marginalisation progressive :

Les défaites militaires arabes face à Israël (en 1948, 1956, 1967 et 1973) chamboulent le relatif équilibre confessionnel et poussent les Chrétiens palestiniens à s’auto-marginaliser de la vie politique. L’exode massif des Palestiniens engendre des difficultés d’ordre économique et social au sein des pays hôtes (Jordanie, Syrie et Liban). En raison de la fragilité et des dissensions politiques vis-à-vis de la cause palestinienne, le Liban sombre dans une guerre « civile » aux multiples facettes de 1975 à 1990. Une partie des Chrétiens se ligue contre les Palestiniens, perçus comme responsables de cette guerre. Une autre frange de la population les soutient, car ils représentent la lutte contre Israël. Le pays implose et connaît une guerre fratricide entre Chrétiens en 1989. Désunis et influencés par l’extérieur, ils perdent leurs prérogatives politiques au profit des musulmans suite aux accords de Taëf qui mettent fin à la guerre en octobre 1989.

Face aux multiples échecs et humiliations subis par les nations arabes, petit à petit l’Islam radical éclipse le panarabisme avec le soutien officieux de l’Occident. Cette idéologie prolifère majoritairement au sein des couches populaires musulmanes sunnites. Le Chrétien y est considéré comme l’ennemi, car injustement et faussement assimilé à l’Occident.

Les Chrétiens d’Orient face à l’islamisme : entre exil, soumission et résistance

Avec la destruction de l’appareil étatique irakien et ce, depuis l’invasion américaine de 2003, l’Irak est devenu un terrain fertile pour l’islamisme radical. En 2013-2014, l’État islamique s’enracine au Levant et pousse des centaines de milliers de familles chrétiennes sur la route de l’exil. En septembre 2013, le village chrétien de Maaloula en Syrie tombe aux mains des islamistes du Front Al-Nosra (branche d’Al Qaeda en Syrie). Selon les témoignages des habitants « ils sont arrivés sur leurs pick-up en criant les Chrétiens au tombeau ». Églises et cimetières sont ravagés et les tombes pillées. Pour les islamistes, les Chrétiens d’Orient sont le cheval de Troie de l’Occident en terre arabe. Cette sémantique impose un parallèle mensonger et absurde entre Occident et Christianisme, alors que le berceau de la Chrétienté se situe en Orient.

L’État islamique sanctuarise ses acquis territoriaux. En 2014, avec la prise de la plaine de Ninive en Irak, les populations chaldéennes prennent l’exil de peur d’être persécutées et massacrées.

Les populations qui restent sous l’emprise des djihadistes sont obligées de se soumettre. Ils se convertissent et doivent appliquer les codes de la charia. Dans le meilleur des cas, les femmes doivent se voiler, les hommes doivent porter des vêtements amples et ne peuvent fumer. Dans le pire des cas, les Chrétiennes servent d’esclaves sexuelles aux djihadistes et les hommes de main-d’œuvre bon marché en étant continuellement opprimés.

D’autres font le choix courageux de former des milices armées pour combattre les djihadistes dès 2013. En Syrie, de nombreux groupuscules chrétiens sont créés dans les banlieues d’Homs et d’Alep avec l’aide des Russes et des Iraniens. Ils forment les supplétifs de l’armée régulière syrienne. Ils se battent pour leurs terres et pour un idéal révolu, celui d’une entente fraternelle avec la majorité musulmane. Somme toute, l’arrivée de Daesh a provoqué un choc rédhibitoire pour de nombreuses populations chrétiennes. Plusieurs syriens m’ont témoigné avec incompréhension et nostalgie « Avant la guerre, il y avait une forme de cohésion, on était tous Syriens, avec l’arrivée de Daesh, certains de nos voisins musulmans ont rejoint les terroristes ».

Le sectarisme politique, la menace terroriste sunnite et les politiques occidentales contestables marginalisent la communauté chrétienne. Aujourd’hui plus que jamais, les Chrétiens d’Orient doivent se restructurer politiquement et économiquement et mettre en avant leurs particularismes s’ils ne veulent pas être définitivement considérés comme les oubliés de l’Histoire orientale.

Bibliographie :

  • Tigrane Yégavian, « Minorités d’Orient : Les oubliés de l’Histoire », éditions du Rocher, 2019
  • Bernard Heyberger, « Chrétiens du monde arabe : Un archipel en terre d’Islam », Autrement, 2003
  • Alain Ducellier, « Chrétiens d’Orient et Islam au Moyen-Âge, VIIème- XVème siècle », Armand Colin, 1996
  • Amin Maalouf, « Les Croisades vues par les Arabes », Poche, 1999
  • Joseph Yacoub, « Une diversité menacée, les chrétiens d’Orient face au nationalisme arabe et à l’islamisme », Salvator, 2018

Les « alliés » arabes d’Israël

Esseulé à sa création en 1948, l’État d’Israël a depuis réussi à briser son isolement au prix de nombreuses tentatives de rapprochement et de négociations avec certains gouvernements arabes. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, la Palestine représentait la cause fédératrice pour le monde arabe. Or, aujourd’hui cette cause est devenue secondaire si ce n’est encombrante pour les dirigeants de la région. L’abandon de cette lutte fait les beaux jours d’Israël.

La politique de l’État hébreu consiste à étendre la pacification de son entourage en accentuant la menace iranienne. Aidée et soutenue systématiquement par l’administration américaine, Israël a réussi à rendre possible ce qui ne l’était pas : la paix avec ses voisins arabes.

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Une normalisation officielle :

L’incapacité militaire des États arabes à vaincre Israël lors des différentes guerres poussa certains pays acculés à signer des accords de paix.

En effet, les nombreux conflits opposant l’État hébreu à l’Égypte (1948, 1956, 1967 et 1973) ont mis en exergue l’infériorité chronique des armées arabes face à la supériorité israélienne, aidée par l’Occident. Le secteur économique égyptien n’arrivait plus à pallier le déficit des dépenses militaires. Après la mort de Gamal Abdel Nasser, leader arabe charismatique et fer de lance de la lutte contre Israël, l’Égypte se rapproche d’Israël en contrepartie d’une aide économique américaine. Les accords de paix sont signés à Camp David en 1979 par le Général Anouar Al Sadate. Conspué par la rue arabe, le Président égyptien est assassiné en 1981.

Suite à la pacification des relations avec l’État d’Israël, l’Égypte est mise au ban de la Ligue arabe pour trahison envers la cause palestinienne jusqu’en 1990.

La Jordanie est le second État à signer la paix avec l’État d’Israël en 1994. Pourtant, plus de la moitié de la population jordanienne est d’origine palestinienne. Les nombreux conflits avec Israël ont fait fuir des centaines de milliers de familles vers la Jordanie, le Liban et la Syrie. Or, engluée dans une crise économique et ne pouvant faire face à la puissance israélienne, le roi de Jordanie Hussein signe un accord de paix avec Israël en échange d’une aide économique américaine. À l’instar de l’Égypte, le pays est suspendu de la Ligue arabe.

Ignorée du grand public, la Mauritanie a reconnu Israël en 1999. Les Etats-Unis ont accéléré ce processus par le biais de pressions économiques. Néanmoins, les relations avec Israël demeurent compliquées et irrégulières en raison de la question palestinienne.

La pacification avec l’État hébreu ne se fait jamais sans contrepartie. Les Etats-Unis usent de la « diplomatie du chéquier » pour convaincre les chancelleries arabes d’abandonner la lutte contre Israël et pour acquérir une stabilité économique. Aujourd’hui, cette pacification se mue en un partenariat stratégique, notamment pour l’achat de gaz israélien. Cependant, l’abandon de la cause palestinienne par les chancelleries arabes n’est pas au goût de la rue qui elle, continue de clamer son attachement pour la Palestine.

De moins en moins officieuse :

« L’ennemi de mon ennemi est mon ami », cette théorie schmitienne résume à elle seule la politique des monarchies du Golfe qui n’hésitent pas à se rapprocher de plus en plus ouvertement d’Israël pour s’opposer à l’Iran et ses alliés dans la région.

En effet, les monarchies sunnites du Golfe se focalisent sur l’ennemi iranien au détriment de la cause palestinienne. Cette division au sein du monde musulman fait le jeu d’Israël. L’Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis, le Koweït et Bahreïn font front commun avec Israël pour stopper l’influence iranienne au Moyen-Orient. De fait, les rencontres entre dirigeants politiques et militaires sont de plus en plus régulières. Une collaboration étroite s’instaure dans la lutte contre le cyber-terrorisme, dans la formation des services de renseignement et d’espionnage ainsi que la fourniture par Israël d’une aide logistique à l’Arabie saoudite dans sa guerre contre le Yémen.

Dernièrement, un haut dignitaire religieux saoudien s’est rendu au camp d’Auschwitz. Visite hautement symbolique qui assoit davantage le rapprochement entre les deux pays[1]. Enfin, l’Arabie saoudite est sur le point d’accepter des ressortissants israéliens sur son territoire.

Cette alliance de circonstance est finalement une alliance qui s’inscrit dans la durée. Ce rapprochement avec l’État hébreu se fait au détriment de la cause palestinienne et ce, en dépit des discours des dirigeants arabes en faveur de la Palestine.

En devenir :

Le sultanat d’Oman a toujours été apprécié pour sa neutralité diplomatique et pour son rôle de médiateur dans la résolution des conflits régionaux. En octobre 2018, le sultan Qabus Ibn Saïd reçoit en grande pompe le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu, prélude à une normalisation des relations bilatérales. La vision israélienne du Moyen-Orient trouve de plus en plus d’écho même au delà des chancelleries arabes qui ne considèrent pas l’Iran comme un ennemi héréditaire. De plus, les partenariats dans les secteurs des hautes technologies des renseignements, du traitement de l’eau, de la sécurité, de l’énergie solaire voire de la santé rendent la diplomatie de Tel-Aviv attractives et efficaces auprès des gouvernements arabes.

Dernièrement le chef d’État soudanais, Abdel Fattah al-Burhane a rencontré Benyamin Netanyahu en Ouganda[2]. Conscient des difficultés économiques internes, le Président soudanais tente un rapprochement avec Israël afin d’avoir les bonnes grâces des Etats-Unis. En effet par le jeu des sanctions économiques, Washington peut plonger un pays dans une crise économique et sociale, cause d’une colère populaire contre ses propres dirigeants. De ce fait, l’administration américaine use de cette « silver bullet » (nom donné par l’administration Obama pour l’usage des sanctions) comme levier diplomatique. En se rapprochant d’Israël, le Soudan espère mettre fin aux sanctions économiques américaines et sortir de la liste des États terroristes.

De son côté, le Maroc entretient de très bonnes relations avec les Etats-Unis, ce qui ne l’empêche pas de ne pas reconnaître (encore) officiellement l’État d’Israël. Or, depuis plusieurs années des rencontres secrètes ont lieu entre les chefs de la diplomatie marocaine et israélienne. Récemment selon Middle East Eye[3], un accord tripartite est sur le point de voir le jour. En faisant pression au sein des cercles de pouvoir et de décision américains, Israël souhaite que le Sahara occidental soit reconnu par les Etats-Unis comme une province marocaine et non comme une région quasi-autonome. En contrepartie de quoi, le Maroc devra normaliser ses relations avec Israël. Toujours selon Middle East Eye, le ministre des affaires étrangères du Maroc a rappelé en ces termes : « Le Sahara reste la première cause du Maroc et non la Palestine ».

La normalisation des relations avec l’État hébreu fait l’objet d’un chantage diplomatique, économique voire territorial.

Impensable :

Malgré les tentatives américano-israéliennes de dislocation du Moyen-Orient  par l’entremise de stratégie de tensions, d’opérations clandestines, de guerres de changement de régime et de prédations économiques, plusieurs États arabes bannissent tout rapprochement avec l’État hébreu.

L’administration israélienne a en effet planifié la refonte du Moyen-Orient par le biais du « Plan Yinon »[4]. Datant de 1982, ce plan prévoyait le remodelage du Moyen-Orient en plusieurs mini-États antagonistes. Tour à tour, le Liban, l’Irak puis la Syrie subissaient ce projet de division interne de la société. Durant la guerre civile libanaise de 1975 à 1990, Israël a tenté d’influer sur le cours des évènements en semant la division communautaire au Liban. Malgré les contacts secrets avec certains partis libanais, un rapprochement avec l’État hébreu est impensable tant l’influence du Hezbollah, parti pro-iranien et ardent défenseur de l’identité libanaise, est omniprésente.

L’Irak et la Syrie, deux États profondément attachés au nationalisme arabe, ont subi plusieurs ingérences israéliennes et interventions militaires américaines visant à fragiliser l’économie et à diviser la société. Aujourd’hui, force est d’admettre que le Moyen-Orient est plongé dans un manichéisme. D’un côté, il y a les pays s’alignant sur la politique israélienne, de l’autre il y a les pays proches de l’Iran, à l’instar de la Syrie, de l’Irak et du Liban par le biais du Hezbollah.

Au Maghreb, l’Algérie et la Tunisie refusent catégoriquement tout rapprochement avec l’État d’Israël. Or, il semble bien que la stratégie israélienne porte ses fruits à long terme. Les pressions américaines économiques, diplomatiques voire militaires obligent les États ennemis d’Israël à revoir leurs agendas politiques quitte à abandonner leur idéal panarabe.

Sur 22 pays arabes, Israël entretient aujourd’hui des relations plus ou moins officielles avec 11 d’entre eux. La moitié restante est composée d’États déliquescents et exsangues économiquement en raison des conflits régionaux, des crises économiques et de l’immobilisme de leurs dirigeants.


[1] https://fr.timesofisrael.com/un-haut-dignitaire-religieux-saoudien-se-rend-a-auschwitz/

[2] https://www.jeuneafrique.com/mag/893434/politique/les-dessous-du-rapprochement-entre-israel-et-le-soudan/

[3] https://www.middleeasteye.net/fr/en-bref/comment-netanyahou-pousse-trump-reconnaitre-la-souverainete-du-maroc-sur-le-sahara   

[4] https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2007-2-page-149.htm

« Le deal du siècle »: Arrangement entre les États-Unis et Israël au détriment une fois de plus des Palestiniens

Une fois n’est pas coutume, les administrations américaine et israélienne ont affirmé leurs liens fraternels. Méconnu en Occident, « cet accord du siècle », « ce plan de paix » pour le Moyen-Orient divulgué par Donald Trump et son gendre Jared Kushner le 28 janvier 2020, offre au Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu le droit de continuer légalement la colonisation sans aucune contrepartie.

Les Palestiniens, évincés de cet accord, se sentent humiliés voire insultés et demeurent les laissés pour compte dans ce conflit inique.

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Un dénouement prévisible :

Depuis 2 ans, les médias arabes et régionaux parlent du fameux « accord du siècle » (safaqat el qourn en arabe). L’annonce faite le 28 janvier dernier, n’est donc pas une surprise pour les habitants de la région. Ils attendaient tout juste son officialisation pour exprimer leur refus et montrer leur désarroi face au marchandage et au grignotage de l’État palestinien. Régulièrement, Israël bafoue le droit des Palestiniens en grappillant bout de terrain par bout de terrain et en hébraïsant chaque localité conquise.

Depuis 70 ans et bien que souvent accusé de non-respect des droits de l’homme, l’État hébreu jouit d’une impunité face au droit international et ce, en raison de la protection américaine systématique.

Le monde observe impuissant, si ce n’est indifférent  la négation du fait palestinien. Telle une épine dans le pied, la cause palestinienne devient utopique pour l’opinion internationale et dérangeante pour les voisins arabes.

La banalisation des exactions et des nombreux crimes ne fait plus la une. De surcroît, la nouvelle stratégie israélienne est de taxer d’antisémitisme tout État ou personne critiquant la politique de l’État hébreu.

Légalisation de la colonisation, mais pas que…

« Ce plan de paix » à sens unique ne satisfait que la droite israélienne de Benyamin Netanyahu. Depuis novembre 2019, le congrès américain a voté une loi reconnaissant la légalité des colonies israélienne. Cet accord « de paix » entérine encore un peu plus la mainmise de l’idéologie sioniste sur la Palestine.

La Cisjordanie est de facto un territoire colonisable. À ce jour, 600 000 colons juifs y résident pour une population de 2,6 millions de Palestiniens. Les dirigeants israéliens ont annoncé la volonté d’atteindre le million de colons d’ici 10 ans. D’ailleurs, le Premier ministre de l’État hébreu lorgne sur la vallée du Jourdain, territoire stratégique riche en ressources hydrauliques. L’accaparement des eaux souterraines par les autorités israéliennes risque de provoquer de fortes tensions avec le voisin jordanien et avec les Palestiniens de la Cisjordanie. L’or bleu est au cœur de la géopolitique régionale.

En plus de devoir accepter l’implantation de nouvelles colonies en Cisjordanie, les Palestiniens doivent cesser toute action militaire. Le plan de « paix » prévoit une démilitarisation des territoires palestiniens (surtout dans la bande de Gaza) et une sécurité assurée exclusivement par l’autorité israélienne. En contrepartie Donald Trump promet  50 milliards de dollars d’investissement et deux futures zones industrielles dans le désert du Néguev.

Ce deal du siècle envisage également la construction d’un tunnel reliant la Cisjordanie à Gaza. Or, le déplacement des habitants palestiniens sera restreint dans l’espace et dans le temps.

De surcroît, le plan de l’administration américaine ne concerne pas uniquement le sort des Palestiniens, mais également celui des habitants du Golan syrien. Ce territoire, occupé militairement par Israël en 1967 et annexé en 1981, représente une véritable zone stratégique. En mars 2019, le Président Donald Trump signe un décret reconnaissant la souveraineté de l’État hébreu sur le plateau du Golan, faisant fi des résolutions de la communauté internationale qui n’a jamais reconnu cette annexion. Ce « deal du siècle » vient parachever cet état de fait.

En somme, l’administration américaine rend monnayable la cause palestinienne et ignore consciencieusement les aspirations légitimes du peuple palestinien.

Abou Dis pour les Palestiniens

Les habitants de la région postent à l’unisson sur les réseaux sociaux le mythique morceau de la chanteuse libanaise Fayrouz « Al Qods lana » (Jérusalem est à nous)[1]. Or, cette nostalgie est consubstantielle avec ce sentiment d’abandon, de désarroi face au marchandage de la ville sainte. En effet, après avoir déplacé l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem en décembre 2017, la récente annonce de Donald Trump confirme un peu plus l’empiètement israélien sur le sort des Palestiniens.

Jérusalem est plus qu’une ville pour les Arabes, elle dépasse de loin la simple notion de capitale d’un État. Elle représente le mythe de la ville sainte parfaite, mille fois conquise mais toujours vivante et resplendissante. Musulmans, Chrétiens et Juifs la sacralisent. Troisième ville sainte de l’Islam avec la présence de la mosquée Al Aqsa, Jérusalem est également sacrée pour les Chrétiens du monde entier avec le tombeau du Christ (le Saint Sépulcre). Les Juifs, quant à eux, la vénèrent pour le mur des lamentations, ancienne façade du temple d’Hérode du Ier siècle.

Malgré les dires du Président américain, la capitale du futur État palestinien ne sera pas Jérusalem-Est, mais Abou Dis. Cette dernière est une petite bourgade de 11 000 habitants, située à l’est de Jérusalem. Encore une aberration et une humiliation pour les habitants qui seront de plus en plus éloignés de la ville sainte. En effet, les Arabes chrétiens et musulmans se liguent contre cet opprobre. Les Palestiniens refusent donc à l’unisson le sort qu’il leur est promis.

L’effritement d’une solidarité de façade

La Palestine est un sujet consensuel pour la rue arabe. Cependant, les dirigeants des principaux pays de la région la délaissent petit à petit pour rejoindre une alliance de plus en plus officielle avec les Etats-Unis et Israël contre l’Iran.

Initialement, l’approbation tacite des autorités du Golfe et de l’Égypte est perçue comme une trahison. Seuls, les dirigeants libanais, syriens, irakiens, yéménites, algériens et tunisiens ont condamné ouvertement ce plan de paix.

La Palestine reste populaire et certains dirigeants régionaux l’ont bien compris. Pour des raisons électorales évidentes, avoir le « passeport palestinien » permet de s’assurer un soutien de poids. Pour les populations locales, y compris chez les non-arabes (Turcs et Iraniens), la Palestine représente cette cause fédératrice aconfessionnelle. En dépit de discours partisans et de manifestations dans plusieurs villes contre ce fameux « deal du siècle », l’abattement prédomine chez les habitants de la région.

Dans les faits, ce plan de paix signe la fin d’un espoir et ne résout aucunement le conflit israélo-palestinien. Contre toute attente, réunie au Caire le 1 février 2020, la Ligue arabe dénonce un projet injuste ne respectant pas le droit des Palestiniens. Impuissant, Mahmoud Abbas, chef de l’autorité palestinienne rompt toutes les relations avec Israël et les Etats-Unis.

La perte de la Palestine obligerait le monde arabe à se réinventer. En déliquescence, il est plus que jamais soumis aux calculs des grandes puissances et aux turpitudes de ses propres dirigeants.  

Bibliographie :


[1] https://www.youtube.com/watch?v=lYKnQ9814T8

Fauda: Une série israélienne sur Netflix à la gloire du Mossad ?

Conçue initialement pour une audience israélienne, cette série a rapidement conquis le géant américain de l’industrie audiovisuelle. Réalisé par Lior Raz et Avi Issacharoff, ce programme a pour but de montrer au plus grand nombre de téléspectateurs la lutte anti-terroriste dans les territoires palestiniens occupés. Véritable outil du Soft power israélien, cette série commerciale permet à Tel-Aviv de donner une vision tronquée de la réalité sur place. De ce fait, le mouvement BDS (Boycott, désinvestissement et sanctions) ainsi que plusieurs personnalités du monde arabe demandent à Netflix de supprimer la série.

« Par la ruse, nous vaincrons »

Cette devise du Mossad est bien appliquée dans la série. Tous les moyens sont bons pour arriver à leurs fins. En effet, les agents israéliens infiltrés sur le terrain (moustaaribiin en arabe) connaissent tous les us et coutumes de la vie palestinienne. Ils maitrisent parfaitement le dialecte local. Avant leurs opérations, ils choisissent méticuleusement les vêtements et le maquillage à mettre (fausse moustache et teinte des cheveux en noir pour les hommes et hijab pour les femmes).

Dans la première saison, le personnage principal Doron Kabilio infiltre une cellule du Hamas afin d’en savoir plus sur les desseins politiques et militaires du mouvement. Parlant un arabe parfait et obtenant rapidement la confiance des chefs du parti, il est lui même choisi pour commettre le prochain attentat sur Tel-Aviv. Démasqué, il est finalement sauvé par son équipe qui se tenait prête à agir en cas d’échec de la mission. 

Au cours de la deuxième saison, l’intrigue est plus complexe. Le Mossad doit faire face à la naissance d’une cellule de l’État islamique dans les territoires occupés. Le spectateur lambda qui n’est pas familier avec la géopolitique régionale, adhérera à ce scénario. Dans les faits, c’est une toute autre réalité. Il n’y a jamais eu de cellule de Daech (acronyme de l’État islamique) en Israël. Au contraire, peu connu du grand public, Israël a entretenu des relations avec plusieurs groupuscules terroristes en Syrie (notamment Al-Nosra dans les environs du Golan), afin de glaner des informations sur la présence des bases iraniennes et du Hezbollah en Syrie.

Tout au long des deux premières saisons, les infiltrés israéliens sont aidés par des équipes de renseignements. Ils sont équipés d’oreillettes qui leur transmettent des informations en temps et en heure sur la circulation, sur le nombre de personnes présentes sur place, si oui ou non le suspect est visible, s’il est armé ou seul etc. De plus, de nombreux drones survolent la zone d’intervention pour quadriller l’opération. Ils sont à la pointe de la technologie. Ils peuvent traquer et retrouver la trace d’un membre du Hamas rapidement. À l’aide des satellites, ils interceptent les conversations téléphoniques, brouillent les radars, saturent les réseaux. La supériorité technologique est écrasante voire humiliante.

Représentation des Palestiniens dans une série israélienne

De leur côté, les Palestiniens usent d’une technologie rudimentaire, téléphones portables sans connexion internet, des hangars et des parkings d’hôpitaux comme quartiers généraux. Les chefs des différents partis palestiniens se réunissent dans les églises. Tous leurs agissements sont faits en pleine clandestinité. De surcroît, quand ils parlent l’hébreu, ils sont hésitants. Dans son ensemble, la série décrit les prouesses et le courage des services de renseignements israéliens et met en exergue l’amateurisme des Arabes.

Mais ce qui semble être le plus choquant à travers cette série est cette dichotomie des personnages. L’Israélien est, ici, représenté comme un homme aux mœurs occidentales, buvant, fumant, il profite pleinement de la vie. Il est dépeint sous les traits d’un homme rusé, courageux et épris d’éthique et de conscience nationale. S’il doit tuer, c’est pour le bien d’Israël. 

Malgré le point de vue biaisé, la série permet de voir sous quel prisme les Arabes sont perçus. Le Palestinien est directement assimilé à l’ennemi, au méchant. Il est caractérisé par le jeune palestinien Walid Al Abed. Il porte une barbe bien garnie mais mal taillée, de comportement sanguin il agit souvent par irrationalité. La haine du juif est omniprésente dans son discours. D’ailleurs, l’homme décrit est violent, s’il agit c’est uniquement par représailles et par aversion du peuple juif.

La série caricature le Palestinien en un homme prévisible, corrompu, corruptible et même aux mœurs douteuses (l’un des personnages force sa cousine à se marier avec lui). Somme toute, l’Israélien est vu comme un homme courageux et défenseur de sa patrie et le Palestinien comme potentiel tueur d’Israéliens, sans revendication nationale ou historique.

« Diviser pour mieux régner »

Cette maxime corrobore précisément les desseins politiques de l’administration israélienne. Depuis l’émergence de l’islamisme politique et le déclin du nationalisme arabe, Tel-Aviv n’a cessé d’opposer les deux idéologies. En effet, depuis le crépuscule de l’OLP (organisation de libération de la Palestine), le vide politique palestinien a été comblé par l’arrivée des islamistes du Hamas. Les deux principaux partis palestiniens n’arrivent pas à s’entendre. Ils s’opposent régulièrement sur l’attitude à adopter à l’égard des Israéliens. Les politiques israéliens ont favorisé la naissance du Hamas en 1987 pour finalement mieux le combattre. Il est plus facile de convaincre l’opinion internationale sur la nécessité de lutter contre des islamistes enturbannés (le Hamas) que de lutter contre des socialistes arborant le keffieh (OLP). En effet, le Hamas est généralement assimilé à un groupe terroriste, ce qui place automatiquement Israël dans un statut de victime.

Ceci est bien visible dans la série. Les services de renseignements israéliens entretiennent des relations plus que cordiales avec les autorités palestiniennes du Fatah (anciennement l’OLP) en Cisjordanie. Ils vont jusqu’à collaborer ensemble pour capturer les différents suspects. Le Hamas les accuse de traitrise et d’être des fossoyeurs de la cause palestinienne. Cette division alimentée et souhaitée, fait finalement le jeu des Israéliens.

Lors d’une scène dans la saison 2, un dirigeant du Hamas est interrogé par les services de renseignements israéliens. Ayant des informations sur ses relations extra-conjugales, ils arrivent facilement à le faire parler. De plus, dans la série la cause palestinienne est rendue monnayable au prix d’un passeport européen et d’un appartement en Allemagne ou en France. Plusieurs femmes palestiniennes sont prêtes à fournir des informations cruciales pour quitter définitivement la Palestine.

Le point de vue des autorités israéliennes

Cette série épouse pleinement le point de vue israélien sur le conflit. Maquillant la réalité du fait palestinien, Fauda n’évoque jamais les exactions et vexations commises par l’armée israélienne, les nombreuses heures d’attentes aux checkpoints, les expulsions forcées etc.

Le but recherché est simple. À travers cette série, Israël apparaît comme l’agressé et les Palestiniens comme agresseurs.

En définitive, ce programme tente tant bien que mal d’altérer le jugement de l’opinion internationale à l’égard d’Israël. Au vu du très large succès de la série, une troisième saison est en cours de tournage. Elle relatera la traque d’un terroriste à Gaza. Israël use donc de son soft power (capacité à convaincre) pour propager sa version du conflit.

Israël-Palestine: le conflit oublié

Cette guerre asymétrique ne fait plus l’actualité. Auparavant, la région était perçue uniquement sous le prisme de l’affrontement israélo-arabe. L’État hébreu cristallisait toutes les craintes régionales. Aujourd’hui, malgré la colonisation systématique, les exactions quotidiennes et le blocus humanitaire de la bande de Gaza, le conflit est de moins en moins médiatisé, et ce au détriment de la cause palestinienne. Le rapprochement de certains États arabes avec Israël et la lutte commune contre l’influence iranienne marginalisent le sort des Palestiniens.

Pourtant, dès la création de l’État hébreu en 1948, la Palestine représentait cet idéal à défendre pour tous les habitants de la région. Retour, sur la déliquescence d’une cause fédératrice.

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« Une nation a solennellement promis à une seconde le territoire d’une troisième »

Cette phrase du journaliste hongrois, Arthur Koestler, résume à elle seule la création du futur État hébreu.

Le 2 novembre 1917, Lord Arthur James Balfour, ministre britannique des affaires étrangères écrit une lettre à Lord Walter Rothschild, porte parole des Juifs britanniques, dans laquelle il annonce que « Le gouvernement de sa Majesté envisage favorablement l’Établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif ». C’est une victoire pour l’enracinement du sionisme et une défaite pour les aspirations nationales arabes. Le sionisme est un mouvement fondé à la fin du XIXème siècle, prônant l’immigration des Juifs en Palestine. Or, à cette époque la Palestine est un territoire où vivait une population arabe musulmane et chrétienne. Cette fameuse déclaration Balfour de 1917, s’est faite sans le consentement des populations locales présentes sur place. Ce texte, est le prélude à de futures tensions ethnico-confessionnelles dans la région.

En effet, dès les années 1920, avec le démembrement de l’Empire ottoman (traité Sykes-Picot) par la France et la Grande Bretagne, des Juifs d’Europe commencent à immigrer en Palestine. Plusieurs révoltes arabes ont lieu à partir de 1935 pour dénoncer le rachat et la spoliation des terres agricoles par des colons juifs (communément appelé le kibboutz).

Jusque là minoritaires, les sionistes évoquent l’Holocauste (le génocide des Juifs durant la seconde guerre mondiale) à des fins politiques. Avec la création de l’État d’Israël en 1948, les Arabes de la région se voient contraints de subir les conséquences des actes qu’ils n’ont pas commis.

La Palestine : cause fédératrice du monde arabe

Dès la promulgation de l’indépendance de l’État hébreu le 15 mai 1948, les armées syrienne, égyptienne, irakienne, jordanienne et libanaise déclarent la guerre au nouvel État. Pour les habitants de la région, la création d’un État juif en terre de Palestine est perçue comme une humiliation. Dès lors, la solidarité à l’égard du peuple palestinien devient viscérale.

Cette guerre se solde par une débâcle militaire des armées arabes, pourtant supérieures en nombre mais désunies face aux Israéliens, aidés et financés par l’Occident. Ainsi, est né le concept arabe de Nakba (catastrophe), représentant l’exode de toute une population. 700 000 Palestiniens fuient vers les pays voisins (Liban, Jordanie et Syrie).

Cette défaite ne sonne pas le glas de la cause palestinienne, un désir de revanche anime les gouvernements de la région. Dans les années 60, un optimisme gagne le monde arabe sous la houlette de Gamal Abdel Nasser. Or, en juin 1967, l’armée israélienne lance une guerre éclair (guerre des six jours), entraînant l’occupation du Golan syrien, du Sinaï égyptien et de la Cisjordanie. C’est une nouvelle humiliation qui cause une nouvelle vague d’immigration palestinienne vers les pays limitrophes. Cette défaite de 1967 met en exergue le retard technologique et l’amateurisme des armées arabes.

Petit à petit, les réfugiés palestiniens reprennent le flambeau de la lutte contre Israël, et ce à l’intérieur des pays d’accueil. En proie à des difficultés internes, ces pays n’épousent pas totalement les revendications palestiniennes. Dès lors, en raison des activités politico-militaires palestiniennes en Jordanie, au Liban et en Syrie, ces pays subissent dans les années 70-80 des bombardements israéliens. Conscients de leurs retards économiques et surtout militaires, le soutien officiel se cantonne de plus en plus à des discours symboliques.

Les nationalistes arabes, de Nasser à Hafez-al Assad en passant par Saddam Hussein, veulent reprendre le flambeau de la lutte contre Israël. Tous n’ont pas les moyens de leurs ambitions. La Palestine devient de plus en plus un fardeau pour les gouvernements, et ce malgré sa grande popularité auprès de la rue arabe.

D’un conflit régional à un conflit local :

On ne parle plus de conflit israélo-arabe, notion qui englobe par essence même tous les pays arabes, mais de conflit israélo-palestinien. En effet, au fil du temps, le problème est devenu encombrant pour les États de la région. Certains ont fait le choix de signer des accords de paix avec Israël (Égypte et Jordanie). D’autres ont décidé de délaisser la cause palestinienne au profit d’un rapprochement de circonstance avec l’État hébreu (l’Arabie saoudite, le Koweït, les Émirats arabes unis, le Bahreïn et le Qatar). Alliance de circonstance qui est dictée par un impératif, celui de s’opposer à l’Iran. L’ennemi de mon ennemi est mon allié.

Les autres États de la région (Liban, Irak, Syrie) soutiennent la cause palestinienne mais n’ont aucun poids politico-militaire pour s’opposer aux desseins israéliens.  

Depuis la révolution islamique d’Iran en 1979, le prisme confessionnel sunnite-chiite ou l’opposition Arabie saoudite contre l’Iran a supplanté le prisme traditionnel israélo-arabe. En effet, les principaux médias n’ont de cesse d’analyser et d’étudier la région sous cette grille de lecture, tout en minorant les particularismes locaux.

Ainsi, Israël avec le soutien inconditionnel des États-Unis a réussi à pacifier une partie de son voisinage avec plusieurs États arabes. De surcroît, l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche a précipité le déclin de la cause palestinienne, en reconnaissant Jérusalem comme capitale de l’État hébreu et en considérant légale la colonisation en Cisjordanie. Les Palestiniens esseulés et fatalistes, sombrent petit à petit dans l’oubli en dépit de quelques escarmouches lancées depuis Gaza.

Aujourd’hui, La colonisation accélérée et illégale des territoires occupés, les exactions et spoliations quotidiennes ne font l’objet que de critiques de « circonstance ». La cause palestinienne est à l’agonie. Cependant, en raison de sa popularité, elle demeure un thème utilisé et instrumentalisé à des fins électorales.

La solution à deux États semble bien loin…

Bibliographie:

– Alain Gresh, « Israël, Palestine: vérités sur un conflit », Poche, 2010

– Noam Chomsky, Ilan Pappé, « Palestine », Broché, 2016

– Ilan Pappé, « Le nettoyage ethnique de la Palestine », Broché, 2008

Le pacte Quincy: L’ossature de la politique étrangère saoudienne depuis 1945 ?

Dans les faits, cette alliance contre nature est peu connue du grand public. Le 14 Février 1945, l’administration américaine parachève son entrée dans les affaires orientales par le biais d’un pacte tronqué par l’Histoire avec la monarchie saoudienne. Pied de nez à la couronne britannique, qui s’intéressait depuis plusieurs décennies aux gisements pétroliers, c’est l’acte fondateur de la politique arabe américaine.

Retour sur un pacte historique :

Au lendemain du démantèlement de l’Empire ottoman en 1918, les Britanniques dominent le Golfe arabo-persique. Les sociétés anglaises imposent aux différents émirats locaux de commercer uniquement avec Londres. Or, ces compagnies commerciales se désintéressent du désert saoudien. C’est dans les années 20 qu’une petite compagnie américaine débute l’exploitation des gisements pétroliers de Hasa.

Soucieux de leur approvisionnement en pétrole, les Américains nouent des relations de plus en plus régulières avec le régime saoudien. En 1933, l’Arabie saoudite accorde des concessions pétrolières à la Standard Oil Company of California. Dès 1944, ils signent un consortium pour l’exploitation exclusive de l’or noir du royaume, c’est la création de la fameuse Aramco (Arabian American Oil Company).

C’est au retour de la conférence de Yalta que le président Franklin Roosevelt décide de stationner en Égypte, au bord d’un navire militaire, le Quincy. Il y rencontre le 14 Février 1945 le roi d’Arabie Saoudite, Abdel Aziz Al-Saoud, au bord du lac Amer, au milieu du canal de Suez. L’Histoire n’aura retenu qu’une partie des discussions « pétrole contre sécurité ». Alors que selon les sources officielles, la centralité du débat tournait plus autour de la question palestinienne et de la fin du mandat français en Syrie et au Liban.

Le roi saoudien espérait influencer les Etats-Unis sur le dossier épineux de la Palestine. Il manifesta son opposition sur la venue massive des Juifs d’Europe de l’Est en territoire arabe. Somme toute, il a défendu le point de vue arabe sur la question palestinienne, mais il était vain de penser qu’un roi saoudien pouvait faire contrepoids aux différents lobbys sionistes en Europe et aux Etats-Unis. Le roi Abdel Aziz al-Saoud voulait surtout avoir l’assurance que le projet hachémite d’unité arabe ne verrait pas le jour au lendemain de la seconde guerre mondiale.

Le pacte de Quincy ne correspond donc pas à ce « présupposé » deal pétrole contre sécurité. La question du pétrole avait été réglée auparavant lors des nombreuses concessions aux différentes compagnies américaines. De fait, les discussions ne concernaient dans un premier temps que la question palestinienne et les questions relatives aux indépendances post mandat. Petit à petit cette alliance protéiforme au bord du Quincy s’est muée en un pacte sur le long terme, assurant la sécurité et la survie du royaume. Accord valable pour 60 ans, il a été prolongé en 2005 par l’administration Bush fils, et ce pour une durée identique.

En effet, Washington qui ne s’intéressait à cette région que sous le prisme de l’or noir, a vite compris qu’il pouvait se servir de l’Arabie saoudite comme base avancée au Moyen-Orient. Ignorant les problèmes internes de ce partenaire très peu démocratique, les Etats-Unis profitent de ce richissime royaume pour financer leurs intérêts régionaux tant militaires que politiques. Soucieuse de contrer l’influence communiste dans les pays arabe, l’Arabie saoudite devenait de fait un allié idéal pour l’administration américaine. Au lendemain des indépendances, le discours panarabe est populaire, il séduit les masses avec son tropisme national et socialiste. En faisant le jeu de l’islamisme contre les mouvements nassériens et baathistes, les Etats-Unis allaient bon an mal an sanctuariser les acquis du wahhabisme.

Gage de survie pour le royaume ?

Suivant la conjoncture, le régime saoudien a toujours un ennemi régional. Hier le nationalisme arabe de Nasser, aujourd’hui l’influence grandissante de l’Iran au Moyen-Orient. Malgré la différence des régimes politiques, ces deux ennemis de la monarchie wahhabite partagent les mêmes desseins à l’échelle régionale : la lutte contre Israël et l’endiguement de la menace islamiste sunnite.

Ayant la politique de sa géographie, l’Arabie saoudite use de la diplomatie du chéquier avec les industriels de l’armement américain. C’est une aubaine pour l’administration américaine. Après avoir faussement donné le feu vert à Saddam Hussein pour l’invasion du Koweït, Washington entreprit une vaste campagne militaire pour contrecarrer les desseins de Bagdad en 1991, avec comme base arrière l’Arabie saoudite. Plus qu’un partenaire économique, Riyad devenait avec Tel-Aviv le maillon de la politique impérialiste américaine au Moyen-Orient.

Même les attentas du World Trade center, le 11 septembre 2001, n’ont pas compromis les relations bilatérales. Pourtant 15 des 19 terroristes étaient de nationalité saoudienne. Par pure realpolitik, Washington a accusé fallacieusement l’Irak d’avoir commandité les attaques sur le sol américain. L’Histoire retiendra que ce mensonge est l’une des causes du chaos actuel en Orient.

Comme disait Nietzsche « qui vit de combattre un ennemi, a tout intérêt à le laisser en vie ». Aujourd’hui plus que jamais, les Etats-Unis soufflent sur les dissensions inter-musulmanes pour plonger la région dans un manichéisme confessionnel : l’axe chiite contre l’axe sunnite. Ce dernier se rapproche de plus en plus officiellement de Tel-Aviv au détriment de la cause palestinienne. L’ennemi de Riyad est l’Iran. En Arabie Saoudite, la peur d’une guerre face à l’ennemi perse est présente dans tous les milieux de la société. Washington alimente cette crainte par une propagande anti-iranienne omniprésente sur toutes les chaînes d’informations. Donald Trump, malgré ses discours erratiques, a très bien compris que la fabrication de l’ennemi chiite allait pousser ses alliés du Golfe à investir durablement dans un armement coûteux.

Troisième plus gros budget militaire au monde, l’Arabie saoudite dépense 8,8% de son PIB pour son armée. Un investissement consubstantiel à son embourbement au Yémen et surtout en raison de la menace supposée d’un encerclement des forces pro-iraniennes (Ansarallah au Yémen, les Hachds chaabi en Irak, les forces armées syriennes et le Hezbollah libanais).

Vers la fin du pacte ?

À peine arrivé au pouvoir, le jeune prince héritier Mohamed Ben Salman, lance en 2016 un programme économique intitulé « vision 2030 ». Le but est précis, développer et diversifier l’économie saoudienne, la rendre moins dépendante aux hydrocarbures. Le pays s’ouvre aux entreprises étrangères, aux évènements internationaux (concerts de stars américaines, combats de boxe ou de catch, le futur Dakar 2020). De plus les premières publicités pour visiter le royaume s’affichent dans les capitales occidentales et sur les réseaux sociaux. Le prince veut moderniser, occidentaliser son pays et en finir avec cette image de pays rentier.

Mais c’est une ouverture de façade, galvaudée par les crimes de guerre au Yémen et par l’assassinat prémédité du journaliste Jamal Khashoggi qui a offusqué l’opinion internationale. Même en interne, le jeune prince ne fait pas consensus.

De surcroît, les Etats-Unis en plus d’être devenus premier producteur mondial de pétrole, sont maintenant exportateurs brut. Ils ont diversifié leurs sources d’approvisionnements via l’Amérique du Sud et l’Afrique. Certains analystes pensent qu’ils pourront dans un avenir proche devenir exportateur net par le biais des hydrocarbures dits de « schistes ». En raison, des tensions permanentes au Moyen-Orient et des récentes attaques sur les sites pétroliers saoudiens, Washington a rappelé à ses partenaires européens qu’il serait préférable de trouver une alternative au pétrole du golfe.

Washington demeure l’allié de poids de la monarchie saoudienne.  Pour l’administration américaine, Riyad est de plus en plus un partenaire économique instable et peu fiable militairement. Cependant, tant qu’ils continueront d’être des acheteurs compulsifs, les Saoudiens auront l’assurance d’une aide américaine. Le récent envoi de 3000 soldats supplémentaires en Arabie saoudite confirme une fois de plus, le peu d’indépendance stratégique et militaire du royaume.

Business is Business. Donald Trump le rappelle sans le dire, mais l’économie dicte le politique.

Bibliographie :

  • Malise Ruthven, « Les milliards de l’Arabie saoudite », 2018/1 N°198, p80-92, Gallimard
  • David Rigoulet-Roze, « La fragilité d’un royaume dans une transition à haut risque », 2018/4 N°132, p77-122, Les cahiers de l’Orient
  • Louis Blin, « L’émancipation contrainte de la politique étrangère saoudienne », 2016/2, p49-61, Politique étrangère