Et si le Coronavirus était un facteur de paix et de stabilité au Moyen-Orient ?

La pandémie du Covid-19 plonge notre monde dans une instabilité et un chaos colossal. Partout, les systèmes de santé sont soumis à rude épreuve et les prévisions désastreuses pour l’économie mondiale font craindre un krach boursier et une baisse de la croissance généralisée.

Pourtant au Moyen-Orient, du Yémen à la Syrie en passant par l’Irak, le coronavirus semble favoriser la paix. Un peu partout dans la région, des cessez-le-feu sont signés entre les différents belligérants, les troubles sociaux peinent à fédérer face à la panique globalisée et certaines troupes étrangères annoncent un retrait partiel de leurs forces. Est-ce le prélude d’une nouvelle ère ou une simple accalmie temporaire ?

Soldat syrien en période de coronavirus

Un répit pour le Yémen ?

Depuis 2015, la coalition arabe menée par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis s’est lancée dans une guerre dévastatrice au Yémen contre la milice des houthis soutenue par l’Iran, qui a renversé le pouvoir central de Sanaa. Dès lors, on assiste à une guerre de positions pour le contrôle des lieux stratégiques.

Cette intervention déclenchée en 2015 est désastreuse. Elle a fait plus de 100 000 morts et la situation humanitaire est catastrophique. Cependant, les Houthis en sont les grands vainqueurs au détriment d’une coalition de plus en plus critiquée par l’opinion internationale. En effet, Ansar Allah (autre nom des Houthis) contrôle un quart du pays, et à peu près les deux tiers du « Yémen utile ». Devant l’enlisement de la situation, des pourparlers ont été menés pour négocier un arrêt des combats.

Après le retrait des forces émiratis du pays en février 2020, l’Arabie saoudite engluée dans le bourbier yéménite, souhaite en sortir et ce en pleine pandémie du coronavirus. Sous la pression des organisations internationales et préoccupées à contenir la prolifération du virus dans le royaume, Riyad a décrété un cessez-le-feu unilatéral en début avril[1]. De leur côté les rebelles Houthis, en position de force et voulant consolider leurs acquis, ont refusé la proposition saoudienne[2].

À ce jour, l’Arabie saoudite compte 12 072 cas confirmés de Covid-19 et 114 décès alors que le Yémen vient de déclarer son premier cas.

En Syrie : le calme avant la tempête ?

Depuis le 5 mars 2020, la Russie et la Turquie ont signé un énième cessez-le-feu mettant fin à l’offensive russo-syrienne sur la localité d’Idlib. Damas et Moscou veulent sanctuariser l’intégralité du territoire syrien et cela passe automatiquement par la reprise du dernier bastion djihadiste d’Idlib. Compte tenu de la propagation de l’épidémie dans la région, les combats ont baissé en intensité et les différents belligérants campent sur leurs positions respectives. Nul doute, que les hostilités reprendront une fois que la contagion liée au virus sera jugulée. De surcroît, les Américains et les Européens ont réitéré leur soutien à leur allié turc membre de l’Otan, en vue d’endiguer l’influence russe[3]. En effet, Moscou n’entend pas lâcher Damas et veut faire de la Syrie le Kaliningrad du Moyen-Orient.

Après avoir soutenu massivement l’opposition anti-Assad, les Émirats arabes unis opèrent un changement radical. Ce rapprochement se traduit par la réouverture de l’ambassade émiratie à Damas en décembre 2018. Récemment, le prince héritier d’Abou Dhabi Mohammed Bin Zayed s’est entretenu avec Bachar al-Assad pour soutenir son offensive contre les djihadistes. Ces derniers sont en partie financés par le Qatar et la Turquie dans une logique d’expansion de l’idéologie des Frères musulmans. Or, ce courant est diamétralement opposé au wahhabisme de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis. Donc, cet entretien diplomatique parachève la logique émiratie de contenir l’idéologie frériste au Moyen-Orient. Mohammed Bin Zayed pousse même Bachar al-Assad à briser le cessez-le-feu d’Idlib[4].

Profitant de la crise sanitaire et du retrait partiel des forces occidentales, des djihadistes de Daesh se sont échappés d’une prison gardée par une milice kurde syrienne. Des attentas perpétrés par ces terroristes sont à craindre.

Pandémie ou pas, Israël veut neutraliser l’appareil militaire iranien présent en Syrie. Dernièrement, l’aviation de Tsahal a survolé illégalement et ce à plusieurs reprises l’espace aérien libanais pour bombarder des cibles proches de la ville de Palmyre[5].

À ce jour, 42 cas de Covid-19 sont répertoriés en Syrie pour 3 décès.

Des troubles sociaux mis entre parenthèses ?

Du Liban à l’Irak en passant par l’Iran, de nombreuses manifestations ont secoué les classes dirigeantes à partir d’Octobre 2019. La colère de la rue ciblait le confessionnalisme, la corruption ou tout simplement la tutelle militaire iranienne au Levant. L’expression du mécontentement est rapidement devenu un déversoir contre la politique de Téhéran au Moyen-Orient. En effet, l’Iran tente de former « un axe de la résistance » jusqu’à la Méditerranée s’opposant aux intérêts américains, saoudiens et israéliens dans la région. Les chancelleries de Tel-Aviv, Riyad et Washington apportent un soutien officiel et officieux aux manifestations pour neutraliser et limiter l’influence iranienne.

La récupération de la grogne populaire ne doit pas minorer la situation économique désastreuse de ces pays. Les manifestations sont légitimes et justifiées. Le chômage est endémique, la pauvreté s’accroît et la violence est structurelle. Tous ces éléments font craindre à un embrasement, notamment en Irak. En dépit des promesses de réformes, la classe politique est prise en étau tant à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur.

Au Liban:

La pandémie du coronavirus offre un répit pour les dirigeants. Le pouvoir libanais contesté lors de la Thawra (révolution) cherche tant bien que mal une sortie de crise. En défaut de paiement, le Liban risque de sombrer dans une crise économique et sociale sans précédent. La gestion de la crise sanitaire par le nouveau gouvernement libanais semble porter ses fruits et est louée par les citoyens. D’ailleurs, le Hezbollah participe également à cet effort de lutte contre cette épidémie en offrant ses services, même en dehors de ses bastions. Au lendemain de cette crise, nul doute, que le pays du Cèdre affrontera de nouveau la grogne populaire tant les indicateurs économiques sont au rouge[6]. Déjà, malgré un confinement imposé, des manifestations ont lieu à Tripoli, berceau de la Thawra d’Octobre 2019.

À ce jour, le Liban compte 682 cas confirmés de Covid-19 pour 22 décès.

En Irak:

L’Irak, quant à lui est devenu un État déliquescent où plane le spectre d’une énième guerre civile. La menace du coronavirus a redistribué les cartes. En fermant ses frontières avec l’Iran, la colère anti-iranienne portée par une partie de la population retombe. La présence militaire occidentale tant décriée depuis l’assassinat de Qassem Souleimani en Janvier 2020 se réduit de peur d’être contaminée par le virus. En effet, En raison de plusieurs cas recensés au sein des troupes françaises en Irak, le gouvernement français a également ordonné le retrait de ses troupes en mars dernier[7].

L’épidémie du Covid-19 paralyse la situation et apaise temporairement les tensions entre l’Iran et les Etats-Unis. Et si on assistait à une résurgence de Daesh dans le pays ?

À ce jour, l’Irak comptabilise 1602 cas de Covid-19 pour 83 décès.

Malgré l’épidémie, le maintien des sanctions :

Indépendamment du coronavirus, la Syrie et l’Iran restent soumis à la dureté des sanctions occidentales. La pauvreté rend la population plus vulnérable face au virus. Ce risque humanitaire ne change pas pour autant la position américaine qui maintient les sanctions et ce, en dépit des demandes internationales.

Avec un bilan de 85 996 cas confirmés et 5 391 décès, l’Iran est de loin le pays le plus affecté du Moyen-Orient. Le régime fragilisé, risque gros si l’épidémie se propage davantage. Le pays n’est pas confiné à ce jour, par crainte d’un désastre économique.

En visite à Damas, le ministre des Affaires étrangères iranien Mohammed Zarif et le Président syrien Bachar Al-Assad ont rappelé conjointement dans un communiqué officiel les conséquences destructrices des sanctions sur les deux pays. Damas dénonce également l’iniquité des sanctions et pointe du doigt l’immoralité des pays occidentaux[8].

On pourrait croire, que le coronavirus est capable de rabattre les cartes au Moyen-Orient. Cependant, il est fort à parier, qu’une fois la pandémie disparue, les tensions habituelles reprendront de plus belle…


[1]https://www.lemonde.fr/international/article/2020/04/10/l-arabie-saoudite-annonce-un-cessez-le-feu-au-yemen_6036163_3210.html

[2] https://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-moyen-orient/une-manoeuvre-au-yemen-les-rebelles-rejettent-le-cessez-le-feu-de-la-coalition_2123430.html

[3] https://theconversation.com/idlib-vers-un-rapprochement-entre-la-turquie-et-les-etats-unis-136148

[4] https://www.middleeasteye.net/news/abu-dhabi-crown-prince-mbz-assad-break-idlib-turkey-ceasefire

[5] https://www.lefigaro.fr/international/syrie-9-combattants-proregime-tues-dans-une-frappe-nocturne-menee-par-israel-20200421

[6] https://orientxxi.info/magazine/le-liban-au-bord-du-gouffre,3816

[7] https://www.lemonde.fr/international/article/2020/03/25/coronavirus-la-france-retire-ses-troupes-

d-irak_6034441_3210.html

[8] https://www.lepoint.fr/monde/syrie-rencontre-entre-bachar-al-assad-et-le-chef-de-la-diplomatie-iranienne-20-04-2020-2372164_24.php

Hafez al-Assad : père de la Syrie moderne

Au XXe siècle, la Syrie est au cœur des soubresauts de l’histoire régionale. La déliquescence de l’Empire ottoman pousse les populations locales à réclamer leur indépendance et à embrasser le rêve d’une nation arabe unie. Or très vite, les espoirs sont déchus sous la tutelle mandataire française entre 1920 et 1946. En plus d’amputer la Syrie avec la création du Liban, les autorités françaises régionalisent consciencieusement et méthodiquement les différentes communautés religieuses. En effet, le pays est composé de minorités kurdes, arméniennes, chrétiennes, chiites et d’une majorité sunnite.

À l’indépendance du pays en 1946, la Syrie et l’Égypte sont les fers de lance de la lutte contre l’État d’Israël. Cependant, l’instabilité politique prédomine en interne et 18 gouvernements se succèdent jusqu’à l’accession au pouvoir d’Hafez al-Assad en mars 1971. Stratège et militaire, il va faire de la Syrie un acteur incontournable du Moyen-Orient.

De sa formation militaire à sa formation politique :

Né en 1930 au sein d’une famille de 11 enfants, Hafez al-Assad appartient à la communauté alaouite, branche dissidente du chiisme. Il est scolarisé à l’âge de 9ans dans la grande ville côtière de Lattaquié. Assoiffé de connaissance, il choisit l’Académie militaire syrienne, seul moyen pour lui d’accéder à des études supérieures. En parallèle, il se passionne pour la politique et l’histoire de la région. Il est très tôt influencé par les penseurs du parti Baath, le chrétien orthodoxe Michel Aflak et le musulman sunnite Salah al-Din al-Bitar. D’obédience socialiste et nationaliste, ce parti prône une indépendance économique et politique vis-à-vis des puissances étrangères.

De surcroît, à l’instar de tous les Arabes de la région, il sacralise Gamal Abdel Nasser. Cependant, il entend ce battre pour le nationalisme syrien et espère refonder la Grande Syrie (Souria el Koubra en arabe), démembrée par les Occidentaux en 1920. Il s’imprègne également des textes du philosophe syrien Zaki al-Arzouzi, apôtre de l’arabisme, proclamant la régénération de l’identité syrienne.

Choisissant la carrière militaire, il excelle dans cette voie et se révèle être un officier brillant. Il intègre l’école militaire d’Homs, l’école militaire de l’air d’Alep puis le jeune Hafez part se perfectionner en Union soviétique pour suivre une formation de pilote de chasse pendant 11 mois.

À cette époque, le Moyen-Orient est en effervescence. La Syrie et l’Égypte s’unissent et forment la République arabe unie (cf article sur la République arabe unie). Hafez-al Assad est envoyé en tant qu’officier au Caire. Initialement partisan, il est très vite méfiant à l’égard du projet nassérien, il se sent humilié par l’arrogance des Égyptiens. Clandestinement avec plusieurs officiers, ils veulent mettre un terme à l’union entre les deux pays. Lors de l’éclatement de la RAU, il est brièvement emprisonné au Caire.

De retour en Syrie en 1961, aidé par son comité militaire d’officiers baathistes, Hafez al-Assad se mue en un fin stratège pour asseoir son autorité, stabiliser politiquement le pays et jeter les bases d’un État indépendant et puissant sur la scène régionale.

Son ascension au pouvoir : une méticuleuse éviction de ses opposants

Dans une Syrie instable, les gouvernements se succèdent au gré de plusieurs coups d’États. De surcroît, la question palestinienne et la lutte contre Israël cristallisent toutes les craintes et toutes les attentes.

Dès 1963, le Baath arrive au pouvoir et se rapproche du bloc soviétique en nationalisant des pans entiers de l’économie syrienne et en adoptant des politiques sociales. Hafez al-Assad est nommé chef d’état-major de l’armée de l’air en 1964. L’aile gauche du Baath fomente un coup d’État en 1966 et écarte tous les autres partis. Hafez al-Assad devient ministre de la Défense et en profite pour évincer de l’intérieur la vieille garde et ses opposants politiques.

Les tensions extérieures avec la guerre des six jours en 1967 contre Israël et le problème des réfugiés palestiniens accentuent la crise politique. Deux visions se font face. D’un côté les radicaux qui prônent l’action militaire, de l’autre les pragmatiques sous la houlette de Hafez al-Assad qui préconisent une retenue. Petit à petit, il tisse un réseau au sein même de l’armée. Il noyaute le baath et devient l’homme fort du parti. En novembre 1970, fort du soutien de l’armée, Hafez al-Assad se saisit du pouvoir et emprisonne le Président Noureddine al-Atassi ainsi que l’influent général Salah Jedid.

Hafez impose sa vision au sein du parti et son attachement au projet de la « Grande Syrie ». Son autorité et sa légitimité reposent sur le soutien indéfectible de son clan alaouite.

Un autoritarisme au service de son clan et de la stabilité du pays

Dans un pays multiconfessionnel comme la Syrie, Hafez al-Assad entend privilégier sa communauté alaouite. Représentant environ 10% de la population, cette minorité chiite a longtemps vécu marginalisée. Persécutés sous les Mamelouks du XIIIe au XVIe siècle, relégués au second plan sous l’Empire ottoman et abusés sexuellement jusque dans les années 1960, les Alaouites ne sont officiellement reconnus comme musulmans qu’en 1936. Ils sont méprisés par une partie des sunnites qui les assimilent à des mécréants. En effet, la réincarnation, la croyance en une trinité, la non interdiction de l’alcool et les célébrations de certaines fêtes chrétiennes attisent une certaine méfiance de la majorité sunnite. Le rite alaouite est apparu au XIe en Irak, il se concentre majoritairement sur le littoral syrien et s’étend jusqu’à Tripoli au Liban. De ce fait, l’ascension d’Hafez al-Assad à la tête de la Syrie est en quelque sorte la revanche de l’histoire de toute une communauté trop longtemps opprimée et délaissée.

Pour asseoir son autorité, il s’appuie sur l’armée, sur des groupes paramilitaires ainsi que sur un réseau de service de renseignement hautement hiérarchisé (moukhabarat en arabe). Pour étendre son pouvoir, il place des alaouites et des membres des minorités religieuses (chrétiens et ismaéliens notamment) à des postes clés. Hafez al-Assad continue méthodiquement les politiques de nationalisations et évince les libéraux qui sont obligés de fuir au Liban ou en Occident.

Or, sa légitimité est confrontée à la méfiance et à l’insubordination d’une partie des musulmans sunnites. Malgré quelques postes importants dans l’armée ou dans l’industrie, la majorité sunnite vit mal l’accaparement du pouvoir par les Alaouites. Pourtant, pour acheter la paix sociale Hafez al-Assad a fait construire des dizaines de mosquées, en prenant bien soin de contrôler les prêches des imams pour satisfaire la communauté sunnite. Cependant, les Frères musulmans, partisans d’un Islam radical et opposés à l’idée de nation, refusent l’autorité d’Hafez al-Assad. Cette opposition, alimentée par les monarchies du Golfe, entrave la stabilité politique du pays. Dès 1976, les Frères musulmans commanditent plusieurs attentats contre des casernes militaires et contre des personnalités politiques alaouites. Le Président Hafez al-Assad échappe à une tentative d’assassinat en 1980. En février 1982, Hafez al-Assad répond fermement et violement au danger de « cette gangrène islamiste » en bombardant scrupuleusement la ville d’Hama, principal foyer des Frères musulmans en Syrie.

Fermeté et stratégie du gouvernement Assad à l’étranger

Ayant stabilisé le pays à travers un vaste appareil d’État policier, Hafez al-Assad veut réhabiliter la Syrie sur la scène régionale. Ennemi invétéré d’Israël, il se lance dans la guerre du Kippour avec l’Égypte en octobre 1973 pour récupérer les territoires perdues lors de la guerre des six jours en 1967. Depuis cette humiliante défaite Israël occupe militairement le Golan syrien et le Sinaï égyptien. Simultanément les deux armées percent les défenses israéliennes en 48h. La contre offensive de l’armée israélienne est dévastatrice. Malgré leur supériorité en nombre, Égyptiens et Syriens sont défaits face à la supériorité tactique et technologique israélienne. Dès lors, les territoires occupés servent de chantage pour une normalisation des relations. En 1979, l’Égypte d’Anouar al-Sadate cède et signe un accord de paix avec Israël au sommet de Camp David en échange du Sinaï.

Malgré les nombreuses pressions américaines, Hafez al-Assad refuse catégoriquement de signer un accord de paix avec Israël en échange de la restitution du plateau du Golan. Compte tenu de ses richesses hydrauliques, ce territoire est l’une des priorités du gouvernement Assad.

De plus, Apôtre de la Grande Syrie, le Liban doit revenir dans le giron syrien. Selon sa fameuse formule « un seul peuple dans deux États », Hafez al-Assad profite de la guerre civile au Liban en 1975 pour avancer ses pions. Suite à une demande du gouvernement libanais, il intervient légalement dans le conflit à partir de 1976. Tantôt aux côtés des conservateurs chrétiens, Tantôt aux côtés des progressistes pro-palestiniens, Hafez al-Assad veille soigneusement qu’aucun des deux camps ne l’emporte. Le chaos libanais permet ainsi à l’armée syrienne d’installer un quasi-protectorat sur le pays du Cèdre.

Henry Kissinger, homme politique et diplomate américain, surnomma Hafez al-Assad le « Bismarck du Moyen-Orient ». Stratège et fin connaisseur des rouages de la vie politique internationale, Hafez al-Assad a su hisser la Syrie au statut de nation forte et indépendante malgré les convoitises et les nombreuses ingérences extérieures. Pragmatique et partisan de la Realpolitik, pour lui, seul le compromis avec « l’ennemi sioniste » était inenvisageable.

Bibliographie :

  • Pierre-Emmanuel Barral et Olivier Hanne, « La Grande Syrie », Éditions du Grenadier, 2016
  • Georges Corm, « Pensée et politique dans le monde arabe », La Découverte, 2015
  • Richard Labévière et Talal al-Atrache, « Quand la Syrie s’éveillera », Perrin, 2011
  • Patrick Seale, « Assad, the struggle for the Middle East », University of California Press, 2016
  • Fabrice Balanche, « Le cadre alaouite I. Alaouites : une secte au pouvoir », Outre-Terre, 2006/1 (n°14), p. 73-96

Le Moyen-Orient à l’heure du coronavirus

À l’instar des séries dramatiques orientales, ce virus monopolise les débats dans toutes les familles. Le Covid-19 alimente toutes les craintes et toutes les peurs et fait l’objet d’une prolifération de théories plus ou moins douteuses. Friands et amateurs de complots, certains habitants et même analystes de la région y voient la main invisible « américano-sioniste » pour semer le chaos au Moyen-Orient. Les réseaux sociaux locaux sont un bon baromètre d’étude des tensions sociales et économiques.

Une chose est sûre, l’indifférence initiale laisse place à une psychose généralisée de la société qui inquiète au plus haut point les autorités locales. Entre la chute des prix du pétrole, la crise sanitaire et la fermeture des frontières et des lieux de culte, le Moyen-Orient passe d’une crise à une autre.

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L’Iran acculé

La République islamique d’Iran est le troisième pays le plus touché par l’épidémie après la Chine et l’Italie. On déplore environ 15 000 patients contaminés[1] et plus de 1000 décès à ce jour. Le taux de létalité est le plus élevé du monde. Certains observateurs mettent en doute la véracité des chiffres officiels[2]. Le gouvernement de Téhéran aurait dissimulé l’impact de ce fléau afin de ne pas paraître dépassé et de ne pas subir les critiques de sa propre population.

De surcroît, l’Iran subit de plein fouet les sanctions économiques occidentales qui aggravent la situation sanitaire. En effet, le secteur hospitalier iranien est débordé et obsolète pour gérer une telle crise. Téhéran dénonce l’inaction de la communauté internationale. Ces sanctions américaines portent atteintes aux droits des Iraniens à la santé. Les autorités du pays demandent l’aide de l’organisation mondiale de la santé (OMS), l’arrêt immédiat des sanctions ainsi qu’un prêt de 5 milliards de dollars au Fonds monétaire international (FMI). Selon le ministre iranien des Affaires étrangères Javad Zarif « Les virus ne font pas de discrimination. L’Humanité ne devrait pas non plus »[3].

Certains pays ne sont pas restés insensibles à ce scénario. La Chine et la Russie exhortent les Etats-Unis à lever les sanctions contre l’Iran afin de contenir et de lutter efficacement contre la propagation du virus covid-19. Les deux pays mettent en exergue les conséquences humanitaires sur l’ensemble de la population mondiale[4]. Pékin s’engage également à envoyer du personnel et du matériel médical.

Or, il est très peu envisageable que l’administration américaine décide d’alléger le régime des sanctions. Dans sa posture anti-iranienne, Donald Trump souhaite voire céder Téhéran. De façon surprenante, l’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne annoncent une aide financière à l’OMS à destination de l’Iran. Les Iraniens peuvent également compter sur l’aide des Emirats arabes unis. En effet, ils ont récemment décidé d’envoyer 32 tonnes de fournitures médicales à l’Iran malgré les contentieux géopolitiques dans la région[5].

Un confinement à la carte :

À peine sorti d’un soulèvement populaire majeur et englué dans une crise économique sans précédent, le Liban se coupe peu à peu du reste monde. Des mesures strictes de confinement ont été adoptées avec la fermeture des institutions et des frontières (aéroports et ports[6] seront fermés à partir du 29 mars). À ce jour une centaine de cas sont déclarés et 3 décès sont dénombrés. La majorité des premiers cas provenait d’Iran. Le système de santé, impacté par la crise économique, a réussi à contenir la propagation du virus, mais s’attend à une explosion des cas. Certaines voix s’élèvent pour dénoncer la corruption de la classe politique et l’accusent de vouloir asseoir son autorité et sa légitimité à travers ces mesures.

Le reste du Moyen-Orient est touché de manière contrastée. Tous les pays ont depuis fermé les établissements scolaires. Certains d’entre eux redoutent les conséquences catastrophiques pour l’économie de leur pays. En effet, les pays touristiques comme la Jordanie mais surtout l’Égypte pâtissent déjà des mesures restrictives prises par leurs gouvernements respectifs. Les autorités du Caire ont longtemps cherché à minimiser les dangers du Covid-19 et à rassurer la population. Ils suspendent ses vols internationaux et rapatrient les touristes pour endiguer l’épidémie du coronavirus. L’Égypte interdit à sa main d’œuvre de se rendre dans les pays du Golfe sans avoir procédé au test de dépistage.

Après 10 ans de guerre en Syrie et la dureté des sanctions occidentales sur son économie, le gouvernement de Damas a décidé de prendre des mesures pour lutter contre la propagation du virus. Les salles de prières sont momentanément fermées et les places publiques à l’instar des bars de chichas sont interdits[7]. Sur les réseaux sociaux syriens, une campagne de soutien populaire (ana fi khadmt souria/ je suis au service de la Syrie) a vu le jour pour aider Damas dans sa lutte contre l’épidémie.

La bande de Gaza est une bombe à retardement. Les principaux experts s’alarment sur les conséquences d’une propagation exponentielle du Covid-19 dans cette région à forte densité démographique. Plus de 2 millions d’habitants sur 360km2 vivent dans cette prison à ciel ouvert. Compte tenu du blocus israélien, les infrastructures hospitalières sont désuètes et le matériel médical pour lutter contre l’épidémie est pratiquement inexistant.

À l’échelle de tout le Moyen-Orient, toutes les autorités ont pris des mesures d’isolement  en fermant les lieux de culte églises et mosquées. Les prières sont strictement individuelles. L’Arabie saoudite qui a annoncé son premier cas début mars, suspend le Hajj et le Omra (le pèlerinage à la Mecque) à tous les pèlerins.  

Les conséquences du Coronavirus sur le secteur pétrolier

Premier producteur de l’or noir, l’Arabie saoudite subit les contrecoups de la propagation du virus à l’échelle de la planète. Durant plusieurs mois, la Chine, premier consommateur de pétrole au monde, a dû s’adapter à la nouvelle conjoncture. L’interdiction de déplacement des citoyens au sein même du pays, couplée à l’arrêt des voyages vers la Chine a impacté les cours du baril.

Sur fond de pandémie et d’une forte baisse de la demande mondiale, l’organisation des pays exportateurs de pétrole (l’OPEP) ainsi que les autres pays producteurs comme la Russie se sont réunis pour solutionner le problème. N’ayant pas réussi à obtenir de Moscou une baisse de la production, Riyad a unilatéralement décidé de baisser les prix du baril. En raison de l’importance de l’or noir pour son économie et pour satisfaire la demande intérieure et extérieure, la Russie ne pouvait y répondre favorablement.

De ce fait, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis se livrent à une guerre économique contre la Russie en augmentant et en inondant conjointement le marché de l’or noir. Les prix ont depuis chuté et atteints 30 dollars le baril[8]. C’est la plus forte baisse depuis 20 ans. Aujourd’hui, les indicateurs prouvent que la stratégie saoudienne se révèle dangereuse pour sa propre économie. En plus de la fermeture des hôtels luxueux, des malls et du pèlerinage à la Mecque, le coronavirus ébranle l’ensemble de l’économie saoudienne. Cette dernière reste dépendante à 90% de l’or noir.

Afin de rassurer les places boursières internationales, la présidence saoudienne du G20 veut rassembler les membres de ce comité lors d’une conférence exceptionnelle, qui se tiendra par vidéo-conférence[9]. Cette rencontre virtuelle sera l’occasion pour les principales puissances de tenter de trouver une solution pour empêcher le krach boursier qui se profile.


[1] https://www.middleeasteye.net/news/coronavirus-iran-death-toll-surpasses-1000-hundreds-new-cases-discovered

[2] https://www.oeil-maisondesjournalistes.fr/2020/03/12/coronvirus-iran-chiffre-morts-propagande/

[3] https://www.la-croix.com/Monde/Moyen-Orient/Face-coronavirus-lIran-demande-levee-sanctions-2020-03-14-1201084052

[4] https://www.middleeasteye.net/news/coronavirus-china-and-russia-call-us-lift-iran-sanctions

[5] https://www.lefigaro.fr/international/quand-le-virus-rapprochent-les-ennemisdes-emirats-arabes-unis-et-de-l-iran-20200317

[6] http://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20200316-face-coronavirus-le-liban-sonne-la-mobilisation-g%C3%A9n%C3%A9rale-et-entre-en-confineme

[7] https://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-moyen-orient/la-syrie-en-guerre-prend-a-son-tour-des-mesures-de-precaution-face-au-coronavirus_2120872.html

[8] https://www.france24.com/fr/20200309-coronavirus-pourquoi-l-arabie-saoudite-a-d%C3%A9clench%C3%A9-une-nouvelle-guerre-des-prix-du-p%C3%A9trole

[9] https://www.ouest-france.fr/sante/virus/coronavirus/coronavirus-l-arabie-saoudite-tente-d-organiser-un-sommet-du-g20-virtuel-6784783

La Turquie: allié indispensable de l’OTAN ?

La Turquie du Président Receip Tayyip Erdogan est au cœur des tensions régionales. Pourtant au début de la décennie 2010, l’ancien ministre des Affaires étrangères turc Ahmet Davutoglu avait théorisé la doctrine de « zéro problème avec les voisins ». Aujourd’hui, la Turquie est sur tous les fronts. De la Libye à la Syrie, en passant par l’Asie centrale et les Balkans, sa politique étrangère est tentaculaire. Nostalgique de la gloire de l’Empire ottoman, le Président turc avance ses pions et intervient illégalement dans plusieurs pays souverains.

Membre de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) depuis 1952, la Turquie n’est pas isolée. Ses gesticulations guerrières et ses discours menaçants servent les intérêts des puissances occidentales. La Turquie n’est ni plus ni moins que le cheval de Troie de l’Otan au Moyen-Orient.

Chars turcs dans la province d’Idlib

La Turquie à la conquête de l’Islam politique

Dans une région majoritairement musulmane, la Turquie cherche des alliés de poids.

Au Moyen-Orient, l’idéologie et la religion sont les deux composantes qui outrepassent de loin l’appartenance nationale et l’ethnicité. La Turquie n’est pas un pays arabe, mais elle peut compter sur l’influence des Frères musulmans pour se constituer un réseau d’alliance qui supplante l’arabité. Avec le Qatar, Erdogan adopte une posture conciliante à l’égard des « printemps arabes » en Égypte, en Tunisie, en Libye et surtout en Syrie. Ils savent que l’idéologie « frériste » fourmille dans les franges populaires de la communauté musulmane sunnite.

Par l’entremise des mosquées, des écoles coraniques et de nombreuses associations caritatives et éducatives, les Frères musulmanes tissent leurs réseaux. Le Qatar en est le principal bailleur alors que la Turquie constitue le chaînon militaire de cette alliance. Le territoire turc est devenu le pays hôte de tous les Frères musulmans condamnés et rejetés dans leur pays d’origine[1].

Cette idéologie ressemble au panislamisme de la fin du XIXe siècle. En effet, l’Empire ottoman avait adopté cette doctrine pour conquérir et attirer tous les musulmans de l’Empire. Aujourd’hui, la doctrine des Frères musulmans est plus qu’une idéologie, c’est un moyen de s’immiscer durablement dans les affaires des pays arabes, comme au temps de l’Empire ottoman avec le panislamisme.

Le prosélytisme turc s’enracine dans plusieurs villes du Moyen-Orient. Dernièrement, en raison de l’intensité des combats à Idlib, la ville de Tripoli au Liban arborait en masse le drapeau turc. Sous couvert de doctrine religieuse, cette idéologie des Frères musulmans permet assurément à la Turquie d’étendre ses desseins de politique étrangère, notamment en Syrie. Cette ingérence politique se couple avec une intervention militaire de moins en moins officieuse qui alimente la nébuleuse djihadiste anti-Assad.

Une aide aux djihadistes d’Idlib

Depuis les accords d’Adana en 1998 entre le Syrie et la Turquie, Istanbul peut pénétrer à 5 km à l’intérieur du territoire syrien pour lutter contre toute menace « terroriste »[2]. Ce texte permet aujourd’hui à Erdogan de justifier ses interventions en Syrie, notamment contre les groupuscules kurdes dans le Nord-Est syrien.

Dès le début du conflit en Syrie en 2011, la Turquie et le Qatar ont fortement contribué à la formation de l’Armée syrienne libre (ASL), principale force d’opposition à Damas. En rendant la frontière syrienne poreuse, la Turquie a permis à des milliers de djihadistes étrangers en provenance du Caucase, d’Asie centrale et d’Europe de pénétrer en Syrie pour gonfler les rangs de l’ASL et de Daesh. Cette politique d’affaiblissement du pouvoir syrien, avec le consentement et l’appui des chancelleries occidentales, sert les intérêts d’Istanbul. En soutenant logistiquement et militairement les groupes djihadistes, la Turquie devient le parrain officiel de la rébellion syrienne.

Depuis 2018, Idlib est le dernier bastion djihadiste en Syrie. La Turquie quadrille la ville avec une douzaine de postes d’observations. Suite à la reprise de nombreuses localités autour d’Idlib par l’armée gouvernementale syrienne avec l’appui de l’aviation russe, la Turquie riposte en envoyant des troupes terrestres pour appuyer les djihadistes issus de la mouvance salafiste à l’instar de Hayat Tahrir Al-Cham[3]. Depuis, les affrontements se sont intensifiés entre la Turquie et la Syrie. Tour à tour, les deux pays revendiquent la récupération d’une parcelle de terrain ou l’abattement d’un avion ou d’un drone ennemi.

Cet appui avéré aux différents groupes djihadistes aggrave encore un peu plus la guerre en Syrie. Son intervention n’a fait l’objet d’aucune critique de la part des chancelleries occidentales. Au contraire, leur silence peut être interprété comme un feu vert accordé à la Turquie. Avec le retrait progressif et en ordre dispersé des Américains, Washington a permis à la Turquie de déloger les Kurdes et de s’enraciner dans le Nord-Est de la Syrie. La bataille d’Idlib est vitale pour le régime syrien. La récupération de cette ville est cruciale pour la stabilité des provinces voisines de Lattaquié et d’Alep. L’aide turque aux djihadistes prolongera la guerre mais n’en changera pas le résultat[4], tant que la Russie se porte garante de Bachar Al-Assad. En raison de l’escalade militaire, Ankara s’efforce d’obtenir un soutien occidental et menace l’Europe d’ouvrir ses frontières aux réfugiés.

Le cessez le feu obtenu à Moscou qui est entré en vigueur dans la nuit du 5 au 6 mars éternise une nouvelle fois le conflit.

Les réfugiés : le chantage d’Erdogan

En 2016, Ankara avait négocié avec l’Union européenne un pacte migratoire. En contrepartie d’une aide de 6 milliards d’euros, la Turquie devait contenir l’arrivée de réfugiés vers l’Europe.

De nouveau, la Turquie exige de l’Union européenne et de l’Otan une compensation financière pour accueillir les réfugiés et la soutenir dans sa nouvelle guerre. Sa revendication doit être prise en considération. En effet, l’afflux massif des réfugiés déstabilise l’économie turque et créé des tensions au sein même de la société. Devant les atermoiements des pays européens, Erdogan a mis sa menace à exécution en ouvrant sa frontière avec la Grèce. Athènes, exsangue économiquement, ne peut accueillir ce flux massif. L’Union européenne veut aider le gouvernement grec en lui octroyant une aide de 700 millions d’euros, et ne cède pas à ce chantage[5].

Les chancelleries occidentales se lamentent d’être prises en otage. Or, en soutenant systématiquement militairement et logistiquement l’opposition à Bachar Al-Assad, l’Union européenne est en partie responsable de la catastrophe migratoire en cours.

La Turquie endosse le rôle de victime tout en étant la principale fautive de la situation dans laquelle elle se trouve. Sans son intervention en Syrie et son soutien aux djihadistes, Bachar Al-Assad aurait pu récupérer l’intégralité de son territoire et éviter cette crise migratoire qui hante les Européens. Malgré les récentes rencontres bilatérales entre la Russie et la Turquie le 5 mars[6], la solution réside dans le positionnement de l’OTAN.

La Turquie : perturbateur utile de l’Otan

 La Turquie est membre de l’Organisation du traité Atlantique Nord depuis 1952. Cette intégration surprenante de la Turquie dans un axe regroupant les puissances occidentales s’explique par l’obligation de lutter contre l’expansion du communisme au lendemain de la seconde guerre mondiale. La Turquie devenait de facto, le cheval de Troie de la politique américaine en Orient. Dès 1955, Ankara permet à l’Otan d’installer une base aérienne à Incirlik pour ses opérations extérieures.

En 1991, en raison de la dislocation de l’Union soviétique, l’Otan n’a plus vocation à exister. Dès lors, l’organisation est repensée, restructurée à l’aune des nouvelles menaces du XXIe siècle. En effet, la lutte contre le terrorisme sert de tremplin à l’alliance qui va pouvoir intervenir au Moyen-Orient. La Turquie devient de fait, un élément central. Depuis 2011, le gouvernement turc est actif sur le terrain syrien avec le consentement et l’appui des forces de l’Otan.

Beaucoup de journalistes et d’experts prétendent à tord que la Turquie est isolée. Or selon l’article 5 de l’Otan, il est stipulé que : « Les parties conviennent qu’une attaque armée contre l’une ou plusieurs d’entre elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties, et en conséquence elles conviennent que, si une telle attaque se produit, chacune d’elles, dans l’exercice du droit de légitime défense, individuelle ou collective, reconnu par l’article 51 de la Charte des Nations Unies, assistera la partie ou les parties ainsi attaquées en prenant aussitôt, individuellement et d’accord avec les autres parties, telle action qu’elle jugera nécessaire, y compris l’emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité dans la région de l’Atlantique Nord. »[7]

Finalement, Erdogan est conscient des avantages que lui octroie l’Otan. En agitant la menace de la question migratoire, il veut former une communauté de destin avec les chancelleries occidentales. De surcroît, le Président turc répond à leurs attentes : empêcher la Syrie de récupérer la totalité de son territoire et contenir l’influence russe dans la région[8].


[1] http://fmes-france.org/linfluence-des-freres-musulmans-sur-la-politique-regionale-de-la-turquie-pana-pouvreau/

[2] https://www.lesclesdumoyenorient.com/Historique-des-relations-entre-la-Turquie-et-la-Syrie-depuis-la-fin-de-la

[3] https://twitter.com/syriaintel/status/1235323665622994945

[4] https://www.deep-news.media/2020/02/28/idleb-solutions/

[5] https://www.ifri.org/fr/espace-media/lifri-medias/dorothee-schmid-refugies-une-arme-de-dissuasion-erdogan

[6] http://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20200305-sommet-vladimir-poutine-recep-tayyip-erdogan-russie-turquie-syrie-apaiser-idle

[7] https://www.nato.int/cps/fr/natohq/official_texts_17120.htm

[8] https://www.lemonde.fr/syrie/article/2018/04/14/syrie-l-otan-defend-une-operation-ciblee-et-proportionnee_5285625_1618247.html

Les Chrétiens d’Orient: une minorité oubliée (Partie 2/2)

De la fin du XIXe siècle à l’émergence de l’État islamique au Levant en 2014, les populations chrétiennes oscillent entre espoir et abattement, entre renaissance et exil. Dans un siècle de grandes mutations, la communauté chrétienne hétérogène a endossé plusieurs rôles.

Au début du XXe siècle, les Chrétiens d’Orient représentent ¼ de la population du Moyen-Orient. Aujourd’hui selon les dernières estimations, ils sont environ 4%. Proportionnellement, le chiffre a grandement diminué en raison du fort taux de natalité chez les musulmans. Or, les dynamiques démographiques prouvent bien que la population chrétienne a augmenté en nombre, passant de 2 millions en 1914 à environ 15 millions aujourd’hui.

Cette seconde partie revient sur un siècle de questionnements sur l’enracinement d’une communauté chrétienne plurimillénaire, sur son rôle dans l’Histoire et sur sa régénération face aux menaces régionales. 

De la fin de l’Empire ottoman aux mandats européens

La déliquescence de l’Empire ottoman va de pair avec un durcissement de sa politique vis-à-vis des minorités religieuses. Dès la fin du XIXe siècle, le pouvoir central d’Istanbul tente de rallier tous les musulmans à sa cause en imposant le panislamisme (mouvement politico-religieux prônant l’union de tous les musulmans). Mais les citoyens arabes de l’Empire, toutes confessions confondues, veulent leur indépendance et s’organisent clandestinement. Sous la houlette des penseurs chrétiens Jurji Zaydan, Naguib Azoury, les frères Sélim et Béchara Taqla ou encore l’auteur libanais Gibran Khalil Gibran, l’idéologie panarabe émerge des consciences et tente de gommer les différences religieuses.

Cependant, le pouvoir central matte rapidement les manifestations. Les Chrétiens sont souvent pris pour cible et sont injustement qualifiés d’agents de l’extérieur. Les Arméniens de l’Empire subissent des massacres dès la fin du XIXe siècle. Ils sont assimilés à l’ennemi russe, car ils partagent la même religion orthodoxe. De surcroît, en guerre contre la Russie à partir de 1914, les dirigeants turcs ordonnent un massacre systématique des Arméniens et des autres minorités chrétiennes. Plus des deux tiers de la population arménienne sont décimés. Les survivants fuient vers la Russie et la Perse de l’époque. C’est le premier génocide du XXème siècle.

Avec la chute de l’Empire ottoman en 1923, les populations locales passent sous le joug des puissances européennes qui se partagent les restes de l’Empire déchu lors des accords de Sykes-Picot en 1916. La France hérite de la Syrie et du Liban, tandis que la Grande-Bretagne obtient l’Irak, la Jordanie et la Palestine. De ce fait, les populations locales qui rêvaient d’indépendance se retrouvent une fois de plus sous l’emprise d’une puissance tiers. Dès lors, une frustration s’empare des nationalistes arabes chrétiens et musulmans. En divisant le Proche-Orient, Paris et Londres entreprennent consciencieusement une régionalisation des communautés. Les Chrétiens n’ont plus un destin commun et des tensions au sein même de la communauté apparaissent.

Aujourd’hui encore, les stigmates du mandat ont des conséquences sur la faible polarisation du pouvoir central. Face à cette déception, des révoltes éclatent en Irak, en Syrie et au Liban pour demander le renvoi des troupes européennes. Deux visions s’opposent chez les Chrétiens d’Orient. Ceux qui prônent une opposition farouche au mandat, à l’instar d’Antoine Saadé, libanais orthodoxe, qui se fait l’apôtre de la Grande Syrie en créant le parti social national syrien en 1932. D’autres, rêvent d’un État libanais majoritairement Chrétiens en niant son arabité à l’image de Pierre Gemayel, Chrétien maronite, qui fonde en 1936 le parti des Phalanges libanaises proche de l’administration française.

Finalement, l’hétérogénéité politique des Chrétiens explique le peu de collusion entre les différents coreligionnaires durant l’époque des mandats.

Au temps des indépendances : entre rêve et réalité

Au lendemain des indépendances dans les années 40, les Chrétiens d’Orient aspirent à jouer un rôle de premier plan dans la vie politique et économique de la région.

  • Les premiers espoirs :

Au Liban la constitution de 1926, imposée par la France, prévoit que le Président de la République libanaise soit de confession chrétienne maronite. Malgré l’indépendance en 1943, la France garde un droit de regard sur le Liban. À cette époque, les Chrétiens représentent 52% de la population (cf le recensement de 1932). La cohabitation avec les autres communautés est bonne. Il n’y a pas de réelle distinction communautaire au delà du cadre strictement politique.

En Syrie et en Irak, une laïcité orientale s’instaure sous l’influence d’un penseur chrétien orthodoxe Michel Aflak. Ce dernier est le fondateur du parti Baath (résurrection en arabe) en 1944. Cette idéologie s’impose avec Hafez Al-Assad en Syrie à partir de 1970 et en 1968 avec Saddam Hussein en Irak. Elle prône la primauté de l’arabité sur l’appartenance religieuse et communautaire ainsi qu’une indépendance à l’égard de l’Occident. De ce fait, les Chrétiens peuvent exercer des postes à haute responsabilité dans l’armée ou au sein du Parlement. C’est le cas de Tarek Aziz qui est ministre des Affaires étrangères sous Saddam Hussein.

En Égypte sous le règne de Gamal Abdel Nasser (1954-1970), la communauté copte qui représente la plus importante population chrétienne au Moyen-Orient, connaît un renouveau, une impulsion mais de courte durée face à l’islamisation galopante de la société.

Avec la création de l’État d’Israël en 1948, les Chrétiens palestiniens jouent un rôle majeur dans le mouvement national. Ils sont à l’avant-garde de la lutte contre l’occupation illégitime de la Palestine. Georges Habache est le fondateur du Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP). Certains s’investissent dans la littérature politique comme Edward Saïd et se font les portes paroles des opprimés du sionisme et du danger qu’il représente en tant qu’entité communautariste.

  • Vers une marginalisation progressive :

Les défaites militaires arabes face à Israël (en 1948, 1956, 1967 et 1973) chamboulent le relatif équilibre confessionnel et poussent les Chrétiens palestiniens à s’auto-marginaliser de la vie politique. L’exode massif des Palestiniens engendre des difficultés d’ordre économique et social au sein des pays hôtes (Jordanie, Syrie et Liban). En raison de la fragilité et des dissensions politiques vis-à-vis de la cause palestinienne, le Liban sombre dans une guerre « civile » aux multiples facettes de 1975 à 1990. Une partie des Chrétiens se ligue contre les Palestiniens, perçus comme responsables de cette guerre. Une autre frange de la population les soutient, car ils représentent la lutte contre Israël. Le pays implose et connaît une guerre fratricide entre Chrétiens en 1989. Désunis et influencés par l’extérieur, ils perdent leurs prérogatives politiques au profit des musulmans suite aux accords de Taëf qui mettent fin à la guerre en octobre 1989.

Face aux multiples échecs et humiliations subis par les nations arabes, petit à petit l’Islam radical éclipse le panarabisme avec le soutien officieux de l’Occident. Cette idéologie prolifère majoritairement au sein des couches populaires musulmanes sunnites. Le Chrétien y est considéré comme l’ennemi, car injustement et faussement assimilé à l’Occident.

Les Chrétiens d’Orient face à l’islamisme : entre exil, soumission et résistance

Avec la destruction de l’appareil étatique irakien et ce, depuis l’invasion américaine de 2003, l’Irak est devenu un terrain fertile pour l’islamisme radical. En 2013-2014, l’État islamique s’enracine au Levant et pousse des centaines de milliers de familles chrétiennes sur la route de l’exil. En septembre 2013, le village chrétien de Maaloula en Syrie tombe aux mains des islamistes du Front Al-Nosra (branche d’Al Qaeda en Syrie). Selon les témoignages des habitants « ils sont arrivés sur leurs pick-up en criant les Chrétiens au tombeau ». Églises et cimetières sont ravagés et les tombes pillées. Pour les islamistes, les Chrétiens d’Orient sont le cheval de Troie de l’Occident en terre arabe. Cette sémantique impose un parallèle mensonger et absurde entre Occident et Christianisme, alors que le berceau de la Chrétienté se situe en Orient.

L’État islamique sanctuarise ses acquis territoriaux. En 2014, avec la prise de la plaine de Ninive en Irak, les populations chaldéennes prennent l’exil de peur d’être persécutées et massacrées.

Les populations qui restent sous l’emprise des djihadistes sont obligées de se soumettre. Ils se convertissent et doivent appliquer les codes de la charia. Dans le meilleur des cas, les femmes doivent se voiler, les hommes doivent porter des vêtements amples et ne peuvent fumer. Dans le pire des cas, les Chrétiennes servent d’esclaves sexuelles aux djihadistes et les hommes de main-d’œuvre bon marché en étant continuellement opprimés.

D’autres font le choix courageux de former des milices armées pour combattre les djihadistes dès 2013. En Syrie, de nombreux groupuscules chrétiens sont créés dans les banlieues d’Homs et d’Alep avec l’aide des Russes et des Iraniens. Ils forment les supplétifs de l’armée régulière syrienne. Ils se battent pour leurs terres et pour un idéal révolu, celui d’une entente fraternelle avec la majorité musulmane. Somme toute, l’arrivée de Daesh a provoqué un choc rédhibitoire pour de nombreuses populations chrétiennes. Plusieurs syriens m’ont témoigné avec incompréhension et nostalgie « Avant la guerre, il y avait une forme de cohésion, on était tous Syriens, avec l’arrivée de Daesh, certains de nos voisins musulmans ont rejoint les terroristes ».

Le sectarisme politique, la menace terroriste sunnite et les politiques occidentales contestables marginalisent la communauté chrétienne. Aujourd’hui plus que jamais, les Chrétiens d’Orient doivent se restructurer politiquement et économiquement et mettre en avant leurs particularismes s’ils ne veulent pas être définitivement considérés comme les oubliés de l’Histoire orientale.

Bibliographie :

  • Tigrane Yégavian, « Minorités d’Orient : Les oubliés de l’Histoire », éditions du Rocher, 2019
  • Bernard Heyberger, « Chrétiens du monde arabe : Un archipel en terre d’Islam », Autrement, 2003
  • Alain Ducellier, « Chrétiens d’Orient et Islam au Moyen-Âge, VIIème- XVème siècle », Armand Colin, 1996
  • Amin Maalouf, « Les Croisades vues par les Arabes », Poche, 1999
  • Joseph Yacoub, « Une diversité menacée, les chrétiens d’Orient face au nationalisme arabe et à l’islamisme », Salvator, 2018

Les Chrétiens d’Orient : une minorité oubliée (Partie 1/2)

Méconnus pour certains, inexistants pour d’autres et ce malgré 2000 ans d’Histoire, les Chrétiens d’Orient sont les laissés pour compte d’une région en perpétuelle mutation. Malgré les discours alarmants sur la protection des minorités, la situation des Chrétiens orientaux est sous médiatisée en regard des soubresauts de l’Histoire régionale. Soumis en période de paix, et assimilés à l’ennemi en période de guerres, ils n’ont de cesse de chercher une posture conciliante qui puisse leur permettre de vivre leur foi en paix.

Pour autant, ils ne forment pas un groupe homogène. Dans chaque pays, de l’Égypte à l’Irak, en passant par le Liban et la Syrie, les Chrétiens ont leur propre singularité sous le prisme des traditions linguistiques et liturgiques.

Cette première partie revient sur la genèse du christianisme, mettant en exergue les particularismes locaux, les dissensions, les allégeances ainsi que les interactions avec les différents empires musulmans, jusqu’à l’éveil politique et intellectuel au temps de la Nahda à la fin du XIXème siècle.

De la genèse à l’islamisation

Le christianisme est né et se développe sur la partie orientale de l’Empire romain. Le Moyen-Orient est donc par essence, le berceau de cette nouvelle religion. Un temps minoritaire, les adeptes de cette croyance vivent cachés et ne peuvent pratiquer leurs rites en public. Jusqu’au IIIème siècle de notre ère, les Chrétiens subissent de nombreuses persécutions et massacres. Ils sont considérés comme ennemis de l’Empire et souvent perçus comme des individus hérétiques. Jusqu’au début du IVème siècle de notre ère, les Chrétiens sont à la merci des différents empereurs. Certains s’en prennent uniquement au clergé, tandis que d’autres oppriment les fidèles.

Il faut attendre l’arrivée de l’empereur Constantin 1er, converti au christianisme, qui promulgue l’édit de Milan en 313 et accorde la liberté de culte dans tout l’Empire. Petit à petit, le christianisme se développe et devient l’unique religion officielle sous Théodose 1er à la fin du IVème siècle. S’ensuit une période de foisonnement intellectuel avec de nombreux débats théologiques. Les premières divisions apparaissent, ce sont les controverses autour de la nature humaine – divine – ou les deux du Christ. Malgré les nombreux conciles, les ruptures sont consommées et aboutissent à la création de plusieurs églises distinctes.

Ainsi sous l’Empire byzantin, la communauté chrétienne ne forme pas un ensemble homogène. Le pouvoir central de Constantinople ne réussit pas à centraliser et imposer un seul dogme chrétien. C’est au Vème et VIème siècle qu’émergent les églises coptes d’Égypte, syriaques, assyro-chaldéennes de Syrie et maronites du Liban. Leurs fidèles vivent clandestinement leur foi.

À la mort de Mahomet en 632, les armées arabes envahissent le Moyen-Orient. Les églises dissidentes perçoivent initialement l’arrivée des musulmans comme une libération vis-à-vis du pouvoir autoritaire de Constantinople. Dans un premier temps, les Chrétiens pratiquent plus librement leur foi, il n’y a pas de conversion forcée car ils sont reconnus comme des Gens du Livre (Ahl Al-kitab en arabe). Mais petit à petit le pouvoir central musulman soumet la communauté chrétienne à un statut de dhimmis (selon le droit musulman, dhimmi désigne les non musulmans d’un État sous gouvernance musulmane). Ce mot est souvent traduit comme une forme de « protection discriminatoire ». Du fait de ce statut secondaire, les Chrétiens ont une obligation de paiement d’impôts supplémentaires (la djizya) et la liberté de pratiquer leur culte est restreinte. Dès lors, les conversions à l’islam vont se multiplier.

Du déclin aux croisades

Très rapidement, l’arrivée des troupes musulmanes va de pair avec l’arabisation de la société et des rites chrétiens. Certaines langues théologiques disparaissent au profit de l’arabe. La première Bible est traduite en arabe au IXème siècle. Or, cette arabisation s’accompagne d’une islamisation de tous les pans de la société orientale. Les églises orientales commencent à se refermer sur elles-mêmes. La forte croissance démographique musulmane aggrave la situation des Chrétiens qui deviennent minoritaires. Malgré certaines périodes de partage et de collusion avec les pouvoirs centraux, les Chrétiens sont marginalisés, discriminés si ce n’est persécutés.

Les relations entre Musulmans et Chrétiens vont davantage se détériorer avec l’arrivée des troupes d’Occident. En effet, le pape Urbain II lance un appel à la croisade en 1095 pour aider les Chrétiens d’Orient et libérer Jérusalem, épicentre de pèlerinages de tous les Chrétiens occidentaux et orientaux. Ainsi, ses derniers sont perçus comme des potentiels traîtres. Pourtant, les armées d’Occident ne sont pas nécessairement bien reçues par leurs coreligionnaires d’Orient. Certains décident d’aider les Croisés à l’instar des Maronites, d’autres préfèrent rester en territoire musulman comme les chrétiens orthodoxes. En effet, le schisme de 1054 scella définitivement la division entre les églises rattachées à Rome (catholiques) et les églises rattachées à Constantinople (orthodoxes).

La présence des Croisés en Orient entraîne un durcissement des politiques à l’égard des Chrétiens d’Orient. Saladin augmente la pression fiscale sur ses sujets chrétiens pour financer sa guerre contre les Croisés. L’aide de l’Occident durant les croisades a finalement aggravé le sort des populations chrétiennes en Orient. Le pouvoir musulman se venge de l’aide apportée aux Croisés. Des églises sont détruites en Syrie, en Égypte et en Irak. Des Chrétiens sont réduits en esclavage et certains décident de fuir à Chypre.

La période des croisades du XIème au XIIIème siècle a modifié le statut des Chrétiens d’Orient à l’égard du pouvoir musulman. Le relatif équilibre est dès lors fragilisé et les communautés chrétiennes subissent une marginalisation politique, sociale et économique.

Sous l’Empire ottoman jusqu’au temps de la Nahda

Sous l’Empire ottoman du XIVème au XXème siècle, les Chrétiens sont intégrés à la société en tant que dhimmis dans un ensemble qui s’appelle le « millet », sorte de structure confessionnelle propre à une communauté. De fait, ils participent aux activités économiques locales, mais adoptent une différenciation vestimentaire (en bleu) et géographique. Les Chrétiens habitent dans des quartiers qui leur sont réservés et ils exercent des fonctions dépréciées par l’Islam comme les métiers du commerce ou de la finance. Les Arméniens de l’Empire ottoman contrôlent la majorité du commerce des armes.

Au gré des périodes, une relative pacification des rapports s’instaure. Or, à l’aune des tensions avec l’Occident, les Chrétiens subissent de nombreuses persécutions physiques et fiscales. Les nombreuses guerres qui opposent l’Empire ottoman et la Russie à partir du XVIIIème siècle donnent lieu à un durcissement des politiques ottomanes à l’égard des Orthodoxes, jugés proche de Moscou. 

L’Occident s’intéresse au sort de ses coreligionnaires d’Orient. François 1er noue des liens avec le sultan ottoman Soliman le Magnifique et signe un accord en 1535 qui lui permet d’avoir un droit de regard sur les populations chrétiennes en échange d’une liberté de commerce dans les ports français. Très vite, cette volonté de protection des Chrétiens d’Orient est instrumentalisée à des fins de politique extérieure. En effet, les puissances européennes veulent affaiblir l’Empire ottoman. Tour à tour, Russes et Français se gargarisent d’être «les protecteurs des Chrétiens d’Orient ». La Russie se porte garante de la sécurité des Orthodoxes alors que la France se veut protectrice des Catholiques. Ce rôle va prendre une ampleur historique lors du massacre des maronites en Syrie et au Liban. La France de Napoléon III intervient militairement en 1860 pour protéger la communauté chrétienne.

En lien étroit avec l’Occident, les Chrétiens d’Orient deviennent peu à peu le fer de lance d’un renouveau politique. Embourbé dans une crise interne et externe, l’Empire ottoman durcit sa politique et empêche tout courant dissident. Dans une logique nationaliste arabe, certaines figures chrétiennes libanaises, égyptiennes et syriennes écrivent, publient et partagent des idées politiques d’une lutte contre l’Empire ottoman. La notion d’arabité prédomine pour gommer les différences communautaires et confessionnelles. Ce bouillonnement intellectuel et politique est nommé « Al Nahda » (la renaissance en arabe). Ce courant émerge à la fin du XIXème siècle et s’enracine dans les esprits de chaque arabe de l’époque. Animés par un esprit de régénération de la dignité, les Arabes de l’Empire ottoman s’opposent au pouvoir central. Cette opposition est consciencieusement soutenue par l’Occident qui mise sur l’implosion de l’Empire Ottoman.

Bibliographie :

  • Tigrane Yégavian, « Minorités d’Orient : Les oubliés de l’Histoire », éditions du Rocher, 2019
  • Bernard Heyberger, « Chrétiens du monde arabe : Un archipel en terre d’Islam », Autrement, 2003
  • Alain Ducellier, « Chrétiens d’Orient et Islam au Moyen-Âge, VIIème- XVème siècle », Armand Colin, 1996
  • Amin Maalouf, « Les Croisades vues par les Arabes », Poche, 1999

Les Etats-Unis et le pétrole : une longue histoire d’amour

En Octobre 2019, des blindés américains ont été envoyés dans le Nord-Est de la Syrie afin de sécuriser les puits de pétrole. Dans son style brutal et transparent, le Président Donald Trump l’a confirmé sans équivoque « We’re keeping the oil in Syria »[1].

Cette relation passionnelle entre la première puissance mondiale et l’or noir est bien antérieure à l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche. Le pétrole est une matière première indispensable pour l’économie d’un pays. Pourtant selon les récentes estimations, les Etats-Unis ont plus exporté du pétrole qu’ils n’en ont importé et sont devenus les premiers producteurs, en raison du forage et de l’abondance du gaz de schiste. La dépendance au pétrole du Moyen-Orient s’en trouve donc réduite.

Or, 47,7% des réserves prouvées de pétrole se situent dans cette zone[2]. Compte tenu de l’importance du pétrole dans l’économie mondiale, le Moyen-Orient reste indispensable pour l’approvisionnement énergétique des grandes puissances.

Retour sur une histoire sans ambiguïté entre l’administration américaine et l’or noir au Moyen-Orient.

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Ruée vers l’or noir :

Les Etats-Unis s’intéressent au Moyen-Orient et ce, depuis la découverte des gisements de pétrole dans les années 1920. Des équipes sont envoyées sur place pour l’exploration, l’étude du potentiel pétrolier et gazier et afin de concurrencer les compagnies européennes. Or, ces dernières se désintéressent du désert saoudien. C’est à cette époque, qu’une petite compagnie américaine débute l’exploitation des gisements pétroliers de Hassa à l’est du pays.

Soucieux de leur approvisionnement en pétrole, les Américains nouent des relations de plus en plus régulières avec le régime saoudien. En 1933, l’Arabie saoudite accorde des concessions pétrolières à la Standard Oil Company of California. Dès 1944, ils signent un consortium pour l’exploitation exclusive de l’or noir du royaume, c’est la naissance de la fameuse Aramco (Arabian American Oil Company).

Consciente de sa supériorité technologique et militaire, l’administration américaine offre ses services pour le forage et le pompage des zones pétrolifères au Moyen-Orient en échange d’une protection militaire en cas de conflit. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, les jeunes monarchies du Golfe s’empressent de se rapprocher des Etats-Unis pour ainsi asseoir leurs indépendances.

À l’opposé, d’autres pays de la région cherchent à jouir pleinement de leurs ressources. C’est le cas de l’Iran, avec le Premier ministre Mohammed Mossadegh qui nationalise le pétrole en 1951. Suite à cette démarche, il est démis de ses fonctions par un coup d’État ourdi par les services secrets britanniques et américains en 1953. Cet événement a des répercussions à l’échelle régionale. Dans les années 60-70, Saddam Hussein en Irak, Hafez Al-Assad en Syrie et Mouammar Kadhafi en Libye nationalisent des pans entiers de leur économie au détriment des compagnies occidentales.

Le pétrole, prétexte d’ingérence économique :

  • En Irak :

Malgré le soutien sans faille de l’Occident et des monarchies du Golfe, l’Irak sort ruiné de sa guerre contre l’Iran (1980-1988). Sa dette extérieure est considérable, les infrastructures pétrolières sont en partie détruites et sa production ne lui permet pas d’avoir des revenus suffisants. De plus, en augmentant conjointement leur production, certains pays de l’OPEP (l’Organisation des pays exportateurs de pétrole) en particulier l’Arabie saoudite, le Koweït et les Émirats arabes unis, , font chuter le prix du baril ce qui accentue les difficultés économiques du pays.

De ce fait, l’Irak poussée par un impératif économique vital, lorgne sur le Koweït qui faisait partie de son territoire à l’époque ottomane[3]. Ce n’est pas la première fois que des dirigeants irakiens ont voulu récupérer cette région, ayant un accès direct à la mer et riche en hydrocarbures.

Selon certaines sources, les Américains donnent l’aval à Saddam Hussein pour envahir le Koweït[4] en 1990. Or, une fois les troupes irakiennes présentes sur place, une coalition menée par les Etats-Unis rassemble plus de 940 000 hommes de 34 pays, dont 535 000 Américains[5]. C’est une défaite retentissante pour l’armée de Saddam Hussein. Les bombardements de la coalition ont ciblé principalement les infrastructures économiques et pétrolières du pays.

Après la guerre, l’ONU sous la pression des Etats-Unis décrète un embargo total sur le pétrole irakien. Le pays est littéralement exsangue. Les sanctions appauvrissent la population locale et obligent plusieurs milliers de familles à fuir le pays. La décennie 90 est catastrophique d’un point de vue humanitaire. Environ 1 million de personnes sont mortes en raison de la dureté des sanctions. De surcroît, les difficultés économiques plongent le pays dans un repli communautaire, entretenu par les officines de propagande américaine.

  • En Syrie :
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Dès le début du conflit en Syrie en 2011, les Etats-Unis et l’Onu imposent des sanctions sur le pétrole syrien. Ce dernier représente environ ¼ des revenus du gouvernement de Damas. À l’échelle mondiale, la production pétrolière syrienne est modeste mais elle permet au pays de subvenir à ses propres besoins.

De plus, la Syrie se trouve impliquée dans différents projets régionaux de gazoducs. Dès 2009, le Qatar propose via les entreprises Qatar Petroleum et l’Américain d’Exxon-Mobile East Marketing Limited Company d’acheminer du gaz vers l’Europe en passant par l’Arabie saoudite, la Jordanie et la Syrie. Ce projet n’est pas accepté par Damas, en raison de ses affinités avec la Russie. En effet, si ce projet avait été accepté, l’Europe aurait eu une alternative au gaz russe. Cependant, Bachar Al-Assad accepte le projet iranien de l’Islamic Gaz pipeline (IGP) en 2011[6]. Ce projet de gazoduc transite par l’Irak et la Syrie avant de desservir le marché européen. Les Monarchies du Golfe qui se sont vus refuser leur proposition, ont été les premiers financeurs et soutiens des djihadistes en Syrie dès 2011 avec l’aval des chancelleries occidentales et notamment américaines.

Le pétrole, prétexte d’intervention militaire

  • En Irak :

Suite aux attentas du World Trade Center du 11 septembre 2001, les États-Unis utilisent cet événement à des fins de politique extérieure au Moyen-Orient. La guerre contre le terrorisme est un moyen durable de s’ingérer dans la région. En effet, en accusant fallacieusement l’Irak de détenir des armes de destruction massive et de soutenir les terroristes d’Al Qaeda, l’armée américaine envahit unilatéralement l’Irak en 2003. 

Officieusement, l’intervention militaire américaine est dictée par un impératif, celui de sécuriser son approvisionnement en pétrole. En effet, à cette époque l’Irak est le 4ème producteur de la planète. Les troupes américaines sont envoyées dans le Nord du pays, dans la région de Kirkouk, territoire où se trouve la majeure partie des réserves de pétrole d’Irak. En mettant la main sur les hydrocarbures, les Etats-Unis mettent automatiquement sous tutelle un pays dépendant de ses exportations pétrolières.

  • En Syrie :

Officiellement, la présence de forces spéciales américaines et occidentales dans le Nord-Est du pays sert à aider et soutenir les forces démocratiques kurdes. Officieusement, c’est pour empêcher les forces du gouvernement syrien de sécuriser leurs puits de pétrole et de reconquérir la totalité de son territoire. À chaque fois que l’armée syrienne tente de se rapprocher des zones pétrolifères, la coalition, menée par les Américains, bombarde les positions syriennes.

« Nous n’avons pas besoin du pétrole du Moyen-Orient »[7] déclare Donald Trump dans son discours au lendemain des frappes iraniennes suite à l’assassinat du général Qassem Souleimani le 3 janvier 2020. Son pays aurait atteint l’indépendance énergétique. Malgré ses affirmations, les Etats-Unis sont toujours dépendants du pétrole du Moyen-Orient et ce, en raison des risques de pénurie de leur propre production sur le long terme.

La sécurisation des puits de pétrole en Syrie, en Irak et en Arabie saoudite a un double objectif politique et énergétique. En prenant possession des ressources pétrolières d’un pays, ils peuvent à terme le contraindre à revoir sa politique régionale et à adopter une posture plus conciliante à l’égard des Etats-Unis.  


[1] https://abcnews.go.com/Politics/keeping-oil-syria-trump-considered-war-crime/story?id=66589757

[2] https://www.connaissancedesenergies.org/fiche-pedagogique/reserves-de-petrole-dans-le-monde

[3] https://www.lesclesdumoyenorient.com/Revendications-irakiennes-sur-le.html

[4] Robert Fisk, « La grande guerre pour la civilisation, l’Occident à la conquête du Moyen-Orient (1979-2005) », La Découverte, 2005

[5] https://www.monde-diplomatique.fr/mav/120/A/46973

[6] https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2017/04/12/les-pipelines-et-les-gazoducs-sont-ils-a-l-origine-de-la-guerre-en-syrie-comme-l-affirme-jean-luc-melenchon_5110147_4355770.html

[7] https://www.rtbf.be/info/economie/detail_les-etats-unis-n-ont-ils-vraiment-plus-besoin-du-petrole-du-moyen-orient?id=10403497

La République arabe unie : éphémère espoir du panarabisme

Lorsque le journaliste français Jacques Benoit-Méchin avait demandé en 1958 à Gamal Abdel Nasser « Vous pensez créer un Empire panarabe. N’est-ce pas une forme d’impérialisme ? » Le Raïs égyptien rétorqua « Du tout, je ne veux pas forger un Empire, je veux amener une nation à prendre conscience d’elle-même (…) je ne veux rien conquérir d’étranger à la nation arabe. Je veux en rassembler les membres qui, une fois rassemblés, n’auront pas besoin d’un espace vital supplémentaire… Je ne suis pas un conquérant »[1].

Au lendemain de la nationalisation du canal de Suez en 1956, l’idéologie panarabe de Nasser jouit d’un prestige qui dépasse de loin les frontières des jeunes États-nations du monde arabe. Politique ô combien fédératrice à l’échelle de la région, le nassérisme était malheureusement englué dans des contentieux interarabes pour des questions de gouvernance et de leadership.

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Emblème de la République arabe unie

Nasser : l’Homme de la nation arabe

Lorsque Nasser décida de nationaliser le canal de Suez le 26 juillet 1956, la faible armée égyptienne, mal équipée et peu expérimentée devait se défendre contre l’agression tripartite israélienne, française et anglaise qui voulait mettre fin au processus de nationalisation. Face à cette intervention illégale, les deux grandes puissances de l’époque (URSS et Etats-Unis) font pression afin de stopper les hostilités. À défaut d’être une victoire militaire, c’est une victoire psychologique retentissante pour tout le monde arabe. Nasser devient l’Homme que toute une région attendait. Enfin, un chef d’État arabe avait compris les attentes de la rue. Nasser auréolé de sa victoire, est sacralisé du Caire à Bagdad en passant par Beyrouth et Damas.

En effet, cette nationalisation vient de mettre fin à un siècle et demi d’interventionnisme occidental au Moyen-Orient. À lui seul, cet événement redore une dignité et une fierté trop souvent délaissées au profit des intérêts des grandes puissances.

De surcroît, indépendamment de la création des États-nations arabes, l’aura et le charisme de Nasser transcende et dépasse de loin le cadre égyptien. Les portraits du Raïs sont présents dans toutes les capitales arabes. Orphelin et exploité, le peuple arabe a enfin trouvé son leader. Ce dernier galvanise les foules à chacun de ses discours, et fait l’objet d’un culte de la personnalité. Nasser a bien compris les rouages du leadership oriental. Ses discours sont bien ficelés et dénoncent les injustices et exactions commises par l’ennemi israélien ou par les politiques néocoloniales occidentales. Militaire, il épouse expressément les codes et les manières d’un homme fort à l’écoute de son peuple et de toute une région.

Faisant office d’exemple à l’échelle du Moyen-Orient, l’influence de l’Égypte est telle que, plusieurs États arabes veulent embrasser le nassérisme et tenter un projet d’unification.

Le rêve d’une nation arabe :

Les indépendances des États arabes (voulues et orchestrées par les puissances occidentales afin de diviser la région) sont un frein au panarabisme. Les anciennes puissances tutélaires s’opposent farouchement à tout projet d’union des pays arabes. Car, une nation arabe unie ferait automatiquement contrepoids à l’influence occidentale[2].

Or, compte tenu du rayonnement du nassérisme et des difficultés internes en Syrie, Damas, sous la houlette du penseur orthodoxe et fondateur du parti Baath Michel Aflak, choisit de se rapprocher du Caire.

En effet, depuis l’indépendance de la Syrie en 1946, le pays est englué dans une série de coups d’États, de luttes ministérielles et de tensions économico-sociales. Pour Damas, le tropisme nassérien n’est pas un choix par défaut mais plus une réelle volonté de stabilité et d’unification. L’Irak quant à elle, fait le choix d’un alignement pro-américain en rejoignant le pacte de Bagdad en 1955 (groupe d’États proches des Etats-Unis et luttant contre l’expansion de l’union soviétique au Moyen-Orient).

Dès 1957 le maréchal Abdel Hakim Amer, proche conseiller de Nasser, devient le commandant en chef des armées syriennes et égyptiennes. Cette imbrication est consubstantielle aux desseins de la politique étrangère des deux pays : la lutte contre l’État d’Israël. Les contacts entre les deux pays s’accentuent afin de discuter des modalités de l’unité. Pour Nasser, c’est un moyen de polariser et d’imposer ses vues au Moyen-Orient. Le Raïs veut mettre l’Égypte au centre de la nation arabe. De ce fait, il ordonne la dépolitisation de l’armée syrienne, ainsi que la création d’un parti unique calqué sur le modèle égyptien. De son côté le Président syrien, Choukri Al-Kouatli, tergiverse de peur de perdre toutes ses prérogatives au profit de l’Égypte.

Finalement, un accord est signé le 31 janvier 1958 et la République arabe unie voit le jour. Elle est composée d’une région Nord (la Syrie) et d’une région Sud (l’Égypte), le Yémen du nord est également rattaché à la République mais son statut reste secondaire.

La même année, toute la région est en ébullition. La rue arabe n’est pas insensible aux sirènes du panarabisme. En raison de la primauté de l’arabité, c’est une idéologie qui fédère au delà des différences communautaires et religieuses. En effet en 1958, le « petit voisin » libanais plonge dans une guerre civile. Les partisans du nassérisme veulent le rattachement à la nouvelle République arabe unie alors que les loyalistes du Président Camille Chamoun prônent l’indépendance du Liban. L’intervention américaine en 1958 met fin aux affrontements et empêche par la même occasion le Liban de rallier la jeune nation arabe. Le nouveau Président libanais, Fouad Chehab, rencontre symboliquement Nasser à la frontière syro-libanaise afin d’entériner ce dossier et de promouvoir la bonne entente entre les deux entités.

De son côté, l’Irak pro américain, tente vainement une union avec la Jordanie en 1958 pour contrebalancer les objectifs nassériens. Après le coup d’État nationaliste d’Abdel Karim Qassim la même année, Bagdad est prête à rejoindre la République arabe unie. Mais en raison des animosités politiques entre baathistes, nationalistes et communistes et des menaces extérieures, cet élargissement demeure utopique. L’Irak reprend quelque peu la sémantique et l’idéologie panarabe à partir de 1963 et ce jusqu’en 1991. L’Irak arbore 3 étoiles sur son drapeau national, symbolisant les trois principales régions arabes d’Égypte, de Syrie et d’Irak.

« Les Arabes se sont mis d’accord pour ne pas se mettre d’accord »

Cette phrase prophétique d’Ibn Khaldoun, sociologue arabe du XIVème siècle, résume à elle seule les difficultés de l’éphémère République arabe unie.

Très vite, l’effervescence des premiers jours laisse place à la désillusion et aux mésententes. L’Égypte de Nasser polarise et monopolise les principales fonctions alors que les Syriens sont cantonnés à un rôle secondaire. Nasser impose ses vues et ordonne la démission des ministres baathistes syriens, jugés trop opposés à la politique nassérienne. En effet, sous le prisme de la République arabe unie plusieurs idéologies panarabes se confrontent. D’une part le Nassérisme qui souhaite mettre l’Égypte au centre de la nation arabe et d’autre part le parti Baath, qui lui a une vision plus égalitaire du projet.

De ce fait, des tensions entre Égyptiens et Syriens apparaissent et soigneusement entretenues par des puissances extérieures[3]. Chaque pays est enraciné dans ses propres particularités. Bien qu’Arabes, les Égyptiens se réfèrent à leur égyptianité et les Syriens à leur syrianité.

Soumis à une bureaucratie autoritaire et à des politiques de nationalisations, certaines franges de la bourgeoisie syrienne décident de migrer vers l’Occident. De plus, le poids oppressant des nouvelles réformes, le manque de concertation et l’omnipotence du Caire ravivent les pensées nationalistes à Damas. En conséquence, le 28 septembre 1961, plusieurs généraux de l’armée syrienne fomentent un coup d’État et mettent fin à l’éphémère expérience de la République arabe unie.

L’idéologie du panarabisme qui a tant galvanisé les foules après la nationalisation du canal de Suez en 1956, se trouve fragilisée après l’échec retentissant de la République arabe unie. Nasser a certainement sous estimé la complexité de ce projet. Il était lui même victime de son propre succès et n’avait pas les moyens de ses ambitions[4].

Encore aujourd’hui, bien que vacillant, le panarabisme continue d’animer les attentes et les envies de certains citoyens du Moyen-Orient. Son discours résonne avec nostalgie et est repris par tous les dirigeants du monde arabe pour asseoir leur leadership et leur légitimité.


[1] Gilbert Sinoué, « L’Aigle égyptien Nasser », Tallendier, 2015

[2] Charles Saint-Prot, « Le mouvement national arabe : Émergence et maturation du nationalisme arabe de la Nahda au Baas », Broché, 2013

[3] Yves Gonzalez-Quijano, « Les territoires perdus de l’arabisme », Vacarme, 2017/1 (n°78)

[4] Jean Lacouture, « Nasser », Paris, Seuil, 1971

Idlib: la poudrière syrienne

Engluée dans une grave crise économique en raison des sanctions occidentales, la Syrie doit faire face à une recrudescence des tensions dans la province d’Idlib. La guerre est loin d’être terminée et ce à cause des intérêts contradictoires des différents belligérants.

Dans un jeu complexe de billard à 3 bandes, Syriens, Russes et Turques s’opposent, s’affrontent militairement et parfois délibèrent pour imposer un cessez le feu, au détriment une fois de plus de la situation humanitaire.

Dernièrement, des combats ont eu lieu dans la province d’Idlib entre forces syriennes et forces turques, risquant de dégénérer en un conflit entre les deux pays. Fidèle à sa stratégie, Vladimir Poutine tempère et se pose en médiateur.

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La reconquête totale du territoire par l’armée syrienne

Acculée et cantonnée aux environs de Damas et au littoral syrien en 2014-2015, l’armée syrienne et ses alliées russes et iraniens ont depuis repris et sanctuarisé les ¾ du territoire syrien. Reprenant parcelle de terrain par parcelle de terrain, les troupes de Bachar Al-Assad aidées par l’aviation russe et l’appui des milices iraniennes ont libéré les principales villes du pays de l’emprise djihadiste (Homs en 2014, Alep en 2016). Permettant de désenclaver la province d’Alep, la libération de la ville d’Idlib est stratégique pour Damas. De plus, la récente reprise de la localité de Saraqeb permet de rejoindre Alep par l’axe autoroutier M5[1].

Dans son allocution à la chaîne nationale syrienne Sana, Bachar Al-Assad a rappelé et martelé que la reconquête totale du territoire syrien était une condition sine qua none pour la fin du conflit. De ce fait, la récupération de la province d’Idlib est un leitmotiv pour l’armée gouvernementale syrienne. Dernier bastion djihadiste présent en Syrie, Idlib regroupe un ensemble de mouvances terroristes affiliées à différents groupes (Hayat Tahrir Al Cham, parti islamique du Turkestan, Front national de libération…).

Comme le précise Fabrice Balanche, géographe et spécialiste de la Syrie, il ne faut pas minorer le fait djihadiste à Idlib. En effet, les principaux médias occidentaux omettent délibérément et consciencieusement de mentionner qu’à Idlib se trouve les anciens djihadistes de Daesh et d’Al-Qaeda, financés par les monarchies du Golfe, armés par l’Occident et aidés par la Turquie. Le traitement de l’information est focalisé sur la crise humanitaire afin d’incriminer une fois de plus Damas et Moscou.

Aujourd’hui deux visions des relations internationales s’opposent. D’un côté, la realpolitik russo-syrienne qui consiste à éliminer entièrement la menace terroriste. De l’autre, la logique néoconservatrice occidentale qui se traduit par un alignement quasi-systématique sur la politique américaine, visant à évincer Bachar Al-Assad, quitte à aider financièrement et logistiquement les groupes djihadistes.

La politique néo-ottomane d’Erdogan

Après avoir dominé le Moyen-Orient pendant 4 siècles, la Turquie est aujourd’hui soucieuse de renouer avec son passé glorieux. La politique panturquiste (rassembler toutes les populations d’origine turque au sein même de la Turquie) est aujourd’hui visible. Les nombreuses incursions militaires turques depuis 2016 en Syrie et en Irak sans l’aval des gouvernements concernés consistent à contrôler des territoires stratégiques. Alep, Raqqa et Idlib en Syrie ou encore Mossoul en Irak représentaient les joyaux culturels de l’Empire ottoman et formaient un glacis protecteur en territoire arabe. Ainsi pour Erdogan, plus qu’une volonté d’ingérence politique, il s’agit de reformer et de récupérer des anciennes villes clés de l’Empire déchu.

En effet depuis la décennie 2010, la Turquie souhaite construire une politique arabe basée sur les échanges commerciaux. Après avoir vainement tenté de créer en 2010 une zone de libre échange « Shamgen » avec les pays du Levant (Jordanie, Syrie, Liban), le Président turc, Recep Tayyip Erdogan se pose en héraut du monde sunnite. Il utilise l’islam politique à des fins de politique régionale. De fait, dès 2011, il défend les « printemps arabes » et  n’hésite pas à se rapprocher des milieux djihadistes en ouvrant ses frontières avec la Syrie et en les soutenant militairement.

Les interventions turques en Syrie sont dictées par diverses motivations politico-idéologiques. Dans un premier temps, il s’agit de contenir et d’annihiler les forces kurdes présentes à la frontière turque. Le sempiternel problème kurde sert de prétexte à la logique néo-ottomane d’Erdogan pour s’immiscer durablement dans le règlement du conflit en Syrie. De surcroît, la Turquie se dresse en défenseuse de la cause des réfugiés auprès d’un Occident impuissant. Suivant sa vision, la chute d’Idlib entraînerait un afflux massif supplémentaire de réfugiés syriens en Turquie et en Europe.

La présence avérée des forces turques dans la province d’Idlib résulte des pourparlers de Sotchi et d’Astana. En effet, une douzaine de postes d’observations turcs quadrillent la région d’Idlib et de fait, protège la présence djihadiste en Syrie. En raison de leurs intérêts contradictoires, des accrochages ont fait plusieurs morts au sein des armées syriennes et turques non loin de la localité de Saraqeb. Dernièrement, Erdogan a envoyé des troupes et des véhicules blindés supplémentaires, tout en menaçant ouvertement Damas de guerre frontale et ordonnant à la Russie de se tenir à l’écart des récents affrontements[2].

La Russie : arbitre et médiateur des affrontements

Partisane d’une entente avec toutes les parties prenantes, la Russie de Vladimir Poutine entretient des relations aussi bien avec la Syrie de Bachar Al-Assad qu’avec la Turquie de Recep Tayyip Erdogan.

Depuis septembre 2015, Moscou est le premier soutien de Damas. L’aviation russe et les forces spéciales au sol ont aidé les troupes syriennes à récupérer plusieurs villes. Sans l’aide russe en 2015, la Syrie et le Liban seraient tombés sous le joug de l’État islamique. La reprise d’Idlib répond à un impératif russo-syrien, à savoir l’annihilation de toute menace djihadiste.

La bataille d’Idlib oppose donc l’armée de Bachar Al-Assad aidée par la Russie aux djihadistes soutenues et armées par la Turquie. Pour autant, ni la Russie ni la Turquie n’ont intérêt à rompre leurs liens diplomatiques. Les deux pays collaborent et commercent dans de nombreux domaines. Le montant des échanges bilatéraux s’élève à 25 milliards de dollars. Moscou et Ankara nouent également des relations dans le secteur gazier. Dernier grand événement en date, l’inauguration à Istanbul du gazoduc turco-russe « Turkish Stream », alimentant en gaz l’Europe via la mer noire.

La Russie est maître de la situation en Syrie. Elle orchestre les discussions politiques, dialogue avec tous les acteurs, arbitre les contentieux, bombarde quand nécessaire les positions djihadistes, tempère les ardeurs occidentales et impose sa vision et logique du conflit. La question qui se pose après les récents accrochages entre Ankara et Damas, est de savoir si ceci restera sans conséquences ou s’avèrera être un dangereux tournant ? Moscou doit user de son « savoir-faire » diplomatique pour mettre fin à cette escalade[3].

Quant à eux, la Turquie et les occidentaux doivent renoncer à leurs ingérences. En faisant le choix d’armer et de soutenir les djihadistes, ils ont d’ores et déjà perdu toute crédibilité politique. Tôt ou tard, la ville d’Idlib sera reprise par les forces armées syriennes et leurs alliées. La Turquie devra renoncer à sa politique expansionniste et interventionniste.


[1] https://www.lemonde.fr/international/article/2020/02/11/le-regime-syrien-reprend-le-dernier-troncon-d-une-autoroute-cruciale-dans-le-nord-ouest_6029169_3210.html

[2] https://fr.sputniknews.com/international/202002111043044023-erdogan-menace-de-faire-payer-le-prix-fort-a-la-syrie-en-cas-dattaque/

[3] https://www.lemonde.fr/international/article/2020/02/11/l-escalade-meurtriere-entre-soldats-turcs-et-syriens-se-poursuit-a-idlib_6029174_3210.html

La Russie: Maître du jeu au Moyen-Orient ?

Au cours de la guerre froide, l’Union soviétique avait une politique arabe active. Après avoir reconnu l’État d’Israël en 1948, elle se rapproche des régimes nationalistes égyptien de Nasser puis syrien d’Hafez-al Assad. Sa politique était principalement basée sur la formation militaire et la vente d’armes pour contrebalancer la suprématie israélienne, elle-même soutenue par les Américains.

Depuis la chute du bloc communiste en 1991, la Russie se tient à l’écart des affaires orientales. Elle reste cantonnée à une neutralité de façade. Elle n’a ni les moyens, ni l’envie de s’ingérer dans une région à risque.

Il faut attendre l’arrivée de Vladimir Poutine au Kremlin en 2000 pour voir les prémisses d’une réelle stratégie régionale.  

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L’intervention en Syrie : Résurgence de la puissance russe

Depuis la fin du XVIIIème siècle, la Russie de l’impératrice Catherine II cherche un accès « aux mers chaudes ». C’est un impératif d’ordre militaire et commercial. En 1971, l’Union soviétique signe un accord avec la Syrie pour l’installation d’une base navale russe dans le port de Tartous. Cet accord parachève une politique longue de deux siècles.

L’intérêt pour la Syrie ne date donc pas des « printemps arabes ». Au temps de la guerre froide, Moscou fournissait matériels et formations à l’armée syrienne. De plus,la Russie était le premier partenaire commercial de Damas.

Avec l’arrivée de l’État islamique en Syrie en 2014 et la dislocation du pays, la Russie sort peu à peu de son silence. Vladimir Poutine décide finalement d’intervenir en Syrie en septembre 2015 pour lutter contre le terrorisme, éviter sa propagation à ses pays voisins (Caucase et Asie centrale), aider Bachar Al-Assad à reconquérir son territoire et sécuriser les installations portuaires russes à Tartous ainsi que la base aérienne de Hmeimim.  

L’intervention russe a permis à Bachar Al-Assad d’éliminer les différents bastions terroristes présents dans le pays. L’opération militaire a réduit une par une les poches « rebelles », afin de les regrouper dans une seule et même localité. Aujourd’hui, la majorité des terroristes se concentrent dans la ville d’Idlib.

Cette action militaire a remis la Russie sur le devant de la scène et a empêché le changement de régime en Syrie. En aidant son allié historique dans la région, Moscou a déjoué les plans des administrations occidentales à l’égard de Bachar Al-Assad. En effet, Vladimir Poutine est partisan d’un multilatéralisme et d’une entente plurielle pour faire contrepoids à l’unilatéralisme américain.

De surcroît en combattant l’hydre djihadiste, la Russie a été un acteur incontournable dans la défaite de Daesh et dans la protection des Chrétiens d’Orient en Syrie. Moscou est devenu l’élément majeur dans le règlement du conflit. Il est l’instigateur principal avec la Turquie et l’Iran des réunions politiques de Sotchi et d’Astana. De fait, la Russie endosse à la fois le rôle d’acteur, d’arbitre mais également celui de médiateur entre les différents partis. Son action s’inscrit dans la durée.

La Realpolitik russe : dialoguer avec tous les acteurs régionaux

La Russie entretient des contacts avec tous les pays de la région nonobstant les tensions politico-militaires. Vladimir Poutine est en lien permanent avec le président turc Recep Tayyip Erdogan pour le règlement du conflit en Syrie. Pourtant les deux pays s’opposent frontalement sur le terrain par milices interposées dans la ville d’Idlib. La Turquie finance et arme les terroristes de Hayat Tahrir Al-Cham alors que la Russie soutient militairement l’armée syrienne dans sa reconquête du territoire. De plus, une délégation kurde du Rojava est présente à Moscou tandis que la Turquie est intervenue militairement en Syrie pour combattre l’irrédentisme kurde.

Vladimir Poutine joue le rôle de médiateur dans cette zone géographique particulièrement stratégique. Il noue des relations cordiales avec l’Iran. Les deux pays sont alliés de circonstance dans la lutte contre la mouvance djihadiste en Syrie. Néanmoins, la Russie ne souhaite pas que l’Iran devienne une puissance régionale, ce qui pourrait la concurrencer. Ils ont des intérêts communs limités dans le temps. Cependant, l’antiaméricanisme des Iraniens est apprécié par Moscou, car il contribue à instaurer un multilatéralisme régional sous tutelle russe.

Proche de l’Iran sur le dossier syrien, la Russie entretient d’excellentes relations avec Israël dont le 1/7ème de la population est russophone. De plus, Israël vend ses drones à la Russie. Or, Tel-Aviv s’inquiète de la présence iranienne et du Hezbollah libanais en Syrie. Ainsi, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu multiplie les rencontres avec Vladimir Poutine. Il compte sur la Russie pour empêcher les Iraniens d’installer leurs bases près de la frontière israélienne. Ceci se traduit par la non-intervention de la Russie (accord tacite ?) quand l’aviation de l’État hébreu bombarde des sites iraniens et le Hezbollah en Syrie. Cet échange de bons « procédés » satisfait pleinement les deux pays. Israël en agissant impunément et en sapant l’influence iranienne fait le jeu du Kremlin.

Bien qu’opposée à l’islam politique des Frères musulmans et au wahhabisme saoudien (courant rigoriste de l’islam), la Russie s’est imposée comme un interlocuteur de première importance. Son succès militaire en Syrie a obligé les monarchies du Golfe à opérer un rapprochement avec Moscou. Cette collaboration permet à Vladimir Poutine de sécuriser, de sceller une entente pétrolière (production et prix du baril) et de tenter de réduire l’influence américaine dans la région.

La Russie est devenu l’acteur phare au Moyen-Orient depuis une décennie. Chef d’orchestre, Vladimir Poutine joue de sa puissance pour contenir les tensions régionales et renforcer ses intérêts économiques et stratégiques.

L’antiaméricanisme : une aubaine pour la Russie

Depuis les attentats du World Trade Center en 2001, le Moyen-Orient a été un laboratoire d’interventions américaines. Or, les conséquences désastreuses de ses dernières (intervention militaire en Afghanistan en 2001, en Irak en 2003, sanctions économiques contre l’Iran et la Syrie, financement de groupes terroristes lors des Printemps arabes…) poussent les pays arabes à chercher d’autres partenaires-protecteurs.

La Russie fait aujourd’hui office de pays pivot dans une logique de non-alignement à l’égard de Washington. De nombreux dirigeants de la région veulent nouer des relations commerciales avec Moscou, qui use de sa diplomatie active pour offrir une alternative au modèle américain.

Les autorités russes profitent des tensions récurrentes dans la région pour proposer des contrats d’armement sophistiqué. Il s’agit de concurrencer les Etats-Unis, largement en tête dans ce domaine. Cependant, la Turquie, bien que pays allié des Etats-Unis dans le cadre de l’Otan, a récemment acheté les missiles de défense antiaériens (S-400). Le Qatar, l’Égypte et l’Iran sont également intéressés.

Dernièrement, en raison de l’assassinat du général iranien Qassem Souleimani en Irak par un drone américain, les autorités irakiennes envisagent de passer sous protection russe. Or, le désengagement américain n’est à ce jour pas envisageable par Washington.

Partisane d’une lutte contre les djihadistes, la Russie a de bonnes relations avec ses principaux bailleurs (Arabie saoudite et Qatar). La diplomatie russe plaît. Elle séduit par son pragmatisme, son opportunisme et son intelligence face aux troubles régionaux. Certains experts jugent bon de parler de « pax russica » qui supplante la « pax americana ». Or peu probable, que Moscou en ait l’envie et les moyens sur la durée.

Bibliographie :