Le numéro 2 d’al-Qaïda meurt assassiné en Iran : quels liens entre la théocratie chiite et le groupe djihadiste ?

Vendredi 13 Novembre, Le New York Times publie un rapport citant quatre actuels et anciens responsables du renseignement américain, affirmant que le deuxième plus haut dirigeant d’Al-Qaïda a été tué en Iran trois mois auparavant.[1]

Abdullah Ahmed Abdullah, également connu sous le nom de guerre Abu Muhammad al-Masri, était accusé d’être l’un des cerveaux des attaques de 1998 contre les ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie, faisant 224 morts et des milliers de blessés. Il était l’un des 22 membres à l’origine de la liste du FBI des terroristes les plus recherchés (Most Wanted Terrorists). Le FBI offrait 10 millions de dollars pour toute information menant à son arrestation.

Description : The F.B.I. wanted poster for Abdullah Ahmed Abdullah, who went by the nom de guerre Abu Muhammad al-Masri.
Poster de recherche du FBI pour Abdullah Ahmed Abdullah, ou al-Masri. Source: New York Times (https://www.nytimes.com/2020/11/13/world/middleeast/al-masri-abdullah-qaeda-dead.html)

Il a été abattu dans les rues de Téhéran par deux assassins à moto le 7 août, date anniversaire des attaques contre l’ambassade, en même temps que sa fille Miriam, la veuve du fils d’Oussama ben Laden, Hamza ben Laden. Ce dernier avait lui-même été tué l’année dernière lors d’une opération antiterroriste américaine dans la région de l’Afghanistan et du Pakistan.

Deux des responsables sur lesquels s’appuie le rapport du New York Times ont déclaré qu’al-Masri avait été tué sur ordre des Etats-Unis par Kidon, une unité de l’agence israélienne de renseignement extérieur du Mossad, prétendument responsable de l’assassinat de cibles de grande valeur. En hébreu, Kidon signifie baïonnette ou « pointe de lance ».[2]

La CIA et le bureau du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, qui supervise le Mossad, ont refusé de commenter. Le porte-parole du ministère iranien des affaires étrangères, Saeed Khatibzadeh, a pour sa part nié l’assassinat et « toute présence de membres d’Al-Qaïda » en Iran, et a affirmé que ces allégations font partie du “complot iranophobe” américain. Le ministère iranien des affaires étrangères a accusé les États-Unis et Israël de tenter d’établir des liens entre l’Iran et al-Qaïda, dont l’existence serait “le résultat des mauvaises politiques adoptées par les États-Unis et leurs alliés dans la région », “afin qu’ils n’aient pas à assumer la responsabilité des actions meurtrières de ce groupe terroriste et d’autres groupes ».[3]

Deux décennies d’accusations américaines de collaboration entre l’Iran et al-Qaïda…

Les propos de Khatibzadeh, bien que certainement non véridiques, traduisent néanmoins également l’exaspération iranienne envers l’acharnement vingtenaire des décideurs politiques américains à établir des liens entre la république Islamique et le groupe terroriste.

En 2002, le Département d’État américain affirme que les membres d’Al-Qaïda jouissaient « d’un refuge virtuel [en Iran] et pouvaient même bénéficier de la protection d’éléments du gouvernement iranien ».[4]

En 2011, le département du Trésor accuse les autorités iraniennes d’aider Al-Qaïda, affirmant que le gouvernement iranien a conclu un accord avec les agents du groupe terroriste et qu’il autorise l’utilisation du pays comme point de transit pour l’acheminement de l’argent et des personnes du Golfe Persique vers le Pakistan et l’Afghanistan.[5]

Plus récemment, lors de l’annonce du retrait des États-Unis de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien, le président Trump affirme que « le régime iranien est le principal État à soutenir la terreur… », soulignant le soutien de l’Iran aux « mandataires et milices terroristes comme le Hezbollah, le Hamas, les Talibans et al-Qaïda ».[6] Dans sa liste de demandes de changements dans le comportement iranien, le secrétaire d’État Mike Pompeo appelle l’Iran à « mettre fin au soutien aux talibans et aux autres terroristes en Afghanistan et dans la région, et à cesser d’héberger les hauts dirigeants d’al-Qaïda ».[7]

… Reçues avec scepticisme par des analystes plus nuancés

Ce genre d’affirmation de la part des décideurs politiques américains est généralement reçu avec scepticisme, et les analyses de chercheurs sont plus partagées dans leurs évaluations. Certains considèrent l’Iran et Al-Qaïda comme des ennemis implacables, soulignant leurs profondes différences idéologiques et leurs objectifs régionaux contradictoires. D’autres chercheurs ont constaté que l’Iran et Al-Qaïda étaient prêts à s’engager dans des formes de coopération tactique de bas niveau malgré l’animosité qu’ils entretiennent.[8]

Revenir sur la vie d’al-Masri au sein du djihad nous permet de faire la lumière sur la nature de la relation entre la république et le groupe armé, qui oscille entre des périodes d’hostilité et d’accommodement prudent.

Al-Masri était l’un des membres fondateurs d’al-Qaïda. Il s’est en effet engagé dans la guerre d’Afghanistan de 1979-1989 comme mujahideen, et quand, à la fin de la guerre, l’Égypte interdit le retour des mujahideen, il reste en Afghanistan où il rejoint finalement Ben Laden dans le groupe qui allait devenir le noyau fondateur d’Al-Qaïda. Il est inscrit sur la liste du groupe comme le septième de ses 170 fondateurs.[9]

Ben Laden en 1989 avec des mujahideen alors qu’il recrute pour son groupe terroriste. Source New York Times (https://www.nytimes.com/2011/05/02/world/02osama-bin-laden-obituary.html)

Années 90 : Du rapprochement à la coopération à la tolérance passive

Durant l’hiver 1991-1992, Ben Laden déplace la base d’opérations de son organisation de l’Afghanistan vers la capitale soudanaise, Khartoum, sur invitation du politicien islamiste Hassan al-Tourabi. Al-Masri et Saif al-Adel, un autre dirigeant important d’al-Qaïda, commencent à former militairement les personnes associées à al-Qaïda en Somalie et au Soudan.

C’est à cette époque que les premiers contacts entre l’Iran et al-Qaïda commencent. Al-Tourabi accueille alors un large éventail de groupes islamistes au Soudan dans le but de créer une confédération internationale du djihad. Il souhaite donc persuader les groupes sunnites et chiites de mettre de côté leurs divisions et de lutter contre leurs ennemis communs, et il met en contact des agents d’al-Qaïda et d’Iran. Peu après, les membres d’al-Qaïda s’entraînent à la fois en Iran et dans la vallée de la Bekaa au Liban auprès du Hezbollah, milice sponsorisée par l’Iran. Ben Laden aurait été particulièrement intéressé par l’utilisation des camions piégés, innovation de l’époque du Hezbollah pour attaquer les Marines américains, les forces françaises et l’ambassade américaine à Beyrouth.[10]

Les résultats de cette formation sont évidents dans les attaques de 1998 contre les ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie: al-Qaïda utilise les méthodes du camion piégé et d’événements simultanés et géographiquement séparés, tactiques qui étaient jusqu’alors uniquement employées par le Hezbollah.[11] Ces attaques sont planifiées par al-Masri, qui a été placé à la tête des cellules d’Afrique de l’Est en 1996 lorsque le commandement d’al-Qaïda retourne en Afghanistan. Le succès de l’attaque vaut à al-Masri d’être nommé l’un des neufs membres du conseil de la shu’ra, l’organe directeur de l’organisation.[12]

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La secrétaire d’État des États-Unis parle avec un membre du FBI devant l’ambassade en Tanzanie. On voit dans le fond le camion-citerne utilisé pour l’explosion. Source : CNN (https://edition.cnn.com/2013/10/06/world/africa/africa-embassy-bombings-fast-facts/index.html)

Le retour en Afghanistan s’accompagne également de la création d’une alliance entre al-Qaïda et les Talibans, alors ennemis jurés de l’Iran. Cette alliance est l’un des facteurs qui refroidit à nouveau les relations entre l’Iran et al-Qaïda. Il semble néanmoins que jusqu’en 2001 les membres d’al-Qaïda sont en mesure d’utiliser l’Iran comme voie de passage pour se rendre en Afghanistan. Les analystes ne sont pas certains si le gouvernement iranien lui-même permet cela, ou si des individus au sein du régime, appartenant plus spécifiquement à la branche des renseignements des Gardiens de la Révolution, facilitent le passage de leur propre chef sans que les échelons supérieurs donnent leur aval ou soient même au courant.[13]

Post attentats de 2001 : rapports de force et négociations pour échanges de prisonniers

À la suite de l’invasion américaine de l’Afghanistan en 2003, al-Masri, et de nombreux autres membres d’al-Qaïda s’enfuient en Iran et se cachent dans la ville de Shírāz. Ils sont rapidement arrêtés par les autorités iraniennes, qui déportent rapidement les soldats mais conservent la garde des personnalités les plus importantes, dont al-Masri et des membres de la famille de Ben Laden. Al-Masri n’est apparemment jamais interrogé – ce qui semble indiquer que l’Iran veut les détenir non pas pour des renseignements mais comme monnaie d’échange dans un effort pour contrôler la menace potentielle d’Al-Qaïda.[14]

Cette supposition est étoffée par le fait qu’en 2007 al-Qaïda ouvre des négociations avec l’Iran pour la libération des prisonniers. Cela conduit à la libération de plusieurs membres de la famille de Ben Laden en 2011, et de cinq dirigeants d’al-Qaïda – dont al-Masri et Saif al-Adel – en 2015. Chaque fois, les prisonniers sont échangés contre des diplomates iraniens enlevés par al-Qaïda.

Des dirigeants d’al-Qaïda restent en Iran, soutien d’individus isolés ou du gouvernement ?

Saif al-Adel et al-Masri décident de rester en Iran, et différents rapports d’intelligence ont confirmé que depuis leur libération, al-Masri et Saif al-Adel ont continué à exercer leurs rôles de décideurs de haut-rang pour al-Qaïda depuis l’Iran. Notamment un compte-rendu de l’Équipe des Nations-Unies chargée de surveiller les sanctions contre Daech et al-Qaïda, rapporte les faits suivants :

«Des États Membres signalent qu’Aiman al-Zawahiri [le chef d’al-Qaïda depuis l’élimination de Ben Laden], en partie par l’entremise de hauts responsables d’al-Qaïda basés en République islamique d’Iran, à savoir Abu Muhammad Al-Masri et Sayf Al-Adl (Qdi.001), est en mesure d’influer sur la situation dans le nord-ouest de la République arabe syrienne. »[15]

Cette volonté supposée de l’Iran de laisser al-Qaïda opérer sur son sol ne devrait pas être surprenante, car l’Iran a une longue histoire de soutien aux groupes militants qui ne partagent pas sa vision idéologique afin de répondre aux priorités opérationnelles, comme la lutte contre ses ennemis.[16] Des analystes estiment néanmoins que le gouvernement  iranien n’est lui-même probablement pas impliqué dans le soutien à al-Masri et al-Adel qui leur permet de continuer à opérer depuis le sol iranien, mais qu’il s’agit plutôt du fait d’individus sympathiques à l’organisation.

Al-Qaïda a toujours mis l’accent sur son désalignement idéologique avec Téhéran

Enfin, il est important de comprendre que stratégiquement, al-Qaïda ne peut de son côté pas se permettre de trop grands rapprochements avec l’Iran : les préceptes idéologiques d’al-Qaïda méprisent en effet les chiites. Si la lutte contre l’Iran et les chiites n’est pas une priorité des dirigeants d’al-Qaïda, certains des membres du groupe leur vouent une haine farouche, et les volontaires chercheraient d’autres dirigeants s’ils croyaient que les chefs d’al-Qaïda travaillaient étroitement avec la théocratie chiite iranienne. Par conséquent, al-Qaïda a toujours mis l’accent sur son désalignement idéologique avec Téhéran, et s’est toujours tenu à l’écart d’une collaboration trop étroite avec l’Iran.[17]

Conclusion : accommodation pragmatique limitée, probablement pas une réelle coopération

En suivant la vie d’al-Masri au sein d’al-Qaïda, de l’Afghanistan au Soudan et jusqu’en Iran, nous voyons donc que les seules occurrences connues de réelle coopération entre l’Iran et al-Qaïda datent d’avant 2001 et les attentats du 11 septembre – auxquels, faut-il le rappeler, aucun citoyen iranien n’a participé, contrairement à ce que le président Bush semblait alors croire. Depuis lors, l’animosité idéologique entre la république islamique et le groupe armé a repris le dessus, en témoigne l’arrestation des agents d’al-Qaïda en 2003. Un doute persiste sur le niveau de tolérance de l’Iran envers les activités sur son sol d’individus comme al-Masri depuis leur libération en 2015, mais il s’agirait au plus d’une accommodation pragmatique à des niveaux limités. On ne saurait donc parler de coopération, et encore moins de connivence.


[1] https://www.nytimes.com/2020/11/13/world/middleeast/al-masri-abdullah-qaeda-dead.html

[2] https://apnews.com/article/embassies-israel-iran-dar-es-salaam-tanzania-1df82848c97cb11f0d82f50055faf7b5

[3] https://en.mfa.ir/portal/NewsView/617038

[4] Bryce Loidolt (2020): Al-Qaeda’s Iran Dilemma: Evidence from the Abbottabad Records, Studies in Conflict & Terrorism, DOI: 10.1080/1057610X.2020.1780011

[5] https://www.nytimes.com/2011/07/29/world/29terror.html?

[6] https://www.whitehouse.gov/briefings-statements/remarks-president-trump-joint-comprehensive-plan-action/

[7] https://www.state.gov/after-the-deal-a-new-iran-strategy/

[8] Loidolt (2020): Al-Qaeda’s Iran Dilemma, 1

[9] https://ctc.usma.edu/next-line-lead-al-qaida-profile-abu-muhammad-al-masri/

[10] Paul Hastert (2007) Al Qaeda and Iran: Friends or Foes, or Somewhere in Between?, Studies in Conflict & Terrorism, 30:4, 327-336, DOI: 10.1080/10576100701200132

[11] Ibid.

[12] https://ctc.usma.edu/next-line-lead-al-qaida-profile-abu-muhammad-al-masri/

[13] Hastert, Al Qaeda and Iran, 332

[14] https://ctc.usma.edu/next-line-lead-al-qaida-profile-abu-muhammad-al-masri/

[15] “Vingt-deuxième rapport de l’Équipe d’appui analytique et de surveillance des sanctions présenté en application de la résolution 2368 (2017) concernant l’État islamique d’Iraq et du Levant (Daech), Al Qaida et les personnes et entités qui leur sont associées”, S/2018/705, https://www.un.org/sc/ctc/news/document/s-2018-705-twenty-second-report-analytical-support-sanctions-monitoring-team-submitted-pursuant-resolution-2368-2017-concerning-isil-daesh-al-qaida-associated/

[16] Nelly Lahoud, Stuart Caudill, Liam Collins, Gabriel Koehler-Derrick, Don Rassler, and Muhammad al-Ubaydi, Letters from Abbottabad: Bin Ladin Sidelined? (West Point, NY: The Combating Terrorism Center, 2012)

[17] Loidolt (2020): Al-Qaeda’s Iran Dilemma, 4

Non, en Syrie, la guerre n’est pas finie !

Après huit années de conflits aux multiples facettes, le redressement de la Syrie est encore lointain. Les ingérences perdurent, les poches de djihadistes sont encore présentes, et ce malgré le silence complice des médias occidentaux. Récemment, en raison de l’offensive sur Idlib, les États Unis accentuent et durcissent les pressions diplomatiques et sanctions économiques sur Damas et ses alliés.

Un quotidien ordinaire?

Il est vain de penser que la page de la guerre est tournée. L’illusion d’une vie normale n’est que le miroir des aspirations syriennes. Pourtant, il est vrai, la vie reprend son court dans une majeure partie de la Syrie. Les habitants, habitués à l’insécurité et aux bombardements, renouent tant bien que mal avec leur quotidien d’antan. Les bars et les restaurants réouvrent progressivement et la coexistence communautaire semble demeurer intacte. Leur hantise est de connaître le scénario libanais avec sa stricte division territoriale et religieuse. De nombreux habitants me témoignent avec fierté et attachement « avant la guerre, la Syrie était un paradis ». Enracinée dans un patriotisme viscéral, la population des villes veut faire fi des horreurs de la guerre. Aujourd’hui, force est d’admettre que la solidité du gouvernement syrien réside dans la nostalgie de son peuple. Nostalgie alimentée par un discours baathiste bien rodé sur l’unité arabe et contre l’impérialisme “americano-sioniste”. Damas manie à la perfection la démagogie orientale. La sémantique est précise et reprend soigneusement les problématiques fédératrices régionales.

Cependant, et c’est là que réside le cœur du problème, la guerre est loin d’être terminée. Les lois d’amnisties ne sont qu’un leurre. Les populations ayant résisté avec l’aide de l’armée syrienne se voient aujourd’hui contraintes de tendre la main à leurs ennemis d’hier. Pour la plupart d’entre elles, c’est un coup de couteau dans le dos. Mais le gouvernement peut il faire autrement, s’il souhaite sanctuariser son territoire au détriment de sa politique des minorités ?

Une résistance djihadiste entretenue

Aujourd’hui, la communauté internationale et ses relais locaux sont pointés du doigt par une population à bout de souffle dans les régions limitrophes d’Idlib. Le dernier bastion terroriste n’est pas tombé comme s’en vante la presse internationale. Il est encore massivement présent dans la banlieue et campagne d’Idlib, qui s’étend à l’est vers Alep, à l’ouest vers Lattaquié, au Sud vers Hama et au Nord sur la frontière turque. Selon les habitants environ 50 000 djihadistes résident encore dans cette région, majoritairement issus de la mouvance de Hayat Tahrir al-Sham (anciennement Al-Nosra). Ces derniers violent régulièrement les cessez-le-feu qu’ils ont eux-mêmes demandés par le biais de la Turquie. Cette zone est quadrillée par des postes d’observations, à l’intérieur du côté djihadiste par les Turcs et à l’extérieur par les Russes et ce à la demande du gouvernement syrien.

Depuis le lancement de l’offensive russo-syrienne sur la localité d’Idlib en avril dernier, de nombreux villages ont été repris par les forces armées syriennes. C’est le cas de plusieurs villages chrétiens de Mhardé et de Squellbiyé ainsi que des zones alaouites et ismaéliennes qui ont fait l’objet d’importantes pertes civils et matériels. Subissant les bombardements aléatoires depuis le début du conflit, ces zones ont formé différentes milices pour suppléer le rôle de l’armée afin de se défendre. « Les forces de défense patriotique », milice chrétienne, défendent héroïquement leur ville. Ils reçoivent officiellement l’aide russe et officieusement l’aide iranienne. À peine plus âgés que 20 ans, les miliciens ont du abandonner leurs études ou leurs travails pour prendre les armes. Durant 8 ans, ils ont empêché la jonction entre Idlib et la ville d’Hama, principal foyer des Frères musulmans en Syrie.

Certains civils regrettent le temps d’Hafez Al Assad, affirmant qu’avec lui, la guerre n’aurait duré qu’un mois. Certains me confirment avec véhémence « à cause des puissances occidentales, cette guerre dure depuis 8 ans, et elle a fait plus de 350 000 morts, en 1982 il y avait pas les droits de l’Homme pour s’ingérer dans notre pays ». En effet, dès que les djihadistes d’Idlib se sentent acculés, ils font pression sur leurs parrains turcs pour imposer un énième cessez le feu. Monsieur Simon, chef de guerre dans le village de Mhardé, déclare « depuis 2016, on peut les renvoyer jusqu’à la frontière turque ». Le dénouement du conflit dépend plus du bon-vouloir des grandes puissances que des forces en présence. Malheureusement pour les Syriens, certaines puissances ont intérêt à ce que le conflit s’éternise.

Dernièrement, le Président américain, Donald Trump a ordonné l’arrêt immédiat des combats à Idlib sous peine d’une réponse violente de la part du Pentagone. Pourtant, aujourd’hui, force est d’admettre que les affirmations des dirigeants occidentaux ne font pas preuve. Récemment, Wikileaks a révélé des documents qui démentent catégoriquement les mensonges sur l’attaque chimique de 2018 à Douma. Prétexte fallacieux qui avait donné lieu aux bombardements de la Syrie en avril 2018 par les États-Unis, la France et la Grande Bretagne.

La Syrie est l’exemple contemporain d’une guerre de l’informations. Par le biais des relais locaux et des réseaux sociaux, deux versions se font face. Deux grilles de lectures totalement opposées modèlent les relations internationales. D’un côté les médias occidentaux, dans une posture droit de l’hommiste et émotionnelle, montrent en boucle les nombreux habitants fuyant les bombardements d’Idlib pour incriminer Bachar al Assad et de ses alliés. De l’autre, les médias russes, iraniens et certaines chaînes arabes, dans une logique de pure realpolitik, stipulent que cette offensive russo-syrienne vise à annihiler la dernière menace terroriste présente en Syrie.

Des sanctions qui accentuent la crise.

La récente réouverture de l’ambassade Emiratis à Damas, suivie prochainement de celle du Bahreïn n’est qu’un nouveau repositionnement stratégique. La course aux investissements étrangers est lancée. Le Golfe ne veut pas rater une occasion de contrarier les intérêts iraniens au Levant.

L’histoire se répète. La stratégie néoconservatrice américaine refait des siennes avec le scénario syrien. Bachar Al Assad est toujours Président de la République arabe syrienne. Or l’administration de Donald Trump, sous la pression de l’AIPAC (American Israel Public Affairs Committee), suivie par les Européens et les principales monarchies du Golfe, veut asphyxier économiquement la Syrie par le jeu des sanctions. À l’instar des sanctions imposées à l’Iraq dans la décennie 90, ces dernières ont pour conséquence d’appauvrir le peuple à défaut de faire tomber son Président.

En plus de ne pas jouir pleinement de l’intégralité de ses zones pétrolières, la Syrie subit de plein fouet une augmentation des prix du pétrole et du gaz. Pourtant, le Nord-Est syrien est riche en or noir. Toutefois, cette région est toujours contrôlée par les milices arabo-kurdes et massivement soutenues par les Occidentaux qui y maintiennent des forces spéciales. Dès que l’armée gouvernementale syrienne tente de se rapprocher de la région au Nord-Est de l’Euphrate, elle subit des raids aériens sur ses positions.

Dans son style erratique, le Président américain, Donald Trump a le mérite de parler à visage découvert. Il a affirmé que la présence de troupes américaines en Syrie était principalement liée au contrôle des puits de pétrole.

Tout comme le dossier iranien, les sanctions occidentales n’ont pas l’effet escompté. Le peuple ne se retourne pas massivement contre son gouvernement. Conscients des difficultés sociales et économiques, les habitants connaissent les tenants et les aboutissants des sanctions. Dans une région aussi instable que le Moyen-Orient, les ingérences ont façonné le cours des deux derniers siècles. Cette sémantique anti-occidentale est reprise par les relais médiatiques locaux, à l’instar de l’agence de presse officielle du gouvernement syrien Sana ainsi qu’Al Manar et Al Mayadeen, respectivement proche politiquement de Téhéran et de Damas. C’est un sujet quasi-consensuel, les Syriens affirment que « Les États-Unis et leurs alliés veulent créer une deuxième révolution parce qu’ils n’ont pas réussi avec la première ».

Une chose est sûre, « l’axe de la résistance », de Téhéran à Beyrouth en passant par Damas, sape les objectifs de l’alliance Riyad- Washington- Tel-Aviv. Les sanctions sont là pour rappeler que l’administration américaine agit à sa guise quand ses intérêts sont en danger, quitte à étouffer les populations locales…