Les Houthis: une milice chiite yéménite au service de l’Iran ? (Partie 2/2)

L’histoire du Yémen est un imbroglio religieux et politique, résultat d’une succession de guerres et de colonisations menées par différentes puissances. Jamais réellement uni, le pays le plus pauvre du Moyen-Orient, subit au gré des périodes les influences des différentes mouvances salafistes, marxistes et chiites révolutionnaires… Les Chiites du pays, en proie à la marginalisation à l’instar des Chiites libanais dans les années 70, ont oeuvré à la renaissance de leur communauté zaydite à travers une révolution culturelle et une présence politique.

De mouvement intellectuel dans les années 80-90, il s’est transformé en une redoutable milice armée suite aux différents affrontements contre le pouvoir central à partir de 2004. De surcroît, l’intervention de la coalition arabe au Yémen depuis 2015, menée par l’Arabie saoudite, se révèle être un véritable bourbier économique et militaire. Le but initial était de saper rapidement l’influence iranienne dans ce pays limitrophe. Or, aujourd’hui en raison de la durée du conflit, des bombardements aléatoires de la coalition et du mutisme des dirigeants occidentaux, l’opinion internationale s’émeut et se scandalise face à cette guerre sous médiatisée.

Arabie saoudite- Iran : guerre par procuration au Yémen …

Au lendemain des affrontements en 2010, le pouvoir central est déliquescent. La contagion du « Printemps arabe » arrive au Yémen. De surcroît, la majeure partie de la population se soulève pacifiquement pour contester le manque de légitimité du gouvernement de Sanaa. C’est une aubaine pour les Houthis. Dans un premier temps, ils se greffent à ce mouvement fédérateur afin de s’intégrer sur l’échiquier politique national. Or, le projet de dialogue national pour une transition politique s’effectue sous l’égide des pays du Golfe, donc profondément opposé aux rebelles houthis. Dès lors, Ansar Allah ne reconnaît pas l’autorité du nouveau Président Abdrabbo Mansour Hadi. De son côté, l’ancien Président Saleh se rallie à ses anciens ennemis pour récupérer le pouvoir. En effet, les partisans de ce dernier fournissent aux Houthis de nombreux équipements militaires. Ceci permet dès 2014, au mouvement zaydite de sanctuariser ses acquis territoriaux tout en progressant rapidement vers la capitale Sanaa. Le mouvement devient peu à peu une puissance militaire capable de se déployer et de contrôler plusieurs régions stratégiques.

 En septembre 2014, les Houthis contrôlent plusieurs quartiers de la capitale. Le Président Hadi est contraint de fuir à Aden puis de se réfugier en Arabie saoudite. La situation est délétère. La mouvance terroriste (Al-Qaïda au Yémen ainsi que Daech) s’immisce durablement dans les affaires internes du pays. Elle diligente des attentas dans les mosquées zaydites pour se débarrasser de « ces chiites hérétiques ».

De plus, les évènements régionaux ont un impact sur la situation locale. L’accord sur le nucléaire iranien en juillet 2015 contrarie durement les desseins saoudiens. Pour eux, il faut impérativement lutter contre toute forme d’influence iranienne au Moyen-Orient, quitte à financer la nébuleuse djihadiste. C’est à partir de cette époque, qu’une coalition arabe regroupant 9 pays (Arabie saoudite, Bahreïn, Égypte, les Émirats Arabes Unis, Jordanie, Koweït, Maroc et Soudan) intervient militairement pour mettre fin à la rébellion houthis. Cette coalition reçoit l’aide matérielle et logistique non négligeable des Etats-Unis, de l’Angleterre, de la France et d’Israël. Les nombreux bombardements aléatoires sur les villages zaydites poussent de nombreuses tribus à rejoindre le mouvement houthis.

En raison de la durée des combats et de l’urgence de la situation humanitaire sur place, l’ancien Président Saleh se rapproche de l’Arabie saoudite pour tenter de négocier. Véritable pied de nez aux Houthis, il est assassiné en décembre 2017 lors d’un attentat, commis assurément par la rébellion zaydite.

À l’échelle régionale, les Houthis rejoignent « l’axe de la résistance » formé par l’Iran, les milices irakiennes chiites, l’armée syrienne de Bachar Al-Assad, le Hezbollah libanais et la résistance palestinienne. Les discours d’Abdul Malik Al-Houthi, leader du mouvement, corroborent cette analyse. L’idéologie anti-impérialiste iranienne s’enracine durablement dans les couches populaires zaydites. C’est dans une logique de chiisme politique révolutionnaire que l’Iran pérennise un réseau d’alliance hostile aux Etats-Unis, à Israël et à l’Arabie saoudite. De son côté, la coalition arabe, menée par Riyad, est engluée dans une guerre interminable qu’elle ne peut gagner. Les investissements massifs dans les armements européens contrastent avec le manque de résultat sur le terrain. Au contraire, ce sont mêmes les Houthis qui infligent de lourds dégâts à la coalition. C’est une défaite psychologique et militaire pour les principaux pays du Golfe.  Récemment, devant l’enlisement de la situation, ils ont été contraints d’envoyer une délégation pour négocier avec la rébellion.

Sur fond de rivalité irano-américaine

Grand allié de l’Arabie saoudite, Washington veut saper l’influence iranienne au Moyen-Orient, et cela passe par un soutien inconditionnel à l’offensive de Riyad contre les Houthis.  Néanmoins, cette guerre est plus longue et plus couteuse que prévue. La coalition arabe est embourbée au Yémen, les objectifs ne sont pas atteints, et pire encore, la rébellion yéménite inflige de nombreux dégâts aux troupes saoudiennes. Ansar Allah arrive même à bombarder des infrastructures pétrolières d’Aramco à Jeddah[1].

Plus l’Arabie saoudite s’enlise dans ce conflit, plus les Houthis sanctuarisent leurs acquis territoriaux. Ces derniers profitent des faiblesses de leurs ennemis régionaux pour avancer leurs pions. Perçus comme le bras armé de l’Iran, cette milice a pourtant une logique yéménite nationaliste. Compte tenu des ingérences extérieures et des nombreux bombardements, plusieurs tribus adhérent et soutiennent la résistance houthistes dans leur lutte pour la défense de la souveraineté nationale[2].

À l’échelle régionale, les récents accords entre les Émirats arabes unis et Israël confirment la rhétorique d’Ansar Allah comme quoi ils combattent « l’ennemi sioniste ». Washington a récemment déclaré son intention de placer la rébellion yéménite sur la liste des organisations terroristes[3]. Officieusement, c’est un moyen pour justifier la durée des combats et donc la vente d’armes à Abu Dhabi et à Riyad.

Aujourd’hui, force est de constater que la résistance Houthis est devenu un acteur incontournable de la scène régionale. En raison du mutisme des grands médias, ce mouvement est souvent assimilé au bras armé de l’Iran au Yémen, à l’instar du Hezbollah au Liban. Or, pour comprendre les desseins politiques de l’organisation, il faut se plonger dans l’histoire du zaydisme jusqu’à la révolution de 1962.

À la suite de la révolution iranienne en 1979, l’Iran parrainait cette communauté sous le prisme d’un éveil intellectuel et spirituel. Au gré des évènements et des tensions avec le pouvoir central, cette communauté s’est muée en une milice défendant son histoire et son identité pour l’intégrer sur l’échiquier national.

L’intervention de la coalition arabe déclenchée en 2015 est désastreuse. Elle a fait plus de 100 000 morts. La situation humanitaire est catastrophique. Cependant, les Houthis en sont les grands vainqueurs au détriment d’une coalition, menée par Riyad, de plus en plus critiquée par l’opinion internationale. En effet, Ansar Allah contrôle un quart du pays, et à peu près les deux tiers du « Yémen utile ». Les différents partis souhaitent dominer la zone du golfe d’Aden et le port d’Hodeidah, véritables zones stratégiques pour l’activité économique de la région. Or, l’issue du conflit semble incertaine tant les initiatives militaro-diplomatiques restent tributaires des exigences contradictoires des nombreux belligérants.

Le succès des Houthis résulte donc plus de l’incompétence de ses ennemis intérieurs et extérieurs que du prétendu et affirmé « soutien iranien ».

Bibliographie:

– Saoud El Mawla, « Le mouvement houthite au Yémen: d’une minorité politico-religieuse à une stratégie d’hégémonie », Maghreb-Machrek, 2018, p. 69-103

– François Frison-Roche, « Yémen: imbroglio politico-juridique, désastre humanitaire, impasse militaire », Institut français des relations internationales, 2017, p. 91-101

– Camille Verleuw, « Le chiisme paramilitaire », sécurité globale, 2017, p. 35-157


[1] https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20201124-arabie-saoudite-les-rebelles-houthis-revendiquent-l-attaque-d-une-installation-p%C3%A9troli%C3%A8re

[2] https://orientxxi.info/magazine/yemen-avec-de-tels-ennemis-les-houthistes-n-ont-pas-besoin-d-amis,4247

[3] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1751352/yemen-etats-unis-houthis-terroristes-donald-trump

Les Houthis: Une milice chiite yéménite au service de l’Iran ? (Partie1/2)

L’histoire du Yémen est un imbroglio religieux et politique, résultat d’une succession de guerres et de colonisations menées par différentes puissances. Jamais réellement uni, le pays le plus pauvre du Moyen-Orient, subit au gré des périodes les influences des différentes mouvances salafistes, marxistes et chiites révolutionnaires… Les Chiites du pays, en proie à la marginalisation à l’instar des Chiites libanais dans les années 70, ont oeuvré à la renaissance de leur communauté zaydite à travers une révolution culturelle et une présence politique.

De mouvement intellectuel dans les années 80-90, il s’est transformé en une redoutable milice armée suite aux différents affrontements contre le pouvoir central à partir de 2004. De surcroît, l’intervention de la coalition arabe au Yémen depuis 2015, menée par l’Arabie saoudite, se révèle être un véritable bourbier économique et militaire. Le but initial était de saper rapidement l’influence iranienne dans ce pays limitrophe. Or, aujourd’hui en raison de la durée du conflit, des bombardements aléatoires de la coalition et du mutisme des dirigeants occidentaux, l’opinion internationale s’émeut et se scandalise face à cette guerre sous médiatisée.

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De la fin de l’imanat à la restructuration d’une communauté :

Depuis 890, la communauté zaydite (population chiite du Yémen, ne reconnaissant que 5 imams) fonde un imanat dans la province Nord du Yémen. Cette population chiite ne partage pas les mêmes accointances théologiques et spirituelles que la majorité des Chiites dans le monde. Contrairement aux Chiites duodécimains, ils ne reconnaissent pas 12 imans mais 5 et n’attendent pas l’arrivée du Mahdi (l’imam caché). Cette opposition, les rapproche plus de certains rites sunnites. Majoritairement montagnarde, la population zaydite agit selon des codes et des traditions tribales. Retranchée dans son centre historique de Saada, la communauté zaydite vivait reculée des centres urbains et des plaines. Cette territorialisation explique en grande partie la marginalisation économique et sociale de la communauté à partir de la seconde partie du XXème siècle.

 Un temps conquis par l’Empire ottoman en 1535, les Yéménites zaydites s’opposèrent à l’invasion turque à partir de 1595, avant de retomber sous le joug d’Istanbul en 1872. Quant à elle, la partie Sud du pays tomba sous l’occupation britannique en 1830. Suite à la chute de l’Empire ottoman, le Yémen du Nord devient indépendant et constitue une monarchie de rite zaydite.

Dans un contexte d’essor du panarabisme sous l’ère de Gamal Abdel Nasser, le Yémen subit les contrecoups de la politique extérieure nassérienne. En effet, en 1962, Nasser envoie des troupes égyptiennes pour mettre fin à la monarchie zaydite afin d’instaurer une république. La même année, est proclamée la République arabe du Yémen. La révolution de 1962 marque la fin de l’imanat zaydite et de leurs prérogatives politiques. Cette date, est perçue comme une humiliation pour toute une communauté qui tentera au gré des évènements régionaux de se restructurer, de se régénérer pour lutter contre un gouvernement injuste (d’où la notion importante de rébellion dans les préceptes du zaydisme). Dès lors, les principaux pouvoirs passent aux mains des officiers de l’armée soutenus par l’Egypte. De son côté, le Yémen Sud devient indépendant en 1967 et rejoint l’axe soviétique en adoptant une politique marxiste. Plusieurs guerres fratricides opposent le Nord au Sud dans les années 70-80.

C’est en 1990, que les deux parties se réunissent pour former la République du Yémen sous la présidence d’Ali Abdallah Saleh. De ce fait, s’ensuit une lente et progressive marginalisation de la communauté zaydite du pays. Majoritaire au sein du Yémen Nord, les Zaydites deviennent minoritaires en raison de l’unification des deux régions. En effet, ils représentent 40% de la population et les Sunnites 60%.

La révolution islamique d’Iran : le nouvel éveil zaydite 

Dès 1979, l’émergence d’un chiisme politique révolutionnaire transcenda les frontières. Au Yémen, la communauté zaydite, nouvellement écartée du pouvoir politique depuis la révolution 1962, entend profiter de ce soulèvement pour s’affirmer politiquement sur la scène locale. Au début des années 80, les habitants du Nord du pays s’organisent. Ils créent un mouvement intellectuel politique dissident, calqué sur l’idéologie iranienne. Ils se nomment la jeunesse croyante (al Chabab al-mu’min). L’objectif initial est la refonte d’une identité culturelle et spirituelle chez les jeunes zaydites.

Ce bouillonnement intellectuel doit s’opposer à l’essor du salafisme sunnite dans la région. Le centre du mouvement se situe dans la ville historique de Saada, non loin de celui des salafistes qui se trouve à Damaj. En raison de l’unification du pays, le mouvement se mue petit à petit en un projet politique pour réintégrer la communauté dans le champ institutionnel. Le pluralisme permet aux zaydites de participer aux élections. Leur parti politique se nomme le parti du droit (Hezb al Haq). À l’instar du parti Amal au Liban dans les années 70, ce parti tente de représenter la communauté sous le prisme du politique afin de démarginaliser culturellement et économiquement cette population montagnarde.

Le résultat des élections de 1993 n’a pas les effets escomptés. Nostalgique du Yémen Nord, Le parti du droit va soutenir les séparatistes du Sud en 1994. Or, les principaux leaders du mouvement Badredinne Al Houthi et son fils Hussein sont contraints d’émigrer en Iran. Une fois sur place, ils multiplient les déplacement entre Téhéran et Beyrouth. Les contacts avec le Hezbollah libanais ont lieu dans la banlieue Sud de la capitale libanaise. Suite à la pression de plusieurs personnalités zaydites, le président Ali Abdallah Saleh les gracie.

Au lendemain des attentas du 11 septembre 2001 et de l’entrée d’Al-Qaïda au Yémen en 2002, le mouvement zaydite adopte une attitude plus régionale, plus vindicative à l’égard de l’Occident. La formulation du slogan témoigne assurément de ce changement : « Dieu est grand, mort à l’Amérique, mort à Israël, malédiction aux juifs, victoire de l’Islam ». Ce tournant coïncide également avec la politique d’éviction des chefs zaydites par le président Saleh.

L’intervention américaine en Irak en 2003 attise les tensions dans tout le Moyen-Orient. À Saada, fief des Houthis, est organisé une manifestation monstre contre l’occupation illégale. Les tensions s’accentuent et plusieurs accrochages éclatent entre la rébellion zaydite et le pouvoir central en 2004. La même année, le leader du mouvement Hussein Badredinne Al-Houthi meurt. Le mouvement zaydite prend définitivement le nom de « Houthi » après la mort de son chef et se livre à une véritable guérilla contre le gouvernement de Sanaa.

Jusqu’en 2010, les troupes gouvernementales et Ansar Allah (Les partisans de Dieu– autre nom des Houthis) s’engagent dans une véritable guerre civile. L’intensité des combats varie au gré des périodes de pourparlers. Les partisans du Président Saleh n’hésitent pas à s’allier avec les mouvances djihadistes du Sud pour annihiler la rébellion zaydite. C’est à partir de cette époque, que les gardiens de la révolution iranienne ainsi que les services de renseignements iraniens (Vevak) fournissent matériels et entraînements aux Houthis dans des bases secrètes en Érythrée.

Le conflit se régionalise encore un peu plus avec l’intervention de l’Arabie saoudite pour épauler le Président Saleh. Les bombardements ciblent les quartiers houthis au Nord du pays. Le gouvernement de Sanaa est littéralement pris en étau entre d’une part la rébellion zaydite du Nord, les mouvements marxistes séparatistes du Sud et l’hydre djihadiste qui sanctuarise plusieurs zones limitrophes avec l’Arabie saoudite. Le 25 novembre 2010, le leader spirituel du mouvement, Badredinne Al-Houthi, est assassiné par Al-Qaïda.

Bibliographie:

– Saoud El Mawla, « Le mouvement houthite au Yémen: d’une minorité politico-religieuse à une stratégie d’hégémonie », Maghreb-Machrek, 2018, p. 69-103

– François Frison-Roche, « Yémen: imbroglio politico-juridique, désastre humanitaire, impasse militaire », Institut français des relations internationales, 2017, p. 91-101

– Camille Verleuw, « Le chiisme paramilitaire », sécurité globale, 2017, p. 35-157

Et si le Coronavirus était un facteur de paix et de stabilité au Moyen-Orient ?

La pandémie du Covid-19 plonge notre monde dans une instabilité et un chaos colossal. Partout, les systèmes de santé sont soumis à rude épreuve et les prévisions désastreuses pour l’économie mondiale font craindre un krach boursier et une baisse de la croissance généralisée.

Pourtant au Moyen-Orient, du Yémen à la Syrie en passant par l’Irak, le coronavirus semble favoriser la paix. Un peu partout dans la région, des cessez-le-feu sont signés entre les différents belligérants, les troubles sociaux peinent à fédérer face à la panique globalisée et certaines troupes étrangères annoncent un retrait partiel de leurs forces. Est-ce le prélude d’une nouvelle ère ou une simple accalmie temporaire ?

Soldat syrien en période de coronavirus

Un répit pour le Yémen ?

Depuis 2015, la coalition arabe menée par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis s’est lancée dans une guerre dévastatrice au Yémen contre la milice des houthis soutenue par l’Iran, qui a renversé le pouvoir central de Sanaa. Dès lors, on assiste à une guerre de positions pour le contrôle des lieux stratégiques.

Cette intervention déclenchée en 2015 est désastreuse. Elle a fait plus de 100 000 morts et la situation humanitaire est catastrophique. Cependant, les Houthis en sont les grands vainqueurs au détriment d’une coalition de plus en plus critiquée par l’opinion internationale. En effet, Ansar Allah (autre nom des Houthis) contrôle un quart du pays, et à peu près les deux tiers du « Yémen utile ». Devant l’enlisement de la situation, des pourparlers ont été menés pour négocier un arrêt des combats.

Après le retrait des forces émiratis du pays en février 2020, l’Arabie saoudite engluée dans le bourbier yéménite, souhaite en sortir et ce en pleine pandémie du coronavirus. Sous la pression des organisations internationales et préoccupées à contenir la prolifération du virus dans le royaume, Riyad a décrété un cessez-le-feu unilatéral en début avril[1]. De leur côté les rebelles Houthis, en position de force et voulant consolider leurs acquis, ont refusé la proposition saoudienne[2].

À ce jour, l’Arabie saoudite compte 12 072 cas confirmés de Covid-19 et 114 décès alors que le Yémen vient de déclarer son premier cas.

En Syrie : le calme avant la tempête ?

Depuis le 5 mars 2020, la Russie et la Turquie ont signé un énième cessez-le-feu mettant fin à l’offensive russo-syrienne sur la localité d’Idlib. Damas et Moscou veulent sanctuariser l’intégralité du territoire syrien et cela passe automatiquement par la reprise du dernier bastion djihadiste d’Idlib. Compte tenu de la propagation de l’épidémie dans la région, les combats ont baissé en intensité et les différents belligérants campent sur leurs positions respectives. Nul doute, que les hostilités reprendront une fois que la contagion liée au virus sera jugulée. De surcroît, les Américains et les Européens ont réitéré leur soutien à leur allié turc membre de l’Otan, en vue d’endiguer l’influence russe[3]. En effet, Moscou n’entend pas lâcher Damas et veut faire de la Syrie le Kaliningrad du Moyen-Orient.

Après avoir soutenu massivement l’opposition anti-Assad, les Émirats arabes unis opèrent un changement radical. Ce rapprochement se traduit par la réouverture de l’ambassade émiratie à Damas en décembre 2018. Récemment, le prince héritier d’Abou Dhabi Mohammed Bin Zayed s’est entretenu avec Bachar al-Assad pour soutenir son offensive contre les djihadistes. Ces derniers sont en partie financés par le Qatar et la Turquie dans une logique d’expansion de l’idéologie des Frères musulmans. Or, ce courant est diamétralement opposé au wahhabisme de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis. Donc, cet entretien diplomatique parachève la logique émiratie de contenir l’idéologie frériste au Moyen-Orient. Mohammed Bin Zayed pousse même Bachar al-Assad à briser le cessez-le-feu d’Idlib[4].

Profitant de la crise sanitaire et du retrait partiel des forces occidentales, des djihadistes de Daesh se sont échappés d’une prison gardée par une milice kurde syrienne. Des attentas perpétrés par ces terroristes sont à craindre.

Pandémie ou pas, Israël veut neutraliser l’appareil militaire iranien présent en Syrie. Dernièrement, l’aviation de Tsahal a survolé illégalement et ce à plusieurs reprises l’espace aérien libanais pour bombarder des cibles proches de la ville de Palmyre[5].

À ce jour, 42 cas de Covid-19 sont répertoriés en Syrie pour 3 décès.

Des troubles sociaux mis entre parenthèses ?

Du Liban à l’Irak en passant par l’Iran, de nombreuses manifestations ont secoué les classes dirigeantes à partir d’Octobre 2019. La colère de la rue ciblait le confessionnalisme, la corruption ou tout simplement la tutelle militaire iranienne au Levant. L’expression du mécontentement est rapidement devenu un déversoir contre la politique de Téhéran au Moyen-Orient. En effet, l’Iran tente de former « un axe de la résistance » jusqu’à la Méditerranée s’opposant aux intérêts américains, saoudiens et israéliens dans la région. Les chancelleries de Tel-Aviv, Riyad et Washington apportent un soutien officiel et officieux aux manifestations pour neutraliser et limiter l’influence iranienne.

La récupération de la grogne populaire ne doit pas minorer la situation économique désastreuse de ces pays. Les manifestations sont légitimes et justifiées. Le chômage est endémique, la pauvreté s’accroît et la violence est structurelle. Tous ces éléments font craindre à un embrasement, notamment en Irak. En dépit des promesses de réformes, la classe politique est prise en étau tant à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur.

Au Liban:

La pandémie du coronavirus offre un répit pour les dirigeants. Le pouvoir libanais contesté lors de la Thawra (révolution) cherche tant bien que mal une sortie de crise. En défaut de paiement, le Liban risque de sombrer dans une crise économique et sociale sans précédent. La gestion de la crise sanitaire par le nouveau gouvernement libanais semble porter ses fruits et est louée par les citoyens. D’ailleurs, le Hezbollah participe également à cet effort de lutte contre cette épidémie en offrant ses services, même en dehors de ses bastions. Au lendemain de cette crise, nul doute, que le pays du Cèdre affrontera de nouveau la grogne populaire tant les indicateurs économiques sont au rouge[6]. Déjà, malgré un confinement imposé, des manifestations ont lieu à Tripoli, berceau de la Thawra d’Octobre 2019.

À ce jour, le Liban compte 682 cas confirmés de Covid-19 pour 22 décès.

En Irak:

L’Irak, quant à lui est devenu un État déliquescent où plane le spectre d’une énième guerre civile. La menace du coronavirus a redistribué les cartes. En fermant ses frontières avec l’Iran, la colère anti-iranienne portée par une partie de la population retombe. La présence militaire occidentale tant décriée depuis l’assassinat de Qassem Souleimani en Janvier 2020 se réduit de peur d’être contaminée par le virus. En effet, En raison de plusieurs cas recensés au sein des troupes françaises en Irak, le gouvernement français a également ordonné le retrait de ses troupes en mars dernier[7].

L’épidémie du Covid-19 paralyse la situation et apaise temporairement les tensions entre l’Iran et les Etats-Unis. Et si on assistait à une résurgence de Daesh dans le pays ?

À ce jour, l’Irak comptabilise 1602 cas de Covid-19 pour 83 décès.

Malgré l’épidémie, le maintien des sanctions :

Indépendamment du coronavirus, la Syrie et l’Iran restent soumis à la dureté des sanctions occidentales. La pauvreté rend la population plus vulnérable face au virus. Ce risque humanitaire ne change pas pour autant la position américaine qui maintient les sanctions et ce, en dépit des demandes internationales.

Avec un bilan de 85 996 cas confirmés et 5 391 décès, l’Iran est de loin le pays le plus affecté du Moyen-Orient. Le régime fragilisé, risque gros si l’épidémie se propage davantage. Le pays n’est pas confiné à ce jour, par crainte d’un désastre économique.

En visite à Damas, le ministre des Affaires étrangères iranien Mohammed Zarif et le Président syrien Bachar Al-Assad ont rappelé conjointement dans un communiqué officiel les conséquences destructrices des sanctions sur les deux pays. Damas dénonce également l’iniquité des sanctions et pointe du doigt l’immoralité des pays occidentaux[8].

On pourrait croire, que le coronavirus est capable de rabattre les cartes au Moyen-Orient. Cependant, il est fort à parier, qu’une fois la pandémie disparue, les tensions habituelles reprendront de plus belle…


[1]https://www.lemonde.fr/international/article/2020/04/10/l-arabie-saoudite-annonce-un-cessez-le-feu-au-yemen_6036163_3210.html

[2] https://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-moyen-orient/une-manoeuvre-au-yemen-les-rebelles-rejettent-le-cessez-le-feu-de-la-coalition_2123430.html

[3] https://theconversation.com/idlib-vers-un-rapprochement-entre-la-turquie-et-les-etats-unis-136148

[4] https://www.middleeasteye.net/news/abu-dhabi-crown-prince-mbz-assad-break-idlib-turkey-ceasefire

[5] https://www.lefigaro.fr/international/syrie-9-combattants-proregime-tues-dans-une-frappe-nocturne-menee-par-israel-20200421

[6] https://orientxxi.info/magazine/le-liban-au-bord-du-gouffre,3816

[7] https://www.lemonde.fr/international/article/2020/03/25/coronavirus-la-france-retire-ses-troupes-

d-irak_6034441_3210.html

[8] https://www.lepoint.fr/monde/syrie-rencontre-entre-bachar-al-assad-et-le-chef-de-la-diplomatie-iranienne-20-04-2020-2372164_24.php