Et si le Coronavirus était un facteur de paix et de stabilité au Moyen-Orient ?

La pandémie du Covid-19 plonge notre monde dans une instabilité et un chaos colossal. Partout, les systèmes de santé sont soumis à rude épreuve et les prévisions désastreuses pour l’économie mondiale font craindre un krach boursier et une baisse de la croissance généralisée.

Pourtant au Moyen-Orient, du Yémen à la Syrie en passant par l’Irak, le coronavirus semble favoriser la paix. Un peu partout dans la région, des cessez-le-feu sont signés entre les différents belligérants, les troubles sociaux peinent à fédérer face à la panique globalisée et certaines troupes étrangères annoncent un retrait partiel de leurs forces. Est-ce le prélude d’une nouvelle ère ou une simple accalmie temporaire ?

Soldat syrien en période de coronavirus

Un répit pour le Yémen ?

Depuis 2015, la coalition arabe menée par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis s’est lancée dans une guerre dévastatrice au Yémen contre la milice des houthis soutenue par l’Iran, qui a renversé le pouvoir central de Sanaa. Dès lors, on assiste à une guerre de positions pour le contrôle des lieux stratégiques.

Cette intervention déclenchée en 2015 est désastreuse. Elle a fait plus de 100 000 morts et la situation humanitaire est catastrophique. Cependant, les Houthis en sont les grands vainqueurs au détriment d’une coalition de plus en plus critiquée par l’opinion internationale. En effet, Ansar Allah (autre nom des Houthis) contrôle un quart du pays, et à peu près les deux tiers du « Yémen utile ». Devant l’enlisement de la situation, des pourparlers ont été menés pour négocier un arrêt des combats.

Après le retrait des forces émiratis du pays en février 2020, l’Arabie saoudite engluée dans le bourbier yéménite, souhaite en sortir et ce en pleine pandémie du coronavirus. Sous la pression des organisations internationales et préoccupées à contenir la prolifération du virus dans le royaume, Riyad a décrété un cessez-le-feu unilatéral en début avril[1]. De leur côté les rebelles Houthis, en position de force et voulant consolider leurs acquis, ont refusé la proposition saoudienne[2].

À ce jour, l’Arabie saoudite compte 12 072 cas confirmés de Covid-19 et 114 décès alors que le Yémen vient de déclarer son premier cas.

En Syrie : le calme avant la tempête ?

Depuis le 5 mars 2020, la Russie et la Turquie ont signé un énième cessez-le-feu mettant fin à l’offensive russo-syrienne sur la localité d’Idlib. Damas et Moscou veulent sanctuariser l’intégralité du territoire syrien et cela passe automatiquement par la reprise du dernier bastion djihadiste d’Idlib. Compte tenu de la propagation de l’épidémie dans la région, les combats ont baissé en intensité et les différents belligérants campent sur leurs positions respectives. Nul doute, que les hostilités reprendront une fois que la contagion liée au virus sera jugulée. De surcroît, les Américains et les Européens ont réitéré leur soutien à leur allié turc membre de l’Otan, en vue d’endiguer l’influence russe[3]. En effet, Moscou n’entend pas lâcher Damas et veut faire de la Syrie le Kaliningrad du Moyen-Orient.

Après avoir soutenu massivement l’opposition anti-Assad, les Émirats arabes unis opèrent un changement radical. Ce rapprochement se traduit par la réouverture de l’ambassade émiratie à Damas en décembre 2018. Récemment, le prince héritier d’Abou Dhabi Mohammed Bin Zayed s’est entretenu avec Bachar al-Assad pour soutenir son offensive contre les djihadistes. Ces derniers sont en partie financés par le Qatar et la Turquie dans une logique d’expansion de l’idéologie des Frères musulmans. Or, ce courant est diamétralement opposé au wahhabisme de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis. Donc, cet entretien diplomatique parachève la logique émiratie de contenir l’idéologie frériste au Moyen-Orient. Mohammed Bin Zayed pousse même Bachar al-Assad à briser le cessez-le-feu d’Idlib[4].

Profitant de la crise sanitaire et du retrait partiel des forces occidentales, des djihadistes de Daesh se sont échappés d’une prison gardée par une milice kurde syrienne. Des attentas perpétrés par ces terroristes sont à craindre.

Pandémie ou pas, Israël veut neutraliser l’appareil militaire iranien présent en Syrie. Dernièrement, l’aviation de Tsahal a survolé illégalement et ce à plusieurs reprises l’espace aérien libanais pour bombarder des cibles proches de la ville de Palmyre[5].

À ce jour, 42 cas de Covid-19 sont répertoriés en Syrie pour 3 décès.

Des troubles sociaux mis entre parenthèses ?

Du Liban à l’Irak en passant par l’Iran, de nombreuses manifestations ont secoué les classes dirigeantes à partir d’Octobre 2019. La colère de la rue ciblait le confessionnalisme, la corruption ou tout simplement la tutelle militaire iranienne au Levant. L’expression du mécontentement est rapidement devenu un déversoir contre la politique de Téhéran au Moyen-Orient. En effet, l’Iran tente de former « un axe de la résistance » jusqu’à la Méditerranée s’opposant aux intérêts américains, saoudiens et israéliens dans la région. Les chancelleries de Tel-Aviv, Riyad et Washington apportent un soutien officiel et officieux aux manifestations pour neutraliser et limiter l’influence iranienne.

La récupération de la grogne populaire ne doit pas minorer la situation économique désastreuse de ces pays. Les manifestations sont légitimes et justifiées. Le chômage est endémique, la pauvreté s’accroît et la violence est structurelle. Tous ces éléments font craindre à un embrasement, notamment en Irak. En dépit des promesses de réformes, la classe politique est prise en étau tant à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur.

Au Liban:

La pandémie du coronavirus offre un répit pour les dirigeants. Le pouvoir libanais contesté lors de la Thawra (révolution) cherche tant bien que mal une sortie de crise. En défaut de paiement, le Liban risque de sombrer dans une crise économique et sociale sans précédent. La gestion de la crise sanitaire par le nouveau gouvernement libanais semble porter ses fruits et est louée par les citoyens. D’ailleurs, le Hezbollah participe également à cet effort de lutte contre cette épidémie en offrant ses services, même en dehors de ses bastions. Au lendemain de cette crise, nul doute, que le pays du Cèdre affrontera de nouveau la grogne populaire tant les indicateurs économiques sont au rouge[6]. Déjà, malgré un confinement imposé, des manifestations ont lieu à Tripoli, berceau de la Thawra d’Octobre 2019.

À ce jour, le Liban compte 682 cas confirmés de Covid-19 pour 22 décès.

En Irak:

L’Irak, quant à lui est devenu un État déliquescent où plane le spectre d’une énième guerre civile. La menace du coronavirus a redistribué les cartes. En fermant ses frontières avec l’Iran, la colère anti-iranienne portée par une partie de la population retombe. La présence militaire occidentale tant décriée depuis l’assassinat de Qassem Souleimani en Janvier 2020 se réduit de peur d’être contaminée par le virus. En effet, En raison de plusieurs cas recensés au sein des troupes françaises en Irak, le gouvernement français a également ordonné le retrait de ses troupes en mars dernier[7].

L’épidémie du Covid-19 paralyse la situation et apaise temporairement les tensions entre l’Iran et les Etats-Unis. Et si on assistait à une résurgence de Daesh dans le pays ?

À ce jour, l’Irak comptabilise 1602 cas de Covid-19 pour 83 décès.

Malgré l’épidémie, le maintien des sanctions :

Indépendamment du coronavirus, la Syrie et l’Iran restent soumis à la dureté des sanctions occidentales. La pauvreté rend la population plus vulnérable face au virus. Ce risque humanitaire ne change pas pour autant la position américaine qui maintient les sanctions et ce, en dépit des demandes internationales.

Avec un bilan de 85 996 cas confirmés et 5 391 décès, l’Iran est de loin le pays le plus affecté du Moyen-Orient. Le régime fragilisé, risque gros si l’épidémie se propage davantage. Le pays n’est pas confiné à ce jour, par crainte d’un désastre économique.

En visite à Damas, le ministre des Affaires étrangères iranien Mohammed Zarif et le Président syrien Bachar Al-Assad ont rappelé conjointement dans un communiqué officiel les conséquences destructrices des sanctions sur les deux pays. Damas dénonce également l’iniquité des sanctions et pointe du doigt l’immoralité des pays occidentaux[8].

On pourrait croire, que le coronavirus est capable de rabattre les cartes au Moyen-Orient. Cependant, il est fort à parier, qu’une fois la pandémie disparue, les tensions habituelles reprendront de plus belle…


[1]https://www.lemonde.fr/international/article/2020/04/10/l-arabie-saoudite-annonce-un-cessez-le-feu-au-yemen_6036163_3210.html

[2] https://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-moyen-orient/une-manoeuvre-au-yemen-les-rebelles-rejettent-le-cessez-le-feu-de-la-coalition_2123430.html

[3] https://theconversation.com/idlib-vers-un-rapprochement-entre-la-turquie-et-les-etats-unis-136148

[4] https://www.middleeasteye.net/news/abu-dhabi-crown-prince-mbz-assad-break-idlib-turkey-ceasefire

[5] https://www.lefigaro.fr/international/syrie-9-combattants-proregime-tues-dans-une-frappe-nocturne-menee-par-israel-20200421

[6] https://orientxxi.info/magazine/le-liban-au-bord-du-gouffre,3816

[7] https://www.lemonde.fr/international/article/2020/03/25/coronavirus-la-france-retire-ses-troupes-

d-irak_6034441_3210.html

[8] https://www.lepoint.fr/monde/syrie-rencontre-entre-bachar-al-assad-et-le-chef-de-la-diplomatie-iranienne-20-04-2020-2372164_24.php

Le Moyen-Orient à l’heure du coronavirus

À l’instar des séries dramatiques orientales, ce virus monopolise les débats dans toutes les familles. Le Covid-19 alimente toutes les craintes et toutes les peurs et fait l’objet d’une prolifération de théories plus ou moins douteuses. Friands et amateurs de complots, certains habitants et même analystes de la région y voient la main invisible « américano-sioniste » pour semer le chaos au Moyen-Orient. Les réseaux sociaux locaux sont un bon baromètre d’étude des tensions sociales et économiques.

Une chose est sûre, l’indifférence initiale laisse place à une psychose généralisée de la société qui inquiète au plus haut point les autorités locales. Entre la chute des prix du pétrole, la crise sanitaire et la fermeture des frontières et des lieux de culte, le Moyen-Orient passe d’une crise à une autre.

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L’Iran acculé

La République islamique d’Iran est le troisième pays le plus touché par l’épidémie après la Chine et l’Italie. On déplore environ 15 000 patients contaminés[1] et plus de 1000 décès à ce jour. Le taux de létalité est le plus élevé du monde. Certains observateurs mettent en doute la véracité des chiffres officiels[2]. Le gouvernement de Téhéran aurait dissimulé l’impact de ce fléau afin de ne pas paraître dépassé et de ne pas subir les critiques de sa propre population.

De surcroît, l’Iran subit de plein fouet les sanctions économiques occidentales qui aggravent la situation sanitaire. En effet, le secteur hospitalier iranien est débordé et obsolète pour gérer une telle crise. Téhéran dénonce l’inaction de la communauté internationale. Ces sanctions américaines portent atteintes aux droits des Iraniens à la santé. Les autorités du pays demandent l’aide de l’organisation mondiale de la santé (OMS), l’arrêt immédiat des sanctions ainsi qu’un prêt de 5 milliards de dollars au Fonds monétaire international (FMI). Selon le ministre iranien des Affaires étrangères Javad Zarif « Les virus ne font pas de discrimination. L’Humanité ne devrait pas non plus »[3].

Certains pays ne sont pas restés insensibles à ce scénario. La Chine et la Russie exhortent les Etats-Unis à lever les sanctions contre l’Iran afin de contenir et de lutter efficacement contre la propagation du virus covid-19. Les deux pays mettent en exergue les conséquences humanitaires sur l’ensemble de la population mondiale[4]. Pékin s’engage également à envoyer du personnel et du matériel médical.

Or, il est très peu envisageable que l’administration américaine décide d’alléger le régime des sanctions. Dans sa posture anti-iranienne, Donald Trump souhaite voire céder Téhéran. De façon surprenante, l’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne annoncent une aide financière à l’OMS à destination de l’Iran. Les Iraniens peuvent également compter sur l’aide des Emirats arabes unis. En effet, ils ont récemment décidé d’envoyer 32 tonnes de fournitures médicales à l’Iran malgré les contentieux géopolitiques dans la région[5].

Un confinement à la carte :

À peine sorti d’un soulèvement populaire majeur et englué dans une crise économique sans précédent, le Liban se coupe peu à peu du reste monde. Des mesures strictes de confinement ont été adoptées avec la fermeture des institutions et des frontières (aéroports et ports[6] seront fermés à partir du 29 mars). À ce jour une centaine de cas sont déclarés et 3 décès sont dénombrés. La majorité des premiers cas provenait d’Iran. Le système de santé, impacté par la crise économique, a réussi à contenir la propagation du virus, mais s’attend à une explosion des cas. Certaines voix s’élèvent pour dénoncer la corruption de la classe politique et l’accusent de vouloir asseoir son autorité et sa légitimité à travers ces mesures.

Le reste du Moyen-Orient est touché de manière contrastée. Tous les pays ont depuis fermé les établissements scolaires. Certains d’entre eux redoutent les conséquences catastrophiques pour l’économie de leur pays. En effet, les pays touristiques comme la Jordanie mais surtout l’Égypte pâtissent déjà des mesures restrictives prises par leurs gouvernements respectifs. Les autorités du Caire ont longtemps cherché à minimiser les dangers du Covid-19 et à rassurer la population. Ils suspendent ses vols internationaux et rapatrient les touristes pour endiguer l’épidémie du coronavirus. L’Égypte interdit à sa main d’œuvre de se rendre dans les pays du Golfe sans avoir procédé au test de dépistage.

Après 10 ans de guerre en Syrie et la dureté des sanctions occidentales sur son économie, le gouvernement de Damas a décidé de prendre des mesures pour lutter contre la propagation du virus. Les salles de prières sont momentanément fermées et les places publiques à l’instar des bars de chichas sont interdits[7]. Sur les réseaux sociaux syriens, une campagne de soutien populaire (ana fi khadmt souria/ je suis au service de la Syrie) a vu le jour pour aider Damas dans sa lutte contre l’épidémie.

La bande de Gaza est une bombe à retardement. Les principaux experts s’alarment sur les conséquences d’une propagation exponentielle du Covid-19 dans cette région à forte densité démographique. Plus de 2 millions d’habitants sur 360km2 vivent dans cette prison à ciel ouvert. Compte tenu du blocus israélien, les infrastructures hospitalières sont désuètes et le matériel médical pour lutter contre l’épidémie est pratiquement inexistant.

À l’échelle de tout le Moyen-Orient, toutes les autorités ont pris des mesures d’isolement  en fermant les lieux de culte églises et mosquées. Les prières sont strictement individuelles. L’Arabie saoudite qui a annoncé son premier cas début mars, suspend le Hajj et le Omra (le pèlerinage à la Mecque) à tous les pèlerins.  

Les conséquences du Coronavirus sur le secteur pétrolier

Premier producteur de l’or noir, l’Arabie saoudite subit les contrecoups de la propagation du virus à l’échelle de la planète. Durant plusieurs mois, la Chine, premier consommateur de pétrole au monde, a dû s’adapter à la nouvelle conjoncture. L’interdiction de déplacement des citoyens au sein même du pays, couplée à l’arrêt des voyages vers la Chine a impacté les cours du baril.

Sur fond de pandémie et d’une forte baisse de la demande mondiale, l’organisation des pays exportateurs de pétrole (l’OPEP) ainsi que les autres pays producteurs comme la Russie se sont réunis pour solutionner le problème. N’ayant pas réussi à obtenir de Moscou une baisse de la production, Riyad a unilatéralement décidé de baisser les prix du baril. En raison de l’importance de l’or noir pour son économie et pour satisfaire la demande intérieure et extérieure, la Russie ne pouvait y répondre favorablement.

De ce fait, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis se livrent à une guerre économique contre la Russie en augmentant et en inondant conjointement le marché de l’or noir. Les prix ont depuis chuté et atteints 30 dollars le baril[8]. C’est la plus forte baisse depuis 20 ans. Aujourd’hui, les indicateurs prouvent que la stratégie saoudienne se révèle dangereuse pour sa propre économie. En plus de la fermeture des hôtels luxueux, des malls et du pèlerinage à la Mecque, le coronavirus ébranle l’ensemble de l’économie saoudienne. Cette dernière reste dépendante à 90% de l’or noir.

Afin de rassurer les places boursières internationales, la présidence saoudienne du G20 veut rassembler les membres de ce comité lors d’une conférence exceptionnelle, qui se tiendra par vidéo-conférence[9]. Cette rencontre virtuelle sera l’occasion pour les principales puissances de tenter de trouver une solution pour empêcher le krach boursier qui se profile.


[1] https://www.middleeasteye.net/news/coronavirus-iran-death-toll-surpasses-1000-hundreds-new-cases-discovered

[2] https://www.oeil-maisondesjournalistes.fr/2020/03/12/coronvirus-iran-chiffre-morts-propagande/

[3] https://www.la-croix.com/Monde/Moyen-Orient/Face-coronavirus-lIran-demande-levee-sanctions-2020-03-14-1201084052

[4] https://www.middleeasteye.net/news/coronavirus-china-and-russia-call-us-lift-iran-sanctions

[5] https://www.lefigaro.fr/international/quand-le-virus-rapprochent-les-ennemisdes-emirats-arabes-unis-et-de-l-iran-20200317

[6] http://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20200316-face-coronavirus-le-liban-sonne-la-mobilisation-g%C3%A9n%C3%A9rale-et-entre-en-confineme

[7] https://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-moyen-orient/la-syrie-en-guerre-prend-a-son-tour-des-mesures-de-precaution-face-au-coronavirus_2120872.html

[8] https://www.france24.com/fr/20200309-coronavirus-pourquoi-l-arabie-saoudite-a-d%C3%A9clench%C3%A9-une-nouvelle-guerre-des-prix-du-p%C3%A9trole

[9] https://www.ouest-france.fr/sante/virus/coronavirus/coronavirus-l-arabie-saoudite-tente-d-organiser-un-sommet-du-g20-virtuel-6784783

Le Soft-Power saoudien : le mirage d’une ouverture

Depuis 2015 et la nomination de Mohammed Bin Salman en tant que prince héritier du royaume d’Arabie saoudite, le pays connaît une ouverture tout azimut. Apôtre d’un renouveau et d’une ouverture de son pays, le jeune prince entreprend des réformes surprenantes dans un pays hostile au changement.

Il utilise la rente pétrolière pour investir dans un soft power, radicalement opposé aux principes du wahhabisme. Ce changement de stratégie dénote. Cette nouvelle image, les investissements massifs dans les évènements sportifs et culturels font basculer l’Arabie saoudite dans le XXIème siècle. Or, ce grand écart ne saurait éclipser l’affreuse guerre au Yémen, les récentes arrestations des opposants à la famille régnante et le financement d’une nébuleuse djihadiste.

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Mohammed Bin Salman et le boxeur Anthony Joshua

Mohammed Bin Salman : l’homme du changement ?

Depuis sa prise de fonction en 2015, il montre un nouveau visage de l’Arabie saoudite. Il séduit l’étranger par sa jeunesse et son modernisme. Âgé de 34 ans, bon connaisseur des technologies et usant à bon escient des moyens de promotion, il a su séduire ses interlocuteurs étrangers. Sa stratégie de transformation se base sur une diversification de l’économie, qui à ce jour est largement dépendante de la rente pétrolière. Il se lance dans des projets et veut changer l’image du pays en l’ouvrant au monde.

Dès 2016, le jeune prince héritier lance le projet «Vision 2030 ». Il ambitionne de transformer littéralement la pétromonarchie en une économie moderne. Ce projet comporte un pilier économique, social et politique pour tenter de transformer plusieurs pans de la société saoudienne. Il doit permettre à l’Arabie saoudite de développer des partenariats à l’international et de promouvoir son rayonnement à l’étranger. De ce fait, le pays investit dans des entreprises de luxe, dans des clubs de football, il rachète des parts de marché et inaugure même la promotion du secteur touristique. Récemment, le pays octroie des visas aux ressortissants étrangers. Auparavant, l’Arabie saoudite interdisait l’entrée sur son territoire sans une invitation officielle. De plus, un autre projet « pharaonique » baptisé « NEOM »[1] doit voir le jour en 2025 le long de la mer Rouge, en partenariat avec la Jordanie, l’Égypte et Israël.

Cette ouverture à 180° est la résultante d’un changement de pouvoir. Issu de la génération milléniale (génération Y), ayant grandi avec les nouvelles technologies et féru des jeux vidéos, Mohammed Bin Salman est un « geek » qui s’assume. En témoigne, la création de sa propre fondation MISK[2] afin d’aider la jeunesse saoudienne et l’inciter à intégrer les grandes écoles américaines… pour ensuite revenir au pays. Cette multiplication de réformes vise à embellir l’image de son pays à l’étranger. En effet, l’Arabie saoudite est méconnue du grand public et est assimilée à un pays fermé, où l’Islam radical (le wahhabisme) y est imposé.

 Les arrestations arbitraires des opposants, les exécutions sommaires restent monnaie courante. L’image du royaume s’est détériorée avec la séquestration de l’ex Premier ministre libanais Saad Hariri en 2017, puis avec l’assassinat commandité à Istanbul du journaliste Jamal Khashoggi en octobre 2018. De plus, malgré la faible médiatisation du conflit, l’opinion internationale s’émut de la guerre au Yémen. Les nombreux bombardements de la coalition menée par l’Arabie saoudite engendrent un désastre humanitaire.

Les crimes de guerre et les exactions au sein même de son propre pays, ravivent les doutes sur ses bonnes intentions. 

Le soft power : cache misère de l’Arabie saoudite

Le soft power est un concept popularisé par le géopolitologue américain Joseph Nye en 1990. Il théorise la capacité d’un pays à séduire et à attirer[3]. Cette notion s’oppose au hard power qui représente la force armée et coercitive d’un État. Le soft power est généralement assimilé à l’American way of life et tout ce qui en découle au niveau culturel, vestimentaire et culinaire.

Ce paramètre politique permet à une nation d’avoir la sympathie des autres pays, c’est en quelque sorte le revêtement, le maquillage d’un État. L’Arabie saoudite, sous la houlette du jeune prince héritier, l’a récemment adopté.

Le royaume saoudien a longtemps misé sur un soft power religieux, destiné uniquement aux musulmans du monde entier. De l’Afrique à l’Asie en passant par l’Europe[4], Riyad a financé de nombreuses écoles coraniques, des associations communautaires et des agences de voyage pour faciliter le pèlerinage des croyants à la Mecque (le Hajj). De surcroît, les connivences avérées avec certains groupes djihadistes attisent les critiques à l’égard de la politique saoudienne. La guerre au Yémen, menée par Riyad, ternit encore un peu plus l’image du pays[5].

À la surprise générale, Mohammed Bin Salman soucieux de gommer la mauvaise réputation de son pays, se lance sur la voie de la rédemption. D’un pays ultra-sectaire, il veut le hisser en havre de modernité. En s’attirant les louanges de l’opinion internationale, il peut avoir une influence sur le jeu diplomatique. La jeune société civile saoudienne est avide de progrès et d’ouverture. Le prince héritier l’a bien compris et met l’accent sur des thèmes consensuels. À l’instar du voisin qatari, il veut faire de l’Arabie saoudite un pays hôte pour les évènements sportifs internationaux.

La ruée vers le sport : écran de fumée de l’autoritarisme de MBS

Malgré sa faible démographie et son emplacement au carrefour des tensions régionales, le petit émirat du Qatar séduit. Il séduit par ses investissements dans le sport et notamment dans le football. Il dirige le club du Paris Saint Germain depuis 2011, il organise la prochaine coupe du monde de football en 2022 et la chaîne BeIN a su s’imposer tant en Occident qu’en Orient[6].

L’Arabie saoudite jalouse la réussite de son rival qatari. Dès lors, le royaume veut devenir une plaque tournante pour la réalisation d’évènements sportifs et ainsi s’acheter une image. L’ouverture se fait tout azimut. Après avoir organisé plusieurs concerts, Riyad accueille la revanche de boxe entre Anthony Joshua et Andy Ruiz le 7 décembre 2020. Evénement planétaire et suivi par des millions de téléspectateurs, c’est la réussite pour le soft power saoudien[7]. Dans la foulée, l’Arabie saoudite accueille la finale de la coupe d’Italie opposant la Lazio de Rome à la Juventus de Turin. Elle s’est également payée le luxe de délocaliser sur son sol les trois prochaines éditions de la supercoupe d’Espagne. Dans une société passionnée de foot, la jeune population saoudienne est conquise par cette ouverture. C’est un vecteur de stabilité politique.

Riyad accueille également la 42ème édition du Rallye Dakar 2020 et s’octroie l’organisation des 5 prochaines éditions. C’est une aubaine qui permet de valoriser le patrimoine local et de développer le tourisme inexistant à ce jour. En investissant massivement dans le sport grâce à sa manne pétrolière, l’Arabie saoudite parachève ainsi sa volonté d’ouverture et capitalise sur son soft power.

Or, cette stratégie de transformation et la ruée vers le sport ne peuvent faire oublier la triste réputation de la monarchie en matière des droits de l’Homme. Elle masque assurément les desseins autoritaires et hégémoniques du jeune prince héritier. Les récentes arrestations de 3 princes saoudiens issus de la famille royale par Mohammed Bin Salman[8] confirment un peu plus que cette ouverture n’est qu’un trompe l’œil. Du pain et des jeux pour l’opinion internationale…


[1] https://www.lemonde.fr/smart-cities/video/2017/11/17/neom-la-megalopole-du-futur-dont-reve-l-arabie-saoudite_5216675_4811534.html

[2] https://misk.org.sa/en/

[3] https://www-cairn-info.ezpaarse.univ-paris1.fr/revue-geoeconomie-2013-2-page-19.htm

[4] https://www-cairn-info.ezpaarse.univ-paris1.fr/revue-pouvoirs-2015-1-page-121.htm

[5] https://www.franceculture.fr/emissions/soft-power/soft-power-le-magazine-des-internets-du-dimanche-20-mai-2018

[6] https://weeplay.media/supercoupe-despagne-le-soft-power-de-larabie-saoudite/

[7] https://www.middleeasteye.net/news/anthony-joshua-defends-saudi-arabia-ahead-fight-against-ruiz

[8] https://www.lefigaro.fr/international/mohammed-ben-salman-assure-par-la-force-son-accession-au-trone-20200308

Les Etats-Unis et le pétrole : une longue histoire d’amour

En Octobre 2019, des blindés américains ont été envoyés dans le Nord-Est de la Syrie afin de sécuriser les puits de pétrole. Dans son style brutal et transparent, le Président Donald Trump l’a confirmé sans équivoque « We’re keeping the oil in Syria »[1].

Cette relation passionnelle entre la première puissance mondiale et l’or noir est bien antérieure à l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche. Le pétrole est une matière première indispensable pour l’économie d’un pays. Pourtant selon les récentes estimations, les Etats-Unis ont plus exporté du pétrole qu’ils n’en ont importé et sont devenus les premiers producteurs, en raison du forage et de l’abondance du gaz de schiste. La dépendance au pétrole du Moyen-Orient s’en trouve donc réduite.

Or, 47,7% des réserves prouvées de pétrole se situent dans cette zone[2]. Compte tenu de l’importance du pétrole dans l’économie mondiale, le Moyen-Orient reste indispensable pour l’approvisionnement énergétique des grandes puissances.

Retour sur une histoire sans ambiguïté entre l’administration américaine et l’or noir au Moyen-Orient.

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Ruée vers l’or noir :

Les Etats-Unis s’intéressent au Moyen-Orient et ce, depuis la découverte des gisements de pétrole dans les années 1920. Des équipes sont envoyées sur place pour l’exploration, l’étude du potentiel pétrolier et gazier et afin de concurrencer les compagnies européennes. Or, ces dernières se désintéressent du désert saoudien. C’est à cette époque, qu’une petite compagnie américaine débute l’exploitation des gisements pétroliers de Hassa à l’est du pays.

Soucieux de leur approvisionnement en pétrole, les Américains nouent des relations de plus en plus régulières avec le régime saoudien. En 1933, l’Arabie saoudite accorde des concessions pétrolières à la Standard Oil Company of California. Dès 1944, ils signent un consortium pour l’exploitation exclusive de l’or noir du royaume, c’est la naissance de la fameuse Aramco (Arabian American Oil Company).

Consciente de sa supériorité technologique et militaire, l’administration américaine offre ses services pour le forage et le pompage des zones pétrolifères au Moyen-Orient en échange d’une protection militaire en cas de conflit. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, les jeunes monarchies du Golfe s’empressent de se rapprocher des Etats-Unis pour ainsi asseoir leurs indépendances.

À l’opposé, d’autres pays de la région cherchent à jouir pleinement de leurs ressources. C’est le cas de l’Iran, avec le Premier ministre Mohammed Mossadegh qui nationalise le pétrole en 1951. Suite à cette démarche, il est démis de ses fonctions par un coup d’État ourdi par les services secrets britanniques et américains en 1953. Cet événement a des répercussions à l’échelle régionale. Dans les années 60-70, Saddam Hussein en Irak, Hafez Al-Assad en Syrie et Mouammar Kadhafi en Libye nationalisent des pans entiers de leur économie au détriment des compagnies occidentales.

Le pétrole, prétexte d’ingérence économique :

  • En Irak :

Malgré le soutien sans faille de l’Occident et des monarchies du Golfe, l’Irak sort ruiné de sa guerre contre l’Iran (1980-1988). Sa dette extérieure est considérable, les infrastructures pétrolières sont en partie détruites et sa production ne lui permet pas d’avoir des revenus suffisants. De plus, en augmentant conjointement leur production, certains pays de l’OPEP (l’Organisation des pays exportateurs de pétrole) en particulier l’Arabie saoudite, le Koweït et les Émirats arabes unis, , font chuter le prix du baril ce qui accentue les difficultés économiques du pays.

De ce fait, l’Irak poussée par un impératif économique vital, lorgne sur le Koweït qui faisait partie de son territoire à l’époque ottomane[3]. Ce n’est pas la première fois que des dirigeants irakiens ont voulu récupérer cette région, ayant un accès direct à la mer et riche en hydrocarbures.

Selon certaines sources, les Américains donnent l’aval à Saddam Hussein pour envahir le Koweït[4] en 1990. Or, une fois les troupes irakiennes présentes sur place, une coalition menée par les Etats-Unis rassemble plus de 940 000 hommes de 34 pays, dont 535 000 Américains[5]. C’est une défaite retentissante pour l’armée de Saddam Hussein. Les bombardements de la coalition ont ciblé principalement les infrastructures économiques et pétrolières du pays.

Après la guerre, l’ONU sous la pression des Etats-Unis décrète un embargo total sur le pétrole irakien. Le pays est littéralement exsangue. Les sanctions appauvrissent la population locale et obligent plusieurs milliers de familles à fuir le pays. La décennie 90 est catastrophique d’un point de vue humanitaire. Environ 1 million de personnes sont mortes en raison de la dureté des sanctions. De surcroît, les difficultés économiques plongent le pays dans un repli communautaire, entretenu par les officines de propagande américaine.

  • En Syrie :
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Dès le début du conflit en Syrie en 2011, les Etats-Unis et l’Onu imposent des sanctions sur le pétrole syrien. Ce dernier représente environ ¼ des revenus du gouvernement de Damas. À l’échelle mondiale, la production pétrolière syrienne est modeste mais elle permet au pays de subvenir à ses propres besoins.

De plus, la Syrie se trouve impliquée dans différents projets régionaux de gazoducs. Dès 2009, le Qatar propose via les entreprises Qatar Petroleum et l’Américain d’Exxon-Mobile East Marketing Limited Company d’acheminer du gaz vers l’Europe en passant par l’Arabie saoudite, la Jordanie et la Syrie. Ce projet n’est pas accepté par Damas, en raison de ses affinités avec la Russie. En effet, si ce projet avait été accepté, l’Europe aurait eu une alternative au gaz russe. Cependant, Bachar Al-Assad accepte le projet iranien de l’Islamic Gaz pipeline (IGP) en 2011[6]. Ce projet de gazoduc transite par l’Irak et la Syrie avant de desservir le marché européen. Les Monarchies du Golfe qui se sont vus refuser leur proposition, ont été les premiers financeurs et soutiens des djihadistes en Syrie dès 2011 avec l’aval des chancelleries occidentales et notamment américaines.

Le pétrole, prétexte d’intervention militaire

  • En Irak :

Suite aux attentas du World Trade Center du 11 septembre 2001, les États-Unis utilisent cet événement à des fins de politique extérieure au Moyen-Orient. La guerre contre le terrorisme est un moyen durable de s’ingérer dans la région. En effet, en accusant fallacieusement l’Irak de détenir des armes de destruction massive et de soutenir les terroristes d’Al Qaeda, l’armée américaine envahit unilatéralement l’Irak en 2003. 

Officieusement, l’intervention militaire américaine est dictée par un impératif, celui de sécuriser son approvisionnement en pétrole. En effet, à cette époque l’Irak est le 4ème producteur de la planète. Les troupes américaines sont envoyées dans le Nord du pays, dans la région de Kirkouk, territoire où se trouve la majeure partie des réserves de pétrole d’Irak. En mettant la main sur les hydrocarbures, les Etats-Unis mettent automatiquement sous tutelle un pays dépendant de ses exportations pétrolières.

  • En Syrie :

Officiellement, la présence de forces spéciales américaines et occidentales dans le Nord-Est du pays sert à aider et soutenir les forces démocratiques kurdes. Officieusement, c’est pour empêcher les forces du gouvernement syrien de sécuriser leurs puits de pétrole et de reconquérir la totalité de son territoire. À chaque fois que l’armée syrienne tente de se rapprocher des zones pétrolifères, la coalition, menée par les Américains, bombarde les positions syriennes.

« Nous n’avons pas besoin du pétrole du Moyen-Orient »[7] déclare Donald Trump dans son discours au lendemain des frappes iraniennes suite à l’assassinat du général Qassem Souleimani le 3 janvier 2020. Son pays aurait atteint l’indépendance énergétique. Malgré ses affirmations, les Etats-Unis sont toujours dépendants du pétrole du Moyen-Orient et ce, en raison des risques de pénurie de leur propre production sur le long terme.

La sécurisation des puits de pétrole en Syrie, en Irak et en Arabie saoudite a un double objectif politique et énergétique. En prenant possession des ressources pétrolières d’un pays, ils peuvent à terme le contraindre à revoir sa politique régionale et à adopter une posture plus conciliante à l’égard des Etats-Unis.  


[1] https://abcnews.go.com/Politics/keeping-oil-syria-trump-considered-war-crime/story?id=66589757

[2] https://www.connaissancedesenergies.org/fiche-pedagogique/reserves-de-petrole-dans-le-monde

[3] https://www.lesclesdumoyenorient.com/Revendications-irakiennes-sur-le.html

[4] Robert Fisk, « La grande guerre pour la civilisation, l’Occident à la conquête du Moyen-Orient (1979-2005) », La Découverte, 2005

[5] https://www.monde-diplomatique.fr/mav/120/A/46973

[6] https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2017/04/12/les-pipelines-et-les-gazoducs-sont-ils-a-l-origine-de-la-guerre-en-syrie-comme-l-affirme-jean-luc-melenchon_5110147_4355770.html

[7] https://www.rtbf.be/info/economie/detail_les-etats-unis-n-ont-ils-vraiment-plus-besoin-du-petrole-du-moyen-orient?id=10403497

Le pacte Quincy: L’ossature de la politique étrangère saoudienne depuis 1945 ?

Dans les faits, cette alliance contre nature est peu connue du grand public. Le 14 Février 1945, l’administration américaine parachève son entrée dans les affaires orientales par le biais d’un pacte tronqué par l’Histoire avec la monarchie saoudienne. Pied de nez à la couronne britannique, qui s’intéressait depuis plusieurs décennies aux gisements pétroliers, c’est l’acte fondateur de la politique arabe américaine.

Retour sur un pacte historique :

Au lendemain du démantèlement de l’Empire ottoman en 1918, les Britanniques dominent le Golfe arabo-persique. Les sociétés anglaises imposent aux différents émirats locaux de commercer uniquement avec Londres. Or, ces compagnies commerciales se désintéressent du désert saoudien. C’est dans les années 20 qu’une petite compagnie américaine débute l’exploitation des gisements pétroliers de Hasa.

Soucieux de leur approvisionnement en pétrole, les Américains nouent des relations de plus en plus régulières avec le régime saoudien. En 1933, l’Arabie saoudite accorde des concessions pétrolières à la Standard Oil Company of California. Dès 1944, ils signent un consortium pour l’exploitation exclusive de l’or noir du royaume, c’est la création de la fameuse Aramco (Arabian American Oil Company).

C’est au retour de la conférence de Yalta que le président Franklin Roosevelt décide de stationner en Égypte, au bord d’un navire militaire, le Quincy. Il y rencontre le 14 Février 1945 le roi d’Arabie Saoudite, Abdel Aziz Al-Saoud, au bord du lac Amer, au milieu du canal de Suez. L’Histoire n’aura retenu qu’une partie des discussions « pétrole contre sécurité ». Alors que selon les sources officielles, la centralité du débat tournait plus autour de la question palestinienne et de la fin du mandat français en Syrie et au Liban.

Le roi saoudien espérait influencer les Etats-Unis sur le dossier épineux de la Palestine. Il manifesta son opposition sur la venue massive des Juifs d’Europe de l’Est en territoire arabe. Somme toute, il a défendu le point de vue arabe sur la question palestinienne, mais il était vain de penser qu’un roi saoudien pouvait faire contrepoids aux différents lobbys sionistes en Europe et aux Etats-Unis. Le roi Abdel Aziz al-Saoud voulait surtout avoir l’assurance que le projet hachémite d’unité arabe ne verrait pas le jour au lendemain de la seconde guerre mondiale.

Le pacte de Quincy ne correspond donc pas à ce « présupposé » deal pétrole contre sécurité. La question du pétrole avait été réglée auparavant lors des nombreuses concessions aux différentes compagnies américaines. De fait, les discussions ne concernaient dans un premier temps que la question palestinienne et les questions relatives aux indépendances post mandat. Petit à petit cette alliance protéiforme au bord du Quincy s’est muée en un pacte sur le long terme, assurant la sécurité et la survie du royaume. Accord valable pour 60 ans, il a été prolongé en 2005 par l’administration Bush fils, et ce pour une durée identique.

En effet, Washington qui ne s’intéressait à cette région que sous le prisme de l’or noir, a vite compris qu’il pouvait se servir de l’Arabie saoudite comme base avancée au Moyen-Orient. Ignorant les problèmes internes de ce partenaire très peu démocratique, les Etats-Unis profitent de ce richissime royaume pour financer leurs intérêts régionaux tant militaires que politiques. Soucieuse de contrer l’influence communiste dans les pays arabe, l’Arabie saoudite devenait de fait un allié idéal pour l’administration américaine. Au lendemain des indépendances, le discours panarabe est populaire, il séduit les masses avec son tropisme national et socialiste. En faisant le jeu de l’islamisme contre les mouvements nassériens et baathistes, les Etats-Unis allaient bon an mal an sanctuariser les acquis du wahhabisme.

Gage de survie pour le royaume ?

Suivant la conjoncture, le régime saoudien a toujours un ennemi régional. Hier le nationalisme arabe de Nasser, aujourd’hui l’influence grandissante de l’Iran au Moyen-Orient. Malgré la différence des régimes politiques, ces deux ennemis de la monarchie wahhabite partagent les mêmes desseins à l’échelle régionale : la lutte contre Israël et l’endiguement de la menace islamiste sunnite.

Ayant la politique de sa géographie, l’Arabie saoudite use de la diplomatie du chéquier avec les industriels de l’armement américain. C’est une aubaine pour l’administration américaine. Après avoir faussement donné le feu vert à Saddam Hussein pour l’invasion du Koweït, Washington entreprit une vaste campagne militaire pour contrecarrer les desseins de Bagdad en 1991, avec comme base arrière l’Arabie saoudite. Plus qu’un partenaire économique, Riyad devenait avec Tel-Aviv le maillon de la politique impérialiste américaine au Moyen-Orient.

Même les attentas du World Trade center, le 11 septembre 2001, n’ont pas compromis les relations bilatérales. Pourtant 15 des 19 terroristes étaient de nationalité saoudienne. Par pure realpolitik, Washington a accusé fallacieusement l’Irak d’avoir commandité les attaques sur le sol américain. L’Histoire retiendra que ce mensonge est l’une des causes du chaos actuel en Orient.

Comme disait Nietzsche « qui vit de combattre un ennemi, a tout intérêt à le laisser en vie ». Aujourd’hui plus que jamais, les Etats-Unis soufflent sur les dissensions inter-musulmanes pour plonger la région dans un manichéisme confessionnel : l’axe chiite contre l’axe sunnite. Ce dernier se rapproche de plus en plus officiellement de Tel-Aviv au détriment de la cause palestinienne. L’ennemi de Riyad est l’Iran. En Arabie Saoudite, la peur d’une guerre face à l’ennemi perse est présente dans tous les milieux de la société. Washington alimente cette crainte par une propagande anti-iranienne omniprésente sur toutes les chaînes d’informations. Donald Trump, malgré ses discours erratiques, a très bien compris que la fabrication de l’ennemi chiite allait pousser ses alliés du Golfe à investir durablement dans un armement coûteux.

Troisième plus gros budget militaire au monde, l’Arabie saoudite dépense 8,8% de son PIB pour son armée. Un investissement consubstantiel à son embourbement au Yémen et surtout en raison de la menace supposée d’un encerclement des forces pro-iraniennes (Ansarallah au Yémen, les Hachds chaabi en Irak, les forces armées syriennes et le Hezbollah libanais).

Vers la fin du pacte ?

À peine arrivé au pouvoir, le jeune prince héritier Mohamed Ben Salman, lance en 2016 un programme économique intitulé « vision 2030 ». Le but est précis, développer et diversifier l’économie saoudienne, la rendre moins dépendante aux hydrocarbures. Le pays s’ouvre aux entreprises étrangères, aux évènements internationaux (concerts de stars américaines, combats de boxe ou de catch, le futur Dakar 2020). De plus les premières publicités pour visiter le royaume s’affichent dans les capitales occidentales et sur les réseaux sociaux. Le prince veut moderniser, occidentaliser son pays et en finir avec cette image de pays rentier.

Mais c’est une ouverture de façade, galvaudée par les crimes de guerre au Yémen et par l’assassinat prémédité du journaliste Jamal Khashoggi qui a offusqué l’opinion internationale. Même en interne, le jeune prince ne fait pas consensus.

De surcroît, les Etats-Unis en plus d’être devenus premier producteur mondial de pétrole, sont maintenant exportateurs brut. Ils ont diversifié leurs sources d’approvisionnements via l’Amérique du Sud et l’Afrique. Certains analystes pensent qu’ils pourront dans un avenir proche devenir exportateur net par le biais des hydrocarbures dits de « schistes ». En raison, des tensions permanentes au Moyen-Orient et des récentes attaques sur les sites pétroliers saoudiens, Washington a rappelé à ses partenaires européens qu’il serait préférable de trouver une alternative au pétrole du golfe.

Washington demeure l’allié de poids de la monarchie saoudienne.  Pour l’administration américaine, Riyad est de plus en plus un partenaire économique instable et peu fiable militairement. Cependant, tant qu’ils continueront d’être des acheteurs compulsifs, les Saoudiens auront l’assurance d’une aide américaine. Le récent envoi de 3000 soldats supplémentaires en Arabie saoudite confirme une fois de plus, le peu d’indépendance stratégique et militaire du royaume.

Business is Business. Donald Trump le rappelle sans le dire, mais l’économie dicte le politique.

Bibliographie :

  • Malise Ruthven, « Les milliards de l’Arabie saoudite », 2018/1 N°198, p80-92, Gallimard
  • David Rigoulet-Roze, « La fragilité d’un royaume dans une transition à haut risque », 2018/4 N°132, p77-122, Les cahiers de l’Orient
  • Louis Blin, « L’émancipation contrainte de la politique étrangère saoudienne », 2016/2, p49-61, Politique étrangère