La grande révolte arabe de 1936-1939 : naissance du nationalisme palestinien

Au lendemain de la première guerre mondiale, la Grande-Bretagne et la France participent activement à la refonte du Moyen-Orient selon leurs propres intérêts. Officiellement maître de la Palestine mandataire en 1922, Londres opte pour une politique sioniste au détriment de la population locale. Après avoir promis « un Foyer national juif » en 1917 lors de la déclaration Balfour, le gouvernement britannique fait face à une colère populaire. Exploités et humiliés, les Arabes font de la Palestine le cœur de même de l’arabité. Face à l’érosion de leurs droits et aux confiscations de leurs terres, émerge un sentiment d’identité et de nationalité palestinienne, prélude d’une longue et surprenante histoire de la résistance.

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Les prémices d’un soulèvement

Au lendemain de la déclaration Balfour en 1917, encourageant l’émigration juive, les contestations des Palestiniens se font de plus en plus vives. En effet, cette déclaration unilatérale légifère sur la création d’un foyer national juif en Palestine. Des émeutes éclatent partiellement en 1920, 1921 et 1929 pour réclamer la fin du mandat britannique, et surtout s’opposer farouchement au projet sioniste.

La Palestine devient progressivement le cœur battant de l’arabité face au sionisme[1]. Les deux idéologies s’opposent par l’entremise de factions armées. Des organisations paramilitaires se forment. Lors des nombreux troubles de la décennie 1920, plusieurs attaques sont commises de part et d’autre. La Couronne britannique favorise logiquement le projet sioniste, alors que les Palestiniens reçoivent l’appui moral, financier et militaire des Arabes du Proche-Orient [2].

L’arrivée d’Adolf Hitler à la tête de l’Allemagne en 1933 accentue la crise en Palestine. En effet, en raison de l’idéologie nazie, plus de 135 000 juifs émigrent en Palestine à cette période[3]. Incapables de se structurer politiquement face à une menace commune, cet afflux massif de personnes et de capitaux renforce l’inquiétude palestinienne. En proie à des divisions claniques et mouvements rivaux, les Palestiniens sont désunis. Entre les partisans d’une entente avec les Britanniques et les nationalistes adeptes d’une lutte totale, les leaders palestiniens peinent à fédérer.

Face aux connivences avérées anglo-sionistes et à la volonté du nationaliste sioniste David Ben Gourion de fonder un futur État juif en Palestine, certains nationalistes palestiniens n’hésitent pas à se rapprocher de l’Allemagne nazie. Cette initiative répond à un impératif de survie. En tant qu’ennemi de Londres, Berlin fait office d’allié de circonstance pour certains Arabes. L’affrontement semble inévitable et ce, en dépit des nombreux efforts britanniques pour trouver une solution pacifique.

En 1935, Izz al-Din al-Qassam, prédicateur musulman d’origine syrienne, affronte avec ses partisans les opposants sionistes et britanniques. Il meurt lors d’une bataille contre l’armée anglaise le 20 novembre 1935[4]. Son action politico-militaire fait de lui l’un des pères fondateurs du nationalisme palestinien. Il sera considéré comme le premier martyr de la cause palestinienne. En prônant le djihad contre l’occupant, Izz al-Din al-Qassam éveille une prise de conscience populaire, quant à la possibilité d’une lutte armée pour soutenir les revendications politiques.

De la grève à la révolte

Les troupes britanniques s’évertuent à rétablir l’ordre en Palestine mandataire. Les autochtones palestiniens sont de plus en plus virulents et exigent qu’on respecte leurs droits. Dans ce contexte houleux et vindicatif, 2 juifs sont assassinés par des extrémistes arabes le 15 avril 1936. En représailles, un groupe sioniste ôte la vie à deux Arabes, et 9 Juifs sont tués à Jaffa. Acculés, les Anglais décrètent immédiatement l’état d’urgence et imposent un couvre-feu.

Sous la houlette du mufti de Jérusalem Amin al-Husseini, également chef du haut comité arabe (Al-Hay’a al-Arabîya al-Ulya) formé le 12 avril 1936, la Palestine entre en grève générale contre l’occupant. Les produits anglais et sionistes sont boycottés. Les Palestiniens refusent de payer l’impôt. Divers pans de la société sont paralysés (ports, écoles, justice…) et les entreprises palestiniennes sont fermées. Par l’entremise de ces actions politico-sociales[5], les chefs palestiniens espèrent arracher des concessions à l’Empire britannique en s’attaquant méthodiquement à leurs sources de revenus. S’ensuivent des attaques menées par des insurgés arabes, partisans d’Al-Qassam. Ils sabotent les chemins de fer ou le pipeline reliant Kirkouk à Haïfa[6]. Face à l’étendue de cette grève généralisée et la montée de la violence, les Anglais envoient une commission pour étudier les revendications palestiniennes.

La commission Peel constate que Juifs et Arabes ne peuvent vivre au sein d’un même État. Elle décide par l’intermédiaire de lord Peel de découper la Palestine en deux États bien distincts : la Galilée et l’ensemble du littoral formeraient un État juif et le reste du territoire jusqu’à la Transjordanie (actuel Jordanie) constituerait un État arabe. Les sionistes, dirigés par David Ben Gourion, sont favorables à ce plan. Les Arabes le rejettent catégoriquement et préconisent la création d’un État indépendant qui garantirait les droits fondamentaux des minorités juives. Devant l’échec des négociations, la contestation reprend et s’intensifie. Le commandant Andrew, gouverneur anglais chargé de la Galilée, est assassiné. La communauté druze, historiquement proche des Anglais, est également prise pour cible.

La Palestine devient de facto un véritable bourbier pour les troupes anglaises. La Grande-Bretagne décide d’accentuer sa répression sélective et s’attaque aux chefs nationalistes et aux notables arabes. Au summum de la crise, Londres envoie jusqu’à 20 000 hommes supplémentaires pour mater la révolte. Amin al-Husseini est obligé de s’exiler à Beyrouth où il prend contact avec des dirigeants nazis. Le bilan de cette grande révolte arabe de 1936-1939 en Palestine mandataire est élevé. 5 000 Arabes, 200 Britanniques et 500 Juifs sont morts et près de 9 000 Arabes sont emprisonnés.

Les conséquences à court terme

Compte tenu de la colère arabe et de l’incapacité britannique à administrer la Palestine, les Anglais promulguent un troisième Livre blanc en 1939. L’immigration juive doit être freinée. La vente des terres arabes aux Juifs est limitée et réglementée. Ce Livre blanc  dispense également aux Arabes palestiniens des concessions politiques avec la promesse d’indépendance dans les 10 ans.

Cette période de tensions communautaires a vu s’enraciner dans le paysage politico-militaire de la Palestine des groupes paramilitaires. L’organisation sioniste Haganah (qui signifie défense en hébreu) bien entraînée, a excellé contre les groupes palestiniens, plus brouillons et plus anarchiques dans leurs méthodes. Ce groupuscule sert de supplétif à l’armée britannique. De surcroît, le groupe armé nationaliste Irgoun prend de l’ampleur avec la contestation arabe de 1936. Cette organisation militaire s’impose également comme une puissante force politique, prônant un sionisme révisionniste[7]. Elle est partisane d’un État juif sur les deux rives du Jourdain, faisant fi des revendications palestiniennes.

Quant aux Palestiniens, bien que désorganisés et divisés sur le plan militaire et politique, ils embrassent majoritairement le nationalisme et préconisent la lutte contre l’occupant. Malgré la défaite, cette grande révolte jette les bases d’une organisation politique patriotique, soutenue par l’ensemble de la région. De ce fait, Arabes et Juifs campent sur des positions diamétralement opposées où le compromis semble inenvisageable. D’un côté comme de l’autre, les revendications se durcissent. Les autorités britanniques sont dépassées par les évènements.

Dans ce jeu de billard à trois bandes, les Anglais ont le rôle d’arbitre. Conciliants et bienveillants à l’égard des Juifs, ils indisposent les Arabes. La politique coloniale britannique et le pari sioniste plongent la région dans un cycle de tensions communautaires et territoriales. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, les Palestiniens doivent une fois de plus céder une partie de leurs droits pour des crimes qu’ils n’ont pas commis.


[1] https://www.persee.fr/doc/raipr_0033-9075_2012_num_182_1_4393

[2] https://www.aljazeera.com/archive/2003/12/2008410112850675832.html

[3] https://www.persee.fr/doc/geo_0003-4010_1954_num_63_335_14349

[4] https://www.lesclesdumoyenorient.com/Revolte-arabe-de-1936-1938.html

[5] https://www.monde-diplomatique.fr/1985/01/SANBAR/38384

[6] Ilan Pappe, « Une terre pour deux peuples, Histoire de la Palestine », Fayard, 2004

[7] James Barr, « Une ligne dans le sable », Perrin, 2017

La déclaration Balfour de 1917 : prélude à la création de l’État d’Israël

Parallèlement au dépècement méthodique des provinces arabes de l’Empire ottoman par les puissances coloniales anglaises et françaises, Londres « envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un Foyer national juif » pour satisfaire les desseins de l’idéologie sioniste. Cet événement marquant du 2 novembre 1917 est connu sous le nom de « Déclaration Balfour », du nom du ministre anglais des Affaires étrangères de l’époque. Or, cette déclaration totalement en contradiction avec ses engagements initiaux assène un coup fatal aux aspirations arabes du Proche et Moyen-Orient. En effet, après les accords secrets de Sykes-Picot en mai 1916 et la fausse promesse d’indépendance suite à la Grande révolte arabe de 1916-1918, la politique coloniale britannique plonge la région dans les soubresauts de l’histoire, dont les conséquences sont encore visibles…

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L’émergence du mouvement sioniste

La notion de sionisme date de la fin du XIXe siècle. La lente et difficile intégration des populations juives dans les pays européens poussent certains penseurs juifs à théoriser un concept sur la nation juive. De surcroît, en raison de la montée des théories antisémites en Europe de l’Est, notamment dans la Russie tsariste et les répressions violentes au sein des pogroms de la fin du XIXe, des Juifs veulent s’émanciper et favoriser le renouveau de l’identité juive. Dès lors, certains prônent déjà l’émigration des juifs en Palestine. Or à cette époque, le sionisme ne s’enracine pas dans les esprits et les consciences de la majorité. C’est un courant radicalement opposé à leurs identités européennes et aux préceptes du judaïsme.

L’attachement de la communauté juive à la Palestine n’est pas nouveau. Il s’explique par le fait que les juifs habitaient en Terre Sainte avant d’être chassés par les Romains en 135 après J-C[1]. De plus, le mot sionisme fait référence à Sion, une colline de Jérusalem. Les références à Sion sont nombreuses dans la liturgie et dans les prières juives. Néanmoins, les Juifs pratiquants attendent la venue du Messie pour retourner en Terre Promise.

Il faut attendre les écrits du journaliste juif d’origine hongroise Théodor Herzl afin que le sionisme s’inscrive dans la durée. Il conceptualise le sionisme politique à une époque où l’antisémitisme fait rage en Europe. Dans le contexte de l’affaire Dreyfus en France et face à l’impossibilité de l’assimilation des populations juives, Théodor Herzl écrit en 1896 « Der Judenstaat » (l’État des juifs). L’année suivante, il préside l’Organisation sioniste mondiale. Cependant, il hésite sur le lieu de ce futur foyer national juif. Initialement, il envisage l’Ouganda ou l’Argentine avant de se focaliser sur la Palestine.

Théodor Herzl se rapproche  des puissances financières juives (notamment la famille Rothschild), pour asseoir et donner du poids à son projet. Dès le début du XXe siècle, les riches financiers juifs achètent des terres en Palestine pour l’établissement des futurs colons (les Kibboutz). De ce fait, les idées de Herzl se diffusent rapidement en Europe et outre-Atlantique.

En 1882, 20 000 juifs[2] sont présents en Palestine. Ils ne représentent que 3% de la population qui compte 600 000 musulmans et chrétiens. Avec l’émergence du sionisme, l’émigration juive en Palestine se déroule en plusieurs étapes. Lente au départ, en raison de la méfiance de l’Empire ottoman et des réticences des Juifs européens, elle s’accélère et devient exponentielle avec la déclaration Balfour de 1917.

Les dessous de la déclaration Balfour

Durant la première guerre mondiale, la Grande-Bretagne participe activement à la refonte du Moyen-Orient selon ses propres intérêts. Après les accords secrets de Sykes-Picot en 1916 et la fausse promesse d’indépendance faite aux Arabes, Londres voit dans le mouvement sioniste une opportunité à saisir. En mauvaise posture sur le front européen et oriental, les Britanniques cherchent à canaliser les aspirations sionistes pour s’assurer un soutien de poids au Proche-Orient contre l’Empire ottoman. En effet, la Grande-Bretagne entend sanctuariser le Canal de Suez pour son commerce vers les Indes en sécurisant l’Égypte et la Palestine[3].

Bien que touchant simplement une minorité, le mouvement sioniste est soutenu par d’influentes personnalités juives en Europe et en Amérique. En défendant les revendications sionistes, Londres s’assure un soutien économique. Les motivations anglaises sont donc d’ordre commercial, financier et territorial. Dès lors, les contacts entre le gouvernement anglais et les différentes organisations du mouvement s’intensifient. Arthur Balfour, ministre des Affaires étrangères britannique, rencontre Lord Rothschild et Chaïm Weizman, vice-président de la fédération sioniste de Grande-Bretagne. Leurs négociations doivent aboutir à un accord, indiquant que le gouvernement britannique est favorable à la création en Palestine « d’un Foyer national juif ».

Après cinq versions, Arthur Balfour publie le 2 novembre 1917 une lettre à Lord Rothschild[4] :

« Le Gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un Foyer national pour les Juifs et fera tout ce qui est en son pouvoir pour faciliter la réalisation de cet objectif, étant clairement entendu que rien ne sera fait qui puisse porter atteinte soit aux droits civiques et religieux des collectivités non juives existant en Palestine, soit aux droits et au statut politique dont les Juifs disposent dans tout autre pays. »

Les mots de cette déclaration sont choisis avec minutie. Arthur Balfour emploie le terme de « Foyer » et non d’État, pour « rassurer » les populations autochtones sur les desseins sionistes. Néanmoins, les Arabes ne sont pas véritablement nommées, il les désigne par « les communautés non juives ». En une lettre, le cours de l’Histoire régionale se trouve bouleversé et plongé dans un cycle infernal de tensions communautaires et territoriales, dont l’Empire britannique en est le principal coupable et responsable.

Les conséquences régionales…

Cette déclaration est rendue publique le 9 novembre 1917. Les Arabes syriens et égyptiens, toutes confessions confondues s’opposent farouchement au futur établissement d’un foyer national juif en Palestine. Cette déclaration coloniale sonne le glas d’une nation arabe unifiée. Le rêve d’indépendance est brisé. En l’espace de deux ans, les Arabes passent d’une tutelle ottomane à une tutelle européenne. De surcroît, impuissants et humiliés, ils assistent à l’arrivée d’une population étrangère sur leur terre.

Les nations européennes emboitent le pas et s’alignent sur les positions britanniques. De fait, c’est une victoire pour le mouvement sioniste qui s’internationalise et obtient une garantie juridique. Dès lors, s’ensuit une période de confrontation idéologique entre deux courants diamétralement opposés, le sionisme contre le nationalisme arabe.

Dès 1914, l’écrivain palestinien chrétien Khalil Sakakini écrit sur le danger que représente le sionisme pour les habitants de la région : « les sionistes veulent mettre la main sur la Palestine (…) Ils entendent briser ce maillon et diviser la nation arabe afin d’empêcher son unité et sa cohésion (…) Si vous voulez mettre un peuple à mort, coupez-lui la langue, saisissez ses terres, c’est précisément ce que veulent faire les sionistes avec nous »[5].

La Palestine est officiellement sous mandat britannique suite à la conférence de San Remo en 1920. Désabusés et une fois de plus lésés, les Arabes cachent difficilement leurs inquiétudes vis à vis du projet sioniste[6]. La déclaration Balfour de 1917 reste l’un des documents diplomatiques les plus importants du XXe  siècle. Elle entérine et légifère sur la présence juive en Palestine, ouvrant la voie à la future création de l’État d’Israël en 1948. Ce document dégradant est la source d’un conflit aux multiples facettes qui se prolonge à ce jour, avec le démembrement progressif et inique de ce qu’était la Palestine.

En tant qu’instigatrice de cette déclaration, la Grande-Bretagne bafoue le droit des Palestiniens à disposer d’eux-mêmes. Comme le dit à juste titre Arthur Koestler, journaliste juif d’origine hongroise : « Une nation (la Grande Bretagne) a solennellement promis à une seconde (le peuple juif) le territoire d’une troisième (le peuple palestinien). »


[1] https://www.lesclesdumoyenorient.com/Sionisme-et-creation-de-l-Etat-d.html

[2] https://www.persee.fr/doc/geo_0003-4010_1954_num_63_335_14349

[3] https://blogs.mediapart.fr/mongi-benali/blog/301217/une-nation-solennellement-promis-une-seconde-le-territoire-dune-troisieme

[4] https://www.lesclesdumoyenorient.com/Declaration-Balfour.html

[5] Le Monde diplomatique, Manière de voir « Palestine : un peuple, une colonisation », Février-Mars 2018, p-91

[6] Henry Laurens, « La Question de Palestine tome premier, 1799-1922, L’invention de la Terre sainte », Fayard, 1999

La grande révolte arabe de 1916 : un soulèvement inutile ?

La grande révolte arabe de 1916 contre l’Empire ottoman est l’expression d’une insurrection instrumentalisée contre une domination étrangère. Ce soulèvement est entré dans l’histoire par l’entremise des écrits d’un officier de la Couronne britannique, ceux de Thomas Edward Lawrence dit Lawrence d’Arabie. Cet événement marquant de l’histoire régionale ne se résume pas uniquement à un fait militaire. Il reste intriguant, fascinant et traduit la duplicité des grandes puissances de l’époque.  

La Grande-Bretagne avait en effet promis aux Arabes un État indépendant en échange de prendre les armes contre les troupes ottomanes. En dépit de leur farouche engagement, la promesse est non tenue. Trahis et abusés, les Arabes avaient minoré les desseins coloniaux de l’époque au Moyen-Orient.

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 Les prémices d’un soulèvement

À la fin du XIXe siècle émerge un mouvement de renaissance culturel et politique au sein du monde arabe. Cette période de bouillonnement est appelée Al-Nahda (la renaissance). Un avènement d’une conscience politique se profile avec la création de sociétés secrètes. Plusieurs penseurs chrétiens et musulmans se liguent pour jeter les bases d’un nationalisme arabe s’opposant au joug ottoman. Ils s’inspirent de l’idéologie  nationaliste européenne.

À cette époque, le Levant est sous domination ottomane. Le pouvoir central, déliquescent et vacillant, réprime violement les intellectuels et les penseurs portant des revendications autonomistes. Pour éviter les pendaisons et les répressions, ces derniers agissent clandestinement. Désireux de s’immerger dans les affaires ottomanes, Paris et Londres soutiennent ces démarches politiques en proposant des relais journalistiques en Occident.

De surcroît, dans un élan irrédentiste, l’Empire ottoman s’allie à l’Allemagne et à l’Autriche-Hongrie pour tenter de récupérer ses anciennes possessions africaines et européennes. En novembre 1914, le Sultan Mehmed V lance même un appel au Djihad aux musulmans afin de s’opposer aux troupes franco-anglaises dans la région. Tentative partiellement suivie, car chez certaines tribus, le sentiment d’injustice et les revendications nationalistes arabes prévalent sur la notion d’Oumma (la communauté musulmane). Ainsi, des musulmans arabes de l’Empire ottoman rejettent cet appel et nouent des liens avec la Grande-Bretagne.

En effet dès 1915, le haut-commissaire britannique en Égypte Henry Mac-Mahon entretient une correspondance avec le chérif de la Mecque Hussein bin Ali. Ce dernier est issu du clan Hachémites, descendant du prophète et gardien des lieux saints musulmans[1]. Les Anglais promettent au chérif de la Mecque une indépendance sur les territoires libérés du joug ottoman, s’il accepte d’aider leurs troupes sur le front arabe. Pour Londres, il s’agit de faire imploser cet Empire vieillissant grâce aux tribus bédouines du Hedjaz (littoral de l’actuel Arabie Saoudite). Hussein bin Ali accepte et reçoit l’aide d’un homme des renseignements britanniques, Thomas Edward Lawrence. Arabisant, archéologue de formation et fin connaisseur de la géographie et de l’histoire du Moyen-Orient, Lawrence « d’Arabie » se lie d’amitié avec l’un des 4 fils d’Hussein, Fayçal.

En parallèle à cette promesse, Anglais et Français s’entendent sur le partage des provinces arabes de l’Empire ottoman suite aux accords secrets de Sykes-Picot. Ignorants les dessous de ces accords, les Arabes se lancent dans une guerre de reconquête contre les troupes ottomanes.

Un succès militaire

La révolte des tribus bédouines du Hedjaz débute le 5 juin 1916. Par effet de surprise, les insurgés s’emparent rapidement de la Mecque puis des principales villes côtières. Ces premiers succès n’auraient jamais été possibles sans l’appui des croiseurs et des canons britanniques. Néanmoins, ils sont stoppés à Médine par une importante garnison ottomane. De surcroît, par l’intermédiaire du colonel Edouard Brémond, les Français soutiennent sans enthousiasme l’effort de guerre des Arabes.  À la fin de l’année 1916, les troupes bédouines entament une guerre de position de basse intensité contre les forces ottomanes.

Quant à lui, l’émir Fayçal réunit une importante force d’environ 8 000 hommes pour prendre le port d’El-Ouedj, non loin du chemin de fer reliant le Hedjaz à la Turquie. Or, la prise de cette place stratégique est un fait d’arme britannique. Excellant dans l’art du sabotage, les troupes bédouines détruisent plusieurs parcelles du chemin de fer du Hedjaz, unique source d’approvisionnement pour les troupes ottomanes dans cette région. Fins connaisseurs de leur région, les bédouins harcèlent sans cesse leurs ennemis par le biais d’attaques surprises et de vols de cargaisons dans le désert[2]. Lawrence d’Arabie décrit ces conquêtes et ces tactiques de combat dans son livre autobiographique « Les Sept piliers de la sagesse »[3]. Les généraux anglais et français de l’époque perçoivent les bédouins comme des pilleurs sans foi ni loi, se distinguant dans l’art de la guérilla.

Le succès le plus retentissant et surprenant fut la prise du port d’Aqaba, situé sur la mer rouge. Lawrence d’Arabie et les troupes de Fayçal traversent le désert du Nefoud en mai 1917 avant de s’emparer d’Aqaba par les terres en juillet de la même année. Cette victoire permet aux Britanniques de relier l’Égypte à la Palestine. De leur côté, les partisans de Fayçal aspirent à rejoindre les nationalistes syriens. Après avoir repris Jaffa et Jérusalem en décembre 1917 avec les troupes anglaises, l’émir Fayçal fait une entrée triomphale à Damas en septembre 1918[4], mettant fin à 4 siècles de domination ottomane.

Dans les faits, cette victoire de la grande révolte arabe n’aurait pas été possible sans l’aide logistique et matérielle des Anglais. Ces derniers ont utilisé la fougue et la bravoure des Arabes à des fins de politique extérieure.

Déceptions et désillusions

Les Anglais n’ayant pas honoré leurs engagements, l’espoir d’un grand royaume arabe indépendant est déchu. En effet, la promesse anglaise est balayée par les accords de Sykes-Picot en 1916 et par la déclaration Balfour en 1917.[5]

Dupés, les Arabes prennent connaissance de la conclusion de ces accords une fois le travail accompli. De ce fait, les nationalistes syriens sous la houlette de l’émir Fayçal entrent en résistance contre la présence française en Syrie et au Liban. Le fils du chérif Hussein refuse catégoriquement le mandat français au Levant et se rend même à deux reprises en Europe pour prêcher les revendications d’indépendance arabe.

Ses tentatives sont vaines. Les accords Sykes-Picot sont entérinés en 1920 lors de la conférence de San Rémo. Pourtant, un éphémère royaume arabe de Syrie voit le jour en mars 1920 en opposition aux desseins français dans la région. Des pourparlers s’engagent entre la France et le gouvernement de Fayçal. Ceux-ci n’aboutissent pas et l’affrontement armé est inévitable. S’ensuit la bataille de Khan Mayssaloun en juillet 1920. Défait, l’émir Fayçal est contraint à l’exil. En compensation, les Britanniques le placent à la tête de l’Irak. Cependant, cet échec de la constitution d’un royaume arabe unifié est le prélude d’un nationalisme plus contemporain et plus populaire.

En guise de consolation, la famille hachémite du chérif Hussein bin Ali obtient le trône de la Transjordanie (la future Jordanie) et conserve l’autorité sur le Hedjaz avant d’être destituée en 1925 par une dynastie concurrente… les Saoud[6].  

La grande révolte arabe est plus synonyme de duperie que de victoire. Le fait d’arme n’est pas négligeable, or ce soulèvement incarne surtout les desseins coloniaux de Paris et de Londres. L’ampleur de la désillusion est consubstantielle aux espoirs d’indépendance. L’époque des mandats britanniques et français au Moyen-Orient renforce de fait un nationalisme arabe jusque là embryonnaire[7]. Depuis, ce dernier se modernise, se diffuse et touche tous les pans de la société arabe. Or, cette idée de nation arabe unifiée se heurte à la volonté de certains États de devenir souverains, à l’instar de l’Arabie Saoudite.

L’échec des revendications arabes suite à la révolte de 1916 à 1918 participe à cette méfiance populaire à l’égard des visées occidentales dans la région. Quand les intérêts des uns priment sur le désir d’indépendance des autres…


[1] https://www.cairn.info/revue-etudes-2016-5-page-17.htm

[2] https://orientxxi.info/l-orient-dans-la-guerre-1914-1918/debats-et-controverses-autour-de-la-grande-revolte-arabe-contre-les-turcs,2154

[3] Thomas Edward Lawrence, « Les Sept piliers de la sagesse », Gallimard, 2017

[4] https://orientxxi.info/documents/glossaire/revolte-arabe,0838

[5] https://www.monorient.fr/index.php/2020/05/12/les-accords-sykes-picot-en-1916-partage-franco-anglais-du-proche-orient/

[6] https://www.pressreader.com/france/carto/20171103/281689730084986

[7] Charles Saint-Prot, « Le mouvement national arabe », Ellipses, 2013

Les accords Sykes-Picot en 1916 : partage franco-anglais du Proche-Orient

À partir du XIXe siècle, chancelant et moribond, l’Empire ottoman devient peu à peu « l’Homme malade de l’Europe ». Français et Britanniques lorgnent sur les territoires levantins de l’Empire déliquescent. Depuis plusieurs décennies déjà, les Européens nouent des contacts avec les différentes communautés autochtones (Chrétiens notamment) pour assurer leurs sécurités et ainsi prétexter un droit de regard.   

Faisant le choix de s’allier à l’Allemagne et à l’Autriche-Hongrie durant la première guerre mondiale, l’Empire ottoman devient de facto un ennemi de Paris et de Londres. Lors de longues tractations et négociations, Anglais et Français décident conjointement de se partager les provinces arabes du Moyen-Orient en fonction de leurs intérêts respectifs. Aujourd’hui encore, les accords Sykes-Picot représentent une humiliation à l’échelle régionale dont les conséquences sont encore visibles.

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Le contexte d’un démembrement

Dès la fin du XIXe siècle, les territoires de l’Empire ottoman se réduisent comme peau de chagrin. Après avoir perdu la Grèce en 1830, « la Sublime porte » est contrainte d’abandonner ses possessions européennes avec les indépendances de la Roumanie, de la Bulgarie, de la Serbie et du Monténégro.

Confronté à des difficultés économiques et sociales et face aux visées coloniales européennes, l’Empire ottoman est obligé de céder peu à peu ses régions africaines. Il perd successivement l’Algérie puis la Tunisie qui passent sous protectorat français, à partir de 1882 la Grande-Bretagne administre l’Égypte et la Libye devient une colonie italienne en 1911. À l’agonie, l’Empire se recentre sur le Levant et l’Anatolie. Or au sein même de ses provinces arabes, un sentiment national émerge contre le joug ottoman. Les nationalismes arabe et kurde revendiquent plus d’autonomie vis-à-vis du pouvoir central. Anglais et Français attisent conjointement cette colère pour faire imploser cet empire vacillant.

Conscient des desseins franco-anglais au Moyen-Orient et espérant reconquérir ses anciennes possessions, l’Empire ottoman décide de s’allier à l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie durant la première guerre mondiale (1914-1918). Parallèlement, le Sultan Mehmed V lance un appel au Djihad en Novembre 1914 à tous les citoyens musulmans pour contrer les troupes franco-anglaises[1]. Or, cet appel se heurte aux revendications nationalistes arabes toutes confessions confondues. En effet, les difficultés économiques et la répression brutale des élites arabes par le pouvoir central ottoman (pendaison des nationalistes sur les places publiques, famine du Mont Liban, massacre systématiques des communautés chrétiennes orthodoxes) poussent les populations locales à se rapprocher de Londres et de Paris. En échange de ce soutien, une promesse d’indépendance est faite aux Arabes.

Cependant, au détriment de ces promesses initiales, les deux puissances européennes entendent sanctuariser des zones d’influences au Moyen-Orient. À ces promesses d’Arabie indépendante, la France veut consolider son rôle dans une « Grande Syrie » francophone et francophile. Quant à l’Empire britannique, il veut sécuriser une voie de passage vers les Indes et s’intéresse à l’approvisionnement des hydrocarbures en Irak.

Les dessous de l’accord

Dès Novembre 1915, Français et Anglais entament des négociations secrètes pour se partager les provinces arabes de l’Empire ottoman. Après plusieurs mois de relations épistolaires entre le diplomate anglais Mark Sykes et le diplomate français François Georges-Picot, un accord est signé le 16 Mai 1916 par Paul Cambon, ambassadeur de France à Londres, et Edward Grey, secrétaire d’État au Foreign Office[2].

Cet accord secret prévoit à terme le découpage des provinces arabes de l’Empire ottoman en aires d’influences françaises et anglaises. Cette coopération franco-anglaise reçoit l’aval de l’Empire russe et de l’Italie. Le Proche-Orient est de fait découpé en 5 zones bien distinctes[3]:

  • une zone française d’administration directe comprenant le Liban actuel et la Cilicie (province turque)
  • une zone d’influence française comprenant une bonne partie de la Syrie avec la province de Mossoul
  • une zone anglaise d’administration directe formée par le Koweït et une partie de l’Irak jusqu’à Bagdad
  • une zone d’influence anglaise composée de l’actuel Jordanie, de la Palestine mandataire et du Sud de la Syrie
  • une zone d’administration internationale comprenant Saint Jean d’Acre, Haïfa et Jérusalem

Cependant, cet accord ne demeure pas secret bien longtemps. Lors de la révolution bolchévique de 1917, l’administration russe dévoile au grand jour les conclusions du traité. De plus, les Etats-Unis du Président Wilson, veulent contrecarrer les plans franco-anglais dans la région en théorisant sur l’autodétermination des peuples. Cet accord est finalement parachevé à la conférence de San Remo en 1920[4]. Conférence au cours de laquelle la France cède la province de Mossoul à l’administration britannique en contrepartie d’une participation aux bénéfices pétroliers de la région irakienne de Kirkouk[5]. La même année lors du traité de Sèvres, l’Empire ottoman vivant ses dernières heures, renonce officiellement et définitivement à ses provinces arabes et maghrébines.

Conséquences et répercussions

Malgré les promesses d’indépendance, les Arabes de la région se retrouvent soumis à la tutelle d’une puissance tierce. Le Liban et la Syrie sont administrés par la France, la Jordanie, l’Irak et la Palestine par la Grande-Bretagne.

Le gouvernement français entend faire du protectorat syro-libanais un pont pour la culture et la langue française[6]. Paris s’appuie majoritairement sur les communautés chrétiennes (notamment les Maronites) avec qui elle avait déjà noué des liens par le passé. En 1920, la France participe activement à la création d’un « Grand Liban » indépendant et autonome vis-à-vis de son voisin syrien. De ce fait, la présence française se heurte à une vive opposition en Syrie où plusieurs manifestations sont matées. Paris régionalise consciencieusement les différentes provinces syriennes en fonction de leurs appartenances religieuses. Cette politique coloniale française est hasardeuse. Elle crée les soubassements des tensions et des conflits ultérieurs.

De son côté, l’Empire britannique, maître d’un territoire allant de la Palestine au Golfe arabo-persique, participe activement à la mise en place d’un oléoduc transportant le pétrole irakien vers la Méditerranée[7]. De surcroît, cette présence au Proche Orient lui assure une meilleure sécurisation des routes commerciales vers les Indes. À l’instar des Français, les troupes anglaises sont également confrontées à de nombreuses révoltes. L’Irak, pays tribal et multiconfessionnel, est difficilement administrable. De ce fait, la militarisation de la présence anglaise s’intensifie dans la région. De plus, depuis le traité Balfour de 1917, stipulant la création d’un foyer national juif en Palestine, les autorités britanniques font face à de nombreuses contestations de la part des populations locales palestiniennes.

Le façonnement des frontières du Proche Orient, bravant les différentes ethnies et religions des populations locales, est perçu comme une humiliation par les Arabes, à qui on avait promis un État indépendant. Or, il faut savoir que cette époque est une période de domination coloniale, de partages territoriaux entre grandes puissances et de négociations secrètes faisant fi des volontés autochtones. Tout comme le congrès de Berlin en 1885, prévoyant le partage de l’Afrique, les accords de Sykes-Picot ont modelé les frontières d’une région selon les intérêts européens.

Depuis, ces frontières « artificielles » résistent à l’épreuve du temps. Même le nationalisme arabe des années 50-60 n’arrive pas à les gommer. En effet, l’ancrage politique et souverain de ces nouveaux États s’inscrit bon an mal an dans la durée, parachevant de fait les frontières coloniales de 1916. Ces accords sont « menacés » par Daech en 2014, qui veut redéfinir les frontières du Moyen-Orient selon ses propres conceptions et théories[8].

Aujourd’hui encore, les accords Sykes-Picot font l’objet de nombreuses critiques. Certains analystes jugent qu’ils sont la cause du chaos actuel. Les signataires ont inventé « une paix qui ressemble à la guerre ». Ces frontières héritées de la période coloniale sont soumises aux soubresauts de l’Histoire. Les multiples conflits, « les printemps arabes » et les menaces terroristes rabattent les cartes des acquis territoriaux. Au gré de la conjoncture, le Proche-Orient est une région mouvante et instable où chaque population ou communauté peut et veut revendiquer son propre territoire (cf les Kurdes et les Palestiniens).


[1] https://www.cairn.info/revue-etudes-2016-5-page-17.htm

[2] https://www.lesclesdumoyenorient.com/Accords-Sykes-Picot.html

[3] Jean-Paul Chagnollaud et Sid-Ahmed Souiah, « Les frontières au Moyen-Orient », L’Harmattan, 2004

[4] https://orientxxi.info/documents/glossaire/accords-de-sykes-picot,0678

[5] https://www.monde-diplomatique.fr/2003/04/LAURENS/10102

[6] James Barr, « Une ligne dans le sable », Tempus Perrin, 2017

[7] Ibid

[8] http://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20160516-accords-sykes-picot-redessinaient-moyen-orient-syrie-irak-siecle