Les Chrétiens d’Orient: une minorité oubliée (Partie 2/2)

De la fin du XIXe siècle à l’émergence de l’État islamique au Levant en 2014, les populations chrétiennes oscillent entre espoir et abattement, entre renaissance et exil. Dans un siècle de grandes mutations, la communauté chrétienne hétérogène a endossé plusieurs rôles.

Au début du XXe siècle, les Chrétiens d’Orient représentent ¼ de la population du Moyen-Orient. Aujourd’hui selon les dernières estimations, ils sont environ 4%. Proportionnellement, le chiffre a grandement diminué en raison du fort taux de natalité chez les musulmans. Or, les dynamiques démographiques prouvent bien que la population chrétienne a augmenté en nombre, passant de 2 millions en 1914 à environ 15 millions aujourd’hui.

Cette seconde partie revient sur un siècle de questionnements sur l’enracinement d’une communauté chrétienne plurimillénaire, sur son rôle dans l’Histoire et sur sa régénération face aux menaces régionales. 

De la fin de l’Empire ottoman aux mandats européens

La déliquescence de l’Empire ottoman va de pair avec un durcissement de sa politique vis-à-vis des minorités religieuses. Dès la fin du XIXe siècle, le pouvoir central d’Istanbul tente de rallier tous les musulmans à sa cause en imposant le panislamisme (mouvement politico-religieux prônant l’union de tous les musulmans). Mais les citoyens arabes de l’Empire, toutes confessions confondues, veulent leur indépendance et s’organisent clandestinement. Sous la houlette des penseurs chrétiens Jurji Zaydan, Naguib Azoury, les frères Sélim et Béchara Taqla ou encore l’auteur libanais Gibran Khalil Gibran, l’idéologie panarabe émerge des consciences et tente de gommer les différences religieuses.

Cependant, le pouvoir central matte rapidement les manifestations. Les Chrétiens sont souvent pris pour cible et sont injustement qualifiés d’agents de l’extérieur. Les Arméniens de l’Empire subissent des massacres dès la fin du XIXe siècle. Ils sont assimilés à l’ennemi russe, car ils partagent la même religion orthodoxe. De surcroît, en guerre contre la Russie à partir de 1914, les dirigeants turcs ordonnent un massacre systématique des Arméniens et des autres minorités chrétiennes. Plus des deux tiers de la population arménienne sont décimés. Les survivants fuient vers la Russie et la Perse de l’époque. C’est le premier génocide du XXème siècle.

Avec la chute de l’Empire ottoman en 1923, les populations locales passent sous le joug des puissances européennes qui se partagent les restes de l’Empire déchu lors des accords de Sykes-Picot en 1916. La France hérite de la Syrie et du Liban, tandis que la Grande-Bretagne obtient l’Irak, la Jordanie et la Palestine. De ce fait, les populations locales qui rêvaient d’indépendance se retrouvent une fois de plus sous l’emprise d’une puissance tiers. Dès lors, une frustration s’empare des nationalistes arabes chrétiens et musulmans. En divisant le Proche-Orient, Paris et Londres entreprennent consciencieusement une régionalisation des communautés. Les Chrétiens n’ont plus un destin commun et des tensions au sein même de la communauté apparaissent.

Aujourd’hui encore, les stigmates du mandat ont des conséquences sur la faible polarisation du pouvoir central. Face à cette déception, des révoltes éclatent en Irak, en Syrie et au Liban pour demander le renvoi des troupes européennes. Deux visions s’opposent chez les Chrétiens d’Orient. Ceux qui prônent une opposition farouche au mandat, à l’instar d’Antoine Saadé, libanais orthodoxe, qui se fait l’apôtre de la Grande Syrie en créant le parti social national syrien en 1932. D’autres, rêvent d’un État libanais majoritairement Chrétiens en niant son arabité à l’image de Pierre Gemayel, Chrétien maronite, qui fonde en 1936 le parti des Phalanges libanaises proche de l’administration française.

Finalement, l’hétérogénéité politique des Chrétiens explique le peu de collusion entre les différents coreligionnaires durant l’époque des mandats.

Au temps des indépendances : entre rêve et réalité

Au lendemain des indépendances dans les années 40, les Chrétiens d’Orient aspirent à jouer un rôle de premier plan dans la vie politique et économique de la région.

  • Les premiers espoirs :

Au Liban la constitution de 1926, imposée par la France, prévoit que le Président de la République libanaise soit de confession chrétienne maronite. Malgré l’indépendance en 1943, la France garde un droit de regard sur le Liban. À cette époque, les Chrétiens représentent 52% de la population (cf le recensement de 1932). La cohabitation avec les autres communautés est bonne. Il n’y a pas de réelle distinction communautaire au delà du cadre strictement politique.

En Syrie et en Irak, une laïcité orientale s’instaure sous l’influence d’un penseur chrétien orthodoxe Michel Aflak. Ce dernier est le fondateur du parti Baath (résurrection en arabe) en 1944. Cette idéologie s’impose avec Hafez Al-Assad en Syrie à partir de 1970 et en 1968 avec Saddam Hussein en Irak. Elle prône la primauté de l’arabité sur l’appartenance religieuse et communautaire ainsi qu’une indépendance à l’égard de l’Occident. De ce fait, les Chrétiens peuvent exercer des postes à haute responsabilité dans l’armée ou au sein du Parlement. C’est le cas de Tarek Aziz qui est ministre des Affaires étrangères sous Saddam Hussein.

En Égypte sous le règne de Gamal Abdel Nasser (1954-1970), la communauté copte qui représente la plus importante population chrétienne au Moyen-Orient, connaît un renouveau, une impulsion mais de courte durée face à l’islamisation galopante de la société.

Avec la création de l’État d’Israël en 1948, les Chrétiens palestiniens jouent un rôle majeur dans le mouvement national. Ils sont à l’avant-garde de la lutte contre l’occupation illégitime de la Palestine. Georges Habache est le fondateur du Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP). Certains s’investissent dans la littérature politique comme Edward Saïd et se font les portes paroles des opprimés du sionisme et du danger qu’il représente en tant qu’entité communautariste.

  • Vers une marginalisation progressive :

Les défaites militaires arabes face à Israël (en 1948, 1956, 1967 et 1973) chamboulent le relatif équilibre confessionnel et poussent les Chrétiens palestiniens à s’auto-marginaliser de la vie politique. L’exode massif des Palestiniens engendre des difficultés d’ordre économique et social au sein des pays hôtes (Jordanie, Syrie et Liban). En raison de la fragilité et des dissensions politiques vis-à-vis de la cause palestinienne, le Liban sombre dans une guerre « civile » aux multiples facettes de 1975 à 1990. Une partie des Chrétiens se ligue contre les Palestiniens, perçus comme responsables de cette guerre. Une autre frange de la population les soutient, car ils représentent la lutte contre Israël. Le pays implose et connaît une guerre fratricide entre Chrétiens en 1989. Désunis et influencés par l’extérieur, ils perdent leurs prérogatives politiques au profit des musulmans suite aux accords de Taëf qui mettent fin à la guerre en octobre 1989.

Face aux multiples échecs et humiliations subis par les nations arabes, petit à petit l’Islam radical éclipse le panarabisme avec le soutien officieux de l’Occident. Cette idéologie prolifère majoritairement au sein des couches populaires musulmanes sunnites. Le Chrétien y est considéré comme l’ennemi, car injustement et faussement assimilé à l’Occident.

Les Chrétiens d’Orient face à l’islamisme : entre exil, soumission et résistance

Avec la destruction de l’appareil étatique irakien et ce, depuis l’invasion américaine de 2003, l’Irak est devenu un terrain fertile pour l’islamisme radical. En 2013-2014, l’État islamique s’enracine au Levant et pousse des centaines de milliers de familles chrétiennes sur la route de l’exil. En septembre 2013, le village chrétien de Maaloula en Syrie tombe aux mains des islamistes du Front Al-Nosra (branche d’Al Qaeda en Syrie). Selon les témoignages des habitants « ils sont arrivés sur leurs pick-up en criant les Chrétiens au tombeau ». Églises et cimetières sont ravagés et les tombes pillées. Pour les islamistes, les Chrétiens d’Orient sont le cheval de Troie de l’Occident en terre arabe. Cette sémantique impose un parallèle mensonger et absurde entre Occident et Christianisme, alors que le berceau de la Chrétienté se situe en Orient.

L’État islamique sanctuarise ses acquis territoriaux. En 2014, avec la prise de la plaine de Ninive en Irak, les populations chaldéennes prennent l’exil de peur d’être persécutées et massacrées.

Les populations qui restent sous l’emprise des djihadistes sont obligées de se soumettre. Ils se convertissent et doivent appliquer les codes de la charia. Dans le meilleur des cas, les femmes doivent se voiler, les hommes doivent porter des vêtements amples et ne peuvent fumer. Dans le pire des cas, les Chrétiennes servent d’esclaves sexuelles aux djihadistes et les hommes de main-d’œuvre bon marché en étant continuellement opprimés.

D’autres font le choix courageux de former des milices armées pour combattre les djihadistes dès 2013. En Syrie, de nombreux groupuscules chrétiens sont créés dans les banlieues d’Homs et d’Alep avec l’aide des Russes et des Iraniens. Ils forment les supplétifs de l’armée régulière syrienne. Ils se battent pour leurs terres et pour un idéal révolu, celui d’une entente fraternelle avec la majorité musulmane. Somme toute, l’arrivée de Daesh a provoqué un choc rédhibitoire pour de nombreuses populations chrétiennes. Plusieurs syriens m’ont témoigné avec incompréhension et nostalgie « Avant la guerre, il y avait une forme de cohésion, on était tous Syriens, avec l’arrivée de Daesh, certains de nos voisins musulmans ont rejoint les terroristes ».

Le sectarisme politique, la menace terroriste sunnite et les politiques occidentales contestables marginalisent la communauté chrétienne. Aujourd’hui plus que jamais, les Chrétiens d’Orient doivent se restructurer politiquement et économiquement et mettre en avant leurs particularismes s’ils ne veulent pas être définitivement considérés comme les oubliés de l’Histoire orientale.

Bibliographie :

  • Tigrane Yégavian, « Minorités d’Orient : Les oubliés de l’Histoire », éditions du Rocher, 2019
  • Bernard Heyberger, « Chrétiens du monde arabe : Un archipel en terre d’Islam », Autrement, 2003
  • Alain Ducellier, « Chrétiens d’Orient et Islam au Moyen-Âge, VIIème- XVème siècle », Armand Colin, 1996
  • Amin Maalouf, « Les Croisades vues par les Arabes », Poche, 1999
  • Joseph Yacoub, « Une diversité menacée, les chrétiens d’Orient face au nationalisme arabe et à l’islamisme », Salvator, 2018

Les Chrétiens d’Orient : une minorité oubliée (Partie 1/2)

Méconnus pour certains, inexistants pour d’autres et ce malgré 2000 ans d’Histoire, les Chrétiens d’Orient sont les laissés pour compte d’une région en perpétuelle mutation. Malgré les discours alarmants sur la protection des minorités, la situation des Chrétiens orientaux est sous médiatisée en regard des soubresauts de l’Histoire régionale. Soumis en période de paix, et assimilés à l’ennemi en période de guerres, ils n’ont de cesse de chercher une posture conciliante qui puisse leur permettre de vivre leur foi en paix.

Pour autant, ils ne forment pas un groupe homogène. Dans chaque pays, de l’Égypte à l’Irak, en passant par le Liban et la Syrie, les Chrétiens ont leur propre singularité sous le prisme des traditions linguistiques et liturgiques.

Cette première partie revient sur la genèse du christianisme, mettant en exergue les particularismes locaux, les dissensions, les allégeances ainsi que les interactions avec les différents empires musulmans, jusqu’à l’éveil politique et intellectuel au temps de la Nahda à la fin du XIXème siècle.

De la genèse à l’islamisation

Le christianisme est né et se développe sur la partie orientale de l’Empire romain. Le Moyen-Orient est donc par essence, le berceau de cette nouvelle religion. Un temps minoritaire, les adeptes de cette croyance vivent cachés et ne peuvent pratiquer leurs rites en public. Jusqu’au IIIème siècle de notre ère, les Chrétiens subissent de nombreuses persécutions et massacres. Ils sont considérés comme ennemis de l’Empire et souvent perçus comme des individus hérétiques. Jusqu’au début du IVème siècle de notre ère, les Chrétiens sont à la merci des différents empereurs. Certains s’en prennent uniquement au clergé, tandis que d’autres oppriment les fidèles.

Il faut attendre l’arrivée de l’empereur Constantin 1er, converti au christianisme, qui promulgue l’édit de Milan en 313 et accorde la liberté de culte dans tout l’Empire. Petit à petit, le christianisme se développe et devient l’unique religion officielle sous Théodose 1er à la fin du IVème siècle. S’ensuit une période de foisonnement intellectuel avec de nombreux débats théologiques. Les premières divisions apparaissent, ce sont les controverses autour de la nature humaine – divine – ou les deux du Christ. Malgré les nombreux conciles, les ruptures sont consommées et aboutissent à la création de plusieurs églises distinctes.

Ainsi sous l’Empire byzantin, la communauté chrétienne ne forme pas un ensemble homogène. Le pouvoir central de Constantinople ne réussit pas à centraliser et imposer un seul dogme chrétien. C’est au Vème et VIème siècle qu’émergent les églises coptes d’Égypte, syriaques, assyro-chaldéennes de Syrie et maronites du Liban. Leurs fidèles vivent clandestinement leur foi.

À la mort de Mahomet en 632, les armées arabes envahissent le Moyen-Orient. Les églises dissidentes perçoivent initialement l’arrivée des musulmans comme une libération vis-à-vis du pouvoir autoritaire de Constantinople. Dans un premier temps, les Chrétiens pratiquent plus librement leur foi, il n’y a pas de conversion forcée car ils sont reconnus comme des Gens du Livre (Ahl Al-kitab en arabe). Mais petit à petit le pouvoir central musulman soumet la communauté chrétienne à un statut de dhimmis (selon le droit musulman, dhimmi désigne les non musulmans d’un État sous gouvernance musulmane). Ce mot est souvent traduit comme une forme de « protection discriminatoire ». Du fait de ce statut secondaire, les Chrétiens ont une obligation de paiement d’impôts supplémentaires (la djizya) et la liberté de pratiquer leur culte est restreinte. Dès lors, les conversions à l’islam vont se multiplier.

Du déclin aux croisades

Très rapidement, l’arrivée des troupes musulmanes va de pair avec l’arabisation de la société et des rites chrétiens. Certaines langues théologiques disparaissent au profit de l’arabe. La première Bible est traduite en arabe au IXème siècle. Or, cette arabisation s’accompagne d’une islamisation de tous les pans de la société orientale. Les églises orientales commencent à se refermer sur elles-mêmes. La forte croissance démographique musulmane aggrave la situation des Chrétiens qui deviennent minoritaires. Malgré certaines périodes de partage et de collusion avec les pouvoirs centraux, les Chrétiens sont marginalisés, discriminés si ce n’est persécutés.

Les relations entre Musulmans et Chrétiens vont davantage se détériorer avec l’arrivée des troupes d’Occident. En effet, le pape Urbain II lance un appel à la croisade en 1095 pour aider les Chrétiens d’Orient et libérer Jérusalem, épicentre de pèlerinages de tous les Chrétiens occidentaux et orientaux. Ainsi, ses derniers sont perçus comme des potentiels traîtres. Pourtant, les armées d’Occident ne sont pas nécessairement bien reçues par leurs coreligionnaires d’Orient. Certains décident d’aider les Croisés à l’instar des Maronites, d’autres préfèrent rester en territoire musulman comme les chrétiens orthodoxes. En effet, le schisme de 1054 scella définitivement la division entre les églises rattachées à Rome (catholiques) et les églises rattachées à Constantinople (orthodoxes).

La présence des Croisés en Orient entraîne un durcissement des politiques à l’égard des Chrétiens d’Orient. Saladin augmente la pression fiscale sur ses sujets chrétiens pour financer sa guerre contre les Croisés. L’aide de l’Occident durant les croisades a finalement aggravé le sort des populations chrétiennes en Orient. Le pouvoir musulman se venge de l’aide apportée aux Croisés. Des églises sont détruites en Syrie, en Égypte et en Irak. Des Chrétiens sont réduits en esclavage et certains décident de fuir à Chypre.

La période des croisades du XIème au XIIIème siècle a modifié le statut des Chrétiens d’Orient à l’égard du pouvoir musulman. Le relatif équilibre est dès lors fragilisé et les communautés chrétiennes subissent une marginalisation politique, sociale et économique.

Sous l’Empire ottoman jusqu’au temps de la Nahda

Sous l’Empire ottoman du XIVème au XXème siècle, les Chrétiens sont intégrés à la société en tant que dhimmis dans un ensemble qui s’appelle le « millet », sorte de structure confessionnelle propre à une communauté. De fait, ils participent aux activités économiques locales, mais adoptent une différenciation vestimentaire (en bleu) et géographique. Les Chrétiens habitent dans des quartiers qui leur sont réservés et ils exercent des fonctions dépréciées par l’Islam comme les métiers du commerce ou de la finance. Les Arméniens de l’Empire ottoman contrôlent la majorité du commerce des armes.

Au gré des périodes, une relative pacification des rapports s’instaure. Or, à l’aune des tensions avec l’Occident, les Chrétiens subissent de nombreuses persécutions physiques et fiscales. Les nombreuses guerres qui opposent l’Empire ottoman et la Russie à partir du XVIIIème siècle donnent lieu à un durcissement des politiques ottomanes à l’égard des Orthodoxes, jugés proche de Moscou. 

L’Occident s’intéresse au sort de ses coreligionnaires d’Orient. François 1er noue des liens avec le sultan ottoman Soliman le Magnifique et signe un accord en 1535 qui lui permet d’avoir un droit de regard sur les populations chrétiennes en échange d’une liberté de commerce dans les ports français. Très vite, cette volonté de protection des Chrétiens d’Orient est instrumentalisée à des fins de politique extérieure. En effet, les puissances européennes veulent affaiblir l’Empire ottoman. Tour à tour, Russes et Français se gargarisent d’être «les protecteurs des Chrétiens d’Orient ». La Russie se porte garante de la sécurité des Orthodoxes alors que la France se veut protectrice des Catholiques. Ce rôle va prendre une ampleur historique lors du massacre des maronites en Syrie et au Liban. La France de Napoléon III intervient militairement en 1860 pour protéger la communauté chrétienne.

En lien étroit avec l’Occident, les Chrétiens d’Orient deviennent peu à peu le fer de lance d’un renouveau politique. Embourbé dans une crise interne et externe, l’Empire ottoman durcit sa politique et empêche tout courant dissident. Dans une logique nationaliste arabe, certaines figures chrétiennes libanaises, égyptiennes et syriennes écrivent, publient et partagent des idées politiques d’une lutte contre l’Empire ottoman. La notion d’arabité prédomine pour gommer les différences communautaires et confessionnelles. Ce bouillonnement intellectuel et politique est nommé « Al Nahda » (la renaissance en arabe). Ce courant émerge à la fin du XIXème siècle et s’enracine dans les esprits de chaque arabe de l’époque. Animés par un esprit de régénération de la dignité, les Arabes de l’Empire ottoman s’opposent au pouvoir central. Cette opposition est consciencieusement soutenue par l’Occident qui mise sur l’implosion de l’Empire Ottoman.

Bibliographie :

  • Tigrane Yégavian, « Minorités d’Orient : Les oubliés de l’Histoire », éditions du Rocher, 2019
  • Bernard Heyberger, « Chrétiens du monde arabe : Un archipel en terre d’Islam », Autrement, 2003
  • Alain Ducellier, « Chrétiens d’Orient et Islam au Moyen-Âge, VIIème- XVème siècle », Armand Colin, 1996
  • Amin Maalouf, « Les Croisades vues par les Arabes », Poche, 1999

Les « alliés » arabes d’Israël

Esseulé à sa création en 1948, l’État d’Israël a depuis réussi à briser son isolement au prix de nombreuses tentatives de rapprochement et de négociations avec certains gouvernements arabes. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, la Palestine représentait la cause fédératrice pour le monde arabe. Or, aujourd’hui cette cause est devenue secondaire si ce n’est encombrante pour les dirigeants de la région. L’abandon de cette lutte fait les beaux jours d’Israël.

La politique de l’État hébreu consiste à étendre la pacification de son entourage en accentuant la menace iranienne. Aidée et soutenue systématiquement par l’administration américaine, Israël a réussi à rendre possible ce qui ne l’était pas : la paix avec ses voisins arabes.

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Une normalisation officielle :

L’incapacité militaire des États arabes à vaincre Israël lors des différentes guerres poussa certains pays acculés à signer des accords de paix.

En effet, les nombreux conflits opposant l’État hébreu à l’Égypte (1948, 1956, 1967 et 1973) ont mis en exergue l’infériorité chronique des armées arabes face à la supériorité israélienne, aidée par l’Occident. Le secteur économique égyptien n’arrivait plus à pallier le déficit des dépenses militaires. Après la mort de Gamal Abdel Nasser, leader arabe charismatique et fer de lance de la lutte contre Israël, l’Égypte se rapproche d’Israël en contrepartie d’une aide économique américaine. Les accords de paix sont signés à Camp David en 1979 par le Général Anouar Al Sadate. Conspué par la rue arabe, le Président égyptien est assassiné en 1981.

Suite à la pacification des relations avec l’État d’Israël, l’Égypte est mise au ban de la Ligue arabe pour trahison envers la cause palestinienne jusqu’en 1990.

La Jordanie est le second État à signer la paix avec l’État d’Israël en 1994. Pourtant, plus de la moitié de la population jordanienne est d’origine palestinienne. Les nombreux conflits avec Israël ont fait fuir des centaines de milliers de familles vers la Jordanie, le Liban et la Syrie. Or, engluée dans une crise économique et ne pouvant faire face à la puissance israélienne, le roi de Jordanie Hussein signe un accord de paix avec Israël en échange d’une aide économique américaine. À l’instar de l’Égypte, le pays est suspendu de la Ligue arabe.

Ignorée du grand public, la Mauritanie a reconnu Israël en 1999. Les Etats-Unis ont accéléré ce processus par le biais de pressions économiques. Néanmoins, les relations avec Israël demeurent compliquées et irrégulières en raison de la question palestinienne.

La pacification avec l’État hébreu ne se fait jamais sans contrepartie. Les Etats-Unis usent de la « diplomatie du chéquier » pour convaincre les chancelleries arabes d’abandonner la lutte contre Israël et pour acquérir une stabilité économique. Aujourd’hui, cette pacification se mue en un partenariat stratégique, notamment pour l’achat de gaz israélien. Cependant, l’abandon de la cause palestinienne par les chancelleries arabes n’est pas au goût de la rue qui elle, continue de clamer son attachement pour la Palestine.

De moins en moins officieuse :

« L’ennemi de mon ennemi est mon ami », cette théorie schmitienne résume à elle seule la politique des monarchies du Golfe qui n’hésitent pas à se rapprocher de plus en plus ouvertement d’Israël pour s’opposer à l’Iran et ses alliés dans la région.

En effet, les monarchies sunnites du Golfe se focalisent sur l’ennemi iranien au détriment de la cause palestinienne. Cette division au sein du monde musulman fait le jeu d’Israël. L’Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis, le Koweït et Bahreïn font front commun avec Israël pour stopper l’influence iranienne au Moyen-Orient. De fait, les rencontres entre dirigeants politiques et militaires sont de plus en plus régulières. Une collaboration étroite s’instaure dans la lutte contre le cyber-terrorisme, dans la formation des services de renseignement et d’espionnage ainsi que la fourniture par Israël d’une aide logistique à l’Arabie saoudite dans sa guerre contre le Yémen.

Dernièrement, un haut dignitaire religieux saoudien s’est rendu au camp d’Auschwitz. Visite hautement symbolique qui assoit davantage le rapprochement entre les deux pays[1]. Enfin, l’Arabie saoudite est sur le point d’accepter des ressortissants israéliens sur son territoire.

Cette alliance de circonstance est finalement une alliance qui s’inscrit dans la durée. Ce rapprochement avec l’État hébreu se fait au détriment de la cause palestinienne et ce, en dépit des discours des dirigeants arabes en faveur de la Palestine.

En devenir :

Le sultanat d’Oman a toujours été apprécié pour sa neutralité diplomatique et pour son rôle de médiateur dans la résolution des conflits régionaux. En octobre 2018, le sultan Qabus Ibn Saïd reçoit en grande pompe le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu, prélude à une normalisation des relations bilatérales. La vision israélienne du Moyen-Orient trouve de plus en plus d’écho même au delà des chancelleries arabes qui ne considèrent pas l’Iran comme un ennemi héréditaire. De plus, les partenariats dans les secteurs des hautes technologies des renseignements, du traitement de l’eau, de la sécurité, de l’énergie solaire voire de la santé rendent la diplomatie de Tel-Aviv attractives et efficaces auprès des gouvernements arabes.

Dernièrement le chef d’État soudanais, Abdel Fattah al-Burhane a rencontré Benyamin Netanyahu en Ouganda[2]. Conscient des difficultés économiques internes, le Président soudanais tente un rapprochement avec Israël afin d’avoir les bonnes grâces des Etats-Unis. En effet par le jeu des sanctions économiques, Washington peut plonger un pays dans une crise économique et sociale, cause d’une colère populaire contre ses propres dirigeants. De ce fait, l’administration américaine use de cette « silver bullet » (nom donné par l’administration Obama pour l’usage des sanctions) comme levier diplomatique. En se rapprochant d’Israël, le Soudan espère mettre fin aux sanctions économiques américaines et sortir de la liste des États terroristes.

De son côté, le Maroc entretient de très bonnes relations avec les Etats-Unis, ce qui ne l’empêche pas de ne pas reconnaître (encore) officiellement l’État d’Israël. Or, depuis plusieurs années des rencontres secrètes ont lieu entre les chefs de la diplomatie marocaine et israélienne. Récemment selon Middle East Eye[3], un accord tripartite est sur le point de voir le jour. En faisant pression au sein des cercles de pouvoir et de décision américains, Israël souhaite que le Sahara occidental soit reconnu par les Etats-Unis comme une province marocaine et non comme une région quasi-autonome. En contrepartie de quoi, le Maroc devra normaliser ses relations avec Israël. Toujours selon Middle East Eye, le ministre des affaires étrangères du Maroc a rappelé en ces termes : « Le Sahara reste la première cause du Maroc et non la Palestine ».

La normalisation des relations avec l’État hébreu fait l’objet d’un chantage diplomatique, économique voire territorial.

Impensable :

Malgré les tentatives américano-israéliennes de dislocation du Moyen-Orient  par l’entremise de stratégie de tensions, d’opérations clandestines, de guerres de changement de régime et de prédations économiques, plusieurs États arabes bannissent tout rapprochement avec l’État hébreu.

L’administration israélienne a en effet planifié la refonte du Moyen-Orient par le biais du « Plan Yinon »[4]. Datant de 1982, ce plan prévoyait le remodelage du Moyen-Orient en plusieurs mini-États antagonistes. Tour à tour, le Liban, l’Irak puis la Syrie subissaient ce projet de division interne de la société. Durant la guerre civile libanaise de 1975 à 1990, Israël a tenté d’influer sur le cours des évènements en semant la division communautaire au Liban. Malgré les contacts secrets avec certains partis libanais, un rapprochement avec l’État hébreu est impensable tant l’influence du Hezbollah, parti pro-iranien et ardent défenseur de l’identité libanaise, est omniprésente.

L’Irak et la Syrie, deux États profondément attachés au nationalisme arabe, ont subi plusieurs ingérences israéliennes et interventions militaires américaines visant à fragiliser l’économie et à diviser la société. Aujourd’hui, force est d’admettre que le Moyen-Orient est plongé dans un manichéisme. D’un côté, il y a les pays s’alignant sur la politique israélienne, de l’autre il y a les pays proches de l’Iran, à l’instar de la Syrie, de l’Irak et du Liban par le biais du Hezbollah.

Au Maghreb, l’Algérie et la Tunisie refusent catégoriquement tout rapprochement avec l’État d’Israël. Or, il semble bien que la stratégie israélienne porte ses fruits à long terme. Les pressions américaines économiques, diplomatiques voire militaires obligent les États ennemis d’Israël à revoir leurs agendas politiques quitte à abandonner leur idéal panarabe.

Sur 22 pays arabes, Israël entretient aujourd’hui des relations plus ou moins officielles avec 11 d’entre eux. La moitié restante est composée d’États déliquescents et exsangues économiquement en raison des conflits régionaux, des crises économiques et de l’immobilisme de leurs dirigeants.


[1] https://fr.timesofisrael.com/un-haut-dignitaire-religieux-saoudien-se-rend-a-auschwitz/

[2] https://www.jeuneafrique.com/mag/893434/politique/les-dessous-du-rapprochement-entre-israel-et-le-soudan/

[3] https://www.middleeasteye.net/fr/en-bref/comment-netanyahou-pousse-trump-reconnaitre-la-souverainete-du-maroc-sur-le-sahara   

[4] https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2007-2-page-149.htm

Les Etats-Unis et le pétrole : une longue histoire d’amour

En Octobre 2019, des blindés américains ont été envoyés dans le Nord-Est de la Syrie afin de sécuriser les puits de pétrole. Dans son style brutal et transparent, le Président Donald Trump l’a confirmé sans équivoque « We’re keeping the oil in Syria »[1].

Cette relation passionnelle entre la première puissance mondiale et l’or noir est bien antérieure à l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche. Le pétrole est une matière première indispensable pour l’économie d’un pays. Pourtant selon les récentes estimations, les Etats-Unis ont plus exporté du pétrole qu’ils n’en ont importé et sont devenus les premiers producteurs, en raison du forage et de l’abondance du gaz de schiste. La dépendance au pétrole du Moyen-Orient s’en trouve donc réduite.

Or, 47,7% des réserves prouvées de pétrole se situent dans cette zone[2]. Compte tenu de l’importance du pétrole dans l’économie mondiale, le Moyen-Orient reste indispensable pour l’approvisionnement énergétique des grandes puissances.

Retour sur une histoire sans ambiguïté entre l’administration américaine et l’or noir au Moyen-Orient.

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Ruée vers l’or noir :

Les Etats-Unis s’intéressent au Moyen-Orient et ce, depuis la découverte des gisements de pétrole dans les années 1920. Des équipes sont envoyées sur place pour l’exploration, l’étude du potentiel pétrolier et gazier et afin de concurrencer les compagnies européennes. Or, ces dernières se désintéressent du désert saoudien. C’est à cette époque, qu’une petite compagnie américaine débute l’exploitation des gisements pétroliers de Hassa à l’est du pays.

Soucieux de leur approvisionnement en pétrole, les Américains nouent des relations de plus en plus régulières avec le régime saoudien. En 1933, l’Arabie saoudite accorde des concessions pétrolières à la Standard Oil Company of California. Dès 1944, ils signent un consortium pour l’exploitation exclusive de l’or noir du royaume, c’est la naissance de la fameuse Aramco (Arabian American Oil Company).

Consciente de sa supériorité technologique et militaire, l’administration américaine offre ses services pour le forage et le pompage des zones pétrolifères au Moyen-Orient en échange d’une protection militaire en cas de conflit. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, les jeunes monarchies du Golfe s’empressent de se rapprocher des Etats-Unis pour ainsi asseoir leurs indépendances.

À l’opposé, d’autres pays de la région cherchent à jouir pleinement de leurs ressources. C’est le cas de l’Iran, avec le Premier ministre Mohammed Mossadegh qui nationalise le pétrole en 1951. Suite à cette démarche, il est démis de ses fonctions par un coup d’État ourdi par les services secrets britanniques et américains en 1953. Cet événement a des répercussions à l’échelle régionale. Dans les années 60-70, Saddam Hussein en Irak, Hafez Al-Assad en Syrie et Mouammar Kadhafi en Libye nationalisent des pans entiers de leur économie au détriment des compagnies occidentales.

Le pétrole, prétexte d’ingérence économique :

  • En Irak :

Malgré le soutien sans faille de l’Occident et des monarchies du Golfe, l’Irak sort ruiné de sa guerre contre l’Iran (1980-1988). Sa dette extérieure est considérable, les infrastructures pétrolières sont en partie détruites et sa production ne lui permet pas d’avoir des revenus suffisants. De plus, en augmentant conjointement leur production, certains pays de l’OPEP (l’Organisation des pays exportateurs de pétrole) en particulier l’Arabie saoudite, le Koweït et les Émirats arabes unis, , font chuter le prix du baril ce qui accentue les difficultés économiques du pays.

De ce fait, l’Irak poussée par un impératif économique vital, lorgne sur le Koweït qui faisait partie de son territoire à l’époque ottomane[3]. Ce n’est pas la première fois que des dirigeants irakiens ont voulu récupérer cette région, ayant un accès direct à la mer et riche en hydrocarbures.

Selon certaines sources, les Américains donnent l’aval à Saddam Hussein pour envahir le Koweït[4] en 1990. Or, une fois les troupes irakiennes présentes sur place, une coalition menée par les Etats-Unis rassemble plus de 940 000 hommes de 34 pays, dont 535 000 Américains[5]. C’est une défaite retentissante pour l’armée de Saddam Hussein. Les bombardements de la coalition ont ciblé principalement les infrastructures économiques et pétrolières du pays.

Après la guerre, l’ONU sous la pression des Etats-Unis décrète un embargo total sur le pétrole irakien. Le pays est littéralement exsangue. Les sanctions appauvrissent la population locale et obligent plusieurs milliers de familles à fuir le pays. La décennie 90 est catastrophique d’un point de vue humanitaire. Environ 1 million de personnes sont mortes en raison de la dureté des sanctions. De surcroît, les difficultés économiques plongent le pays dans un repli communautaire, entretenu par les officines de propagande américaine.

  • En Syrie :
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Dès le début du conflit en Syrie en 2011, les Etats-Unis et l’Onu imposent des sanctions sur le pétrole syrien. Ce dernier représente environ ¼ des revenus du gouvernement de Damas. À l’échelle mondiale, la production pétrolière syrienne est modeste mais elle permet au pays de subvenir à ses propres besoins.

De plus, la Syrie se trouve impliquée dans différents projets régionaux de gazoducs. Dès 2009, le Qatar propose via les entreprises Qatar Petroleum et l’Américain d’Exxon-Mobile East Marketing Limited Company d’acheminer du gaz vers l’Europe en passant par l’Arabie saoudite, la Jordanie et la Syrie. Ce projet n’est pas accepté par Damas, en raison de ses affinités avec la Russie. En effet, si ce projet avait été accepté, l’Europe aurait eu une alternative au gaz russe. Cependant, Bachar Al-Assad accepte le projet iranien de l’Islamic Gaz pipeline (IGP) en 2011[6]. Ce projet de gazoduc transite par l’Irak et la Syrie avant de desservir le marché européen. Les Monarchies du Golfe qui se sont vus refuser leur proposition, ont été les premiers financeurs et soutiens des djihadistes en Syrie dès 2011 avec l’aval des chancelleries occidentales et notamment américaines.

Le pétrole, prétexte d’intervention militaire

  • En Irak :

Suite aux attentas du World Trade Center du 11 septembre 2001, les États-Unis utilisent cet événement à des fins de politique extérieure au Moyen-Orient. La guerre contre le terrorisme est un moyen durable de s’ingérer dans la région. En effet, en accusant fallacieusement l’Irak de détenir des armes de destruction massive et de soutenir les terroristes d’Al Qaeda, l’armée américaine envahit unilatéralement l’Irak en 2003. 

Officieusement, l’intervention militaire américaine est dictée par un impératif, celui de sécuriser son approvisionnement en pétrole. En effet, à cette époque l’Irak est le 4ème producteur de la planète. Les troupes américaines sont envoyées dans le Nord du pays, dans la région de Kirkouk, territoire où se trouve la majeure partie des réserves de pétrole d’Irak. En mettant la main sur les hydrocarbures, les Etats-Unis mettent automatiquement sous tutelle un pays dépendant de ses exportations pétrolières.

  • En Syrie :

Officiellement, la présence de forces spéciales américaines et occidentales dans le Nord-Est du pays sert à aider et soutenir les forces démocratiques kurdes. Officieusement, c’est pour empêcher les forces du gouvernement syrien de sécuriser leurs puits de pétrole et de reconquérir la totalité de son territoire. À chaque fois que l’armée syrienne tente de se rapprocher des zones pétrolifères, la coalition, menée par les Américains, bombarde les positions syriennes.

« Nous n’avons pas besoin du pétrole du Moyen-Orient »[7] déclare Donald Trump dans son discours au lendemain des frappes iraniennes suite à l’assassinat du général Qassem Souleimani le 3 janvier 2020. Son pays aurait atteint l’indépendance énergétique. Malgré ses affirmations, les Etats-Unis sont toujours dépendants du pétrole du Moyen-Orient et ce, en raison des risques de pénurie de leur propre production sur le long terme.

La sécurisation des puits de pétrole en Syrie, en Irak et en Arabie saoudite a un double objectif politique et énergétique. En prenant possession des ressources pétrolières d’un pays, ils peuvent à terme le contraindre à revoir sa politique régionale et à adopter une posture plus conciliante à l’égard des Etats-Unis.  


[1] https://abcnews.go.com/Politics/keeping-oil-syria-trump-considered-war-crime/story?id=66589757

[2] https://www.connaissancedesenergies.org/fiche-pedagogique/reserves-de-petrole-dans-le-monde

[3] https://www.lesclesdumoyenorient.com/Revendications-irakiennes-sur-le.html

[4] Robert Fisk, « La grande guerre pour la civilisation, l’Occident à la conquête du Moyen-Orient (1979-2005) », La Découverte, 2005

[5] https://www.monde-diplomatique.fr/mav/120/A/46973

[6] https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2017/04/12/les-pipelines-et-les-gazoducs-sont-ils-a-l-origine-de-la-guerre-en-syrie-comme-l-affirme-jean-luc-melenchon_5110147_4355770.html

[7] https://www.rtbf.be/info/economie/detail_les-etats-unis-n-ont-ils-vraiment-plus-besoin-du-petrole-du-moyen-orient?id=10403497

La République arabe unie : éphémère espoir du panarabisme

Lorsque le journaliste français Jacques Benoit-Méchin avait demandé en 1958 à Gamal Abdel Nasser « Vous pensez créer un Empire panarabe. N’est-ce pas une forme d’impérialisme ? » Le Raïs égyptien rétorqua « Du tout, je ne veux pas forger un Empire, je veux amener une nation à prendre conscience d’elle-même (…) je ne veux rien conquérir d’étranger à la nation arabe. Je veux en rassembler les membres qui, une fois rassemblés, n’auront pas besoin d’un espace vital supplémentaire… Je ne suis pas un conquérant »[1].

Au lendemain de la nationalisation du canal de Suez en 1956, l’idéologie panarabe de Nasser jouit d’un prestige qui dépasse de loin les frontières des jeunes États-nations du monde arabe. Politique ô combien fédératrice à l’échelle de la région, le nassérisme était malheureusement englué dans des contentieux interarabes pour des questions de gouvernance et de leadership.

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Emblème de la République arabe unie

Nasser : l’Homme de la nation arabe

Lorsque Nasser décida de nationaliser le canal de Suez le 26 juillet 1956, la faible armée égyptienne, mal équipée et peu expérimentée devait se défendre contre l’agression tripartite israélienne, française et anglaise qui voulait mettre fin au processus de nationalisation. Face à cette intervention illégale, les deux grandes puissances de l’époque (URSS et Etats-Unis) font pression afin de stopper les hostilités. À défaut d’être une victoire militaire, c’est une victoire psychologique retentissante pour tout le monde arabe. Nasser devient l’Homme que toute une région attendait. Enfin, un chef d’État arabe avait compris les attentes de la rue. Nasser auréolé de sa victoire, est sacralisé du Caire à Bagdad en passant par Beyrouth et Damas.

En effet, cette nationalisation vient de mettre fin à un siècle et demi d’interventionnisme occidental au Moyen-Orient. À lui seul, cet événement redore une dignité et une fierté trop souvent délaissées au profit des intérêts des grandes puissances.

De surcroît, indépendamment de la création des États-nations arabes, l’aura et le charisme de Nasser transcende et dépasse de loin le cadre égyptien. Les portraits du Raïs sont présents dans toutes les capitales arabes. Orphelin et exploité, le peuple arabe a enfin trouvé son leader. Ce dernier galvanise les foules à chacun de ses discours, et fait l’objet d’un culte de la personnalité. Nasser a bien compris les rouages du leadership oriental. Ses discours sont bien ficelés et dénoncent les injustices et exactions commises par l’ennemi israélien ou par les politiques néocoloniales occidentales. Militaire, il épouse expressément les codes et les manières d’un homme fort à l’écoute de son peuple et de toute une région.

Faisant office d’exemple à l’échelle du Moyen-Orient, l’influence de l’Égypte est telle que, plusieurs États arabes veulent embrasser le nassérisme et tenter un projet d’unification.

Le rêve d’une nation arabe :

Les indépendances des États arabes (voulues et orchestrées par les puissances occidentales afin de diviser la région) sont un frein au panarabisme. Les anciennes puissances tutélaires s’opposent farouchement à tout projet d’union des pays arabes. Car, une nation arabe unie ferait automatiquement contrepoids à l’influence occidentale[2].

Or, compte tenu du rayonnement du nassérisme et des difficultés internes en Syrie, Damas, sous la houlette du penseur orthodoxe et fondateur du parti Baath Michel Aflak, choisit de se rapprocher du Caire.

En effet, depuis l’indépendance de la Syrie en 1946, le pays est englué dans une série de coups d’États, de luttes ministérielles et de tensions économico-sociales. Pour Damas, le tropisme nassérien n’est pas un choix par défaut mais plus une réelle volonté de stabilité et d’unification. L’Irak quant à elle, fait le choix d’un alignement pro-américain en rejoignant le pacte de Bagdad en 1955 (groupe d’États proches des Etats-Unis et luttant contre l’expansion de l’union soviétique au Moyen-Orient).

Dès 1957 le maréchal Abdel Hakim Amer, proche conseiller de Nasser, devient le commandant en chef des armées syriennes et égyptiennes. Cette imbrication est consubstantielle aux desseins de la politique étrangère des deux pays : la lutte contre l’État d’Israël. Les contacts entre les deux pays s’accentuent afin de discuter des modalités de l’unité. Pour Nasser, c’est un moyen de polariser et d’imposer ses vues au Moyen-Orient. Le Raïs veut mettre l’Égypte au centre de la nation arabe. De ce fait, il ordonne la dépolitisation de l’armée syrienne, ainsi que la création d’un parti unique calqué sur le modèle égyptien. De son côté le Président syrien, Choukri Al-Kouatli, tergiverse de peur de perdre toutes ses prérogatives au profit de l’Égypte.

Finalement, un accord est signé le 31 janvier 1958 et la République arabe unie voit le jour. Elle est composée d’une région Nord (la Syrie) et d’une région Sud (l’Égypte), le Yémen du nord est également rattaché à la République mais son statut reste secondaire.

La même année, toute la région est en ébullition. La rue arabe n’est pas insensible aux sirènes du panarabisme. En raison de la primauté de l’arabité, c’est une idéologie qui fédère au delà des différences communautaires et religieuses. En effet en 1958, le « petit voisin » libanais plonge dans une guerre civile. Les partisans du nassérisme veulent le rattachement à la nouvelle République arabe unie alors que les loyalistes du Président Camille Chamoun prônent l’indépendance du Liban. L’intervention américaine en 1958 met fin aux affrontements et empêche par la même occasion le Liban de rallier la jeune nation arabe. Le nouveau Président libanais, Fouad Chehab, rencontre symboliquement Nasser à la frontière syro-libanaise afin d’entériner ce dossier et de promouvoir la bonne entente entre les deux entités.

De son côté, l’Irak pro américain, tente vainement une union avec la Jordanie en 1958 pour contrebalancer les objectifs nassériens. Après le coup d’État nationaliste d’Abdel Karim Qassim la même année, Bagdad est prête à rejoindre la République arabe unie. Mais en raison des animosités politiques entre baathistes, nationalistes et communistes et des menaces extérieures, cet élargissement demeure utopique. L’Irak reprend quelque peu la sémantique et l’idéologie panarabe à partir de 1963 et ce jusqu’en 1991. L’Irak arbore 3 étoiles sur son drapeau national, symbolisant les trois principales régions arabes d’Égypte, de Syrie et d’Irak.

« Les Arabes se sont mis d’accord pour ne pas se mettre d’accord »

Cette phrase prophétique d’Ibn Khaldoun, sociologue arabe du XIVème siècle, résume à elle seule les difficultés de l’éphémère République arabe unie.

Très vite, l’effervescence des premiers jours laisse place à la désillusion et aux mésententes. L’Égypte de Nasser polarise et monopolise les principales fonctions alors que les Syriens sont cantonnés à un rôle secondaire. Nasser impose ses vues et ordonne la démission des ministres baathistes syriens, jugés trop opposés à la politique nassérienne. En effet, sous le prisme de la République arabe unie plusieurs idéologies panarabes se confrontent. D’une part le Nassérisme qui souhaite mettre l’Égypte au centre de la nation arabe et d’autre part le parti Baath, qui lui a une vision plus égalitaire du projet.

De ce fait, des tensions entre Égyptiens et Syriens apparaissent et soigneusement entretenues par des puissances extérieures[3]. Chaque pays est enraciné dans ses propres particularités. Bien qu’Arabes, les Égyptiens se réfèrent à leur égyptianité et les Syriens à leur syrianité.

Soumis à une bureaucratie autoritaire et à des politiques de nationalisations, certaines franges de la bourgeoisie syrienne décident de migrer vers l’Occident. De plus, le poids oppressant des nouvelles réformes, le manque de concertation et l’omnipotence du Caire ravivent les pensées nationalistes à Damas. En conséquence, le 28 septembre 1961, plusieurs généraux de l’armée syrienne fomentent un coup d’État et mettent fin à l’éphémère expérience de la République arabe unie.

L’idéologie du panarabisme qui a tant galvanisé les foules après la nationalisation du canal de Suez en 1956, se trouve fragilisée après l’échec retentissant de la République arabe unie. Nasser a certainement sous estimé la complexité de ce projet. Il était lui même victime de son propre succès et n’avait pas les moyens de ses ambitions[4].

Encore aujourd’hui, bien que vacillant, le panarabisme continue d’animer les attentes et les envies de certains citoyens du Moyen-Orient. Son discours résonne avec nostalgie et est repris par tous les dirigeants du monde arabe pour asseoir leur leadership et leur légitimité.


[1] Gilbert Sinoué, « L’Aigle égyptien Nasser », Tallendier, 2015

[2] Charles Saint-Prot, « Le mouvement national arabe : Émergence et maturation du nationalisme arabe de la Nahda au Baas », Broché, 2013

[3] Yves Gonzalez-Quijano, « Les territoires perdus de l’arabisme », Vacarme, 2017/1 (n°78)

[4] Jean Lacouture, « Nasser », Paris, Seuil, 1971

La nationalisation du canal de Suez en 1956 : Nasser fait rentrer l’Homme arabe dans l’histoire contemporaine

Depuis environ 2 siècles, l’Égypte est au cœur des intérêts des grandes puissances. Après l’expédition de Napoléon Bonaparte en 1798, Français et Anglais s’intéressent au territoire égyptien. C’est au XIXème siècle qu’émerge l’idée de la construction du canal de Suez. Pensé par le Français Ferdinand de Lesseps, ce projet doit permettre de raccourcir les routes commerciales vers les Indes (éviter de contourner tout le continent africain). Son inauguration 1869 parachève officieusement la mainmise économique occidentale sur l’Égypte.

En 1882, l’Égypte devient un protectorat britannique. Petit à petit, tous les secteurs de l’économie y compris l’armée, sont sous la tutelle anglaise. Officiellement indépendante en 1932, la monarchie égyptienne reste soumise aux intérêts des anciennes puissances tutélaires. L’arrivée de Gamal Abdel Nasser à la tête du pays en 1954 va changer le cours de l’histoire nationale et régionale.

L’arrivée au pouvoir de Nasser

Issu d’une famille paysanne, Gamal Abdel Nasser intègre en 1936, à l’âge de 18ans, l’académie militaire du Caire. Très vite, il s’oppose à la monarchie égyptienne, qu’il juge inféodé à Londres malgré l’indépendance de façade. En 1945, il crée le mouvement des Officiers Libres avec plusieurs membres de l’armée égyptienne. Ce mouvement vise à faire pression sur le roi Farouk et empêcher les Anglais de poursuivre leurs ingérences dans les affaires intérieures égyptiennes. Leur but ultime est d’instaurer une politique nationale et en finir avec les visées impérialistes de la couronne britannique.

Avec les Officiers Libres, Nasser organise un coup d’État et renverse la monarchie du roi Farouk en 1952. Mohammed Naguib, co-meneur du mouvement, accède au pouvoir et devient le Président de la République d’Égypte. Nasser, alors Premier ministre adjoint, propage entre temps ses idées et son idéologie à travers son livre «La philosophie de la Révolution » et en créant une radio à destination de toute la région « La Voix des Arabes » en 1953. Fort de son aura et de son charisme, Gamal Abdel Nasser évince Naguib, jugé proche des Frères musulmans et devient le Raïs (Président ou chef en arabe, désigne également un haut dignitaire ottoman). Son prestige dépasse le cadre ethnique du monde arabe. Il est accueilli à la conférence de Bandung en 1955, comme leader incontesté des peuples du Tiers-monde.

Son ascension fulgurante et son influence régionale inquiètent la France, la Grande-Bretagne et Israël et ce, pour des raisons différentes. En affirmant la nécessité d’unir le monde arabe et de s’opposer contre les colonisateurs, Nasser s’attaque ainsi aux intérêts occidentaux. En adepte du panarabisme, il défend la cause de l’indépendance de l’Algérie et offre une base arrière au FLN dans sa lutte contre la France. De surcroît, ardent défenseur de la cause palestinienne, il fait de la lutte contre Israël est de ses impératifs.

Nationalisation du canal de Suez

Gamal Abdel Nasser a de grands projets économiques et veut que l’Égypte jouisse de ses propres ressources. Il sait pertinemment qu’il doit utiliser la richesse des eaux du Nil pour développer son pays. Pour activer la transformation économique et agricole, il souhaite construire un barrage à Assouan. Celui-ci lui permettra d’étendre l’irrigation et de produire de l’électricité pour le pays. Cependant, ce projet est coûteux. Il demande aux Etats-Unis une aide financière qui ne lui est pas accordée. Dès lors, il décide de financer la construction du barrage avec les redevances de la nationalisation du canal de Suez. L’ancienne compagnie universelle du canal de Suez profitait largement aux Anglais et Français, mais très modestement aux Égyptiens.

Le 26 juillet 1956, devant une foule en liesse à Alexandrie, Gamal Abdel Nasser annonce la nationalisation du canal de Suez. « Aujourd’hui, ce seront des Egyptiens comme vous qui dirigeront la Compagnie du Canal, qui prendront consignation de ses différentes installations, et dirigeront la navigation dans le Canal, c’est-à-dire, dans la terre d’Egypte. »[1]

Son discours est écouté et réécouté en boucle par tous les Égyptiens. Il fait consensus auprès des partisans et adversaires du régime. Nationalistes, communistes et islamistes approuvent et félicitent cet acte fondateur dans l’histoire contemporaine de l’Égypte. La nationalisation est l’expression d’une volonté d’indépendance vis à vis des puissances européennes, mais également un message et un appel au Tiers-Monde : il est temps que les peuples anciennement colonisés s’affranchissent des chaînes du passé.

 Cette initiative est perçue comme une véritable humiliation par la France et la Grande Bretagne qui percevaient d’importants droits de péage sur cette voie maritime entre la Méditerranée et la Mer rouge. À Paris et à Londres, on déplore ce « coup de force » du « dictateur mégalomane », on diabolise Nasser en l’assimilant même à un Hitler arabe.

Agression tripartite contre l’Égypte

Dans ce contexte tendu, Français et Anglais veulent se venger et rappeler à l’Égypte la hiérarchie des puissances. L’ancien colonisé ne peut pas s’en prendre à l’ancien colon. Les représailles ne tardent pas, les avoirs égyptiens sont gelés et toutes les aides supprimées.

Conjointement, Israël, la France et la Grande Bretagne préparent une intervention militaire en Égypte et songent même à envahir la Jordanie. Le plan Mousquetaire débute le 29 octobre 1956 par l’envoi de troupes terrestres israéliennes dans le Sinaï. Français et Britanniques bombardent l’aviation égyptienne et envoient des parachutistes à Port Saïd. D’un point de vue militaire, c’est une victoire écrasante de l’alliance tripartite sur la jeune nation égyptienne. La quasi-totalité du Sinaï est occupée ainsi que Gaza. Cependant, cette agression est stoppée par un ultimatum de l’URSS et des Etats-Unis. En effet, au lendemain de la seconde guerre mondiale, les deux grandes puissances de l’époque sont opposées à toute guerre contre un pays tiers. Les hostilités cessent le 5 novembre 1956.

De fait, Israël est obligé d’évacuer le Sinaï et Gaza en contrepartie d’un libre accès de ses navires dans le Golfe d’Aqaba.

Gamal Abdel Nasser sacralisé dans le monde arabe

Nasser sort auréolé de cette victoire, bien que battu militairement. Cet événement dépasse de loin le cadre des frontières égyptiennes. Dans une période de décolonisation et d’émergence de la pensée tiers-mondiste, ce succès trouve écho aux quatre coins du monde. L’aura et la popularité de Nasser sont alors à son paroxysme. Les rues arabes placardent des affiches du Raïs égyptien de Damas à Bagdad en passant par Manama et Beyrouth. Son portrait remplace celui de Mossadegh, ancien Premier ministre iranien, qui avait été injustement démis de ses fonctions par l’opération américaine Ajax en 1953[2]. Il donne un second souffle à la lutte pour l’indépendance des peuples.

Son discours résonne à l’échelle du tiers-monde comme le signe annonciateur d’un retour de la dignité des peuples colonisés. Son aura outrepasse le cadre géographique du monde arabo-musulman et balaye fermement les revendications impérialistes dans cette région. Plus qu’un modèle, il est sacralisé à l’échelle de toute une région. En effet, les Arabes voient en Nasser l’homme pouvant  redonner une fierté et une dignité trop souvent bafouées. Nasser acquiert des responsabilités à l’échelle de tout un peuple.

Fer de lance du panarabisme, l’Egypte redevient le centre du monde arabe. L’agression tripartite de 1956 est une traduction militaro-politique qui revêt une dichotomie propre à la région : le sionisme contre le panarabisme, le colonisateur contre le colonisé. L’Histoire retiendra cet événement comme un acte fondateur qui s’enracine dans les consciences et les esprits de chaque citoyen arabe[3].

Face à ce séisme politique qui engendre une euphorie régionale, un diplomate américain de l’époque écrit : « Si Nasser se présentait aujourd’hui pour la Présidence, au Liban, en Syrie ou en Jordanie, il serait élu à l’unanimité. »[4]


[1]https://www.youtube.com/watch?v=9l-eURwziuc&feature=share&fbclid=IwAR2hM72ZnYZTXeCl2_rfPKwH0CPfiVYVyVXGja2HGZuCxnQMcxeIllJ4S6U

[2] Olivier Carré  « Le nationalisme arabe », Fayard, 1993

[3] Georges Corm « Pensée et politique dans le monde arabe : contextes historiques et problématiques, XIX-XXIème siècle », La Découverte, 2015

[4] Jean Lacouture, « Nasser », Paris, Seuil, 1971

Idlib: la poudrière syrienne

Engluée dans une grave crise économique en raison des sanctions occidentales, la Syrie doit faire face à une recrudescence des tensions dans la province d’Idlib. La guerre est loin d’être terminée et ce à cause des intérêts contradictoires des différents belligérants.

Dans un jeu complexe de billard à 3 bandes, Syriens, Russes et Turques s’opposent, s’affrontent militairement et parfois délibèrent pour imposer un cessez le feu, au détriment une fois de plus de la situation humanitaire.

Dernièrement, des combats ont eu lieu dans la province d’Idlib entre forces syriennes et forces turques, risquant de dégénérer en un conflit entre les deux pays. Fidèle à sa stratégie, Vladimir Poutine tempère et se pose en médiateur.

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La reconquête totale du territoire par l’armée syrienne

Acculée et cantonnée aux environs de Damas et au littoral syrien en 2014-2015, l’armée syrienne et ses alliées russes et iraniens ont depuis repris et sanctuarisé les ¾ du territoire syrien. Reprenant parcelle de terrain par parcelle de terrain, les troupes de Bachar Al-Assad aidées par l’aviation russe et l’appui des milices iraniennes ont libéré les principales villes du pays de l’emprise djihadiste (Homs en 2014, Alep en 2016). Permettant de désenclaver la province d’Alep, la libération de la ville d’Idlib est stratégique pour Damas. De plus, la récente reprise de la localité de Saraqeb permet de rejoindre Alep par l’axe autoroutier M5[1].

Dans son allocution à la chaîne nationale syrienne Sana, Bachar Al-Assad a rappelé et martelé que la reconquête totale du territoire syrien était une condition sine qua none pour la fin du conflit. De ce fait, la récupération de la province d’Idlib est un leitmotiv pour l’armée gouvernementale syrienne. Dernier bastion djihadiste présent en Syrie, Idlib regroupe un ensemble de mouvances terroristes affiliées à différents groupes (Hayat Tahrir Al Cham, parti islamique du Turkestan, Front national de libération…).

Comme le précise Fabrice Balanche, géographe et spécialiste de la Syrie, il ne faut pas minorer le fait djihadiste à Idlib. En effet, les principaux médias occidentaux omettent délibérément et consciencieusement de mentionner qu’à Idlib se trouve les anciens djihadistes de Daesh et d’Al-Qaeda, financés par les monarchies du Golfe, armés par l’Occident et aidés par la Turquie. Le traitement de l’information est focalisé sur la crise humanitaire afin d’incriminer une fois de plus Damas et Moscou.

Aujourd’hui deux visions des relations internationales s’opposent. D’un côté, la realpolitik russo-syrienne qui consiste à éliminer entièrement la menace terroriste. De l’autre, la logique néoconservatrice occidentale qui se traduit par un alignement quasi-systématique sur la politique américaine, visant à évincer Bachar Al-Assad, quitte à aider financièrement et logistiquement les groupes djihadistes.

La politique néo-ottomane d’Erdogan

Après avoir dominé le Moyen-Orient pendant 4 siècles, la Turquie est aujourd’hui soucieuse de renouer avec son passé glorieux. La politique panturquiste (rassembler toutes les populations d’origine turque au sein même de la Turquie) est aujourd’hui visible. Les nombreuses incursions militaires turques depuis 2016 en Syrie et en Irak sans l’aval des gouvernements concernés consistent à contrôler des territoires stratégiques. Alep, Raqqa et Idlib en Syrie ou encore Mossoul en Irak représentaient les joyaux culturels de l’Empire ottoman et formaient un glacis protecteur en territoire arabe. Ainsi pour Erdogan, plus qu’une volonté d’ingérence politique, il s’agit de reformer et de récupérer des anciennes villes clés de l’Empire déchu.

En effet depuis la décennie 2010, la Turquie souhaite construire une politique arabe basée sur les échanges commerciaux. Après avoir vainement tenté de créer en 2010 une zone de libre échange « Shamgen » avec les pays du Levant (Jordanie, Syrie, Liban), le Président turc, Recep Tayyip Erdogan se pose en héraut du monde sunnite. Il utilise l’islam politique à des fins de politique régionale. De fait, dès 2011, il défend les « printemps arabes » et  n’hésite pas à se rapprocher des milieux djihadistes en ouvrant ses frontières avec la Syrie et en les soutenant militairement.

Les interventions turques en Syrie sont dictées par diverses motivations politico-idéologiques. Dans un premier temps, il s’agit de contenir et d’annihiler les forces kurdes présentes à la frontière turque. Le sempiternel problème kurde sert de prétexte à la logique néo-ottomane d’Erdogan pour s’immiscer durablement dans le règlement du conflit en Syrie. De surcroît, la Turquie se dresse en défenseuse de la cause des réfugiés auprès d’un Occident impuissant. Suivant sa vision, la chute d’Idlib entraînerait un afflux massif supplémentaire de réfugiés syriens en Turquie et en Europe.

La présence avérée des forces turques dans la province d’Idlib résulte des pourparlers de Sotchi et d’Astana. En effet, une douzaine de postes d’observations turcs quadrillent la région d’Idlib et de fait, protège la présence djihadiste en Syrie. En raison de leurs intérêts contradictoires, des accrochages ont fait plusieurs morts au sein des armées syriennes et turques non loin de la localité de Saraqeb. Dernièrement, Erdogan a envoyé des troupes et des véhicules blindés supplémentaires, tout en menaçant ouvertement Damas de guerre frontale et ordonnant à la Russie de se tenir à l’écart des récents affrontements[2].

La Russie : arbitre et médiateur des affrontements

Partisane d’une entente avec toutes les parties prenantes, la Russie de Vladimir Poutine entretient des relations aussi bien avec la Syrie de Bachar Al-Assad qu’avec la Turquie de Recep Tayyip Erdogan.

Depuis septembre 2015, Moscou est le premier soutien de Damas. L’aviation russe et les forces spéciales au sol ont aidé les troupes syriennes à récupérer plusieurs villes. Sans l’aide russe en 2015, la Syrie et le Liban seraient tombés sous le joug de l’État islamique. La reprise d’Idlib répond à un impératif russo-syrien, à savoir l’annihilation de toute menace djihadiste.

La bataille d’Idlib oppose donc l’armée de Bachar Al-Assad aidée par la Russie aux djihadistes soutenues et armées par la Turquie. Pour autant, ni la Russie ni la Turquie n’ont intérêt à rompre leurs liens diplomatiques. Les deux pays collaborent et commercent dans de nombreux domaines. Le montant des échanges bilatéraux s’élève à 25 milliards de dollars. Moscou et Ankara nouent également des relations dans le secteur gazier. Dernier grand événement en date, l’inauguration à Istanbul du gazoduc turco-russe « Turkish Stream », alimentant en gaz l’Europe via la mer noire.

La Russie est maître de la situation en Syrie. Elle orchestre les discussions politiques, dialogue avec tous les acteurs, arbitre les contentieux, bombarde quand nécessaire les positions djihadistes, tempère les ardeurs occidentales et impose sa vision et logique du conflit. La question qui se pose après les récents accrochages entre Ankara et Damas, est de savoir si ceci restera sans conséquences ou s’avèrera être un dangereux tournant ? Moscou doit user de son « savoir-faire » diplomatique pour mettre fin à cette escalade[3].

Quant à eux, la Turquie et les occidentaux doivent renoncer à leurs ingérences. En faisant le choix d’armer et de soutenir les djihadistes, ils ont d’ores et déjà perdu toute crédibilité politique. Tôt ou tard, la ville d’Idlib sera reprise par les forces armées syriennes et leurs alliées. La Turquie devra renoncer à sa politique expansionniste et interventionniste.


[1] https://www.lemonde.fr/international/article/2020/02/11/le-regime-syrien-reprend-le-dernier-troncon-d-une-autoroute-cruciale-dans-le-nord-ouest_6029169_3210.html

[2] https://fr.sputniknews.com/international/202002111043044023-erdogan-menace-de-faire-payer-le-prix-fort-a-la-syrie-en-cas-dattaque/

[3] https://www.lemonde.fr/international/article/2020/02/11/l-escalade-meurtriere-entre-soldats-turcs-et-syriens-se-poursuit-a-idlib_6029174_3210.html

Disparition de 3 humanitaires français et de leur collaborateur irakien à Bagdad.

Depuis maintenant plus de 2 semaines, l’association SOS Chrétiens d’Orient n’a aucune nouvelle de ses 3 chefs de missions et de leur collaborateur irakien disparus à Bagdad. Créée en 2013 suite au dépècement des populations chrétiennes d’Irak et de Syrie, cet organisme fournit une aide matérielle, médicale, éducative et psychologique aux Chrétiens opprimés, meurtris et souvent délaissés par les autorités locales.

Ignorée du grand public et plus ou moins abandonnée par la communauté internationale, la communauté chrétienne orientale n’a de cesse de subir les affres d’une radicalisation islamiste sur place. Face à cette menace, la plupart fuit vers l’Europe, l’Amérique voire l’Australie. Quant aux autres, désemparés et persécutés pour leur foi, faute de moyens ou animés par une farouche conviction, ils continuent de vouloir vivre sur la terre de leurs ancêtres.

L’association tente d’apporter un soutien moral et matériel aux populations restantes afin qu’elles redeviennent autonomes économiquement. Or, les équipes humanitaires dans les zones à risque sont souvent la cible de plusieurs groupes armés. Les enlèvements sont souvent suivis d’une demande de rançon pour faire pression sur les autorités occidentales, jugées responsables du chaos régional.

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Contexte d’un probable enlèvement :

« La disparition » des membres de l’association a eu lieu à Bagdad le lundi 20 janvier 2020 non loin de l’ambassade de France. Normalement, l’organisme travaille uniquement avec les autorités du Kurdistan à Erbil. Les minorités chrétiennes ont en effet trouvé refuge en territoire kurde. Cependant, leur présence à Bagdad était uniquement d’ordre administratif. Il fallait s’enregistrer auprès des autorités irakiennes de Bagdad afin de débuter un projet financé par l’association.

L’Irak n’a jamais été un pays sûr pour un occidental. Depuis les années 80, le pays est en guerre. Pour l’Irakien, l’occidental est perçu automatiquement comme un potentiel ennemi, allié d’Israël et des États-Unis. L’Occident est de fait assimilé à un ensemble politique homogène.

Depuis l’assassinat du général iranien Qassem Souleimani le 3 janvier 2020 par un drone américain, la région est en ébullition. Les partisans de ce dernier promettent des représailles contre les intérêts occidentaux dans la région. Il est fort probable que les équipes de SOS Chrétiens d’Orient aient été enlevées par une milice chiite. L’éventuel enlèvement serait dicté par une volonté de pression sur les autorités occidentales pour cesser leurs ingérences en Irak. Dans le cas échéant, ceci serait plus souhaitable que si celui-ci avait été perpétré par Daesh, organisation terroriste pratiquant des exécutions sommaires. Dernièrement, des foules monstres se sont réunies à Bagdad pour demander le départ des forces américaines du pays.

En s’alignant automatiquement sur la politique américaine, la France met en péril son indépendance diplomatique et la sécurité de ses concitoyens travaillant sur place.

Pourquoi un tel silence ?

Depuis le 24 janvier 2020, date du communiqué officiel de l’association, aucune information supplémentaire n’a été dévoilée.

Selon le Quai d’Orsay, les membres de l’association ont disparu et n’ont pas été officiellement enlevés. Il est vrai qu’à ce jour, aucun groupe armé n’ait revendiqué l’enlèvement. Le directeur général de l’organisation, Benjamin Blanchard, indique cependant que « les autorités françaises et irakiennes se coordonnent pour retrouver leurs traces ».

Lors des prises d’otages, le gouvernement français utilise différents leviers afin de négocier avec les ravisseurs. Il est donc très probable que les renseignements français soient en étroite collaboration avec les renseignements irakiens pour mener à bien l’enquête et retrouver les ressortissants français. Dans certains cas, il est préférable que le gouvernement ne communique pas sur l’évolution des négociations. Cela se déroule discrètement afin d’éviter une médiatisation des groupes terroristes et pour préserver la sécurité des humanitaires.

De son côté, la presse n’a que faiblement relayé l’information. Elle a profité de cet évènement pour reprocher à l’association ses soutiens politiques et non pour relater la disparition tragique de 3 humanitaires français et de leur collègue irakien. En effet, les principaux médias mettent en avant les liens de l’organisation avec des milieux « d’extrême droite » et sa soi-disant lecture confessionnelle du conflit au Proche-Orient, visant à opposer Chrétiens et Musulmans.

Force est de constater que la défense de la cause chrétienne est principalement l’apanage d’un électorat de droite. On se rappelle en 2014, lors de la chute de la ville irakienne de Mossoul et de l’exil de milliers de famille chrétienne, les sympathisants de droite arboraient fièrement le ن sur les réseaux sociaux (les djihadistes utilisaient ن=noun, 25ème lettre de l’alphabet arabe, signifiant nazaréen pour persécuter les Chrétiens)

Mettre en exergue les affinités politiques, comme le font les journalistes, revient à politiser ce problème et à rendre dérisoire le sort des communautés chrétiennes auprès d’une partie de la société. Tout commentaire concernant le positionnement de l’association est hors-sujet et aberrant à l’heure actuelle.

Questionnement sur l’humanitaire en zone à risque :

Au Moyen-Orient, l’aide humanitaire est souvent perçue comme le bras social des interventions militaires. Les organisations internationales, sous couvert de démocratisation de la société, servent souvent les intérêts des puissances occidentales. En effet, l’interventionnisme humanitaire se pare de toutes les vertus sociales et humaines. Des bombes et des ONG simultanément pour remettre un pays « déviant » dans le droit chemin. Plus il y a d’interventions militaires, plus les organisations non gouvernementales prolifèrent. Ne sont-ils pas finalement les maillons d’une seule et même chaîne ?

Les réseaux humanitaires américains à l’instar des réseaux Soros ou Canvas, n’ont de non gouvernementales que le nom. Ils participent activement à la mise en place d’un agenda bien précis. Ils forment et imposent des politiques sociales en connivence avec leurs bailleurs institutionnels. Ces multinationales de l’humanitaire s’arrogent le droit d’ingérence et jouissent de tous les avantages que leur statut leur confère.

L’association SOS Chrétiens d’Orient n’est pas un mastodonte de l’humanitaire. Cette structure tente tant bien que mal de former un pont entre Orient et Occident sous le prisme de la religion. Au Moyen-Orient, la religion est omniprésente et représente un marqueur communautaire fort. De fait, chefs de missions et bénévoles présents sur le terrain participent activement à la liturgie locale.

 Elle apporte une aide aux populations majoritairement chrétiennes sans ingérence dans la politique du pays hôte. Les chefs de missions sont préalablement formés aux nombreux risques qu’ils encourent dans des pays tels que l’Irak ou la Syrie. De plus, ils connaissent parfaitement la géopolitique régionale. Dans les pays du Proche et Moyen-Orient, il est souhaitable d’épouser les coutumes locales (codes vestimentaires et linguistiques) pour éviter tout soupçon d’espionnage.

En effet, dans une région en guerre, tout occidental sera perçu comme un éventuel ennemi.

Aujourd’hui, l’aide humanitaire, justement décriée et calomniée pour ses connivences politiques est en pleine mutation pour faire respecter ses principes initiaux : humanité, neutralité, impartialité et indépendance.   

Bibliographie :

« Le deal du siècle »: Arrangement entre les États-Unis et Israël au détriment une fois de plus des Palestiniens

Une fois n’est pas coutume, les administrations américaine et israélienne ont affirmé leurs liens fraternels. Méconnu en Occident, « cet accord du siècle », « ce plan de paix » pour le Moyen-Orient divulgué par Donald Trump et son gendre Jared Kushner le 28 janvier 2020, offre au Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu le droit de continuer légalement la colonisation sans aucune contrepartie.

Les Palestiniens, évincés de cet accord, se sentent humiliés voire insultés et demeurent les laissés pour compte dans ce conflit inique.

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Un dénouement prévisible :

Depuis 2 ans, les médias arabes et régionaux parlent du fameux « accord du siècle » (safaqat el qourn en arabe). L’annonce faite le 28 janvier dernier, n’est donc pas une surprise pour les habitants de la région. Ils attendaient tout juste son officialisation pour exprimer leur refus et montrer leur désarroi face au marchandage et au grignotage de l’État palestinien. Régulièrement, Israël bafoue le droit des Palestiniens en grappillant bout de terrain par bout de terrain et en hébraïsant chaque localité conquise.

Depuis 70 ans et bien que souvent accusé de non-respect des droits de l’homme, l’État hébreu jouit d’une impunité face au droit international et ce, en raison de la protection américaine systématique.

Le monde observe impuissant, si ce n’est indifférent  la négation du fait palestinien. Telle une épine dans le pied, la cause palestinienne devient utopique pour l’opinion internationale et dérangeante pour les voisins arabes.

La banalisation des exactions et des nombreux crimes ne fait plus la une. De surcroît, la nouvelle stratégie israélienne est de taxer d’antisémitisme tout État ou personne critiquant la politique de l’État hébreu.

Légalisation de la colonisation, mais pas que…

« Ce plan de paix » à sens unique ne satisfait que la droite israélienne de Benyamin Netanyahu. Depuis novembre 2019, le congrès américain a voté une loi reconnaissant la légalité des colonies israélienne. Cet accord « de paix » entérine encore un peu plus la mainmise de l’idéologie sioniste sur la Palestine.

La Cisjordanie est de facto un territoire colonisable. À ce jour, 600 000 colons juifs y résident pour une population de 2,6 millions de Palestiniens. Les dirigeants israéliens ont annoncé la volonté d’atteindre le million de colons d’ici 10 ans. D’ailleurs, le Premier ministre de l’État hébreu lorgne sur la vallée du Jourdain, territoire stratégique riche en ressources hydrauliques. L’accaparement des eaux souterraines par les autorités israéliennes risque de provoquer de fortes tensions avec le voisin jordanien et avec les Palestiniens de la Cisjordanie. L’or bleu est au cœur de la géopolitique régionale.

En plus de devoir accepter l’implantation de nouvelles colonies en Cisjordanie, les Palestiniens doivent cesser toute action militaire. Le plan de « paix » prévoit une démilitarisation des territoires palestiniens (surtout dans la bande de Gaza) et une sécurité assurée exclusivement par l’autorité israélienne. En contrepartie Donald Trump promet  50 milliards de dollars d’investissement et deux futures zones industrielles dans le désert du Néguev.

Ce deal du siècle envisage également la construction d’un tunnel reliant la Cisjordanie à Gaza. Or, le déplacement des habitants palestiniens sera restreint dans l’espace et dans le temps.

De surcroît, le plan de l’administration américaine ne concerne pas uniquement le sort des Palestiniens, mais également celui des habitants du Golan syrien. Ce territoire, occupé militairement par Israël en 1967 et annexé en 1981, représente une véritable zone stratégique. En mars 2019, le Président Donald Trump signe un décret reconnaissant la souveraineté de l’État hébreu sur le plateau du Golan, faisant fi des résolutions de la communauté internationale qui n’a jamais reconnu cette annexion. Ce « deal du siècle » vient parachever cet état de fait.

En somme, l’administration américaine rend monnayable la cause palestinienne et ignore consciencieusement les aspirations légitimes du peuple palestinien.

Abou Dis pour les Palestiniens

Les habitants de la région postent à l’unisson sur les réseaux sociaux le mythique morceau de la chanteuse libanaise Fayrouz « Al Qods lana » (Jérusalem est à nous)[1]. Or, cette nostalgie est consubstantielle avec ce sentiment d’abandon, de désarroi face au marchandage de la ville sainte. En effet, après avoir déplacé l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem en décembre 2017, la récente annonce de Donald Trump confirme un peu plus l’empiètement israélien sur le sort des Palestiniens.

Jérusalem est plus qu’une ville pour les Arabes, elle dépasse de loin la simple notion de capitale d’un État. Elle représente le mythe de la ville sainte parfaite, mille fois conquise mais toujours vivante et resplendissante. Musulmans, Chrétiens et Juifs la sacralisent. Troisième ville sainte de l’Islam avec la présence de la mosquée Al Aqsa, Jérusalem est également sacrée pour les Chrétiens du monde entier avec le tombeau du Christ (le Saint Sépulcre). Les Juifs, quant à eux, la vénèrent pour le mur des lamentations, ancienne façade du temple d’Hérode du Ier siècle.

Malgré les dires du Président américain, la capitale du futur État palestinien ne sera pas Jérusalem-Est, mais Abou Dis. Cette dernière est une petite bourgade de 11 000 habitants, située à l’est de Jérusalem. Encore une aberration et une humiliation pour les habitants qui seront de plus en plus éloignés de la ville sainte. En effet, les Arabes chrétiens et musulmans se liguent contre cet opprobre. Les Palestiniens refusent donc à l’unisson le sort qu’il leur est promis.

L’effritement d’une solidarité de façade

La Palestine est un sujet consensuel pour la rue arabe. Cependant, les dirigeants des principaux pays de la région la délaissent petit à petit pour rejoindre une alliance de plus en plus officielle avec les Etats-Unis et Israël contre l’Iran.

Initialement, l’approbation tacite des autorités du Golfe et de l’Égypte est perçue comme une trahison. Seuls, les dirigeants libanais, syriens, irakiens, yéménites, algériens et tunisiens ont condamné ouvertement ce plan de paix.

La Palestine reste populaire et certains dirigeants régionaux l’ont bien compris. Pour des raisons électorales évidentes, avoir le « passeport palestinien » permet de s’assurer un soutien de poids. Pour les populations locales, y compris chez les non-arabes (Turcs et Iraniens), la Palestine représente cette cause fédératrice aconfessionnelle. En dépit de discours partisans et de manifestations dans plusieurs villes contre ce fameux « deal du siècle », l’abattement prédomine chez les habitants de la région.

Dans les faits, ce plan de paix signe la fin d’un espoir et ne résout aucunement le conflit israélo-palestinien. Contre toute attente, réunie au Caire le 1 février 2020, la Ligue arabe dénonce un projet injuste ne respectant pas le droit des Palestiniens. Impuissant, Mahmoud Abbas, chef de l’autorité palestinienne rompt toutes les relations avec Israël et les Etats-Unis.

La perte de la Palestine obligerait le monde arabe à se réinventer. En déliquescence, il est plus que jamais soumis aux calculs des grandes puissances et aux turpitudes de ses propres dirigeants.  

Bibliographie :


[1] https://www.youtube.com/watch?v=lYKnQ9814T8

Non, la guerre entre l’Iran et les États-Unis n’aura pas lieu !

La guerre fait vendre!

Au lendemain de l’assassinat du général iranien Qassem Souleimani le 3 janvier 2020 par les Américains, le monde s’alarme sur les potentielles conséquences de cet acte. Dans son ensemble, la presse internationale évoque les risques de sombrer « vers une troisième guerre mondiale ». Les titres racoleurs et sommaires alimentent une certaine psychose de l’opinion internationale. Les réseaux sociaux ont également servi de baromètre de la peur et de l’angoisse mondialisée.

Il ne s’agit pas ici de minimiser l’impact de l’assassinat, mais plutôt de nuancer ses répercussions. Il est primordial de ne pas tomber dans un discours émotionnel et hâtif. La guerre n’aura pas lieu et ce pour diverses raisons.

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Trump ne veut pas la guerre !

Quoiqu’en dise la plupart des experts et journalistes, Donald Trump ne veut pas la guerre.

Avec son style brute, le Président américain est prévisible et transparent car il dit ce qu’il pense. Tout au long de sa campagne présidentielle, il a martelé qu’il voulait rapatrier les troupes américaines présentes dans la région. Partisan d’un isolationnisme, Trump veut se focaliser majoritairement sur les affaires internes. Il sait pertinemment qu’une énième intervention au Moyen-Orient le rendrait impopulaire auprès de ses électeurs et de  l’opinion internationale. Sa politique est dans le prolongement de la politique de son prédécesseur Barack Obama. Il accentue le virage asiatique pour tenter de contenir l’influence chinoise en mer de Chine. Le Moyen-Orient devient de fait un dossier secondaire pour l’administration américaine.

Donald Trump n’est pas le seul décisionnaire à la Maison Blanche. Il est soumis au poids et à l’influence omnipotente des différents lobbys de l’armement et des néoconservateurs, qui eux, souhaitent et militent pour une intervention américaine contre l’Iran et la Syrie. Cependant, Trump est réticent à l’idée d’envoyer des troupes au sol, il a même réduit les effectifs présents en Syrie et en Afghanistan.

L’assassinat du général iranien Qassem Souleimani répond à un impératif bien précis, d’ordre existentiel. En effet, en ciblant l’homme fort de la politique extérieure iranienne, Trump démontre que les Etats-Unis agissent à leur guise quand leurs intérêts sont en jeu.

Le message est lourd de signification. Malgré les annonces de désengagement, Trump envoie un signal fort à la région. En fragilisant un peu plus l’Iran, il rassure ses alliés israéliens et saoudiens.

L’Iran n’a pas les moyens de ses ambitions !

Bien qu’ennemi intime et invétéré des Etats-Unis, l’Iran ne peut s’investir dans une guerre qui causera vraisemblablement la chute de son régime.

Depuis la révolution islamique d’Iran en 1979, une série de sanctions américaines s’abat sur l’économie iranienne. Ces dernières prennent plusieurs formes : embargo sur les exportations et les importations à destination de l’Iran, pressions diplomatiques sur les partenaires occidentaux des Etats-Unis, doublées de sanctions financières pour qu’ils s’alignent sur la même politique, gel des avoirs des Iraniens travaillant à l’étranger… Téhéran est acculé, mais arrive tant bien que mal à atténuer la dureté des sanctions en se tournant vers des partenaires moins soucieux de plaire aux intérêts de Washington. C’est le cas notamment de la Russie et de la Chine.

Or, l’intensification des sanctions depuis l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche en 2016, plonge l’Iran dans une crise économique sans précédent. Suivant la logique de « silver bullet » préconisée par l’administration Obama, les sanctions doivent permettre aux Etats-Unis de remplir leurs objectifs sans l’utilisation de la force armée. Cependant, la République islamique d’Iran s’est forgée une identité révolutionnaire, dissidente à l’aune des agissements occidentaux. Depuis 40 ans en effet, l’économie iranienne exsangue essaye de s’adapter aux multiples sanctions, en se réinventant et  en s’appuyant sur un réseau d’alliance plus ou moins fiable.

Pourtant, la politique étrangère iranienne très active au Moyen-Orient, marque le pas et ne semble plus avoir l’appui unanime de sa base populaire. Plusieurs manifestations locales ont eu lieu les mois derniers, critiquant les dépenses iraniennes en Irak, en Syrie et au Liban alors que le pays subit de plein fouet les nouvelles mesures restrictives imposées par la Maison Blanche.

Au lendemain de l’assassinat de Qassem Souleimani, l’Iran cristallise toutes les attentes et toutes les craintes. Nombreux sont les analystes et  journalistes à avoir misé sur un probable nouveau conflit au Moyen-Orient. Or, l’Iran conscient de ses difficultés, se cantonne plus à un rôle de perturbateur des intérêts américains dans la région.

L’art de la guerre « made in Trump »

Donald Trump a cassé les codes de la communication politique. Twitter est devenu son principal outil de communication. Il l’utilise quotidiennement et ce à des fins diplomatiques. Il alimente « la twittosphère » dans son style rustre et un tantinet enfantin. Dès lors, ses détracteurs mettent en exergue l’amateurisme et la dangerosité du Président américain.

Pourtant, il n’a de cesse de marteler qu’il ne veut pas de la guerre. En ancien magnat de l’immobilier, il veut faire des affaires. Tout est monnayable en relations internationales et il l’illustre à sa manière. En assassinant Qassem Souleimani, il anticipe une recrudescence des tensions qui va nécessairement mener à une surmilitarisation de la région, au profit de l’industrie américaine. De surcroît, un changement de régime en Iran serait une aubaine pour les intérêts économiques américains dans la région. Les récentes manifestations sont appuyés et soutenus par Washington et ce afin de fragiliser l’Iran et ses alliés.

Étonnamment, Donald Trump est un fin connaisseur de L’art de la guerre de Sun Tsu. Ce grand stratège chinois a théorisé l’art de la dissimulation. Pour Sun Tsu, la guerre ne se gagne pas sur le champ de bataille. Le secret de la victoire réside dans la connaissance de la situation et le fait de constamment tromper son ennemi sur ses intentions. Trump est un disciple de Sun Tsu, il brouille sans cesse les pistes. Un temps menaçant à l’égard de l’Iran lors d’un discours officiel, la même journée Trump se fait l’avocat de la paix sur Twitter. De ce fait, il alimente la confusion et sème le doute auprès de ses adversaires.

Finalement sa conception de la géopolitique se résume à un grand marché au sein duquel Donald Trump doit nouer des relations commerciales. Moqué, voire calomnié, le Président américain sait ce qu’il fait alors que tout le monde pense le contraire. Il le rappelle sans le dire, dans le monde des affaires il n’y pas d’alliés mais que des intérêts.

Récemment, en proposant « le deal du siècle » pour résoudre le contentieux israélo-palestinien, Donald Trump rend commercialisable l’improbable dénouement d’un conflit historique.

Bibliographie:

-Laferrère, Armand. « Trump, disciple de Sun Tzu »,Commentaire, vol. numéro 168, no. 4, 2019, pp. 829-836.

– https://www.lefigaro.fr/vox/monde/renaud-girard-la-politique-etrangere-de-trump-n-est-pas-en-rupture-avec-celle-d-obama-20200124